50. Charles
CHARLES
« Je vais te dicter un nouveau pamphlet à faire imprimer, prends ta plume. »
Charles s'exécuta, heureux de pouvoir se rendre utile. Louis avait fermé les yeux pour se concentrer sur son discours du moment.
« Ils nous menacent – non, attends, ce n'est pas assez percutant. Ils veulent la mort de la République – oui, voilà, écris d'abord ça ! »
Charles acquiesça et trempa sa plume dans son encrier. Il ne devait surtout pas réfléchir. C'était son moment de calme.
« Ils veulent... la mort... de la République, marmonna-t-il entre ses dents en dessinant les lettres avec soin. Après ?
— Attends, je réfléchis. »
Charles se mordit la lèvre. Louis réfléchissait peu, en général. Concentré, concentré, reste concentré. Il jeta un coup d'œil à son ami et vit sur son visage une expression dont il n'avait jamais été témoin. Louis le regardait avec tendresse. Charles retint son souffle, ne sachant comment réagir. Ce genre de choses n'arrivait pas. Et n'arriverait pas.
« Arrêtez ça, soupira Charles. Vous voyez bien que c'est illogique ! Je ne suis qu'un imbécile ! »
Les yeux de Louis se vidèrent de toute émotion et il resta immobile, planté dans un coin du grenier miteux de sa petite maison parisienne. Charles jeta sa plume sur le sol et prit sa tête entre ses mains, désespéré. Il était allé trop loin.
« Je m'excuse, je connais mal votre ami, intervint B. J'aurais aimé le modéliser de manière plus réaliste.
— Partez, laissez-moi seul. »
Il sentit que B hésitait.
« Je pensais vous faire plaisir en réalisant votre rêve.
— Fichez-moi la paix, sincèrement. Louis ne ferait jamais ça et vous le savez.
— Mais pourquoi ne pas en profiter ?
— Dégagez ! s'exclama Charles, choqué par la proposition de B. Dégagez ou... »
Charles fit une pause, cherchant ce qui pourrait effrayer le maître des lieux.
« Dégagez ou je me tue. »
Le silence se fit instantanément. Charles soupira et risqua un regard vers le Louis factice, qui ne bougeait plus. Pas de doute, il était parfaitement reconstitué. Charles n'osait pas énumérer le nombre de fois qu'il l'avait admiré en silence, se demandant comment devenir plus que son scribe, plus que son meilleur ami. Le révolutionnaire savait qu'il avait déjà acquis une réputation de pleurnichard auprès des autres au manoir, constamment triste et abattu, mais il pensait avoir ses raisons. Il avait vécu l'enfer et Louis ne l'aimerait jamais. Charles ne se sentait pas différent des hommes qui préféraient les femmes, mais il avait appris à garder cette information pour lui. Ce genre de choses ne se disait pas. Ne se vivait pas non plus, d'ailleurs. Il resterait seul jusqu'à sa mort.
Charles essuya ses larmes et décida d'ignorer l'ersatz de Louis. Pour une fois, il voulait des réponses à ses questions.
Demander des informations aux puces est beaucoup trop direct. Je vais essayer de comprendre ce qui nous est arrivé à partir d'ici, dans cette chambre. Charles ferma les yeux pour se concentrer, une mimique volée à Louis. Voyons voir. Je vais d'abord fouiller ses affaires, au cas où. B était une catastrophe ambulante pour ce qui était d'imiter les comportements humains, mais il avait l'œil pour l'inanimé : tous les objets semblaient parfaitement en place.
Charles ouvrit les tiroirs de la commode rongée par le temps et l'humidité et en sortit une liasse de feuilles. Il les étudia avec précipitation mais reconnut sa propre écriture. Mince, ce sont mes doubles de tracts. Ça ne sert à rien de les relire. Il les rangea en vrac et se dirigea vers les deux lits de fortune installés dans un coin du grenier. Charles cachait souvent certains documents trop extrémistes de Louis sous son matelas pour éviter de les faire publier. Il ne tenait pas à ce que la Convention soit choquée par leurs écrits et qu'ils finissent à la guillotine. Peut-être que Louis cache quelque chose sous son matelas, aussi. Il ne sait pas lire, mais tout est possible.
Charles souleva le matelas des deux mains et le laissa retomber sur le côté. Il écarquilla les yeux, ne pensant pas réellement y trouver quoi que ce soit. Mince, il y a vraiment quelque chose... Le révolutionnaire se pencha pour saisir la feuille de papier chiffonnée contre les lattes de bois pourri. Pourquoi Louis avait-il conservé ce document ?
Charles fronça les sourcils. Mais... c'est un dessin de moi, non ? L'expéditeur avait tenté de le dessiner : les cheveux blonds ne trompaient pas. Il devait savoir que Louis ne lisait pas assez bien pour comprendre qu'il s'agissait de lui. À côté du visage de Charles se trouvait un croquis de tête de mort. Sous les dessins étaient inscrites des lettres en majuscules, peut-être dans l'espoir que Louis puisse les déchiffrer. CHARLES EST ... Le reste était effacé. La deuxième feuille était similaire : des dessins menaçants et le même message.
« Il manque la fin du texte, commenta Charles. Charles est dangereux ? Charles est amoureux de toi ? Non, personne ne s'en est rendu compte. Charles est... quelque chose ?
— Je ne peux pas vous laisser souffrir en lisant cette lettre, répondit B, qui n'était donc pas parti. Retournez vivre avec vos nouveaux amis, le passé est le passé. »
Charles n'eut même pas envie de protester. Pour une fois que le maître des lieux confirmait ses angoisses... Le révolutionnaire toisa une dernière fois le faux Louis, hésitant presque à rester quelques instants pour le contempler. Non, tu vas devenir fou.
« Retirez aussi le tableau de lui qui est dans ma chambre. »
Le destin ne l'avait pas laissé vivre son amour avec le vrai Louis ? Tant pis. Il n'allait pas rester en pâmoison devant un dessin.
Charles retourna au manoir et décida d'aller se coucher, épuisé d'avoir trouvé plus de questions que d'explications sur sa propre vie. Il ne pouvait s'empêcher de repenser à la lettre menaçante trouvée sous le matelas de son ami. Non, certains mystères doivent rester où ils sont. Avec le temps, sa curiosité disparaîtrait. Il oublierait tout de sa vie antérieure en s'occupant des vignes de Julius.
Plongé dans ses pensées, il faillit ne pas voir Philémon qui sortait de l'une des deux chambres au fond du couloir. Il était pâle comme la Mort. Mince, j'espère que ce n'est pas sa blessure à la poitrine qui s'est ouverte !
« Un problème, Philémon ? lui demanda Charles.
— Euh..., bafouilla-t-il en remettant son chapeau en place, visiblement troublé. Je... je suis désolé, je suis pris sur le fait... Ce n'est pas ma chambre.
— Quoi ? Vous étiez en train de... visiter la chambre de quelqu'un d'autre ?
— Je suis absolument confus, s'excusa Philémon en rougissant. Je devais juste... Il fallait que j'en apprisse plus sur Agnès.
— Oh. Alors ça va. Cette folle a voulu nous tuer... non, ne me dites pas que c'était un accident, ne perdons pas de temps. Alors ? Qu'est-ce qu'il y a dans sa chambre ?
— Des matelas sur les murs. Tout est en matelas. »
Charles frissonna. C'est étrange.
« Elle est dérangée, dit-il. Tenez-vous à distance.
— Peut-être, en effet... Êtes-vous retourné chez vous, Charles ? lui demanda-t-il brusquement.
— On peut dire ça, mais c'était la dernière fois. Je vais aller faire une sieste, à plus tard. »
Charles le salua et entra dans sa chambre. Après un instant de réflexion, il bloqua la poignée de la porte vers le haut avec une chaise. Visiblement, tout le monde peut entrer dans n'importe quelle chambre comme dans un moulin. Je vais prendre mes précautions. Philémon avait peut-être fouillé sa chambre avant de trouver celle d'Agnès. Oh, et puis je m'en fiche ! Il n'y a rien à voir. Charles s'effondra sur son lit, épuisé. Il distinguait encore, à l'envers, un morceau du portrait de Louis.
« J'avais demandé qu'on le retire ! »
Il vit le cadre disparaître de son champ de vision et ferma les yeux, soulagé. Son calvaire allait prendre fin.
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