5. Camille *
Note : Merci d'être arrivés au chapitre 5 ! J'espère que ça vous plaît...
CAMILLE
Les tableaux fixés sur les murs bougeaient, les yeux peints des personnages représentés sur les toiles la suivaient. Camille était persuadée d'avoir vu l'un d'entre eux remuer son bras droit. Elle regardait de tous les côtés, mais tout restait parfaitement immobile. Cependant, dès qu'elle bougeait, la jeune fille sentait des mouvements autour d'elle et se figeait. Les yeux des tableaux la toisaient une demi-seconde puis détournaient le regard, trop vite pour qu'elle puisse être totalement sûre de ce qu'elle avait vu.
Complètement paniquée, Camille jeta un œil au canapé sur lequel elle s'était réveillée. Impossible de revenir en arrière ! Elle s'était pincée des dizaines de fois mais non, elle ne rêvait pas. Cette situation était bien réelle, Camille ne faisait pas un cauchemar ! Elle n'allait pas ouvrir les yeux et penser qu'elle devait aller à la fac, que la réalité ne ressemblait pas à ce film d'horreur ! Peut-être que tout ça n'était qu'une mauvaise blague, qu'on l'avait enfermée dans une maison hantée de parc d'attractions.
Camille s'approcha de l'un des portraits, bien décidée à agir. Cela faisait plusieurs longues minutes qu'elle restait là, paralysée, sans rien faire d'autre que se poser des questions. Et en plus, il fait plutôt froid...
L'un des tableaux représentait une jeune femme rousse paresseusement allongée sur un divan, picorant du raisin dans une soucoupe de porcelaine. Elle était mince et magnifique, tout le contraire de Camille. Combien de fois lui avait-on reproché son tour de taille ? Elle baissa les yeux, gênée par la nudité de la peinture. Est-ce qu'elle a posé comme ça, sans vêtements ? Elle songea à ce qu'elle penserait si on la peignait nue et qu'on l'affichait ainsi dans une pièce, à la vue de tous.
Ses prises de sang indiquaient qu'elle n'était pas en bonne santé et son miroir n'avait pas un avis différent. Elle n'avait pas ces bourrelets légers qui faisaient complexer les filles minces mais ceux morbides de l'obésité qui arrivait à grands pas. Plus elle y pensait, plus elle mangeait, et ça ne s'arrêtait jamais. Elle pouvait passer une journée entière à grignoter sans interruption, et tout y passait – barres chocolatées, lait en bouteille, viande, pain, sodas, bonbons, fruits, fromage, pâtes... Les garçons qui daignaient lui parler étaient rares, mais tous lui disaient de voir un psychologue. Peut-être était-ce le seul moyen d'arrêter tout ça. Peut-être, mais...
Elle replongea ses yeux dans ceux de la rousse peinte sur le tableau. Son regard la suivit quelques secondes, puis redevint fixe.
« Pas la peine de vous cacher, je sais que vous essayez de me regarder. » dit Camille avec conviction.
Elle attendit, mais rien ne se passa. Ne me dites pas que je suis en train de parler à un dessin, j'ai vu de mes propres yeux qu'elle bougeait ! Camille se racla la gorge, légèrement vexée.
« Vous essayez de me regarder, répéta-t-elle avec lenteur. Alors allez-y, regardez-moi, quel est le problème ? Je suis trop moche pour vous, c'est ça ? »
Rien. J'aurais bien aimé qu'elle me dise non, là... Camille fronça les sourcils et toucha le tableau du doigt.
« Madame, ne vous moquez pas de moi ! s'exclama-t-elle en tapotant le visage de la rousse. Tiens, qu'est-ce que ça ferait, si je déchirais votre joue avec mon ongle ? »
Camille passa doucement son doigt sur la peinture beige et gratta légèrement, écaillant le dessin. La peinture semblait assez bon marché, granuleuse et formant une couche très fine.
« Encore un peu ? » la nargua-t-elle.
Lorsqu'elle creusa jusqu'à découvrir la toile blanche sous la peinture, le tableau se mit brusquement en mouvement. La femme rousse devint rouge brique et voulut se jeter sur Camille, poussant un grand cri aigu qui lui glaça le sang. Ses cheveux de feu volaient dans tous les sens et son regard était comme fou. Camille crut qu'elle allait subir un assaut d'une violence sans précédent, mais la femme peinte était bloquée par la toile et ses coups de poing rageurs ne l'atteignirent pas.
Elle recula, effrayée, et regarda la femme rousse dont elle avait abîmé le visage. Un trou s'y dessinait, à présent.
« Qu'est-ce qui vous prend ? s'exclama Camille. Pourquoi voulez-vous m'attaquer ? »
La rousse siffla.
« Je ne te permets pas, petite garce !
— Pardon ? cria Camille, déboussolée par cette insulte gratuite.
— Tu détruis mon beau visage et tu t'étonnes de ma réaction ? Sale petite peste. »
Effrayée, Camille se mordit la lèvre.
« Je suis désolée... Expliquez-moi pourquoi tous ces tableaux me regardent en cachette. S'il vous plaît, ajouta-t-elle avec précipitation.
— Parce qu'ils sont intéressés par les nouveaux venus, c'est tout ! Ça fait un peu d'animation ! Tu vas reprocher à des tableaux de faire attention à ce qu'il se passe autour d'eux ? Tu crois qu'on ne s'ennuie pas, ici, à force ?
— Mais pourquoi détourner les yeux juste après ?
— Parce qu'on se rend compte que tu es timide et que tu ne veux pas être regardée dans les yeux, pardi ! » cracha la rousse en devenant écarlate, ses yeux jetant des éclairs.
Elle continua de griffer la toile sur laquelle elle était peinte, folle de rage. Au moins, elle ne peut pas me faire de mal. Cette perspective la rassurait tout en lui donnant envie de s'évanouir. Elle était en train de parler à un tableau... ? C'est peut-être une vidéo très bien faite. Camille constata qu'elle avait encore de la peinture sous l'ongle et frissonna. C'est réel ? Je ne comprends pas !
Si tout était vrai, Camille ne devait pas attiser la haine de la puissance supérieure qui avait créé ce tableau hanté. Elle adorait les histoires de paranormal et d'aliens, mais il était beaucoup moins amusant d'en avoir une preuve sous les yeux !
« Excusez-moi de vous avoir défigurée, mais j'ai une idée. Si j'humidifiais la peinture avec mon doigt, je pourrais étaler un peu le beige pour reconstituer votre visage... Qu'en dites-vous ?
— C'est la moindre des choses, imbécile. Viens donc par ici. » répliqua la rousse s'efforçant de respirer avec calme.
Camille revint près du tableau et lécha le bout de son index droit.
« Je suis étudiante en littérature, mais je fais aussi de la peinture et c'est ma méthode pour réparer vite fait bien fait mes erreurs.
— Grand bien t'en fasse, dépêche-toi un peu. » dit le tableau en bâillant d'ennui.
Elle posa son doigt sur la joue de la rousse, ce qui la fit grimacer.
« Ne bougez pas ! lui intima-t-elle. Ça risque de vous mettre du beige sur l'œil.
— Oui bon, ça va, hein. »
Camille inspira longuement pour étaler la peinture humidifiée sans trembler. Elle reconstitua avec brio le visage de la femme rousse. Elle recula pour admirer son travail et fut plutôt fière du résultat.
« C'est bon, vous êtes comme neuve !
— Encore heureux, tiens, bougonna-t-elle en se rallongeant sur le divan, boudant le raisin qui l'attendait dans la soucoupe.
— Est-ce que je peux vous poser une question ?
— Vas-y, mais pas trop longue ni ennuyeuse.
— Est-ce que vous êtes réellement douée de conscience ? Est-ce que vous avez existé sous forme humaine ? Où sommes-nous ? »
La femme se redressa sur son divan.
« Chaque résident de tableau est ce que son peintre a fait de lui. Je suis un ersatz de la muse de mon peintre, et Jonathan là-bas n'est qu'une invention de son auteur. »
Elle se redressa et montra du doigt le portrait d'un jeune homme habillé de noir qui tenait un crâne dans sa main. Seuls ses yeux bougeaient, mais il finit par prendre confiance en lui et leur fit un timide signe de la main.
« Je crois qu'il en pince pour moi, chuchota la femme rousse en se penchant vers l'oreille de Camille. Nous sommes conscients depuis le premier coup de pinceau... C'était notre naissance, en quelque sorte.
— Très bien, dit-elle, bien que rien dans cette conversation ne lui paraisse très bien. Excusez-moi encore de vous avoir fait mal tout à l'heure, j'ai paniqué.
— Je n'ai pas très bien réagi non plus, tu sais, admit-elle en faisant la moue. Tu ne devrais pas traîner ici, pour parler sérieusement. C'est dangereux. »
Camille en profita pour répéter la question qui la torturait le plus à l'instant et que la femme peinte avait éludée.
« Où suis-je ?
— Je ne saurais comment te l'expliquer. Le propriétaire des lieux ne se montre pas, il est très secret. Je n'ai pas vu le visage de mon peintre, mais peut-être que c'était lui... Je n'ai jamais senti la caresse du pinceau. Il m'a faite par... réflexion ? Je pense que c'était quelque chose comme ça. Hé, Jonathan ? appela-t-elle.
— Ou–oui ? bafouilla le tableau en rougissant.
— Est-ce que tu te souviens de cette voix grave qui nous avait parlé, il y a quelque temps ?
— Euh... Je pense que oui. Le Créateur ?
— C'est ça, le Créateur. Alors ?
— Eh bien je..., bégaya-t-il avant de se taire définitivement.
— C'est tout ce qu'on pourra tirer de Jonathan pour la journée. Non, désolée ma petite, mais on n'a pas plus d'informations. Comment tu t'appelles, au fait ?
— Camille Barnet. Et–
— Je n'ai pas de nom, ne me le demande pas. On n'a rien écrit sur mon cadre... Jonathan, lui, il a eu son nom. Peut-être que le Créateur a eu la flemme pour moi. »
La jeune femme rousse anonyme se rallongea pesamment, piochant du raisin dans la soucoupe de porcelaine avec paresse. La jeune fille dansa nerveusement d'un pied sur l'autre et demanda :
« Qu'est-ce que je dois faire ?
— Pour ?
— Eh bien... Je me suis réveillée dans ce canapé, et je ne sais pas ce qui m'est arrivé. Je ne vis pas ici, j'habite à Strasbourg. En plus... »
Elle se mordit la lèvre, ne sachant comment dire ce qui allait suivre.
« Oui ? l'encouragea la rousse en prenant un autre fruit.
— Eh bien, chez moi, les tableaux ne bougent pas et ne parlent pas aux gens. Ils sont juste... de la peinture, rien de plus. Il n'y a pas d'histoire d'âme donnée par l'artiste ou ce que vous m'avez expliqué.
— Qu'est-ce que tu en sais ? » répliqua la femme rousse en se prélassant sur le divan, étirant ses longues jambes pâles comme le marbre.
Camille, mal à l'aise, changea de sujet.
« Où dois-je aller ?
— Il n'y a qu'une seule porte, ma petite, répondit le tableau avec une moue dédaigneuse.
— Je sais, mais au-delà ? Y a-t-il un moyen de rencontrer votre créateur ?
— Pfff, soupira-t-elle. Il n'a pas daigné se montrer pour me peindre, pourquoi aurait-il envie de te voir en chair et en os ? A-t-il une enveloppe physique ? Tu ne le sauras jamais. Le Créateur est partout, parmi nous et à l'extérieur. Il n'y a aucun moyen de le voir ni de le sentir. Tu peux seulement l'entendre, s'il te parle... s'il a seulement envie de t'adresser la parole, ce qui n'est pas simple. Tu ne devrais pas essayer, ce n'est pas à ton niveau. »
Camille grimaça et croisa les bras. Sa curiosité était désormais piquée au vif. Elle n'eut pas le temps de rétorquer car la femme lui coupa la parole :
« D'ailleurs, je ne sais pas si tu en es consciente, mais je n'ai aucune idée de ce qu'il y a à l'extérieur, je suis dans un tableau.
— Vous ne pouvez pas voyager ?
— Si, d'un portrait à l'autre, mais il n'y en a pas dans la pièce adjacente. Je suis allée ailleurs, mais je ne sais pas où j'étais précisément, donc cela ne t'apportera rien. Je préfère te le dire : il y a des choses étranges, ici.
— C'est gentil de me prévenir. Bon, je vais voir ce que je peux trouver, et si je découvre d'autres personnes ou le « créateur », je reviendrai dans cette pièce. Est-ce que ça vous convient ?
— Je m'en moque, petite, j'ai du raisin pour rester éveillée. Et puis Jonathan peut aussi me conter fleurette, pas vrai Jonathan ? »
Le timide portrait bégaya une réponse indistincte, et la rousse rit doucement.
« Allez, Camille, va donc chercher tes congénères, s'il y en a !
— Merci madame... Merci beaucoup. »
Elle lui fit un léger signe de la main et se dirigea vers la porte, saluant Jonathan au passage. Il a vraiment l'air mal à l'aise, le pauvre. J'espère qu'il finira par avoir une touche avec cette femme... Mais ce n'est pas le moment de m'inquiéter pour un tableau ! Camille sortit en se demandant si elle allait rencontrer d'autres habitants de Strasbourg.
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