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32. Charles

CHARLES

« C'est ridicule, Nok, on ne va pas tout visiter !

— Pour une fois qu'on a vraiment quelque chose à faire, pourquoi s'en priver ? »

Charles haussa les épaules en soupirant, vaincu. Après tout... c'est vrai. Le révolutionnaire s'était réveillé avec Nok dans ce qu'ils avaient défini comme un musée. Ses oreilles bourdonnaient sans cesse, à présent. Il faut arrêter de nous endormir de force comme ça, j'ai mal au crâne...

« Viens, Charles ! s'impatienta Nok. Peut-être que c'est notre épreuve de traverser toutes les salles.

— Pourquoi y aurait-il un musée aussi grand au milieu d'un manoir ? marmonna-t-il en le rejoignant.

— Est-ce que tu te poses réellement la question ? Il n'y a rien à comprendre, Charles... Il faut essayer de rentrer chez nous, c'est le seul truc à peu près clair. »

Le révolutionnaire ramassa en silence sa rose jaune qui était tombée sur le sol. Il la replaça sur sa chemise. Je rentrerai avec, je la montrerai à Louis et je lui dirai que j'ai réussi à la garder dans un manoir rempli de fantômes. Peut-être serait-il fier de lui. Il grimaça en sentant son estomac se retourner. Depuis le repas collectif, il avait le sentiment d'avoir oublié une chose capitale sur son passé. Quelque chose de terrifiant.

« Charles, tu t'occuperas de ton look plus tard !

— De mon quoi ?

— Laisse tomber. »

Charles rejeta ses cheveux en arrière et s'avança devant l'entrée du musée. Il pouvait distinguer de l'autre côté de la porte ouverte des objets entreposés dans des vitrines. Le révolutionnaire aperçut un écriteau à côté de l'entrée et le lut à voix haute :

« Ce musée contient des éléments du quotidien des douze invités du Créateur. Donc nous nous sommes tous déjà vus, il n'y a pas de treizième personne dans ce manoir. Invités ? Ce n'est pas le terme que j'aurais utilisé. On nous prend pour des imbéciles, plutôt. »

Il se tourna vers Nok pour lui proposer d'entrer, mais le jeune homme basané le fixait avec incrédulité. Allons bon.

« Quoi ?

— Tu sais lire, commenta Nok.

— Oui, je sais lire, répéta Charles d'un ton méprisant. Je crois t'avoir déjà raconté que je lisais et écrivais des pamphlets pour Louis. Et alors ? Je ne suis pas le seul.

— Donc... tu n'es pas si pauvre.

— Ai-je dit le contraire ? » répliqua-t-il en entrant dans le musée.

Je n'aime pas du tout tes questions, mon cher Nok. Charles évita soigneusement le regard de son comparse et se concentra sur la première salle de l'exposition. Il ignora dans un premier temps les objets protégés par des vitrines en verre puis s'intéressa à la frise chronologique placardée sur le mur.

« Ce sont nos dates de disparition, je crois, dit Nok derrière son épaule. Oui, c'est bien 5032 pour moi. C'est plutôt... instructif. Est-ce qu'il pourrait y avoir une logique dans tout ça ? Est-ce que nos époques seraient symétriques ou séparées par une durée égale ? »

Charles observa la frise pendant quelques secondes. Il secoua la tête.

« Non, regarde... Tu es presque à l'opposé de Juka par rapport à l'an zéro, mais c'est tout. Le reste n'a pas de logique.

— Mince. Et j'ai une autre question... D'où est-ce qu'ils sortent ces photos de nous ? s'étonna Nok en fronçant les sourcils.

— Photos ? Tu veux dire... les images de nos têtes ? »

La frise était constituée d'une simple flèche et de traits précisant douze dates en plus du zéro. Au-dessus de chaque année se trouvait le portrait de son propriétaire. Charles arborait un air renfrogné sur le sien, mais ce n'était pas son expression qui le gênait. Il avait reconnu le fond de l'image.

« C'est le grenier de Louis ! s'exclama-t-il. Comment... Qui m'aurait vu à cet endroit ? Nous étions cachés...

— C'est peut-être... Oh, tu sais que je n'aime pas dire ça, mais c'est sans doute un truc magique. Ils peuvent peut-être voir notre passé et le faire apparaître comme ils le veulent, sur des photos comme dans une pièce.

— Hm. Peut-être. » admit Charles.

Il n'en était pas moins effaré.

« Bon, on y va ? » l'exhorta Nok.

Charles acquiesça en silence, bien que ce ne soit pas de gaîté de cœur. La vie des autres personnes enfermées avec lui ne l'intéressait pas spécialement. Je veux juste rentrer chez moi. Chez lui, là où il n'y avait pas de fantômes ni d'inconnus pour lui poser beaucoup trop de questions. Nok leva les yeux au ciel en remarquant son manque de motivation. Il se dirigea vers la première vitrine.

« Donc... c'est censé correspondre à la vie de tous les autres ? se demanda-t-il à haute voix. C'est juste une tasse, ça pourrait appartenir à n'importe qui sauf Juka.

— C'est écrit sur le côté, intervint Charles en lisant l'étiquette collée sur le verre. C'est la tasse de Camille, apparemment.

— Un mug de base, dit Nok. Camille, c'est bien celle qui parle grec ancien et qui aide Juka ?

— Je crois que oui. Est-ce que c'est censé nous montrer quelque chose de plus ? C'est là-dedans qu'elle boit. Une tasse avec un drapeau quelconque. Qu'est-ce que c'est, d'ailleurs ?

— Le drapeau de la Bretagne. Il existait déjà à ton époque, tu sais... Je ne crois pas me souvenir qu'elle vienne de Bretagne, mais peut-être qu'elle trouve juste le drapeau joli. J'aurais bien aimé voir ça en vrai. »

Charles lui jeta un coup d'œil et demanda :

« Et tu ne peux pas aller là-bas ?

— Il n'y a plus rien. »

Le révolutionnaire déglutit, gêné. Le monde est vraiment en lambeaux à ton époque, mon pauvre. Son quotidien était sans doute plus appréciable que celui du cinquième millénaire, Grande Terreur ou pas.

« Bref, fit Charles. Si toute l'exposition ressemble à ça...

— Ne râle pas, va, on continue. »

Ils s'approchèrent de la vitrine suivante. L'objet était un ourson en peluche.

« C'est... mignon, admit Charles.

— Et c'est aussi à Camille. Je crois qu'il y a une salle par personne, du coup !

— Peut-être. »

Ils découvrirent ensuite une réplique de son lit – confortable, bien plus que le mien –, les céréales qu'elle mangeait le matin, une représentation de ses parents...

« Ils sont assez photogéniques, s'amusa Nok. Camille leur ressemble beaucoup, les mêmes taches de rousseur !

— Même s'il est très bien fait, c'est juste un tableau, grommela Charles, peut-être que l'artiste les a arrangés.

— Ce n'est pas un tableau mais une photographie. Ça veut dire que c'est vraiment eux ! Je t'expliquerai plus tard. »

Le révolutionnaire ne put réprimer un soupir en pensant qu'ils allaient devoir passer par onze autres salles du même acabit. Nok plissa les yeux avec réprobation, ce qui lui donnait un air curieux à cause de son œil gauche fermé.

« Qu'est-ce qu'il y a encore ? Tu fais la tête depuis qu'on est arrivés ici. Bon, pas que tu sois un boute-en-train le reste du temps, mais là c'est carrément flagrant. »

Charles voulut ignorer sa remarque mais Nok le saisit par le bras.

« Non, tu fuis bien trop facilement. On ne pourra pas réussir les épreuves du maître des lieux si tu réagis tout le temps comme ça. Explique-moi ce qui ne va pas !

— C'est évident, donc laisse-moi tranquille ! répliqua le révolutionnaire.

— Non, insista Nok, ça ne l'est pas.

— Eh bien tant pis ! »

Il entra dans la salle suivante. Nok le talonna en ne lâchant pas son bras et le saisit soudain par les deux épaules en le forçant à le regarder dans les yeux. Charles dut baisser la tête à cause de sa petite taille.

« On n'ira nulle part, Charles. Parle-moi et tout de suite.

— Tu as vraiment besoin que je te le dise ? s'exclama le révolutionnaire en se dégageant de son étreinte. Vous êtes tous fous à lier, sincèrement. On est enfermés ici sans même savoir pourquoi, on se fait maltraiter, vous venez tous du passé ou du futur et je suis le seul à trouver ça étrange ? J'en ai marre, Nok, je veux rentrer chez moi et reprendre ma vie d'avant, ma vraie vie, aussi dangereuse soit-elle. Je ne sais pas qui vous êtes ! »

Le souffle coupé, Charles ferma les yeux et poursuivit en marmonnant :

« Vous avez l'air de trouver ça normal. Vous discutez, vous participez aux activités qu'on nous force à faire... Il n'y a que Juka qui dispose d'un cerveau en état de marche, ici. Vous devriez tous avoir aussi peur que nous, et pourtant vous riez et posez des questions aux autres... J'ai l'impression d'être la seule personne lucide. »

Nok soupira et acquiesça en silence.

« Tu admets te comporter bizarrement ? demanda Charles, surpris qu'il soit si facile à persuader.

— Non, mais je vois ce qui te dérange. Les autres réagissent mieux que toi car un coin de leur cerveau leur dit qu'il vaut mieux être conciliant et positif que déprimer et devenir fou. Tu n'as peut-être pas ce réflexe de fuite et ça te rend inquiet, voilà tout. Mais ne t'inquiète pas, personne ici ne trouve ça drôle ni normal. »

Charles se mordit la lèvre inférieure. Ça m'a l'air sensé, comme explication.

« Et Juka..., poursuivit-il.

— Juka est totalement abattue depuis le repas. Je crois qu'elle a recouvré la mémoire et que ça l'a plongée dans une dépression totale. Ça me suffit pour penser qu'elle est bien moins animale qu'elle n'en a l'air... C'est bien la seule à avoir retrouvé tous ses souvenirs, d'ailleurs, sauf si Agnès nous ment. Elle est louche, celle-là ! Personnellement, je suis toujours dans le flou pour ce qui est de mes souvenirs récents. Et toi ? »

Charles détourna le regard et frémit devant la mesquinerie de son camarade. On en revient toujours à ça. Nok lui posa gentiment une main sur l'épaule.

« Eh. Soyons sérieux cinq minutes, d'accord ? Tout le monde a été séparé en binômes, et le maître des lieux a décidé qu'on serait une nouvelle fois ensemble. Il aurait pu te mettre avec Philémon, ou moi avec Eric, mais on est encore tous les deux. Peut-être qu'il a compris qu'on était capables de se faire confiance et de se comprendre... Ça prouve que tu peux me parler de tes problèmes et que je ne me moquerai pas.

— Alors, dans ce cas, raconte-moi comment tu t'es blessé à l'œil. »

Nok haussa les sourcils, surpris de la détermination de son ami. C'est un test, Nok. Tu vas devoir répondre à la question.

« Tu ne peux pas me demander de parler de moi sans le faire, renchérit-il.

— Ça ne me dérange pas. C'est juste qu'à chaque fois, les autres étaient là aussi, et... tu vas comprendre pourquoi ça m'ennuyait d'en parler. »

Il prit une longue inspiration, un peu gêné.

« J'étais avec tout mon groupe dans une ville en ruines, comme d'habitude. Je t'avais déjà expliqué que je voyageais de ville en ville avant de trouver mon camp définitif, non ? Bref. C'était quelques mois avant que nous ne devenions tous sédentaires. Je me suis disputé avec un gars de mon âge, un imbécile de première. Il me provoquait depuis des années et on a fini par se battre avec des barres de fer. Je pense que tu peux deviner que j'ai pris la sienne dans l'œil.

— Et... c'est tout ? s'étonna Charles. Pourquoi avoir menti à tout le monde ?

— Parce que c'est violent ! Je ne voulais pas passer pour quelqu'un d'imprévisible et de méchant, quelqu'un qui aime se battre ! C'est déjà assez difficile d'obtenir la confiance de qui que ce soit, alors pas la peine d'aggraver mon cas...

— Est-ce que tu l'as tué, après ? »

Nok haussa les sourcils.

« Non, pourquoi ? Je ne suis pas sanguinaire.

— Il t'a quand même éborgné... Donc vous vous êtes juste réconciliés ?

— Certainement pas ! s'exclama Nok avec un petit rire sec. Il a pris peur en voyant mon visage en sang. Il s'est enfui de la ville.

— ... et donc ?

— Et donc c'est tout. On ne peut pas s'enfuir, ça n'existe pas. Dès que tu quittes le groupe, quelque chose te mange.

— Comme les ernaques ? »

Nok croisa les bras et sourit.

« Exactement, bonne mémoire ! Tu es très attentif, même si on dirait que tu te fiches de tout. »

Charles acquiesça avec un léger sourire. Il était satisfait que Nok se soit confié à lui, même si cela signifiait qu'il allait devoir l'imiter.

« Je ne me souviens pas de tout, dit Charles. Ce ne sera pas plus intéressant que ce que je t'ai déjà raconté. J'ai juste le sentiment tenace que je ne veux pas le savoir. Je veux rentrer chez moi, mais pas avoir conscience de ce que je vais y trouver... ça n'a pas de sens !

— Eh, je trouve que ça en a, au contraire ! Peut-être que ça te reviendra. Je peux attendre un peu. Oh, s'exclama-t-il en montrant du doigt la salle suivante. Regarde, c'est la tienne ! »

Charles considéra la porte à quelques pas d'eux, surpris.

« Nous ne sommes mêmes pas entrés, il n'y a rien à voir.

— Mais si, regarde bien au fond.

— C'est... un mur... ?

— Il y a l'étiquette de la salle suivante près de la prochaine porte. La salle suivante contient une énigme, c'est ce qui est écrit dessus. Et dans cette étiquette, on voit le reflet de la vitrine en face de la porte. C'est écrit Charles, donc c'est ta salle. Je croyais que tu savais lire ! »

Le révolutionnaire écarquilla les yeux, éberlué.

« Sérieusement ? On ne voit absolument rien d'ici. Tu as la vue d'un aigle ?

— Non, c'est plutôt toi qui es bigleux. Oh ! fit-il avec un sourire, je crois que j'ai compris. Au temps pour moi, désolé. Les gens de mon époque ont dû développer une meilleure vue pour survivre. On voyage souvent de nuit et il faut pouvoir repérer les prédateurs de loin. On appelle ça l'évolution, et c'est sans doute possible en plusieurs millénaires sur un détail comme celui-là. »

Encore quelque chose du futur. Charles savait qu'il ne comprendrait pas son explication sur l'évolution et décida de hocher la tête sans plus de commentaires.

« Bon, lança-t-il, on visite ma vie ?

— Tu as l'air plus motivé que tu ne le laissais croire...

— J'essaie d'être positif. C'est ce que tu fais, non ? Ça a l'air de marcher. Mais promets-moi une chose... Si tu comprends quelque chose devant les vitrines et que je te dis que je ne m'en souviens pas, ne me dis rien. Je ne veux pas le savoir tout de suite. »

Nok acquiesça sans rechigner. Il sait que mon histoire personnelle ne doit pas être joyeuse, et dans quelle époque je vis. Nok était menacé par des bêtes sauvages et d'occasionnels imbéciles, mais Charles n'était menacé que par ses pairs. Il entra dans sa salle et se força à approcher la première vitrine, anxieux. Son appréhension était si grande qu'il devait réfléchir pour marcher convenablement. Il se serait presque attendu à voir son propre cadavre derrière la vitre de verre.

« C'est ma plume ! s'exclama-t-il, soulagé. Je m'en servais pour écrire des tracts contre le pouvoir monarchique. Depuis l'exécution du roi, elle ne me sert plus vraiment. Et puis, évidemment, il y a une imprimerie.

— Jolie plume, en tout cas, commenta Nok en se penchant en avant.

— C'est de l'oie. Est-ce que tu as déjà vu des oies ?

— Non, il n'y en a plus, admit-il. Mais il y a d'autres oiseaux, ne t'inquiète pas. Certains font ma taille. »

Nok était petit et très musclé, mais l'idée d'un oiseau aussi imposant que lui était alarmante.

« Quelle horreur !

— Ils sont moches mais ne nous attaquent pas, c'est déjà ça. Allez, passe à la vitrine suivante.

— Si tu veux, mais je maintiens que c'est dégoûtant. Alors ça..., hésita-t-il en regardant l'objet, je ne sais pas trop ce que c'est.

— C'est une bague, ça me paraît évident.

— Oui, certes, répliqua Charles avec agacement, mais je ne sais pas à qui elle appartient !

— À toi, peut-être, non ? C'est ton exposition, hein. »

Charles leva machinalement ses mains devant lui et les détailla, très concentré.

« Oh ! Regarde, j'ai un creux à la base du majeur. Je portais sans doute une bague ici.

— Voilà. C'est peut-être ta bague, mais tu ne l'as plus.

— Je ne l'avais certainement pas en arrivant ici, j'en suis persuadé. Maintenant que je la vois... je crois qu'elle est en cuivre et un petit peu trop étroite, elle s'enfonçait dans mon doigt.

— Il y a quelque chose de gravé dessus... Des petites croix. Est-ce que tu es très religieux ?

— Non, pas vraiment. J'ai acheté cette bague chez un apprenti bijoutier qui voulait devenir forgeron. Il l'a décorée de façon très sommaire... la joaillerie n'était pas sa passion. »

Nok éclata de rire.

« Tu m'étonnes, une bague en cuivre... Bon, et la suite ? »

Ils se déplacèrent vers la vitrine suivante. Le jeune homme basané écarquilla les yeux.

« Mais... Qu'est-ce que c'est que ce truc ?!

— C'est, euh... Comment expliquer ? »

Il s'agissait d'une poupée de chiffon fabriquée à partir d'une chemise. Deux boutons cousus représentaient ses yeux.

« C'est la poupée non-révolutionnaire de Louis. »

Il sentit à nouveau le malaise qui l'avait pris lors du repas. Garde ton calme. Il déglutit et ajouta :

« Il la jette à travers la pièce quand il a un accès de haine envers les ennemis de la Révolution.

— Il est un peu timbré, ton ami. »

Charles décocha à Nok un regard assassin qui le fit reculer d'un pas. Tu vas devoir apprendre qu'on ne parle pas comme ça de Louis. On n'insultait pas impunément son meilleur ami, même dans une autre dimension !

« Eh, dit Nok précipitamment, tu vois ce que je veux dire... Il est un peu extrême, non ? Tu en parles comme s'il ne rêvait que de faire brûler la moitié du pays. D'ailleurs, tu l'avais confondu avec toi-même au début, si je me souviens bien. Ça t'avait tellement marqué que tu as cru que c'était ta propre personnalité. Même à toi, son meilleur ami, il faisait peur.

— Il y a des façons de le dire, marmonna Charles. Louis n'est pas aussi fou que tu le penses. On peut parler de ce musée, plutôt ?

— Si tu veux.

— Louis s'entraîne à prononcer des discours devant cette poupée, au cas où il deviendrait député. Il est persuadé qu'il le sera un jour.

— J'espère pour lui qu'il réalisera son rêve. » l'encouragea Nok.

Quand Charles voulut le remercier, il comprit qu'il n'avait dit cela que par politesse. Nok ne donnait pas l'impression de croire à ses propres paroles. Le jeune homme basané rencontra son regard et cilla précipitamment.

« Ne te méprends pas, Charles, je l'espère vraiment. Seulement, pour que ça arrive, il faudrait déjà qu'on rentre chez nous. Et tu dois lui apprendre à lire pour qu'il puisse devenir député.

— Ah. »

Charles baissa les yeux. Nok n'avait inventé cela que pour se rattraper, mais il ne lui en tint pas rigueur. La vérité était encore trop difficile à entendre. Louis est trop extrémiste pour vivre sans passer par la guillotine, et s'il devenait député ce serait encore pire. Voilà ce que tu voulais me dire, Nok, mais tu ne l'as pas fait.

« Merci, dit Charles en passant à a vitrine suivante.

— Pas de quoi, soupira Nok, le soulagement perceptible dans la voix. Est-ce que c'est une photo de Louis ? » demanda-t-il en montrant du doigt l'objet exposé.

Le révolutionnaire se mordit les lèvres. Il n'était pas prêt à revoir le visage de son meilleur ami. Les photos étaient si réalistes qu'il risquait d'avoir une attaque. Il inspira profondément et regarda la vitrine bien en face.

Oh.

Charles avait toujours trouvé les histoires de cœur de ses amis d'enfance parfaitement ridicules. Il avait grandi entouré de petites filles fébriles, rêveuses, parlant sans arrêt des garçons qui leur plaisaient. Elles souriaient bêtement. C'était insupportable. Charles n'avait jamais aimé les écouter piailler de la sorte.

À l'adolescence, il avait compris que son incapacité à supporter toutes ces lubies enfantines n'était que pure jalousie. Oui, il était toujours seul, et alors ? Il avait toute une vie pour trouver quelqu'un. Il était jeune.

Pourtant, chaque minute passée à penser à son âme sœur inexistante était un supplice. Charles était un romantique dans l'âme, désespéré à l'idée de finir seul. Il exagérait sans doute l'effet que sa solitude avait sur son humeur quotidienne, mais sa souffrance était quasiment physique.

Il avait alors appris à ignorer cette douleur. Tant pis si sa vie n'était pas rythmée par celle de quelqu'un d'autre. Chaque histoire d'amour ne lui inspirait à présent que du dégoût.

C'est pourquoi Charles détestait l'expression « avoir le cœur brisé ». Parler ainsi d'un organe vital était pathétique – personne ne pouvait se targuer d'avoir été si amoureux qu'il allait en mourir. N'est-ce pas... ?

Lorsque le révolutionnaire posa les yeux sur le visage imprimé de Louis, il crut que son cœur n'allait jamais battre de nouveau. Louis lui coupait autant le souffle que dans ses vagues souvenirs. Ses cheveux noirs étaient approximativement taillés autour de ses oreilles et certaines mèches étaient plus longues que les autres. Ses yeux pâles s'enflammaient en permanence car il pensait sans cesse à la Révolution. Son sourire était moqueur, son nez légèrement crochu, son menton...

Charles ferma les yeux, envahi par des souvenirs sans queue ni tête : sa mère lui reprochant de répliquer aux remontrances de sa tante, le chien de Louis se faisant caillasser par les voisins et courant vers eux en gémissant, le coup de pied dans le genou qu'il avait pris sans aucune raison en pleine foule à l'âge de quatre ans...

Il sentit vaguement qu'on le secouait et ouvrit les yeux. Nok le scrutait avec inquiétude.

« Alors ? »

Charles, encore choqué par ces soudaines réminiscences, voulut le rassurer. Les mots restèrent bloqués dans sa gorge. Seule restait l'évidence : il ne voulait pas savoir la suite.

« Écoute, coassa-t-il en secouant la tête, est-ce qu'on peut ignorer mon côté de l'histoire ?

— Quoi ? s'exclama Nok. Attends, tu veux laisser tomber ? Il y a cinq minutes, tu me disais que tu n'avais plus peur, et maintenant ça ?

— Je ne veux pas me souvenir. Regarde ce que... »

Charles fut interrompu par un sanglot si violent qu'il peina à croire qu'il venait de lui.

« ... regarde c-ce que ça m-me fait ! balbutia-t-il en essuyant ses yeux embué de larmes. Est-ce que tu pleures comme un décérébré à chaque souvenir, toi ? Non ! Je ne suis pas fait pour ça !

— Charles, vient par-là. » lui dit Nok calmement en écartant les bras.

Charles fronça les sourcils et émit un petit rire nerveux.

« Quoi, tu veux me prendre dans tes bras ?

— Bien sûr. Est-ce que c'est trop monarchique pour toi ? » le nargua gentiment le jeune homme basané.

Charles finit par sourire, s'autorisant à accepter le réconfort que son nouvel ami lui proposait. Il trouvait ça gênant mais pas désagréable, à bien y réfléchir. Amusé par leur différence de taille, Charles l'enlaça légèrement de côté.

« Ce serait bête que tu t'étouffes dans ma chemise, pas vrai ?

— Eh ! se plaignit Nok. Je suis trapu pour ne pas être repéré de loin, c'est tout.

— Et en retour, tu vois tes prédateurs grâce à tes yeux surdéveloppés.

— Exact. » confirma-t-il en le serrant deux fois plus fort contre lui.

Charles se laissa faire, surpris.

« Nok ?

— Quoi, encore ? fit-il, amusé.

— Est-ce que c'est normal de faire ça, pour toi ?

— Les câlins ? Oui. Tu m'excuseras de ne pas savoir à partir de quand c'est devenu habituel. Ça te gêne ?

— Non, enfin... Si ? »

Nok le lâcha doucement, compréhensif.

« C'est un truc d'amis, chez moi, expliqua le jeune homme basané.

— Ça l'est aussi à mon époque, dit Charles. C'est juste que je ne suis pas tellement... tactile.

— Je vois. En tout cas, maintenant que ça va mieux, tu ferais bien de me raconter ton passif avec ce Louis. »

Charles renifla avec irritation.

« Je pensais avoir été clair.

— Essaie juste d'imaginer que tes souvenirs puissent te faire rentrer chez toi. Peut-être que quand on saura tout, on réapparaîtra dans notre époque comme ça, d'un seul coup. J'ai l'impression d'avoir eu cette conversation dix fois !

— Je sais...

— Alors on va commencer par les bases, et ne te défile pas. Est-ce que Louis était ton ami ?

— Mon meilleur ami, rectifia Charles en détournant les yeux.

— Pas seulement. Ta tête en voyant cette photo... Je ne sais comment la décrire.

— Triste. J'étais triste. On peut changer de sujet ?

— Pas juste triste. Tu m'as presque brisé le cœur, sincèrement.

— Ne dis jamais ça ! » s'écria Charles en portant par réflexe ses mains à ses yeux.

Il tenta sans succès de déguiser sa crise de larmes aussi soudaine qu'inhabituelle en éternuement. Lorsque Nok s'approcha de lui pour le consoler, il le repoussa et marmonna :

« Laisse. Ça passera. Ça passe toujours.

— C'est quelque chose qui t'arrive souvent ? Ce n'est pas grave de pleurer, tu sais.

— Est-ce que tu le fais, toi ? répliqua Charles en essuyant ses yeux rougis. Je ne t'ai jamais vu comme... comme ça.

— Je n'ai peut-être pas de raison d'être aussi triste que toi. Qu'est-ce qui est arrivé à Louis ? »

Charles voulut répondre quelque chose de cinglant, mais sa colère s'éteignit lorsqu'il s'aperçut qu'il n'en savait rien. Qu'avaient-ils fait, après tous ces mois, toutes ces années à se cacher dans le grenier familial ? Il ne se souvenait que de leurs discussions et de leurs longues soirées à rêver d'un monde meilleur. Pourquoi était-il si malheureux ?

« Je ne sais pas. Il n'y a rien de triste dans ma mémoire actuelle. Je suis désespéré, mais je n'ai aucune raison de l'être !

— J'ai peut-être une idée, mais ne le prends pas mal. D'accord ? »

Charles acquiesça. Nok jeta un coup d'œil au visage de Louis dans la vitrine, comme pour lui demander son approbation, et hésita :

« Est-ce que tu serais amoureux de Louis ? Et ce n'est pas réciproque ? »

Charles déglutit, mal à l'aise. Entendre ces mots prononcés par Nok était bien différent de les accepter en silence. Il avait fini par comprendre que son émotion devant le portrait de son ami n'était pas fraternelle. Confus, il répondit :

« Je crois que je l'aime... mais je n'en ai pas le souvenir. Peut-être que je le cache très bien au quotidien. En tout cas, Louis n'a pas ce genre de sentiments, même pour les femmes. Ça ne l'intéresse pas du tout.

— Je vois, acquiesça Nok en faisant la moue.

— Est-ce que ça fait de moi un monstre ?

— Un monstre ? s'exclama Nok. Oh, Charles, je sais que tu viens du XVIIIème siècle, mais même le frère de Louis XIV aimait les hommes. Ce n'est pas grave. »

Le révolutionnaire haussa les sourcils, interdit.

« Hein ? Je ne parlais pas de ça... Non, écoute, Nok, je me fiche que Louis soit un homme ou une femme. De toute façon, je n'avais pas l'intention de rendre ma vie sentimentale publique, peu importe la personne qui la partage...

— C'est plutôt original de la part de quelqu'un de ton époque, admit Nok avec un sourire. Mais alors, je ne comprends pas ton problème !

— Est-ce que c'est mal de profiter de l'amitié de quelqu'un pour rester près de lui et avoir des pensées, euh... eh bien, des pensées ? »

La question l'embarrassait car elle faisait remonter des souvenirs de plus en plus clairs. Lorsqu'il avait décidé d'apprendre à lire à son ami, il avait eu à l'esprit la possibilité de le regarder de près pendant qu'il déchiffrait les pamphlets révolutionnaires. Ce n'était pas un comportement digne d'un être humain sensé, selon lui. Charles avait honte de ses regards à la dérobée.

« Mal ? dit Nok en souriant de toutes ses dents. C'est juste de l'amour, Charles. Tout le monde fait ça.

— Tout le monde ?

— Évidemment. Tout le monde regarde un peu trop l'autre et veut être avec lui toute la journée. C'est... normal !

— Ah, soupira le révolutionnaire, soulagé.

— Mais ne dis pas qu'il n'est pas intéressé, tu n'en sais rien. Est-ce que tu lui en as parlé ? »

Charles secoua la tête.

« Quand tu retourneras chez toi, fais-le. Ne sois pas trop direct parce que ce n'est pas encore très bien accepté à ton époque, mais essaie de lui faire comprendre qu'il compte beaucoup pour toi. Tu verras bien sa réaction. S'il t'assure qu'il est ton meilleur ami... tant pis, mais s'il voit enfin un moyen de t'avouer ses sentiments réciproques, ce sera gagné.

— Tu as sans doute raison..., avoua Charles. C'est une bonne stratégie, c'est vrai. Merci, je me sens mieux !

— Un remerciement ! s'exclama Nok en levant les bras au ciel. Incroyable !

— Oh, ça va, répliqua Charles en rougissant.

— Allez, pas de problème. Tu vois que c'est utile de parler de ton passé, ça t'a rassuré. »

Charles acquiesça pour ne pas le vexer. Son cœur était certes plus léger, mais il lui restait le sentiment indéfectible que le pire allait se produire.

« C'est bizarre, dit soudainement Nok.

— Hm ?

— J'aurais juré que les autres vitrines n'étaient pas vides. Tout a disparu. Il s'est passé quelque chose pendant qu'on parlait, non ?

— Peut-être. On va voir l'énigme de la salle suivante ? »

Le maître des lieux a voulu me cacher quelque chose.


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