29. Julius
JULIUS
Empêtré dans sa toge, Julius n'en menait pas large. La pièce avait cessé de tourner depuis plusieurs minutes mais sa migraine ne s'était pas encore estompée. Il écarta le pan de tissu qui recouvrait son visage et étouffa un cri de stupeur.
Autour de lui se trouvaient des centaines d'animaux endormis. Il n'aurait su identifier les trois-quarts d'entre eux, mais la longueur des crocs dépassant de leurs gueules ne le rassurait pas. Après les peintures, le repas, la salle qui imite une toupie... la mort ? Il savait qu'il ne pourrait survivre en cas de combat à mains nues contre ce genre de bêtes. Julius détestait repenser à l'époque lointaine où l'on jetait des gladiateurs dans des fosses remplies de panthères. Les courses de char étaient moins cruelles, et il pouvait y assister avec ses enfants !
Il déglutit en se demandant si la pièce avait changé de décor ou s'il avait été projeté ailleurs. On m'a envoyé ici seul. Je suis peut-être l'unique invité que le maître des lieux a décidé de tuer. Ses mains se mirent à trembler. Il se redressa et resta assis. Le lion à sa gauche soupira bruyamment dans son sommeil et Julius crut sa dernière heure arrivée.
Le Romain se recroquevilla, ne sachant que faire pour se sortir de cette situation mortelle. Réfléchis, ne panique pas. Est-ce qu'il y a des fenêtres ? ...non. Une porte ? Il jeta un regard circulaire et repéra immédiatement une échappatoire tout près, à sa droite.
Julius se mordit la lèvre inférieure, tendu de la tête aux orteils. Il essaya avec mille précautions de se mettre sur ses pieds. Un animal qu'il n'avait jamais vu auparavant remua une patte à l'autre bout de la pièce. Julius se raidit, au paroxysme de la terreur, mais aucune bête ne se réveilla. Il lorgna le tigre qu'il allait devoir enjamber pour sortir et sut qu'il allait finir sa vie ici, à cet instant précis. Est-ce que j'ai peur ? Est-ce que je n'ai pas toujours su que ça arriverait ? La panique laissa lentement la place à l'acceptation. Une étrange sérénité l'envahit - rapidement anéantie par un fracas épouvantable à quelques dizaines de pas de lui.
Julius sentit son cœur s'arrêter. Et ce fut encore pire quand il entendit une voix de jeune homme résonner à travers la pièce.
« Vous êtes là ! »
Les yeux exorbités, Julius reconnut le jeune esclave grec.
« C'est Lemnos ! poursuivit-il. Écoutez-moi bien ! »
Julius lui fit une myriade de signes pour le faire taire. Il va me faire tuer ! Pourtant, les animaux ne semblaient pas réagir à sa présence. C'est comme s'il n'était pas là ! ...et il n'avait pas tort.
« Julius, restez calme. Je ne sais pas ce que vous voyez dans cette pièce, mais cela n'existe pas. C'est une illusion pour vous forcer à... prendre de la distance avec vous-même. »
Le Romain haussa les sourcils. Lemnos continua :
« Fermez les yeux et pensez à quelque chose d'agréable. »
Il faut que je lui fasse confiance. Il n'y a aucune raison que je le croie sur parole, mais les bêtes ne l'entendent pas ! Il est comme invisible, donc... il doit bien se passer quelque chose. Je vais me faire discret. Il replaça sa toge sur son épaule, provoquant le grognement d'un lion à proximité. Julius ferma les paupières, peu rassuré. Il se força à penser à ses fils - comment s'appelaient-ils, déjà ? -, si mignons et polis. Honorius et... le deuxième. Sidonius ! Julius n'était pas très démonstratif dans ses émotions, peu souriant, mais loin de tous il gâtait ses enfants et jouait avec eux jusqu'à tomber de sommeil.
Sans sa façon de gérer son domaine, tout compte fait, il n'aurait pas écopé du surnom de Glorius... Il faut être un minimum fier de ce que l'on est et apprécier ce que l'on a construit. Mais il avait déjà dépassé le seuil minimal de fierté depuis une éternité ! Le visage si semblable de ses deux fils emplit son esprit, s'insinuant dans chaque parcelle de ses pensées jusqu'à ce qu'il ne puisse plus réfléchir.
« JE VOIS QUE VOUS ÊTES CAPABLES TOUS LES DEUX DE PRENDRE VOS DISTANCES AVEC LA PEUR. »
Julius ouvrit les yeux en reconnaissant la voix d'outre-tombe du maître des lieux. Les animaux avaient tous disparu. Surpris mais soulagé, le Romain rejoignit prudemment Lemnos.
« JE VOUS PROPOSE DE ME REJOINDRE DANS LA PIÈCE SUIVANTE. »
Une porte apparut dans un mur. Julius haussa les sourcils, bouche bée. Encore de la sorcellerie. Va-t-on le rencontrer ? Vraiment ? L'esclave grec, vêtu d'un pagne et d'un vêtement vert en laine, se frottait le menton avec insistance.
« Doit-on y aller ? Oh. Je suis bête, je vous parle depuis tout à l'heure mais vous ne comprenez sûrement pas ce que je dis...
- Tu me crois sans éducation, mon petit ? répliqua Julius. Fais attention à toi, même avec huit siècles de retard... je peux peut-être parler de toi à ton maître ! »
Lemnos le regarda, hébété, et Julius soupira de lassitude.
« C'était une plaisanterie. Je ne peux pas parler aux morts, tu sais. Pour ta gouverne, tous les Romains de haut rang parlent grec.
- Vous auriez donc pu aider Camille à me traduire certains mots qu'elle ne comprenait pas...
- Oui, mais personne ne m'a demandé de le faire, répliqua Julius. Bon, ce n'est pas que cette conversation m'indiffère, loin de là, mais nous avons mieux à faire ! »
Lemnos tira gauchement sur une manche de son vêtement à plusieurs reprises, très nerveux. Il semblait hésiter à poser une question. Julius lui fit signe de parler.
« Pensez-vous que nous serons les premiers à sortir d'ici ? J'aurais voulu dire adieu aux autres...
- Sois un peu mature, Lemnos, rétorqua Julius. Tu vas rentrer chez toi et ce sera très bien. Profites-en pour prendre ton baluchon et partir, car ton maître est un imbécile.
- Ce n'est pas si simple..., soupira l'esclave. Mais j'y pense. J'y pense tous les jours. »
Julius eut presque pitié du jeune homme, puis se ravisa. Ce n'est pas à toi de régler ses problèmes ! Tu lui as conseillé de fuir, c'est sa seule issue et tu as dit tout ce qu'il y avait à dire. Lorsqu'il toucha la poignée de la porte, le Romain entendit Lemnos se racler bruyamment la gorge. Irrité, il se retourna.
« Quoi ?
- Je me demandais... Qu'y avait-il autour de vous ? Quelle illusion ?
- Je voyais des bêtes sauvages. En quoi cela t'intéresse-t-il ?
- Rien, c'est juste que... »
L'esclave grec sourit et Julius discerna soudain le mur opposé à travers son visage. Il devient... transparent ! Le Romain fit un pas en arrière, effrayé.
« Qu'est-ce que... Lemnos ?!
- Je ne suis pas Lemnos. »
Le jeune esclave était à présent translucide et informe. De plus en plus tétanisé, Julius tenta de faire reculer l'ectoplasme que devenait Lemnos en lui donnant des coups de pied. Il cilla et la silhouette disparut. Pourquoi ? Il n'y avait donc personne ? La voix grave du maître résonna à nouveau.
« EXCUSEZ-MOI POUR CE PETIT TOUR DE PASSE-PASSE, JULIUS. JE VOULAIS SIMPLEMENT SAVOIR SI VOUS ÉTIEZ CAPABLE DE FAIRE CONFIANCE À LEMNOS, CAR EN CE QUI LE CONCERNE... IL A BESOIN DE SE SENTIR RESPECTÉ. JE VOIS QUE VOUS SAUREZ AIDER CE JEUNE HOMME SENSIBLE À ALLER DE L'AVANT.
- Est-ce que c'était ça, l'épreuve ? s'enquit Julius. Une histoire de confiance ?
- NON. FRANCHISSEZ CETTE PORTE, LE VÉRITABLE JEU COMMENCE. »
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