106. Julius
JULIUS
Julius se croyait presque chez lui. Le seul élément qui l'empêchait de vivre sans penser au lendemain était la présence du maître des lieux. B passait son temps à apparaître pour lui demander si tout allait bien et Julius aurait préféré qu'il le laisse tranquille pour l'éternité.
Il était confortablement installé dans sa villa avec ses fils et Benedicta à gober des grains de raisin du matin au soir. Et puis, comme toujours, le maître des lieux vint le voir.
« Est-ce que vous allez bien, Julius ? lui demanda-t-il, timidement caché derrière la porte.
— Je ne vois pas l'intérêt de me poser cette question toutes les deux heures ! » répliqua-t-il.
Le Romain regarda B fermer la porte et l'entendit partir à pas feutrés. Il en avait assez de voir son visage, de reconnaître sa voix, de savoir qu'il n'était pas seul. La présence de Camille et Agnès – étaient-elles toujours ici ? Avaient-elles perdu l'esprit avant lui ? – le gênait, mais pas autant que celle du maître des lieux. Elles étaient ses amies, bon gré mal gré, mais pas lui. Julius savait qu'il leur avait fait subir toutes ces épreuves pour les aider, mais il ne lui pardonnait pas de ne pas lui avoir fait confiance.
Tandis que tous les résidents du manoir pleuraient sur leur passé en cherchant de nouvelles raisons de vivre, on lui avait caché la vérité. Bien sûr, Lemnos avait été assez brave pour lui annoncer la mort de ses enfants, mais B l'aurait peut-être laissé dans l'ignorance jusqu'à son retour chez lui. Je m'imagine bien dans les rues de Rome, complètement traumatisé qu'ils soient décédés... Il n'était pas passé très loin d'une véritable catastrophe ! J'aurais pu tuer des gens au hasard pour moins que ça !
Julius sortit de ses réflexions lorsqu'Honorius lui posa une question de sa voix fluette.
« Papa, est-ce qu'on va vivre pour toujours ?
— Ici, oui, répondit Julius en souriant. Amusez-vous tant qu'il en est encore temps. »
Le Romain prit une tranche de melon mûr à point, soucieux. Est-ce que B est en train d'utiliser mes fils pour me faire comprendre quelque chose ? Il but une gorgée de vin délicieusement coupé avec de l'eau salée et regarda ses enfants jouer sur les mosaïques. Ils ressemblaient tant aux vrais ! Mais à cause des allées et venues du maître des lieux, Julius ne parvenait pas à oublier qu'ils étaient factices. Comme tout cet endroit, d'ailleurs.
« Papa, s'exclama Sidonius en se plantant devant lui, les joues rosies par le jeu, est-ce que tu réussirais à aller à Rome et à vivre discrètement sans mourir ? »
Julius fronça les sourcils et se tourna vers la porte fermée. Il en avait maintenant la certitude absolue : B tentait de le manipuler.
« Je n'ai rien à faire à Rome, que ce soit bien clair. Et toi... »
Sidonius le regarda avec étonnement.
« ... et toi, retourne jouer. »
Quelle honte de se servir de mes fils pour me faire retourner à Rome ! Ses lèvres en frémissaient de rage.
« B, venez ici tout de suite ! En personne ! »
Le maître des lieux ouvrit la porte, penaud.
« Je veux seulement vous aider, Julius..., murmura-t-il.
— N'essayez même pas, le mit-il en garde. C'est gentil de votre part de me donner cette villa et mes fils, mais ne vous mêlez plus de ma vie ! Retourner chez moi et voir les tombes de mes enfants ? Jamais ! Laissez-moi disparaître en paix, B. Est-ce que vous harcelez aussi Camille et Agnès ?
— Camille est déjà partie, lui apprit le maître des lieux. Il ne reste que vous et Agnès, qui ne va pas tarder à disparaître aussi...
— Alors pourquoi pas moi ? Laissez-moi finir ma vie avec mes fils. J'ai tout ce dont j'ai besoin. »
B fit quelques pas vers lui et s'assit précautionneusement sur une banquette en face de lui. Allons bon, voilà qu'il va me sermonner.
« Le futur de Camille et d'Agnès était inexistant, Julius. Aucune d'entre elles ne peut fuir sans être retrouvée immédiatement après. Vous pourriez vivre ! De toute façon, vous n'aviez pas l'intention de vous marier, j'imagine...
— N'imaginez rien, répliqua Julius. Vous m'avez fait venir ici pour m'éviter de vivre dans un monde réel censé me faire peur, n'est-ce pas ? C'était bien la raison principale ?
— Oui, bien sûr, mais–
— Alors acceptez-le ! Acceptez que je vous obéisse ! »
B rit jaune et attrapa une prune.
« Vous êtes le plus sage de mes Opus. De mes invités, pardon, corrigea-t-il en croquant dans le fruit. Vous sembliez si rebelle, au premier abord !
— Je choisis toujours la meilleure solution pour mes fils, puis pour moi-même. Je ne peux plus rien faire pour eux, par conséquent... »
Julius écarquilla les yeux et fixa intensément B. Oh... mais peut-être que...
« Non, Julius, s'il vous plaît, murmura le maître des lieux en semblant plus fragile que jamais. Ne me faites pas faire encore plus de bêtises. Vous savez que je dirais oui sans hésiter si vous me demandiez quoi que ce soit...
— Allez chercher mes fils, lui ordonna le Romain. Allez me les chercher.
— Je n'ai pas le droit de m'occuper de personnes qui ne font pas partie de la lignée qu'on m'a donnée !
— Ce sont littéralement mes fils ! s'énerva Julius. Ils font bien plus partie de ma lignée que Nok ou Maurice !
— Je ne peux pas les sauver, quelqu'un aura sûrement étudié leur vie et bloqué le processus... »
Le corps de B se décala soudain sur la gauche.
« Pardonnez-moi, j'ai mis le manoir en pause pour aller vérifier leur statut. Leur histoire a déjà été retranscrite il y a trois ans, malheureusement. Je ne peux faire qu'une seule chose... »
Julius regarda B agiter les doigts dans le vide et attendit, le cœur battant. Mais... que fait-il ? Après un long moment, le maître des lieux secoua la tête comme pour se réveiller et se leva.
« Ils sont dans leur chambre. Voulez-vous que je calme leurs symptômes ?
— Leurs... ?
— Ils sont tuberculeux, Julius. » lui rappela B avec tristesse.
Oh.
« Je ne veux pas qu'ils souffrent, le pria Julius.
— Ils partiront avec vous sans douleur. » acquiesça B avant de disparaître.
Julius se retrouva seul dans la pièce principale de sa villa. Même Benedicta était partie. Le Romain se redressa pesamment, angoissé à l'idée de voir ses véritables fils. Plus de fausseté, à présent : Honorius et Sidonius étaient dans leur lit, avec lui. Merci, B. Merci beaucoup.
En entrant dans leur chambre et en les voyant tous les deux allongés, pâles et fatigués, Julius se souvint avec horreur des soirées qu'il avait passées avec eux. Ils toussaient sans cesse et la fièvre les faisait délirer en permanence. Ils pleuraient, effrayés d'être alités sans comprendre ce qui leur arrivait. Quelle horreur... Mes pauvres enfants...
B leur avait rendu la vie plus simple. Honorius et Sidonius semblaient toujours aussi faibles, mais ils n'étaient pas secoués de quintes de toux et souriaient. Julius posa une main sur le front de chacun de ses fils et soupira de soulagement. Ils ne sont pas brûlants.
« B, est-ce que vous êtes toujours ici ? Faites-moi un grand lit pour trois personnes. »
Sans surprise, le maître des lieux ne l'avait pas laissé seul. Les deux lits de ses enfants se rejoignirent et fusionnèrent sous ses yeux, une dernière manifestation magique avant de partir. Julius enjamba Sidonius et s'allongea sous les couvertures entre ses deux fils. Il les serra contre lui, plus heureux qu'il ne l'avait jamais été depuis son arrivée au manoir. Honorius leva une paupière et murmura :
« Papa, on est où ?
— Dans un endroit magique, mes amours. Vous êtes avec moi, tout va bien se passer.
— Je n'ai plus mal à la poitrine, je vais être guéri... » affirma Honorius avant de s'endormir contre l'épaule de son père.
Sidonius se blottit à son tour contre Julius. Il les écouta respirer calmement dans leur sommeil, après des mois d'angoisse passés à les entendre s'étouffer jusqu'à ne plus en dormir. Julius ferma les yeux et serra ses fils encore plus fort contre lui.
Finalement, tout va pour le mieux.
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