104. Lemnos
LEMNOS
Palais de Maître Adelphe à Athènes, été 398 av. J.C.
Lemnos avait trouvé beaucoup mieux que de la peinture rouge pour effrayer Maître Adelphe : il avait fait une petite visite dans les cuisines du palais pour récupérer du sang de porc sans se faire remarquer. Un autre esclave l'avait peut-être aperçu, mais il avait fait semblant de ne rien voir. Il avait alors tracé sur le mur :
Il y aura des conséquences si vous maltraitez Psamathé !
Plutôt fier de lui, Lemnos retourna récurer le sol en se disant qu'Adelphe ne méritait pas qu'il fasse le moindre effort pour rendre le carrelage plus propre. Il entendit alors du bruit et se concentra, bien décidé à mettre son plan à exécution.
« Tu vas me dire ce que tu as vu ! s'exclama Maître Adelphe.
— Rien du tout, Maître, je vous le jure ! gémit Psamathé en tentant de lui faire lâcher son oreille.
— Tu mens ! Je n'ai pas pu le rattraper, il s'est enfui comme un lapin, mais toi... Tu étais plantée là, à quelques pas de lui ! Tu as vu de qui il s'agissait, alors tu vas me le dire ! Lequel de mes esclaves manque à l'appel ?
Psamathé sanglota. Je dois rester calme... Ne pas réagir... Rester calme...
« Dépêche-toi ! répéta Adelphe.
— Je n'ai pas reconnu son visage... Il y a tellement d'esclaves ici, Maître ! Vous avez tant de pouvoir ! »
Adelphe lâcha Psamathé et sortit en trombe de la pièce. Oh ? J'aurais simplement pu me taire et rien ne me serait arrivé ? Lemnos se leva pour réconforter Psamathé, mais elle le saisit par le bras et lui souffla à l'oreille :
« Ce n'est plus possible de vivre ici, Lemnos. Tu dois partir avant de dire quelque chose de malheureux, je te connais.
— Oh, ça, c'est bien vrai..., s'amusa-t-il.
— Ce n'est pas un jeu ! le réprimanda-t-elle. Je vais t'aider à fuir, suis-moi.
— Pas la peine ! lui chuchota Lemnos en l'attirant plus loin. Tout est prévu pour que je parte avant la fin de la journée. »
Psamathé le regarda d'un air interdit. Je n'aurais pas dû le lui dire aussi vite... Elle ne peut pas imaginer où j'étais depuis plusieurs jours ! Lemnos lui raconta qu'il avait pris les devants et qu'il n'allait pas lui révéler son plan au cas où Adelphe tentait de lui faire avouer quoi que ce soit.
« De toute façon, il aura trop peur pour te parler, fais-moi confiance.
— J'espère que tu ne vas pas faire de bêtises, Lemnos... Est-ce que je te reverrai avant ton départ ?
— Je ne pense pas, je vais profiter de l'arrivée des invités d'Adelphe pour être tranquille.
— Alors adieu, dans ce cas. Pense à moi quand tu seras libre...
— Tu vivras longtemps, Psamathé. Je te le promets ! »
Son amie le regarda avec des yeux ronds puis fronça les sourcils.
« Tu veux devenir oracle ?
— Peut-être bien ! » répliqua Lemnos en riant.
Psamathé ne semblait même pas étonnée de son attitude guillerette et provocatrice. Je n'étais vraiment pas moi-même, au manoir. Heureusement que Camille et Julius m'ont aidé à me sentir plus en confiance avant de voir ma mort... Sans leurs efforts pour l'aider à s'ouvrir aux autres, il n'aurait jamais cru ce qu'il avait vu dans la clairière. Il devait maintenant faire honneur à ses amis en vivant longtemps et la tête haute.
Lemnos et Psamathé se saluèrent discrètement pour ne pas attirer l'attention des autres esclaves. On les voyait souvent discuter mais les effusions de larmes ne faisaient pas partie de leur quotidien. Lorsque Lemnos entendit des cris – dont celui d'Adelphe –, il fit un dernier signe à Psamathé et s'enfuit par la dalle brisée dans le mur du palais. Finalement, son ancien maître et ses invités avaient trouvé son inscription sanglante plus rapidement que prévu ! Ils doivent être catastrophés... Personne ici ne sait écrire, sauf sa propre famille ! Adelphe va chercher le coupable pendant des années !
Lorsqu'il parvint dans une rue athénienne, Lemnos commença par se débarrasser de sa plaque en argile. Il la brisa en plusieurs morceaux sous ses sandales élimées et dispersa les miettes un peu partout, bien décidé à ne pas être reconnu. En voyant ces affreuses chaussures, Lemnos songea qu'il voulait trouver du savon et des vêtements propres. Il n'arrivait pas à croire qu'il ait pu vivre dans des guenilles pareilles toute sa vie ! Depuis que le manoir lui avait appris ce qu'était le luxe, il se sentait terriblement sale.
Lemnos se retrouva soudain dans une rue bondée où de riches Athéniens le fixèrent avec effroi. Plus personne n'avait vu d'esclave local depuis des décennies – Lemnos comprenait leur surprise. Alors qu'il espérait de plus en plus que quelqu'un lui adresse la parole, un homme l'arrêta :
« D'où tu sors, toi ?
— J'étais un esclave d'Adelphe, répondit Lemnos en se tenant bien droit. Je me suis enfui, pour être honnête... Je n'ai pas envie de mentir.
— Je vois, c'est bien ce que je pensais... Cette crapule me doit tellement d'argent ! Tu vas aller me le chercher, et je te donnerai tout ce que tu voudras.
— Mais..., hésita Lemnos. Je ne veux pas retourner là-bas ! Je viens d'en partir !
— Est-ce que cela vous suffira ? » demanda alors une voix douce derrière lui.
Lemnos se retourna, effaré. Psamathé ?! Son amie tendit une bague hors de prix à l'homme qui l'avait abordé.
« C'est... c'est très précieux ! s'exclama-t-il en s'emparant du bijou. Est-ce que tu connais Adelphe ? Est-ce que c'est à lui ?
— Bien sûr. Tenez votre parole et commencez par nous donner des vêtements neufs. »
L'homme tourna entre ses doigts la précieuse bague de Maître Adelphe, choqué. Psamathé se pencha vers Lemnos et lui murmura :
« Le palais était en ébullition à cause de ton gentil petit mot... Adelphe m'a renvoyée en me jetant des coffrets au visage, il était fou de terreur ! Je suis sûre que c'était un mot de toi, Lemnos, ne me mens pas !
— Est-ce que c'est mal ?
— Mal ? C'était formidable ! »
Psamathé éclata de rire et Lemnos eut la sensation que des années de souffrance avaient disparu, que son amie était redevenue jeune et pleine d'espoir. Il n'arrivait pas à croire que tout se passe aussi bien. Camille aussi doit avoir réussi à s'en sortir ! Enfin, dans plusieurs siècles. Cette perspective lui donnait le vertige. Il vivait dans un monde où Camille n'était pas née !
L'homme observa encore la bague quelques instants et interrogea Psamathé :
« Tu l'as volée ?
— Non, Adelphe m'a jeté quelques bijoux en me priant de ne plus jamais revenir dans son palais. »
Lemnos voyait bien que Psamathé se délectait de son pouvoir sur Maître Adelphe. Après une vie à s'occuper de lui, il lui avait offert une fortune pour ne plus la voir ! Lemnos ne savait pas s'il allait s'en remettre. J'aurais aimé voir ça... Il imaginait Adelphe, vert de terreur, nauséeux à cause de l'odeur du sang de cochon.
« Vous m'avez l'air d'être un beau duo d'esclaves complètement fous, commenta l'homme en croisant les bras. Je m'appelle Jason, et vous ?
— Psamathé et Lemnos, dirent-ils.
— J'aimerais bien vous avoir chez moi. »
Lemnos jeta un coup d'œil à Psamathé, soucieux. Il nous prend pour des esclaves alors que nous venons de quitter notre maître !
« J'organise des fêtes dans plusieurs bâtiments d'Athènes, expliqua Jason, y compris des processions religieuses. Je pense que vous seriez tout-à-fait capables de préparer ce que je vous demanderai...
— Est-ce que nous serons payés ? s'inquiéta Psamathé.
— Bien sûr ! Il n'y a que cette ordure d'Adelphe pour prendre des esclaves. Vous serez logés chez moi, et si vous faites bien votre travail... vous pourrez vous servir dans le buffet. »
Lemnos en salivait d'avance.
« Bon, alors, insista Jason. Vous allez rester dans la rue avec vos guenilles ? »
Lemnos se demanda si changer de vie à ce point était une bonne idée, d'autant plus que Psamathé, Jason et tous ses futurs invités allaient changer l'Histoire. Est-ce que B serait content ? Il se redressa soudain, conscient qu'il ne devait pas une reconnaissance aveugle à ce jeune homme du futur qui l'avait extirpé de sa vie quotidienne pour tenter de le forcer à rester dans un manoir hors du temps. Il était maître de son destin !
« Quand est-ce qu'on commence ? »
https://youtu.be/28tZ-S1LFok
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