102. Juka
JUKA
Actuel Liban, automne 6103 av. J.C.
Juka se retrouva à l'endroit prévu : devant chez elle. Elle évita les hommes du village qui partaient pêcher et prit le chemin de la rivière secrète. Elle devait absolument vérifier la présence de l'ours mort. J'ai l'impression d'avoir rêvé... Est-ce que c'était réel ?
Lorsqu'elle vit l'animal décédé, lamentablement étendu dans l'eau, Juka s'agenouilla dans l'herbe. Elle inspira profondément. Le manoir, ses amis, le poison : tout était vrai. Et maintenant ? Elle devait respecter les ordres de B et fuir, se débrouiller seule, survivre sans avoir de descendance.
Juka se redressa. Avant de partir, elle voulait voir une dernière fois sa mère et s'excuser pour tout le mal qu'elle lui avait fait. Elle se sentait assez forte pour être sincère avec elle, à présent. Je n'aurais jamais pu le faire avant l'intervention de B, c'est certain. La preuve : je suis partie sans un mot !
Elle avait imaginé arriver avant de croiser la doyenne du village, mais malheureusement...
« Juka, quel grand malheur ! »
Mince. Je dois dire la même chose que la dernière fois...
« Je sais, ma mère ne va toujours pas mieux.
— Ce n'est pas ça ! Juka, fille du Feu, écoute ce que j'ai découvert ! »
Juka en avait assez de ce surnom mais ne voulut pas changer le cours des événements.
« J'ai trouvé quelle maladie frappe la pauvre Ena !
— Vous savez pourquoi ma mère est si mal ?
— C'est un empoisonnement ! Du poison coule dans son sang ! Quelqu'un lui aura donné du poison !
— Impossible, elle n'accepte jamais rien ne venant pas de notre famille... Elle fait très attention à ce genre de choses, dit Juka, la mort dans l'âme.
— Alors c'est plus rassurant que je ne le pensais... Personne n'est responsable de sa mort si proche. C'était sans doute un poisson malade. Notre village est un havre de paix ! »
La doyenne s'éloigna et Juka se força à garder son calme. La culpabilité lui donnait le tournis. Mama... Elle entendit alors les exclamations horrifiées de la mère dont l'enfant était verdâtre et mourant. Je suis désolée, Mama, je ferais mieux de m'excuser auprès de cette femme et de m'enfuir... Juka serra les poings et s'approcha de la mère désespérée.
« Je suis désolée que votre enfant ait mangé du poisson. » dit-elle en s'inclinant.
Le père de l'enfant, qui faisait partie de l'attroupement se formant autour de lui, répondit :
« Moun déteste le poisson. »
Il renifla et ajouta :
« Il ne veut jamais en manger... Il a attrapé la maladie de votre mère, c'est sûr ! Mais je ne lui en veux pas. Les dieux ont décidé de prendre leurs âmes. »
L'homme se désintéressa de Juka pour soutenir sa compagne et son fils qui toussait doucement. Mon père a passé tout son temps auprès de Mama et n'est jamais tombé malade... Juka profita de la cacophonie générale pour entrer dans la maison des parents de Moun.
Elle trouva des miettes autour du lit du petit garçon, provenant du genre de gâteaux rêches et secs qu'elle n'aimait pas beaucoup consommer. Est-ce que Moun et Mama auraient pu manger les mêmes biscuits et tomber malades ? Juka n'osait pas laisser le soulagement la submerger. Avec tous les poissons qu'elle pêchait, il était improbable que seule sa mère ait été empoisonnée. Et si elle n'était responsable de rien ? Peut-être que B s'est trompé et qu'il n'a pas bien observé le reste de mon village...
Juka ressortit discrètement de la maison et retourna dans la sienne. Son père était assis près de Mama, l'air plus vieux et fatigué que jamais. Il semblait vouloir dire quelque chose mais fixait le sol, perdu.
« Mon père... Est-ce qu'il y a un problème ? lui demanda Juka avait de tenter le tout pour le tout. Est-ce une histoire de biscuits ?
— Alors, tu as compris ! s'écria-t-il avec effroi.
— Mon père... Vous avez cuisiné des gâteaux pour empoisonner Mama ? »
Le cœur de Juka battait la chamade. Son père avait-il voulu assassiner sa mère ? Elle n'osait pas se mettre sur la défensive. Si son propre géniteur l'attaquait et la tuait... eh bien tant pis. Je ne peux pas combattre mon père. C'est impossible.
« J'ai mis quelques plantes trouvées près de la rivière dans la pâte mais... Je pense que j'ai fait une erreur ! J'ai pensé que ta mère irait mieux si j'ajoutais de la verdure dans ses gâteaux préférés... Je n'ai rien dit depuis plusieurs jours, et j'ai montré cette fleur à la doyenne qui m'a dit que... »
Juka ferma les yeux. Son père avait cru bien faire !
« Ta mère était si malade après avoir mangé un poisson avarié, tu sais combien elle est fragile et qu'elle souffre quand elle mange quelque chose de mauvais... J'ai voulu l'aider à se soigner plus vite et j'ai tout détruit ! En plus, j'ai laissé Moun prendre quelques biscuits derrière mon dos... »
Juka passa sa langue sur ses lèvres, songeuse. Elle savait à quel point se sentir responsable de la mort d'une personne chère et d'un enfant était insupportable. Elle avait passé tout son séjour au manoir rongée par la culpabilité, à s'occuper en regardant des films pour ne pas devenir folle. Leur responsabilité était partagée : Juka avait donné un poisson avarié à Mama et son père avait voulu lui redonner des forces en empirant son cas.
« Il faut partir, décida Juka en prenant la main de son père.
— Quoi ? fit-il, terrassé mais surpris.
— Il faut partir ! » répéta-t-elle en le forçant à sortir de la maison.
Complètement éberlué, il ne réagit même pas. Juka jeta un dernier regard à sa mère allongée sur le lit.
« Mama... Je suis désolée ! »
Elle prit le chemin de sa nouvelle vie en évitant le groupe agglutiné autour de l'enfant mourant, une vie qu'elle aurait dû appréhender seule.
« Je ne comprends pas, Juka, balbutia son père lorsqu'ils laissèrent le village derrière eux.
— J'expliquerai tout. »
Elle serra les dents et repensa à ses amis, à Stanislas, à B. Est-ce qu'il est satisfait de ma décision ? Est-ce que j'ai le droit de faire ça ?
https://youtu.be/PVzljDmoPVs
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