La nuit m’entoure à nouveau, lourde et oppressante. Je reste là, figée, incapable de chasser les paroles de Caîn de mon esprit.

Chacun des criminels que j’ai réduit en cendres, était-ce vraiment de mon fait, ou faisais-je simplement partie d’un plan bien plus vaste et insidieux ? Je sens la chaleur en moi bouillonner, menaçant de me consumer. Jusque-là, j'arrivais plus ou moins à la contrôler, mais ce soir elle vacille, se déchaîne à chacune de mes pensées, comme un animal sauvage que je ne parviens plus à contenir.

Je me tourne et commence à déambuler, essayant de fuir les ténèbres qui m’entourent. Or, à chaque coin de rue, à chaque ombre, je sens sa présence. Caîn. Il est là, même s’il n’est plus visible, il est toujours présent, comme s’il avait laissé une trace en moi, une empreinte indélébile.

Le besoin de réponses devient insupportable. Si je ne suis pas maître de moi-même, alors qui l'est ? Une colère sourde monte en moi. Je ne peux pas accepter ça. J’ai choisi cette voie, je me suis fait justice moi-même parce que personne d’autre ne le ferait. Mais Caîn a planté cette graine de doute, une graine qui pousse à une vitesse effrayante.

Soudain, un mouvement à ma droite attire mon attention. Un homme, encapuchonné, glisse dans une ruelle sombre. Je sens le mal en lui, comme un poison qui se propage dans l’air. Un criminel, j’en suis certaine. L’instinct me pousse à le suivre, mes flammes frémissent, prêtent à jaillir, mais cette fois, j’hésite.

Et si Caîn avait raison ? Si ce n'était pas moi qui décidais de leur sort ? L'homme s'arrête, se retournant brusquement, une arme blanche à la main. Ses yeux brillent d’une lueur démente, mais je ne ressens aucune peur. Au contraire, la colère en moi monte encore, brûlante, incontrôlable.

– Tu penses pouvoir échapper à la justice ? Lancé-je ma raison m'ayant abandonné.

Ma voix est basse, c'est presque un murmure, mais elle porte une menace claire.

L’homme ricane tout en s'avançant vers moi.

– La justice ? C’est toi la criminelle ici, gamine. On raconte des choses sur toi. T’es rien d’autre qu’une foutue sorcière !

Le feu dans mes mains s’enflamme brusquement, répondant à mon émotion. Mais cette fois, quelque chose d’étrange se produit. Les flammes ne sont pas seulement un prolongement de moi, elles me semblent… étrangères, presque vivantes. Elles crépitent d’une manière étrange, distordue. Comme si elles avaient leur propre volonté.

Avant que je ne puisse réagir, l'homme charge, mais mes flammes l’enveloppent en une fraction de seconde. Tout se termine en un instant. Celui-ci s’effondre, son corps réduit en cendres. Cependant, cette fois, ce n’est pas de la satisfaction que je ressens, c'est de la peur. Mes mains continuent de brûler, incontrôlables et menaçantes.

– Tu comprends maintenant ? Résonne la voix de Caîn derrière moi. Le feu n'est jamais rassasié. Bientôt, il te consommera aussi, Naya.

Je me retourne, mais il n’est pas là. Il y a juste ses mots, flottant dans l’air, me laissant seule avec la vérité que je refuse d’accepter.

Une semaine s'est passée depuis ma dernière rencontre avec Caîn.

Je croyais avoir tout compris. J'étais la justicière avec le soutien d'Azraël, ce nouveau feu qui consume les ténèbres, la punition incarnée. Mais depuis ma rencontre avec Caïn, rien n’est plus aussi simple. Le feu, au début docile sous mes ordres, brûle maintenant avec une volonté propre.

Chaque criminel que je traque est une nouvelle victime, non pas de ma main, mais de cette flamme qui me ronge de l'intérieur. Et pire encore, chaque fois que je sens ce pouvoir m’échapper, c’est à lui que je pense. À Caîn.

L’attirance que je ressens à son égard me terrifie autant qu'elle me fascine. Il y a dans nos rencontres quelque chose de magnétique, de sauvage, que je ne peux expliquer. Il n’est pas seulement un adversaire. C’est bien plus que cela. Il incarne une part de moi que je refuse d'accepter, cette part sombre qui aspire à la destruction autant qu'à la justice.

Et pourtant, je ne peux m’empêcher de le chercher. Quand la nuit tombe, je me surprends à errer dans les rues, espérant le revoir. Je me dis que c’est pour obtenir des réponses, pour comprendre cette force qui m’habite, mais au fond, je sais que c’est plus compliqué.

Caîn me comprend d’une manière que personne d’autre ne le peut. Même pas Azraël. Il voit au-delà de mon pouvoir, au-delà des flammes que l'ange de la mort m'a confié. Il voit la vérité. Et malgré tout ce qu’il représente, une partie de moi est irrésistiblement attirée par lui.

Ce lien que nous partageons est à la fois ma prison et ma libération. À chaque fois que je sens le feu s’échapper, je pense à ses paroles. Il m'avait avertie, il savait ce que je traverserais. Mais au lieu de me libérer, je m'enfonce plus profondément dans cette spirale, nuit après nuit. Parce qu’au fond, une partie de moi veut comprendre ce qu’il est, et ce que je deviens à travers lui.

Je le retrouve enfin, dans une ruelle déserte, cette nuit où je n'avais plus l'espoir de le revoir, son ombre se fondant dans l’obscurité. Comme si nous avions été inévitablement attirés l’un vers l’autre, nos regards se croisent, et pour la première fois, je n’ai pas peur. Pas de lui, ni de ce qu’il représente. Au contraire, je ressens une chaleur étrange, différente de celle de mes flammes. C’est une force plus subtile, plus profonde.

– Tu sens ce que je ressens, n'est-ce pas ? Sa voix suave n'est qu'un doux murmure, elle trouve écho en moi, réveillant quelque chose que j’avais enfoui depuis trop longtemps.

– Pourquoi moi ? soufflé-je, incapable de cacher ce mélange de désir et de peur qui me ronge. Je pensais avoir été choisi au hasard ou par pitié...

– Il y a toujours une raison, c'est parce que tu es comme moi, lâche ce dernier en avançant lentement vers moi, moi ne reculant pas, tu veux savoir qui tu es ? Tu veux comprendre ton don ? Tu crois encore pouvoir le contrôler, mais au fond de toi, tu sais qu'il t’appelle à aller au-delà de toi-même.

Il tend une main vers moi, et je sens la chaleur dans mes veines s’intensifier, brûlant avec une intensité nouvelle. Mon feu ne veut plus le consumer, il le désire. Une part de moi sait que si je prends sa main, il n’y aura plus de retour en arrière. Ce lien que nous partageons nous mènera tous deux à la destruction, ou à une transformation irréversible.

Alors au lieu de fuir, je me sens irrémédiablement attirée vers lui.

– Et si je ne veux pas devenir comme toi ? Craché-je, d'une voix tremblante.

Son sourire est à la fois attendrissant et cruel, son regard est perçant mais chaleureux, alors que sa voix suave m'hypnotise davantage.

– Tu es déjà comme moi, Naya. Depuis bien plus longtemps que tu ne le penses.

Je ferme les yeux, luttant contre cette vérité, car au fond, il a peut-être raison. Il est la clé de ma libération, mais quand bien même aussi de ma perdition.