Chapitre 1 | Cyrus
La douceur marine nous enveloppe sous le ciel nocturne. Je lance un regard à la femme allongée auprès de moi dont le corps est recouvert d'une simple couverture. Son sourire parvient à chasser toutes mes craintes et mon inquiétude au sujet de l'avenir. Elle me lance un regard avant de se tourner vers moi, un sourire taquin sur les lèvres. J'apprécie ce côté joueur, je n'avais pas encore eu l'occasion de le voir. Je découvre une nouvelle personnalité qu'elle camouflait pour entrer dans les codes imposés par sa famille. Libérée de ses fonctions, j'apprends à connaître une nature plus complexe que je ne le croyais. Mon amour pour cette femme ne cesse de grandir au fil du temps, je ne peux imaginer un instant de ma vie sans elle.
Je dépose un baiser sur ses lèvres en caressant son visage d'une main. Le goût de ses lèvres, la chaleur de sa peau sous mes doigts et son parfum enivrant font de moi un homme fou amoureux. Je ne peux m'empêcher de la contempler et d'écouter avec soin chacune de nos conversations. C'est plus fort que moi, cette femme me rends fou.
― As-tu peur de la mort ? demande-t-elle d'une voix douce.
― Je ne m'attendais pas à une telle question !
Elle repousse ses cheveux derrière son épaule en souriant.
― Je suis juste curieuse de connaître ton avis sur la question.
― Pour répondre à ta question, je n'ai pas peur de ma propre mort. C'est une éventualité à laquelle nous ne pouvons pas échapper, mais j'ai la crainte de voir ceux que j'aime disparaître. Je ne supporterais pas la douleur de me réveiller chaque matin avec ce sentiment béant dans ma poitrine.
Ayla se redresse en me fixant droit dans les yeux.
― C'est la raison pour laquelle tu restes encore avec moi ?
― Je ne suis pas certain de comprendre.
― Perdre est une chose douloureuse cependant on ne peut pas vivre dans une illusion. Je connais ce sentiment de perte, mais tu arriveras à te relever et tourner la page. Cesse de vivre dans ce rêve, ils ont besoin de toi.
La femme de ma vie se redresse doucement en souriant.
― Je ne suis que ton bonheur, ne l'oublie jamais.
Le paysage paradisiaque au bord de la mer se métamorphose sous mes yeux laissant place à une seule et unique tombe. Une fleur est fraîchement déposée, mais aucun nom n'est présent pour identifier le défunt. Un goût de bile remonte dans ma bouche me poussant à reculer en sentant les larmes me piquer les yeux.
Un frisson glacial m'extirpe de mon sommeil agité. Il me faut quelques secondes supplémentaires pour retrouver une vision claire et remettre de l'ordre dans mon esprit. Ce n'était qu'un simple rêve. Un beau rêve avec la femme que j'aime qu'il m'est impossible de serrer dans mes bras aujourd'hui. Je suis hanté par son visage endormi. Elle est morte par ma faute et peu importe les efforts des autres pour me convaincre du contraire, je ne suis pas dupe.
Adossée contre la porte de ma chambre, mon regard rencontre celui de mon chien de garde personnel. Elle est sous sa véritable apparence, ce qui est encore plus douloureux. La ressemblance est troublante malgré certaines différences. Contrairement à Ayla, ses cheveux tombent au-dessus de ses épaules et elle porte rarement des tenues aux couleurs claires. Aza est à la fois une bénédiction et une malédiction. Elle fait preuve de gentillesse et de patience à mon égard, mais n'hésite pas à se montrer franche même si la vérité est douloureuse à entendre.
La jeune femme ramasse une fiole vide tombée par terre en fronçant les sourcils. Je ne compte plus le nombre de fioles traînant sur la table de chevet depuis des semaines. Elle me lance un regard sombre.
― Je suis contre l'utilisation de cette plante, Cyrus.
― Elle n'est pas toxique et elle m'aide à trouver le sommeil.
― Cela reste une puissante drogue pour les personnes sensibles et lorsque la consommation est trop rapprochée. Tu m'avais promis de n'en boire que deux ou trois par semaine ! J'avais accepté au début pour te permettre de faire ton deuil correctement, mais ce n'est plus possible de continuer dans cette voie.
Je me redresse en retenant un juron.
― Cela fait des mois que je ne dors plus suffisamment alors excuse-moi de prendre l'unique plante capable de me montrer la femme que j'aime. Tu ne peux pas m'enlever la seule chose qui m'aide à ne pas perdre la tête !
― Ce n'est pas saint !
Elle fouille dans le tiroir de ma table de chevet afin de sortir les dernières fioles encore en ma possession. J'ai conscience que mes amies cherchent à ralentir ma consommation d'Akadrorine, mais je refuse de vivre dans un monde dans lequel je ne peux pas voir Ayla. Au cours des premières semaines suivant sa disparition, je ne dormais plus. Hanté par son corps inanimé dans mes bras, je faisais des cauchemars terribles qui m'empêchaient de trouver le sommeil. Aza s'est empressée de me préparer une potion avec une dose très légère d'Akadrorine afin de ne pas me rendre accro, mais j'ai légèrement modifié la recette pour que l'effet dure plus longtemps. Chaque jour je bois deux fioles pour profiter de la présence de celle que j'aime. La journée, nous discutons de longues heures et la nuit nous nous retrouvons au bord de la mer.
― Tu as conscience que c'est une illusion ?
― Je ne suis pas complètement idiot.
Mon amie hausse les épaules.
― Il est temps de trouver une autre occupation parce que je ne souhaite plus te voir consommer cette plante. Cela fait un an que je ferme les yeux sur ton comportement et que nous essayons de te ramener à la surface, mais c'est terminé. La semaine dernière, j'ai sauvé tes fesses auprès du directeur.
― C'était un accident, on ne va pas en faire toute une histoire.
Je me glisse hors de mon lit en passant une main dans mes cheveux. L'inconvénient de cette plante c'est mon appétit qui s'est grandement décuplé, un effet secondaire. Je quitte ma chambre sans lancer un regard à la sorcière pour me préparer un petit-déjeuner.
― Tu plaisantes ou quoi ?! La protection autour de l'eau est la première chose que l'on apprend lors de notre formation et toi tu oublies de l'installer ! Je n'arrive pas à croire que tu prennes ton travail avec aussi peu de sérieux !
― Cela ne représente absolument rien à mes yeux.
Je dépose une tranche de brioche sur le comptoir puis étale de la confiture. Aza ne cesse pas de me suivre pour poursuivre notre conversation.
― Qu'est-ce qui a encore de l'importance pour toi en dehors de tes potions ? Nous ne sommes que des étrangères à tes yeux malgré nos efforts pour te ramener dans le droit chemin. Ever ne souhaite plus que tu approches les jumelles avec cette attitude, elle a abandonné son rêve pour toi et c'est comme ça que tu la remercies ?
― Je ne lui ai pas demandé de rester.
Je croque un morceau de ma brioche sous le regard brûlant de mon amie.
― Je ne sais plus quoi faire pour t'apporter mon aide, Cyrus. Crois-tu qu'elle aurait accepté de te voir te comporter comme un connard ? Je m'efforce de trouver une solution et mener des recherches pour accomplir ce rituel et tu ne fais rien.
― Rappelle-moi combien de fois on a essayé ?
La résurrection est une magie interdite, elle est de loin la plus obscure et la plus redoutable. En cherchant, il est possible de trouver différents sortilèges dans de vieux grimoires pour ramener une personne à la vie. Toutes les tentatives ont échoué malgré nos efforts pour accomplir ces rituels. Cinq fois. J'ai eu l'espoir de la voir revenir cinq fois avant d'accepter qu'elle était définitivement morte.
― C'est mieux que vivre dans une illusion.
― Chacun fait son deuil à sa façon, Aza. Tu ne peux pas prétendre le faire mieux que moi, tu passes ton temps à mener des recherches vaines et inutiles. Je ne te rappelle pas la fois où tu es allée au royaume pour rencontrer une autre sorcière susceptible de posséder un objet occulte capable d'accomplir le rituel.
La brune fronce les sourcils.
― Le pendentif est une relique sacrée !
― Et totalement inutile.
Je soupire en m'installant sur la chaise la plus proche. La maison est parfaitement rangée, ce qui n'est pas étonnant vu que mon chien de garde passe presque chaque jour pour remettre de l'ordre. Ever passe également pour m'apporter des plats qui terminent presque tous à la poubelle surtout lorsque je suis de mauvaise humeur. Elle ne s'attarde jamais surtout lorsqu'elle doit s'occuper des jumelles. Nous n'avons pas eu une véritable conversation depuis une éternité.
― Il faut que j'y aille avant d'arriver en retard.
― Tu connais la sortie.
Elle me balance un regard noir avant de sortir de la maison en claquant la porte dans son dos. Je me contente de rester immobile, les yeux rivés sur la pauvre brioche que je n'arrive pas à terminer malgré mes efforts. Je la balance dans la poubelle avant de me rendre dans le salon afin de trouver une occupation. Il y a trop de monde pour que j'aille faire un tour à la plage, j'ai besoin de calme. La Cascade était un lieu que j'adorais auparavant, mais je n'arrive plus à m'y rendre depuis ce qui s'est produit.
Avon est installé sur le sol, des feuilles blanches éparpillées autour lui ainsi qu'un grand nombre de crayons. Je suis toujours de mission pour surveiller l'adolescent même s'il arrive que la sorcière l'emmène certaines soirées. Elle s'occupe de son éducation et de son intégration dans notre sorcière. Il lui arrive également de lui donner quelques leçons sur les Guideurs dans les romans que nous possédons.
― Avon ? Qu'est-ce que tu fais ?
― Les ténèbres...
Il n'est pas rare de l'entendre parler de cette façon, mais cette fois il semble effrayé. Le jeune homme parvient à maîtriser une partie de ses pouvoirs et dompter les visions trop violentes. Je m'agenouille près de lui pour contempler ses dessins, il s'agit principalement de symboles inconnus et d'une tombe. J'avale difficilement ma salive afin de chercher des mots appropriés et ne pas m'énerver contre l'adolescent.
― Tu ne devrais pas dessiner des choses aussi morbides, la vie est pleine de couleurs.
― Toi tu es tout gris.
Cette remarque me déstabilise, mais je me contente d'un simple sourire.
― Il arrive que certaines personnes perdent un peu d'éclat lorsque des épreuves surviennent, mais elles finissent toujours par revenir. Tu devrais profiter du beau temps au lieu de rester à l'intérieur.
― Je veux aller à la Cascade.
Mes mains se mettent à trembler lorsqu'il prononce le lieu interdit. Des images flottent dans mon esprit passant de mon hurlement au poids de son corps dans mes bras. En l'espace d'une année j'ai tout perdu : la femme que j'aime, mes amies les plus proches et la faible estime de moi-même que j'avais encore. Je ne suis rien d'autre qu'une coquille vide. J'aimerais avoir le courage de sauter d'une falaise et me laisser mourir. Personne ne peut comprendre cette douleur, elle est violente et difficile à dompter.
― Qu'est-ce que tu attends pour le faire ?
Je me retourne en tremblant pour faire face à mon pire cauchemar.
― Tu es pathétique au point de perdre toutes les personnes que tu aimes. Il suffit d'un petit saut pour apaiser ta souffrance et soulager ceux qui t'entourent. Je ne comprends pas que tu n'aies pas encore sauté le pas.
― Laisse-moi tranquille... Tu n'es pas réel.
― Nous nous connaissons depuis toujours, Cyrus. Je suis la part la plus sombre de toi-même, celle que tu as tant repoussé lorsque tu pleurais à cause de tes stupides parents. Aujourd'hui, je te guide vers le bon chemin.
La vision de cette version alternative de moi-même s'efface de mon champ de vision laissant place à un froid. Je ne suis plus rien, un fou qui laisse le chagrin le ronger petit à petit. Je mérite cette douleur, elle est morte par ma faute. Je l'ai tué.
20.04.2024
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