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Chapitre 34 | Cyrus

Un hurlement s'échappe de mes lèvres en voyant la sorcière disparaître dans le bassin brillant. Je me débarrasse de mes chaussures pour sauter à mon tour et la rejoindre, mais je suis violemment repoussé par un puissant champ de force. Je tambourine comme un fou pour passer en utilisant mes pouvoirs, mais cette magie est différente de la mienne. C'est une magie sauvage, indomptable que nul ne peut contrôler en dehors des créatures de l'eau.

La panique me submerge tandis que j'arpente la plage en cherchant une solution. Je ne suis pas responsable de la prise de décision de Ayla, mais j'ai tout de même une part de responsabilité. Je n'arrive pas à maintenir mon maigre repas dans mon estomac et me penche en avant pour vomir son contenu. Que dois-je faire ? Cette barrière refuse de céder même en invoquant toute ma magie. Je ne peux pas abandonner et laisser Ayla disparaître dans les eaux profondes. Je place mes mains sur la barrière en maintenant mon énergie au creux de mes mains, mais mon effort est vain.

― Pousse-toi, Cyrus.

Ever ne m'accorde pas le moindre regard en passant à côté de moi. Elle tend la main en direction du champ de force en fronçant les sourcils. Je n'ai jamais vu ma meilleure amie avec une telle détermination. Comment a-t-elle su que je me trouvais ici ? Pourquoi n'est-elle pas surprise du bouclier autour de la cascade ? La brune baisse finalement la main en soupirant.

― Qu'est-ce que tu fais ? C'est trop dangereux !

― Je sais quoi faire.

Elle ferme les yeux en débutant une chanson inconnue. Je suis stupéfait par la beauté de cette voix que je n'avais jamais entendu depuis mon arrivée. Ever est une chanteuse exceptionnelle, elle pourrait facilement devenir professionnelle si elle le voulait. Des centaines de questions flottent dans mon esprit, mais j'ai l'intelligence de me taire.

Profondeur du destin
Entend ma voix résonnée au loin
Celle qui guide les vies
Et enveloppe les esprits
Celle emprisonnée
Tu dois libérée
Accepte mes larmes trempées
Comme cadeau pour ne jamais oublier

Des bulles apparaissent autour de ma meilleure amie, ce qui ne semble pas la surprendre. Elle continue de chanter de plus en plus fort sans détourner son attention. La cascade se met à scintiller avant que la barrière ne disparaisse en des milliers d'étincelles violettes. Ever achève sa chanson en reculant de quelques pas.

― Qu'est-ce que ça veut dire ? C'était quoi ça ?

― Je te dois des explications, mais promets-moi de ne pas m'en vouloir.

Ever ne me laisse pas le temps de la questionner, elle saute brusquement dans l'eau. Je ne comprends pas ce qui vient de se passer. Comment est-elle parvenue à briser la barrière ? Comment savait-elle quoi faire ? Je croyais la connaître, mais il semblerait que ma plus proche amie camoufle un grand nombre de secrets. Agenouillé près du bassin, j'essaie de déceler la moindre trace de Ever et Ayla. Les deux femmes semblent perdues au fond de ce bassin inaccessible pour moi.

Depuis quand ma vie est-elle devenue aussi complexe ? Je me contentais d'une vie simple sans la moindre luxure, mais depuis l'apparition de Aylana Eastwood tout semble bousculer et compliquer les choses. Les visions que nous partageons ne se sont pas encore réalisées et je n'ai pas souvenir d'une chute dans un bassin à cause d'un sortilège. Je sursaute lorsque Ever refait surface en tenant Ayla dans les bras. Elle m'aide à la déposer sur le sable humide. En apparence, elle ne semble pas blessée, ce qui est un véritable miracle. Je prends immédiatement son poignet à la recherche de son poul, celui-ci bat encore à mon grand soulagement.

Je repousse une mèche de ses cheveux afin de dégager son visage et la regarder. Elle est certainement la femme la plus surprenante que je connaisse. Je me précipite vers le coin pique-nique pour déposer une couverture afin de la réchauffer. Ever observe le spectacle avec curiosité. Après m'être assuré de l'état de santé de la sorcière, je me tourne vers mon amie.

― Comment savais-tu que nous aurions besoin d'aide ?

― J'ai bien remarqué ton changement de comportement de ces derniers jours. Je suis allée à la bibliothèque pour rendre des livres empruntés par les jumelles et je vous ai vu autour d'une table en train de discuter. Je me suis questionnée sur la raison pour laquelle tu acceptais la compagnie de la femme dont tu ne veux pas tomber amoureux.

Elle marque une pause en passant une main dans le sable.

― Je me suis contentée de vous suivre en écoutant vos conversations. Tu manques de vigilance, mais ce n'est pas ta faute. Je reconnais qu'elle dégage une magie particulièrement unique, cela ne fait que t'attirer.

― Ce n'est pas ce que tu crois, nous menons des recherches !

― Oui je suis au courant, mais il y autre chose.

Elle lance un regard à la belle endormie.

― Pour dompter la magie des océans, il faut chanter afin que celle-ci ne se retourne pas contre le jeteur de sorts. Combien de sorciers ont-ils perdu la vie à cause de cette banale erreur ?

― Comment connais-tu toutes ces choses ?

Ma meilleure amie prend une grande respiration avant de me montrer une chose à laquelle je n'avais jamais songé. À la place de ses jambes se trouve une nageoire scintillante. Elle passe une main sur son pendentif en forme de coquillage, une lumière violette l'enveloppe faisant réapparaître des jambes. La brune sort du bassin sèche de la tête aux pieds.

― Tu joues avec moi depuis tout ce temps ! m'exclamé-je.

― Non, je me suis toujours montrée sincère avec toi.

― En me cachant le fait que tu es une sirène ?!

Elle baisse les yeux.

― Il n'est pas seulement question de moi, mais cela concerne toute ma famille. Nous ne sommes pas des monstres et depuis notre arrivée tout le monde apprécie notre présence. L'école apprécie les jumelles, j'intègre une grande école pour devenir professeur et mon père est bien plus heureux. Ose me dire que nous avons causé du tort à la moindre personne à Aflium !

― Tu m'as causé du tort à moi.

― J'avais des raisons personnelles de ne pas te révéler mon identité !

Je me détourne en fronçant les sourcils. Cette nouvelle me donne un goût amer dans la bouche, celle de la trahison et de l'humiliation. Je ne me suis jamais douté que ma meilleure amie cachait une telle chose. Je lui ai toujours accordé une confiance absolue. Ever se rapproche de moi en posant sa main sur mon épaule.

― Je comprends que tu sois en colère contre moi, mais laisse-moi t'expliquer.

― Parce que ce n'est pas suffisant d'avoir menti sur tes origines ?

― Peux-tu faire preuve de bienveillance le temps de te montrer mon histoire ?

Elle s'agenouille devant le bassin puis trempe un seul doigt. Le visage d'une femme inconnue fait irruption au centre du cercle d'eau. Elle est incroyablement belle, son sourire est semblable à celui de ma meilleure amie. Ever m'encourage à répéter son mouvement afin de découvrir ce qui se cache réellement derrière ses secrets. Que vais-je apprendre ? La raison de ces mensonges doit être épouvantable pour qu'elle invente une fausse vie en tant que sorcière, reniant ses véritables origines. Je lui accorde néanmoins ma confiance en plongeant à mon tour mon doigt, le cœur battant la chamade.

L'environnement autour de moi se met à onduler et peu à peu se transformer. Je me retrouve au milieu des poissons et des coraux aux multiples couleurs. Des tritons et des sirènes bavardent joyeusement. Je secoue la main devant eux, mais ils ne remarquent pas ma présence. C'est bel et bien un souvenir.

― Il était une fois, une sirène menant une vie simple et paisible dans les profondeurs de Sulibis. Elle était entourée d'une famille aimante, des amis bienveillants et un avenir brillant s'étendait devant elle. Malheureusement, cette vie n'était que passagère.

Une adolescente à la longue chevelure violette apparaît dans mon champ de vision. Elle embrasse langoureusement un triton dont le regard amoureux ne trompe pas. Ever l'entraîne par la main devant une boutique vendant des pierres dont je ne connais pas le nom. Le décor change une seconde fois, il s'agit cette fois d'une petite maison dans laquelle se trouve une version plus jeune du père de famille accompagné d'une femme. Les jumelles jouent ensemble sans se préoccuper de la conversation.

― Tes escapades vont nous attirer des ennuis, Eirella.

― Personne n'est au courant.

Le père de famille croise les bras en fronçant les sourcils.

― Comment peux-tu le savoir ? Ce n'est pas en te baladant de droite à gauche que nous arriverons à préserver les apparences. La protection de nos filles est la chose la plus importante à mes yeux.

― Parce que tu penses que je ne me préoccupe pas de mes filles ?

― Tu as une drôle de façon de le montrer.

Le couple ne remarque même pas la présence de leur fille aînée. Les larmes aux yeux, Ever se détourne de ce spectacle avant de nager le plus loin possible de ses parents. Je tends la main dans sa direction, mais c'est inutile. Je n'appartiens pas à ce souvenir, elle était seule face aux disputes de ses parents. Je suis enveloppé dans un autre souvenir bien plus sombre que les précédents.

― Ne perd pas une seconde, partez avant qu'il ne soit trop tard !

― On ne peut pas t'abandonner, Eirella !

La porte d'entrée tremble violemment à cause des coups donnés par des hommes. Effrayées, les jumelles se mettent à pleurer, ce qui pousse Ever à chanter pour les apaiser. Elle fait preuve d'un grand calme, bien trop pour une adolescente. Eirella rassemble des affaires dans un grand sac en criant des ordres à son mari.

― Emmène nos filles loin de ce royaume avant qu'il ne la retrouve.

― S'ils t'attrapent tu es condamnée à mort ! s'exclame-t-il.

― Je m'efforce de rattraper mes erreurs et d'assurer la protection de ma famille. Ne reviens jamais à Sulibis pour la sécurité de Everlya.

― Maman ! Ne nous abandonne pas !

Ever est emmenée de force par son père qui emmène ses trois enfants vers une direction inconnue laissant son épouse aux mains de gardes royaux. Je suis témoin de la fuite de cette famille abandonnant tout ce qu'il connaissait pour échapper à une sentence. Quel est l'acte impardonnable de cette mère ? Je lève les yeux vers la surface dont la lune scintille de mille feux.

― Ma mère avait une liaison avec le souverain de Sulibis. Une relation interdite entre un monarque et une simple femme de chambre. Elle ne représentait absolument rien aux yeux de la reine, une simple tâche à laquelle on accorde peu d'importance. Cette liaison a duré pendant des années avant que ma mère ne tombe enceinte du roi en même temps que la reine. Elle s'est ensuite mariée à un camarade de classe pour lequel elle éprouvait de l'affection afin de camoufler la vérité.

― Mais l'histoire ne s'arrête pas là je présume.

La brune hoche la tête.

― La reine a donné naissance à un seul et unique enfant. Celle-ci a malheureusement une santé fragile et n'était pas apte à monter sur le trône et personne n'est en mesure de prendre la place du roi.

― Aucun cousin, oncle ou parent éloigné ?

― Non malheureusement. La princesse était la seule à pouvoir succéder au roi, mais elle était trop faible pour accomplir ses missions d'héritière de la couronne. Personne ne savait à quoi elle ressemblait en dehors du personnel dont ma mère faisait partie. Elle est décédée trois semaines avant notre départ précipité.

Ever marque une pause en contemplant l'eau.

― La princesse Evalis est décédée après une lutte acharnée contre la maladie. Personne n'est au courant au sein du royaume, ma mère l'a découvert car elle appartenait au personnel et a eu l'occasion de voir son corps. Nous nous ressemblons beaucoup, information qu'elle ne savait pas car elle n'avait jamais eu l'occasion de la rencontrer.

― Je n'imagine pas le sentiment de ta mère.

Elle hoche la tête.

― Je me promenais avec ma meilleure amie lorsque nous avons croisé le roi. Ce n'était pas la première fois que je le voyais, mais cette fois c'était différent. Il semblait perdu dans ses pensées et n'était pas accompagné par les gardes royaux. Le roi a sursauté en nous voyant et une expression de terreur est apparue sur son visage.

― Parce que tu ressembles à la princesse Evalis.

― Exactement.

Ses joues baignées de larmes, ma meilleure amie reste silencieuse un long moment. Je commence à mieux comprendre la raison pour laquelle Ever camoufle cette partie de sa vie.

― Le roi a rapidement compris que ma mère lui avait caché mon existence et souhaitait absolument faire ma connaissance. Ma mère a refusé une entrevue car elle savait que cela chamboulerait notre vie. Il a commencé à m'envoyer des cadeaux coûteux afin de me demander une seule et unique entrevue.

Des larmes coulent le long de ses joues.

― J'ai accepté pour qu'il puisse me laisser reprendre une vie normale, mais le roi avait une proposition à me faire. En échange d'une vie confortable et d'une somme importante, il me demandait de prendre la place de la princesse Evalis et donner l'illusion que le royaume se porte bien.

― C'est abominable !

― Une dame de compagnie de la reine avait informé ma mère du plan du roi. Il ne souhaitait pas me donner le choix et voulait la condamner pour tromperie et trahison envers la couronne et m'emmener au château. C'est la raison pour laquelle nous avons quitté le royaume. Si je retourne à Sulibis, je serais contrainte de devenir ce que je ne suis pas. Tu peux me détester maintenant.

Toute ma colère s'est envolée après ces révélations.

― Je n'imagine pas toute la souffrance que tu as éprouvée en gardant ces secrets. Tu avais toutes les raisons de ne rien dire et je ne savais pas que Sulibis était un royaume problématique.

― Il me reste tant de choses à évoquer avec toi, Cyrus.

Je me redresse pour retourner auprès de la jeune sorcière et la ramener au chaud. Nous ne pouvons pas prendre le risque de discuter de choses aussi importantes au bord d'un portail menant au royaume recherchant mon amie. Je soulève délicatement Ayla en la serrant dans mes bras, elle est toujours affaiblie mais son corps retrouve une température normale.

― Il est temps que nous ayons une conversation honnête autour d'un thé bien chaud.

― C'est d'accord.

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