La journée était décevante, elle avait un goût de larmes que je n'apprécie pas. Je n'ai pas quitté la maison parce que j'éprouvais le besoin de me retrouver seul et de faire correctement mon deuil. Ambre était condamnée, ce n'était un secret pour personne et nous n'avions jamais
évoqué un quelconque avenir. Alors pourquoi ai-je ce sentiment éprouvant dans ma poitrine ?

Je balance dans un coin de la pièce un nouveau brouillon de ma lettre. Que puis-je dire pour présenter mes condoléances sans ressembler à un énorme connard ? Mes mots ne pourront jamais changer la situation. Elle est certainement plongée dans un terrible deuil et refusera de lire le contenu de ma lettre. C'est la raison pour laquelle je ne voulais pas ouvrir mes courriers, cela me ramène tout droit à Slonia dans la propriété de ma famille. Je ne suis plus la même personne, je n'ai pas laissé mes parents gouverner mes choix.

― J'espérais que tu viennes au restaurant pour bavarder un peu avec moi, mais il semblerait que tu fasses le ménage... ou bien le contraire. Qu'est-ce que tu fais exactement ?

Ever pénètre dans ma maison sans me demander mon avis, elle lance un regard aux papiers traînant sur le sol. Je la remercie de ne pas me poser des questions trop indiscrètes. Elle n'est pas au courant de ma relation avec Ambre, il est préférable que cela reste ainsi.

― Je balance les vieilles lettres envoyées par ma famille, mais ça prend tellement de temps que je me contente de tout jeter avant de les faire disparaître par un sortilège. Et pour répondre à ta question, j'avais trop mal à la tête pour sortir.

― Ce n'est pas bon de rester trop souvent à l'intérieur.

Elle se jette dans le canapé en ne se préoccupant pas du désordre.

― Je ne suis pas du genre à te faire des reproches, mais il semblerait que tu aies oublié quelque chose d'important aujourd'hui.

― De quoi tu parles ?

― La soirée sur la plage.

J'écarquille les yeux en me tapant le front avec ma main. Mais quel imbécile ! J'avais complètement oublié cette petite fête. Elle consiste à rassembler les touristes et les employés afin de passer un moment ensemble et profiter de l'instant présent. Elle a lieu toutes les deux semaines avec des thèmes différents.

― Je suis vraiment désolé, Ever.

― Il n'est pas encore trop tard pour y aller.

― Mais...

Ma meilleure amie soupire.

― Aucune objection ! J'attends ces soirées avec impatience parce que je peux prétendre être une jeune femme normale alors je compte sur toi pour enfiler ta plus belle tenue blanche pour passer un bon moment.

― Je suppose que je n'ai pas le choix.

― En effet.

Je lance un regard aux papiers en tendant la main.

― Flamme dévastatrice, brûle la douleur du papier.

Ever pousse un petit cri lorsque des étincelles apparaissent dévorant les papiers. Je me dirige vers ma chambre à la recherche de mon plus beau pantalon blanc ainsi qu'une chemise de la même couleur, c'est le thème de la soirée après tout. J'enfile ma tenue rapidement puis passe une main dans mes cheveux. J'aurais bientôt le droit à une nouvelle coupe de cheveux, ils deviennent trop longs à mon goût.

Je fouille dans mes affaires à la recherche d'un accessoire un peu plus coloré pour relever la couleur fade du blanc. Je m'immobilise en reconnaissant ma chevalière que j'ai volontairement abandonnée lors de mon arrivée. Un cadeau de mon grand-père lors de mon onzième anniversaire. Elle appartenait au membre de la famille accusé de tentative d'assassinat sur la souveraine et possession illégale d'herbes magiques pour accomplir un rituel de résurrection. Mes parents détestaient la voir à mon doigt, ils répétaient en boucle qu'elle portait malheur.

― Hors de question que je te laisse une nouvelle fois, chuchoté-je.

La chevalière retourne à sa place initiale, un sentiment familier s'empare de moi. Je me fichais de l'avis de mes parents, j'appréciais ce cadeau. Le bijou en lui-même possède une apparence plutôt classique : un anneau doré avec un soleil gravé dessus. La composition est plus complexe et vaut une véritable fortune. La poudre d'or est un ingrédient utilisé par les sorciers les plus puissants dans la réalisation de potions, mais elle est très chère. Le seul royaume à en produire est celui des fées, la poudre provient directement de leurs ailes et elles acceptent rarement d'en céder aux sorciers.

Je passe un doigt dessus en souriant. J'ignore la raison pour laquelle j'éprouve le besoin de la mettre ce soir, mais mon instinct me guide dans cette voie. Un dernier coup d'œil dans le miroir avant de rejoindre mon amie. Celle-ci est installée sur la terrasse, elle contemple l'océan comme à son habitude. Impossible de se détourner d'un spectacle aussi beau. Peu de personnes ont la chance de voir une telle beauté chaque jour.

― Tu es très élégant dans cette tenue.

― J'espère bien parce que c'est la dernière chemise blanche qu'il me reste.

― Rappelle-moi de te commander de nouveaux vêtements avant mon déménagement. Comment vas-tu survivre lorsque je ne serais plus sur l'île ? Il semblerait que tu aies encore besoin de moi dans ta vie, Cyrus Cromwell.

Je secoue la tête.

― Il est probable que tu laisses une longue liste avec des indications pour que je tienne le plus longtemps avant d'appeler au secours. Sérieusement, je ne suis plus un gamin alors essaie de ne pas trop culpabiliser à l'idée de partir.

― C'est plus fort que moi, j'ai l'impression d'abandonner ma famille.

― Nous avons évoqué le sujet une centaine de fois et je ne changerai pas mon discours. Tu es libre de mener la vie que tu as décidé ! Ton père t'encourage à suivre tes rêves pour les accomplir, c'est le plus important.

Nous échangeons un sourire avant de prendre la direction de la grande plage. Ever attrape ma main pour me forcer à accélérer mes pas et retrouver les autres le plus vite possible. La décoration est une fois de plus extraordinaire. Des lanternes blanches flottent tout autour de la plage, ce qui apporte une véritable touche d'élégance. Tout le monde danse, discute et mange au buffet.

Ever m'entraîne dans une danse improvisée, ce qui me fait rire. Elle sait à quel point j'apprécie la danse. Les cours privés payés par ma mère portent encore leur fruit aujourd'hui ! Je laisse ma mélancolie de la journée dans un coin de ma tête pour me concentrer sur la musique et ce moment de joie. Ce soir, il n'y a aucune distinction sociale, nous sommes égaux et présents pour nous amuser.

Je prends le temps de discuter avec tout le monde en profitant du buffet. Ever me pousse à danser plus de trois fois, mais cela ne me dérange pas. Je me sers un verre avant d'enchaîner avec un autre. Mes pensées s'embrouillent tandis que je continue de profiter de ce délicieux alcool. Cela rend la soirée encore plus pétillante ! Ma meilleure amie ne remarque plus ma présence, elle est draguée par un des touristes que nous ne supportons pas en temps normal. Je vole une bouteille avant de tituber pour aller m'asseoir ailleurs. Il y a un seul endroit dans lequel je souhaite me rendre : la cascade. J'ai pas besoin qu'Ever vienne me faire la leçon sur ma consommation d'alcool.

☼☼☼

Un éclat de rire s'échappe de mes lèvres lorsque j'escalade un rocher pour m'installer avec la bouteille. Je suis bien pathétique de me retrouver seul alors que les autres font la fête, mais j'emmerde l'opinion de ces personnes. Même celui de mon amie. Je retire le bouchon puis avale une gorgée. Le goût est excellent pour les papilles, je comprends pourquoi les riches boivent ces trucs.

Je tourbillonne sur moi-même en pouffant comme un idiot. C'est alors que je remarque un mouvement provenant du bassin. Est-ce une conséquence de mon excès ou bien la réalité ? Je dépose la bouteille puis descends du rocher pour m'approcher de l'eau. Il est probable que je sois un véritable imbécile pour prendre un tel risque, mais la curiosité l'emporte sur la raison.

Un éclair aveuglant me détourne du bassin. Le corps d'une femme pendue se balance au rythme du vent. Je recule de quelques pas, les yeux écarquillés d'horreur. Mon cœur menace d'éclater à tout moment. Je ne suis pas suffisamment sobre pour courir, mais il faut que je le fasse. Je me relève en essuyant le sable collé à mon pantalon. Un nouveau éclair déchire la nuit, mais la femme pendue n'est plus attachée. Il ne reste que la corde qui continue de se balancer.

― Elle arrive... chuchote une voix dans mon oreille.

07.06.2023