Chapitre 7
La suite de déroula très rapidement et très lentement à la fois : je vis Jeff approcher ses bras de moi au ralenti, je les sentis – toujours au ralenti – enserrer ma taille, puis, dans une vitesse quasi surnaturelle que je ne contrôlais pas, ma main partit d’elle-même et claqua contre la joue du latino.
Et si, au moins, personne ne remarqua que Jeff m’avait prise dans ses bras, toute l’attention de la classe fut reportée sur moi, la main toujours en l’air et Jeff, se frottant vigoureusement la joue. Pas très reluisant comme situation…
- Je peux te jurer que je vais te tuer dans un avenir proche… marmonnai-je à l’attention du garçon tandis que le prof s’avançait vers nous d’un pas mesuré ;
- Avec plaisir… souffla Jeff, pas le moins du monde impressionné par tous les regards qui convergeaient sur lui.
- Mademoiselle Taylor, y aurait-il un problème avec votre camarade de classe ? s’enquit l’enseignant, arrivé à notre hauteur.
J’allais ouvrir la bouche pour me plaindre mais l’instinct de survie m’arrêta : à quoi ressemblerais-je si je me mettais à chouiner lors de mon premier jour ici ? À une gamine ! Une gamine capricieuse qui finirait vite-fait catégorisée comme looser.
Et même si je n’étais pas non plus obnubilée par ma réputation, je préférais éviter de finir moins que rien dès mon premier jour de cours – souvenir de mes lectures d’été où une pauvre fille arrivait dans un lycée des quartiers huppés de Paris mal fagotée et se faisait harceler tout au long de l’année ensuite…
Aussi, j’affectai une mine innocente tout en mentant effrontément :
- Non non, ne vous inquiétez pas… C’est juste que… ma main s’est trouvée prise d’une démangeaison soudaine et je n’ai pas trouvé d’autre idée que de la soulager contre sa joue…
J’entendis plusieurs ricanements dans les rangs alors que Jeff se renfrognait.
Un point pour Avri la marrante !
Mais le prof n’était pas né de la dernière pluie et il nous dévisagea tous deux pendant ce qui me parut être une éternité, enfin, il dut penser que ce problème n’était pas si grave ou – surtout – qu’il avait la flemme de se mêler des histoires débiles d’adolescents en chaleur et il se contenta de nous lancer un :
- La prochaine fois, vous serez collés alors gardez votre calme et vos mains sur vos stylos.
- Promis ! s’écria Jeff en attrapant un de mes crayons.
Le prof hocha la tête puis repartit sur l’estrade pour continuer le cours. Quant à moi, je fis un tour de 90° pour me retrouver pile face à Jeff. L’heure de la vengeance avait sonné :
- La prochaine fois que tu me fais un coup comme ça, je peux te jurer que ce sera pas seulement une gifle que tu te prendras !
- Ou… j’ai peur…
- C’est ça, fais le beau gosse. T’es peut-être pas habitué à ce qu’on te dise « non » mais je vais t’apprendre un truc : t’es pas irrésistible, t’es irrespectueux, présomptueux et légèrement macho. Alors tu vas te calmer vite-fait ou je vais devoir m’en charger.
Bon ok, c’était la colère qui parlait et quand elle serait redescendue, je perdrais tout le cran que je venais d’avoir et je serais incapable d’aligner deux mots en face de lui… Mais il fallait bien reconnaître que je venais d’assurer !
Toute fière de moi, je me retournai vers le tableau, lui arrachai mon crayon des mains et me concentrai sur le cours. Il était vrai qu’on n’étudiait pas du tout la bataille de Verdun mais hors de question de le reconnaître alors que je venais de formuler le plus joli clash de toute ma vie.
La suite passa sans problème. Je crois que j’avais vraiment réussi à recadrer Jeff et qu’il se remettait en question. Enfin, je dis bien « je crois » parce qu’à la fin du cours, il avait retrouvé son sourire désabusé et semblait prêt pour un deuxième round. Alors que je rangeais mes affaires il me lança :
- Tu sais Avri, je me suis trompé sur toi.
- C’est ton problème, pas le mien… grommelai-je en tirant comme une forcenée sur la fermeture éclair pour aller plus vite ;
- Quand je t’ai vue arriver avec sa Sky et te jeter sur moi, j’ai cru que t’étais une idiote à la recherche d’attention…
- Ravie de te l’entendre dire.
Bon sang ! Mais mon sac ne se fermerait-il jamais ?
- Mais en fait, t’es plutôt marrante. Je t’aime bien, conclut-il comme s’il venait de me dire le plus beau compliment du siècle.
Je ne réagis pas à sa remarque et décidai de lever le camp bien que la moitié de mon sac soit toujours grande ouverte. Je n’avais pas d’idée de répartie mais je trouvais ce mec d’un narcissisme tellement maladif que je ne pouvais pas rester à ses côtés plus longtemps.
Alors que je longeais les tables des autres élèves, je remarquai cependant un point positif à ce temps passé aux côtés d’un abruti fini : il m’avait permis d’apprendre que j’avais apparemment évolué depuis la primaire et que j’étais capable de répondre à un beau mec sans lui jeter de verre à la figure… Après, je n’avais pas de verre dans les mains donc cette déduction était fiable à 55 %.
Arrivée à la porte, je trouvai mes deux colocataires en train de se chamailler. Sky me vit approcher et en profita pour me prendre à parti alors que je n’avais rien demandé :
- Pas vrai Avri ?
- Quoi ?
- Bah Damon il est vachement plus intéressant que Stephen !
Il me fallut quelques secondes pour comprendre de quoi elle parlait :
- Salvatore ? Dans Vampire Diaries ?
- Oui ! Renchérit Kelly, les Salvatore, Stephen est tellement mieux que Damon ! Lui il est gentil, attentionné protecteur, juste… pas comme l’autre idiot.
Waouh, je n’aurais jamais cru devoir faire face à ce genre de débats mais… Pourquoi pas ?
- Eh bien, je comprends ton point de vue Kelly mais honnêtement, je trouve Stephen trop parfait pour être réel : on dirait un prince charmant et, bon sang on est au XXIe siècle maintenant, les princes charmants ça a fait son temps !
- Tu vois ? s’écria Sky toute guillerette.
Elle esquissa ensuite un mouvement vers moi, comme pour me prendre par le bras, mais elle tira sur la lanière de mon sac à la place et, comprenant qu’il allait sûrement se vider à mes pieds dans les prochaines secondes, je tentai, en désespoir de cause, de le rattraper. La brusquerie de mon geste additionnée à la surprise de Sky et à ma maladresse légendaire me permirent non pas de rattraper mon sac comme une vraie pro mais plutôt de perdre l’équilibre.
De nouveau, je battus l’air de mes bras et m’accrochai au premier appui venu. J’entendis le bruit d’un t-shirt qui se déchirait alors que mes feuilles pleuvaient autour de moi.
- C’est une blague ?
Je levai les yeux pour… rencontrer un fantastique regard caramel puis… un t-shirt déchiré.
Oups…
Ni une, ni deux, je me redressai et me grattai l’arrière du crâne tout en lançant, d’un rire gêné :
- He he, qu’est-ce que je ne ferais pas sans toi…
Jeff, lui, ne riait pas du tout et regardait mes mains comme si elles tenaient le couteau plein de sang qui venait de l’éventrer.
- Tu te rends compte que c’est la deuxième fois en quoi… 3 heures ? Demanda le latino d’un ton sec ;
- Et j’en suis vraiment désolée… répondis-je encore plus mal à l’aise.
Un silence pesant s’installa entre nous quand Sky décida – enfin – de venir à ma rescousse :
- Enfin, Jeff, tu vas pas en faire toute une histoire ! Tu as eu la chance de toucher, non pas une mais deux fois la plus belle fille de l’école ! Et puis t’es foutu comme un dieu, ce serait du gâchis de cacher ça au reste du monde. À mon avis, tu devrais même remercier Avri pour le service qu’elle vient de te rendre. Maintenant, si tu veux bien nous excuser, on doit aller manger ! À plus !
Et alors que j’en étais encore à assimiler le sens de ses paroles formulées d’une traite et à une vitesse hallucinante, Sky nous attrapa, moi et mon sac, rangeant partiellement mes feuilles dedans, puis nous éloigna du latino sans demander son reste. Kelly nous suivant, aussi efficace qu’une garde du corps en mission.
Wow, cette fille était un génie en ce qui concernait l’art de l’évitement de confrontation. Ça aurait presque dû lui valoir une médaille à ce stade. Mes colocataires m’entrainèrent dans une ribambelle de couloir jusqu’à accéder à une grande porte battante qui semblait faire l’objet de toute l’attention des élèves de Schooltime. Les filles ralentirent alors l’allure et je repris mon souffle quand Sky poussait les portes de ce qui devait être le réfectoire.
Lorsque nous entrâmes, une odeur de friture et un brouhaha assourdissant nous submergèrent. La salle était immense et très éclairée. Des tables rondes et carrées étaient éparpillées çà et là et il devait y avoir plus d’un millier d’élèves présents. Nous nous dirigeâmes vers la queue qui longeait les plateaux et chacune s’en munit d’un pour ensuite choisir un plat.
C’est drôle, en arrivant ici, je n’aurais jamais pensé que c’était dans cette pièce que je me sentirais le moins dépaysée : à croire que toutes les cantines fonctionnaient de la même façon. En cherchant dans la nourriture peu attrayante ce que je pourrais bien consommer sans risquer de régurgiter, je sentis que doucement, mon corps s’apaisait : après la confrontation miss Cheveux-rouges et Jeff le vantard, j’étais devenue une vraie boule de nerfs et j’accueillis cette pause qu’on m’offrait avec plaisir.
J’allais pouvoir manger tranquillement avec ces filles, faire leur connaissance et me remettre de mes émotions. Que demander de plus ?
Ne jamais parler trop vite...
Soudain, une voix suraigüe et désagréable retentit alors que nous avancions vers les tables :
- Sky !
Je tournai la tête pour repérer, non sans amertume, la chevelure écarlate de ce qui était en train de devenir ma pire ennemie. Néanmoins, je dus me rendre à l’évidence : nous étions déjà en train de marcher vers elle, même avant qu’elle nous interpelle… C’était sûrement LA table de rendez-vous du petit groupe, je n’aurais donc jamais pu y échapper.
Alors que Sky accélérait la cadence pour rejoindre son amie, Kelly et moi restions en retrait, celle-ci murmurant à mon oreille :
- Elles ne vont pas ensemble hein ?
Je secouai vigoureusement la tête :
- Non, pas du tout.
- Je me suis toujours demandée comment elles peuvent s'apprécier : si Sky ne se rend pas compte à quel point Chloé méprise les gens, Chloé pourrait au moins se rendre compte que Sky parle quand même aux gens dont elle a décidé qu'il ne fallait pas parler...
Cette fois j’acquiesçai, très intriguée par cette amitié si improbable :
- Elles ne se sont jamais disputées ?
- Non, pas que je sache en tout cas...
À son tour, elle observa les deux filles avec ce même air suspicieux.
- Alors comme ça on espionne sa colocataire ? Fit une voix au creux de mon épaule sans crier gare.
Je sursautai si fort que je bondis en arrière, me cognant contre le plateau de Kelly qui, sans le faire exprès, se rattrapa au mien me faisant glisser la tête la première vers mon chaleureux ami le sol... Encore une fois, à croire que ça devenait une habitude, je me raccrochai à Jeff mais cette fois, il avait calculé le coup et il attrapa mon plateau d’une main tout en tenant ma taille de l’autre pour éviter que je lui déchire un énième t-shirt.
Pendant un instant, je restai collée à lui, n’osant plus lever les yeux et priant pour que je sois soudain pourvue d’un pouvoir permettant de défier le temps et de retourner en arrière pour effacer cette dernière chute. Malheureusement, rien ne se passa et je dus me résoudre à le regarder. À ma grande surprise, c’est avec un éclat de rire qu’il s’adressa à moi :
- Jamais deux sans trois.
Et là, je ne sais pas très bien ce qu’il se passa dans ma tête : c’était peut-être son rire cristallin et envoûtant, c’était peut-être l’adrénaline après avoir manqué de tomber pour la troisième fois, c’était peut-être la fatigue ou un peu de tout ça réunit. Mais au lieu de le repousser et de repenser au garçon exécrable du cours d’histoire, je me mis à rire avec lui, toujours dans ses bras. Et bon sang ce que ça faisait du bien !
Ce n’est que quand quelqu’un se racla la gorge à côté de moi, Chloé en l’occurrence, que je me rendis compte qu’effectivement, j’étais dans les bras d’un parfait inconnu, au centre du réfectoire et face à des centaines de regards curieux.
Mon rire s’éteignit dans ma gorge et je m’éloignai du latino tant bien que mal pour aller me poster près de Kelly et de Sky qui l’avait rejointe, à croire que mes colocataires me servaient d’anges gardiens à leurs heures perdues. En tout cas, heureusement qu’elles étaient là parce que je n’en aurais pas mené large sans elles.
Alors que tout le monde m’observait comme si j’étais une espèce rare en voie de disparition et que Chloé me toisait à la manière d’un insecte qu’elle se devait d’écraser au plus vite, je décidai de prendre les devants et d'entamer une conversation, afin, surtout, de mettre fin à ce silence qui s’éternisait :
- Alors vous avez faim ?
Pas terrible comme question, mais là, je n'avais pas d'idée... Heureusement pour moi, Sky rebondit aussitôt sur le sujet en s'exclamant :
- Oh que oui ! Je n'en peux plus, et puis ce matin j'étais tellement crevée !
Je reviens sur ce que j’ai dit tout-à-l’heure : Sky ne devrait pas recevoir une médaille, elle devrait être nommée ambassadrice du mouvement « évitons la confrontation pour mieux vivre ensemble » : après cette réplique, tout l’air qui semblait avoir disparu quelques minutes plus tôt refit surface et les discussions reprirent comme si de rien n’était. Je soupirai de soulagement et me tournai vers Jeff, le fusillant du regard.
- Qu'est-ce que j'ai fait ? Grogna-t-il non sans ce sourire amusé qui commençait vraiment à me taper sur les nerfs ;
- Tu m'as fait tomber ! L'accusai-je ;
- Mais je t'ai rattrapée juste après et puis, si quelqu’un doit en vouloir à l’autre, c’est bien moi ! Tu as failli me foutre en l’air le dernier t-shirt de ma penderie ! plaisanta-t-il en m'ébouriffant les cheveux.
Je lui tapai l'épaule et me retournai vers Kelly pour qu'il ne remarque pas le grand sourire plaqué sur mon visage. C’en était presque effrayant la vitesse avec laquelle j’étais passée de la colère au rire avec ce garçon…
Ah la la… Avril Taylor, vraie débutante en ce qui concerne l’amour…
Finalement, j’allai m’asseoir à la fameuse table et je me rendis compte, non sans étonnement, que c’était LA table des personnes populaires, sans vouloir parler clichés : dans mon lycée en France, il y avait toujours cette table que beaucoup auraient aimé fréquenter mais qui ne rassemblait que très peu d’élus.
Cette table était centrée et semblait toujours attirer l’attention. Aujourd’hui, j’y étais assise et c’était étrange. Je n’avais jamais été particulièrement intéressée par tout ça : j’avais toujours pensé que les personnes qui s’y trouvaient n’étaient que superficielles, prêtes à tout pour attirer l’attention sans jamais se soucier de ce qui leur plaisait vraiment.
Pourtant, là, entourée de Sky, Kelly et leurs amis – excepté Chloé bien entendu – j’avais juste l’impression d’être à une table normale, avec des gens qui parlaient normalement, qui riaient normalement et qui ne cherchaient pas à se faire remarquer plus que les autres. La seule différence était peut-être qu’ils étaient tous magnifiques et je tentai à tout prix de ne pas me dire que je faisais tâche au milieu de ces corps de rêve…
Le plus important, c’est que c’était ma première journée et que, je ne sais pas comment, la chance avait décidé de me sourire : j’étais déjà entourée, voire intégrée dans un groupe. Et malgré les petites histoires avec Jeff et Chloé, je me dis que ces six mois à Schooltime ne seraient peut-être pas si horribles que ce que j’avais pensé.
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