Chapitre 2
– … Elle va bien ?
– … Peut-être qu'il faut appeler les pompiers...
– … Ou on peut...
– Poussez-vous !
Peu à peu, les phrases prononcées autour de moi prirent sens et un terrible mal de crâne m'assaillie soudain. Je gémis faiblement et plaquai mes deux mains sur ma tête, comme si la pression allait estomper la douleur...
– Laissez passer !
Étonnée de reconnaître la voix qui criait, je me tournai juste à temps pour voir mon père fendre la foule qui s'était formée autour de moi. Je clignai plusieurs fois des yeux et découvris non sans surprise qu'on m'avait déplacée : je n'étais plus par terre, aux pieds du vélo, mais sur un banc.
Le cycliste avait une bouteille d'eau et des compresses à la main et il me regardait d'un air profondément désolé, me tendant ses biens comme s'ils représentaient les trésors les plus chers qu'il possédait. Je clignai de nouveau des yeux, ignorant à la fois mon père et ce pauvre homme qui n'avait rien à se reprocher, et cherchai ardemment celui pour qui j'avais fait tout ça.
Si cet accident s'était produit, c'était entièrement de la faute de Diego, mais étrangement, il ne semblait pas dans les parages. Quand je m'en rendis compte, la panique me submergea : et si j'avais rêvé l'avoir vu ? Et si ce n'était rien qu'un inconnu que j'avais suivi à la trace comme une folle ? Parce que je savais pertinemment que Diego ne m'aurait jamais laissée si je m'étais évanouie devant lui...
Après la panique, ce fut la déception, intense, qui déferla dans mes veines. J'avais tout imaginé. Il n'avait jamais été là. J'eus envie de pleurer de frustration. Je fermai les yeux et tournai la tête vers l'autre côté du banc, pour ne plus avoir à faire face à tous ces badauds agaçants. Je sentais mes yeux me brûler sous mes paupières et des larmes commencèrent à couler le long de mes joues.
Cela faisait longtemps que je n'avais pas pleuré. Mais refaire l'expérience des hallucinations en sachant cette fois que je n'étais pas droguée me boulversait. Je sus, sans même le voir que mon père avait réussi à me rejoindre. Il ne dit rien, se contenta de se poser sur le banc près de moi, s'employant à faire s'évaporer la foule qui bourdonnait dans mon dos.
À la manière de la brume, sombre et intrusive, le monde rassemblé derrière moi semblait vouloir m'emprisonner au sein de son brouhara effrayant. Aussi, je préférais ne pas bouger, ne pas montrer à ces idiots que je pleurais, ne pas leur montrer que j'avais besoin d'attention, parce que c'est ce qu'ils penseraient en me voyant dans cet état...
Au bout d'un certain moment, la rue finit par se faire plus silencieuse. Enfin... silencieuse façon Paris ! On discernait toujours le ronronnement infatigable des voitures, les pas pressés des passants et les conversations émoussées des parisiens en pleine promenade, mais plus d'attroupement, plus de curiosité malsaine, plus de « oh non, mais qu'est-ce qui s'est passé ? ».
Mais je ne me tournai pas pour autant. Je sentais la présence de mon père, juste à côté de moi, et je restai immobile, à fixer la peinture écaillée sur le dossier du banc. Les larmes semblaient ne pas vouloir s'arrêter de couler et tout mon corps tremblait. J'avais envie de croire que Diego avait été là, mais je savais, au plus profond de moi, que je n'avais fait que l'imaginer.
— Je t'aime Avril, souffla mon père, d'une voix si triste et si usée que les larmes redoublèrent dans mes yeux, je sais que tu ne vas pas bien... mais... je...
Sa voix se fit si petite que je n'entendis d'abord pas la suite, je crus même qu'il se parlait à lui-même et qu'il n'allait donc pas se répéter, mais il prit une profonde inspiration avant de continuer :
— Je ne sais plus quoi faire.
Puis il se tût. Sa main se posa sur mon dos, et il serra fort. Si fort que ses doigts se mirent à trembler. Il posa alors son front sur ma tête et attendit patiemment. Je ne sais même pas ce qu'il attendit, mais il attendit. Et tout ce temps, j'avais l'impression que quelqu'un faisait du trampoline sur ma poitrine.
Je souffrais. Je souffrais de le voir souffrir et de ne pas pouvoir y remédier, je souffrais d'être si empathique face à cet homme qui m'avait trahie, je souffrais d'aimer autant celui qui m'avait le plus menti. Trop de souffrance pour un seul être...
J'aurais voulu être dans un de ces films américains, où après la catastrophe, la trahison révélée au grand jour, les larmes et la séparation dépassées, le père et la fille se retrouvent et tombent dans les bras, ils oublient tous leurs torts et décident de reformer la famille qu'ils ont été parce que c'est ce qui compte le plus.
Oh oui, comme j'aurais aimé effacer toute ma rancœur et vivre comme avant, rentrer chez moi et lui raconter ma journée, regarder des films et commenter bêtement pour qu'il reste éveillé, se disputer sur mes goûts musicaux « douteux »... Comme j'aurais aimé le prendre dans mes bras et sentir, comme avant, tous mes soucis s'envoler, parce que je savais qu'à présent j'étais en sécurité.
Comme j'aurais aimé continuer à penser qu'il était celui que j'aimerai toujours le plus au monde et qui jamais, au grand jamais, ne m'abandonnerait. Comme j'aurais aimé croire un peu plus longtemps qu'il serait la seule personne au monde qui resterait à mes côtés même après le pire...
Mais là, en cet instant où nous étions front contre front, je ne pouvais ignorer ma déception, ma tristesse, mon angoisse. Je n'étais plus apaisée quand j'étais avec lui. Et cette relation qui m'avait parue si indestructible semblait avoir volé en éclats depuis si longtemps que je ne m'en souvenais que par bribes indistinctes et volatiles.
Nous restâmes là un bon moment, lui ne disant rien, et moi, pleurant à chaudes larmes. Puis je finis par me lever, comme je faisais toujours, et nous marchâmes, l'un à côté de l'autre, têtes baissées et lèvres closes jusqu'à sa voiture, garée maladroitement au coin de la rue.
— Tu sais Avri, j'ai parlé à Mme Colette...
Mme Colette, alias la-psy-insupportable-qui-a-des-théories-sur-tout.
Je ne pris même pas la peine de réagir, sans lui avoir jamais exprimé, je savais qu'il était parfaitement conscient du jugement que je portais à cette tordue. J'avais toujours eu du mal avec la psychologie et la psychanalise, j'étais de ceux qui pensaient qu'on était pas obligé de s'autocentrer pour aller mieux.
Non mais sérieux, quand j'étais dans son bureau j'avais l'impression d'être la personne la plus égocentrique de la terre, à répéter « moi je, moi je, moi je... » à longueur de journée, et elle m'encourageant de « toi tu, toi tu, toi tu... » intéressés insupportables.
Cependant, il continua, sans se soucier du fait que dans la liste des personnes que je rêvais d'enterrer vivantes, elle faisait partie du top 10 :
— … Elle m'a dit que tu étais quelqu'un de très... comment dire ?
Pourquoi tu réfléchis ? Tu ne fais que citer ses mots ! À moins que tu essaies d'être moins vexant qu'elle... Quel faux jeton ! J'te jure !
— Tu es déterminée. Ce sont ses mots exactes. Elle pense que tu es quelqu'un de si déterminé, que tu n'accepteras jamais de voir la vérité en face sur ton état. Elle m'a expliqué que, bien que cette détermination puisse être une véritable force, dans ton cas, elle semble t'entraîner vers le fond.
Pour la première fois de ma vie, j'essayai de comprendre en quoi, ce que j'avais toujours pris pour ma plus grande qualité était mon plus gros défaut. Vous voyez ? C'était exactement pour CETTE raison que je détestais les psys ! Ils trouvaient des problèmes au dernier endroit qu'on pensait intact ! Tu m'étonnes qu'ils ne recevaient que des déprimés après ce genre d'analyses positives !
— Pour tout te dire, je pense qu'elle à raison.
De mieux en mieux...
— Comme à l'instant, tu t'es effondrée, puis tu as décidé que tu t'étais assez appitoyée sur ton sort et que tu devais te reprendre.
Je lui lançai un regard étonné, comment pouvait-il le savoir ?
— Je te connais ma puce, tu fais ça depuis toujours. Tu es... j'ai l'impression que tu as peur qu'un jour ton chagrin soit si fort que tu ne puisses pas t'en relever, et du coup tu enfouis ta tristesse au plus profond de toi pour ne plus la ressortir au moment où elle a le plus besoin de se manifester. Quand tu es au comble de ta déprime, tu décides d'ignorer la douleur. Mais ce n'est pas le bon geste, parce que ce que tu as rejeté, c'est ce que tu aurais dû partager pour pouvoir surmonter...
Il continua de s'exprimer sur le sujet mais j'avais compris le principe et je ne l'écoutais plus. En vérité, ses mots me travaillaient. Ils sonnaient étrangement vrai. Le problème, c'était que s'il avait raison, alors ce qui m'avait permis de survivre à toutes ces horreurs, c'était ce qui allait me détruire à petits feux.
Sympa !
Quand il eut terminé de me raconter ça, il me laissa le temps de digérer l'information, ce que je fis. Néanmois, ses phrases finirent par me faire réaliser quelque chose qui n'allait pas lui faire plaisir DU TOUT.
En suivant sa logique, pour aller mieux, je devais surmonter mes problèmes. OR si je n'avais pas réussi à surmonter tout le problème Schooltime, c'était JUSTEMENT parce qu'on m'avait arrachée à l'établissement sans mon accord.
Autrement dit, si je voulais me guérir de cette... « dépression », ô comme ça me coûtait de dire ce mot... enfin bref, si je voulais en guérir, je devais trouver un moyen de repartir pour le Texas. En gros, mon père avait entièrement échoué dans sa mission qui consistait à me manipuler pour que je finisse par me confier à lui.
Non, même pas en rêve. S'il voulait que je lui pardonne un jour ce qu'il avait fait, il fallait déjà que j'empêche tous ces étudiants de mourir à cause de ma mère ! Ok, je n'étais pas elle, je n'avais pas à me sentir responsable de ses actes... Mais vous savez quoi ? Allez vous faire foutre Mme Colette, papa et tous ceux qui me répétaient ces mots inlassablement ! Qui pouvait accepter sagement qu'un de ses parents tue de sang froid des centaines d'adolescents sans essayer de les aider ?
Bah les psycopathes... En soit c'est pas si illogique que ça, s'ils ont hérité des gènes de leur...
Ta gueule.
Pour commencer, il allait falloir que je trouve un moyen de créer un contact avec Jeff, ou Sky ou quelqu'un à l'intérieur de l'établissement, ce qui ne serait pas une mince affaire puisque je savais que mon père avait engagé des agents de sa super compagnie pour garder un œil sur moi. Mais je trouverais un moyen.
Eh puis... Si ces agents me surveillaient, ils étaient aussi ceux qui formaient le lien avec Schooltime, autrement dit, je devais renverser la situation. Ne restait plus qu'à découvrir la planque de ces fameux espions qui épiaient le moindre de mes faits et gestes et leur subtiliser les informations qui m'étaient utiles. Facile.
Hahahahahaha, comme si t'étais assez douée pour ça !
Je n'étais peut-être pas super douée, mais Ellie était une menteuse professionnelle et j'étais eh bien... déterminée, hein papa ! À nous deux, nous pourrions tenter quelque chose ! Au pire, quoi ? Ils me gronderaient ?
Oh merde, j'avais trop peur (l'ironie est à noter dans cette réplique)... À nous deux, nous allions faire en sorte de les piéger. Bon, d'accord, ils étaient formés pour ça, ils étaient surentraînés et triés sur le volet MAIS, je n'avais rien à perdre, je paraissais plus fragile qu'une poupée en porcelaine et on avait déclaré depuis peu que j'étais dépressive.
S'ils me surveillaient, c'était pour me protéger d'attaques extérieures, et non pour m'empêcher de fuir. J'avais donc l'atout de l'effet de surprise ! Et je comptais bien en profiter...
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