Distorsion
Il n'osait pas la regarder pendant qu'il l'aidait à se déshabiller.
Il lui retira son chandail.
Il lui ôta son pantalon.
Il la souleva ensuite de terre. Puis, la déposa dans le grand bain dont le blanc immaculé eut le don de l'irriter. Il ne savait pas pourquoi lui-même, mais le contraste entre la blancheur du meuble et le noir des jambes de sa fille lui donna un haut-le-cœur.
Car c'était de ce mal que souffrait la petite.
Ses jambes étaient devenues racornies à force de ne pas avoir été utilisées. On voyait même apparaître des lacérations sur le dessus de ses tibias. Harry se doutait bien que ce n'était pas dû à la maladie. Il le savait. Qu'elle se mutilait. Il était au courant de l'horreur qu'elle s'infligeait, qu'elle faisait subir aux membres de son corps. Il avait eu beau lui payer les meilleurs psychologues du pays, les psychiatres les plus compétents, rien n'y faisait. Sa fille, sa petite fleur de soie continuait de s'enfermer dans un monde sombre et inaccessible.
Harry se sentait coupable. Il ne savait pas ce qu'il pouvait faire pour changer la situation. Lui-même avait l'impression de tomber, d'avoir été jeté en bas d'un immeuble de mille étages. Et sa chute était infinie sans que personne ne puisse le rattraper.
Son « amie », une femme qui, auparavant, lui rendait régulièrement visite, s'était inquiété pour la petite famille.
Dans les premiers temps, alors qu'ils vivaient ce qu'ils croyaient être le plus difficile, elle avait tenté de pallier l'absence de la mère. Elle avait cuisiné. Elle avait récuré. Elle avait même tenté d'atténuer la souffrance de l'homme par des gestes qui ne peuvent être décrits pour les oreilles virginales.
Rien n'y avait fait.
Ses visites s'étaient alors espacées.
Puis, une semaine. Deux semaines. Trois semaines avaient passé. Et finalement, elle ne vint plus.
Aujourd'hui, marchant avec Sarah, il avait réfléchit à tout cela et s'en était voulu. Il n'aurait pas dû la laisser partir.
Mais il se sentait incapable de se réveiller.
Une nouvelle rafale de vent lui avait caressé le visage. Les mèches brunes de ses cheveux lui avaient chatouillé le front. Tranquillement, sans se presser, ils s'étaient dirigés vers la maison. Il était temps de donner son bain à Sarah.
À présent, il frotte le dos de son enfant à l'aide d'une éponge. Les mains plongées dans l'eau chaude, il se sent, l'espace d'un instant, apaisé, mais dès qu'il ose regarder le visage de sa fille, il a aussitôt l'impression que sa poitrine se resserre. Elle fixe le mur, les yeux dans le vide, la tête raide comme une planche.
Pendant qu'il continue de la laver, il songe qu'il est peut-être temps d'engager une aide à la maison, une femme qui serait experte des soins à disposer à une jeune fille. Lui-même est de plus en plus mal à l'aise à les fournir à Sarah.
Elle vieillit.
Son corps change.
Encore une fois, une boule se forme dans sa gorge.
Elle sera pour toujours prisonnière de ce corps.
Elle qui avait connu la lumière.
Ne connaîtra plus que la terreur et l'horreur.
La souffrance et la mort de l'espérance.
- Papa, l'interpelle-t-elle, interrompant le fil de ses pensées.
Il secoue la tête.
- Oui, mon oiseau des îles.
- Je veux mourir.
Ses mots, elle les prononce sans une once d'hésitation. Elle ne semble pas bravache. Sarah a simplement l'air de faire une constatation. Harry prend peur.
Pas parce qu'elle lui a demandé l'impensable.
Ce n'est pas la première fois que la petite formule cette demande qui sonne si étrange dans la bouche d'un enfant.
Non. Il est effrayé parce qu'il se sent prêt à le faire.
Il pose ses mains sur les épaules de Sarah et pousse sur son corps afin qu'il s'enfonce dans l'eau.
Elle soupire. Mais ce n'est pas de terreur ou de fatigue.
Elle semble simplement résignée.
Au moment où son visage s'apprête à être recouvert d'eau, il s'arrête.
Non. Il en est incapable.
Comment pourrait-il enlever la vie à celle que Selena a mis tant de temps à faire naître?
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