Ava entre sur scène, seule. Elle regarde autour d'elle et avance, slalomant entre des obstacles invisibles. Arrivée au milieu de scène, elle se penche, comme pour lire quelque chose puis hoche la tête et s'agenouille. Elle ferme les yeux et soupire.

Ava : Tu avais raison papa. Cel est vraiment formidable. Je suis tellement heureuse de savoir que tu as vécu ces moments durs à l'hôpital auprès de quelqu'un d'aussi merveilleux. C'est que ça me rassure. C'est une personne incroyable. Vraiment.

Elle baisse la tête et se met à sangloter. Elle pousse des soupirs puis relève doucement la tête et essuie ses larmes du revers de la manche.

Ava : J'espère qu'il a raison. Que tu es plus heureux là-haut. Que tout va bien, que ton cancer n'est plus là, que tu as retrouvé maman aussi. J'ai appris sa mort ce matin. Il paraît que ça fait plus d'une semaine mais personne n'a pensé à me prévenir. Son enterrement est déjà passé... De toute façon je n'aurais pas eu le courage d'y aller. J'ai détesté le tien. Je suis orpheline maintenant. C'est étrange de voir la maison si calme, si vide... Quand je regarde les photos, j'ai l'impression de toujours être votre petite princesse, que maman a toujours trente ans alors qu'elle avait les cheveux blancs, la peau ridée et les yeux rouges la dernière fois que je l'ai vue. La cocaïne l'a tellement vieillie... et puis, toi, sur les images, tu as toujours ton affreuse tignasse bouclée que j'adorais tirer quand je montais sur tes épaules. Maman la trouvait moche et tu disais que ça te donnait un air "fougueux". Tu étais chauve à la fin de ta vie. Le traitement pardonne pas...

Elle montre son bras et sourit.

Ava : Cel m'a offert un bracelet de perles. Il me fait penser à ceux qu'on faisait avec les cousines quand on était petites. Elles m'en offraient toujours parce que j'avais pas de grande sœur. J'ai l'impression que c'est mon petit frère. J'ai l'impression d'en être responsable et en même temps ça me fait mal. Je viens de perdre toute ma famille. Je veux pas le perdre aussi. Il ne me dit jamais rien pour ne pas m'inquiéter mais j'ai entendu des infirmières en parler. Il va être opéré dans peu de temps. Et si l'opération rate, comme toi, je l'aurais perdu à tout jamais. Je n'aurais plus personne. Même Ég ne me parle plus. Au lycée, tous mes amis se sont éloignés de moi. Ils trouvaient que j'avais changé depuis la tentative d'Ég mais ils me soutenaient parce qu'ils comprenaient que c'était dur. Mais depuis ta mort, je sors plus après les cours avec eux pour aller voir Cel et ils ont appris que je m'étais disputée avec Ég ; ils m'ont dit qu'ils comprenaient que c'était difficile parce que mes parents venaient de mourir mais qu'ils n'allaient pas insister si je ne voulais plus d'eux. Mais en vrai je m'en fiche un peu. Dans quelques mois je n'aurais même plus à les voir. Alors je serai tranquille après.

Elle marque une pause en scrutant le ciel.

Ava : Demain, c'est mon anniversaire. Je vais le passer avec Cel. C'est mercredi alors ça tombe bien. Je voulais cuisiner un gâteau moi-même mais le four a lâché. La voisine m'a promis que son mari viendrait y jeter un œil ce week-end. En attendant je me débrouille comme je peux.

Elle se relève.

Ava : Tout va bien pour moi alors ne vous inquiétez pas. Dis à maman que je l'embrasse fort.

Elle quitte la salle, en slalomant à nouveau.