7 - Errance
L'idée même de rester enfermé ici me rend malade. Je me lève, enfile un sweat à capuche, attrape mon téléphone sans même le regarder, et sors dans la nuit sans un bruit. L'air frais me frappe en plein visage. Ça fait du bien, juste un instant. Un moment où je n'ai pas à penser.
Je erre à travers Valpo, comme un fantôme sans but. Les rues sont désertes, quelques chiens errants fouillent les poubelles, des fêtards bourrés s'accrochent les uns aux autres en titubant. Je traverse le centre-ville sans vraiment m'en rendre compte, les mains profondément enfoncées dans mes poches, la capuche tirée bas. J'arrive à la Plaza Sotomayor. La statue des Héros du Pacifique trône là, figée dans la pierre, des putains de martyrs. Moi aussi, je suis figé, pris au piège dans ma propre vie. Je tire sur ma capuche et continue à marcher, toujours plus loin.
J'atteins l'Avenida Argentina. Ici, ça craint, surtout la nuit. Mais c'est exactement ce que je cherche. Ce soir, je veux quelque chose de plus fort. Pas comme d'habitude. Je veux m'effacer, me couper de tout, m'arracher de ce corps. Il me faut quelque chose qui me fasse partir si loin que je ne reviendrai jamais.
Je repère le dealer. Petit, nerveux, il est toujours sous ce pont, un coin sombre qui pue la pisse et la peur. Pas besoin de mots, juste un échange de regards. Il me tend une seringue. De la coke. J'ai jamais pris de coke comme ça, en injection, mais ce soir, je m'en fous. Ce soir, je suis prêt à tout. Je paie, récupère ma sortie de secours et continue de marcher.
Quelques rues plus loin, je trouve un coin sombre, à l'abri des regards. Personne ne viendra ici. Adossé à un mur, je sors la seringue et la regarde un instant. Mon cœur cogne fort, mon sang pulse dans mes tempes. Si je rate mon coup avec ça, je pourrais ne jamais me réveiller. Et c'est exactement ce que je cherche. Mes mains tremblent, mais je plante l'aiguille dans ma veine. La coke entre dans mon corps comme une explosion silencieuse. D'abord, c'est la chaleur qui m'envahit. Puis l'engourdissement, lourd, total. Tout devient flou, mais pas assez. Les souvenirs, eux, sont toujours là, comme des parasites. Ils reviennent plus forts, plus violents. Ce goût dégueulasse dans ma gorge, ces rires. Mon corps paralysé, cette putain de honte qui me serre à la gorge.
Je titube en me redressant, les jambes flageolantes. Je me dirige vers Cerro Cordillera, la colline, cherchant toujours à fuir. Les escaliers sont interminables, chaque marche est une épreuve, mais je continue. J'arrive en haut, la tête me tourne, je m'appuie contre un vieux mur tagué. Même les graffitis se foutent de ma gueule on dirait. Je pense à Romane et à son frère, à ce qu'ils m'ont fait. Ils m'ont volé ma dignité. Est-ce que ça fait de moi une merde ? Est-ce que je mérite de crever ici, seul ?
Je m'approche du bord du mirador, le vide en dessous. Un saut, et tout serait terminé. Mais je reste là, figé, incapable de bouger. Dans ma tête, une voix me hurle de sauter, d'en finir. Une autre, plus sombre encore, me dit que ce ne serait pas suffisant. Que la seule manière de retrouver un semblant de dignité, c'est de les buter. Romane et son frère. Les voir morts. Leur rendre ce qu'ils m'ont fait. Peu importe si je meurs après. De toute façon, qui en aurait quelque chose à foutre de moi après ça ?
Je revois leurs visages, leurs rires. Ces putains de rires. Ça tourne dans ma tête, amplifié par la coke. Tuer pour effacer la honte. Les voir saigner, les voir crever sous mes yeux, ça pourrait peut-être tout effacer. Et après... après je pourrais sauter. Mais pas avant d'avoir réglé mes comptes.
Je pense à Paola, Monica, à mes potes, mon père. Comment je vais recroiser leurs regards après ce qu'il s'est passé ? Comment leur expliquer ? Je ne peux pas. Je suis piégé. Aller porter plainte ? Ridicule. Moi, un mec, me pointer devant les flics pour leur dire que j'ai été violé ? Ils se foutraient de ma gueule. La honte me bouffe de l'intérieur, me garde enfermé. C'est à moi de me démerder.
Je m'assois au bord du mur, les pieds dans le vide. Qu'est-ce qu'il y a après la mort ? Le néant ? Un recommencement ? Ou juste une éternité à pourrir ? Je n'en sais rien. Mais je sais une chose : rien ne pourra être pire que ce que je vis maintenant.
Je sens la seringue dans ma poche. Encore un coup, peut-être que cette fois ça suffira. Peut-être que ça me fera sauter le pas ou crever d'une overdose. Les heures passent sans que je m'en rende compte. Les premières lueurs de l'aube apparaissent, et moi, je suis encore là, défoncé, à regarder le vide, encore des heures.
Au fond, qu'ils soient vivants ou morts, je m'en fous. Si moi, je meurs, peut-être que ça règlera tout. Je tends le bras, prêt à me piquer encore, quand mon téléphone vibre dans ma poche. La vibration me tire brutalement de ce néant dans lequel je me noie. J'hésite un instant, l'aiguille à quelques centimètres de ma peau, mais finis par répondre sans vérifier le nom sur l'écran.
— Allô ? je murmure d'une voix éteinte, presque absente.
— Val, t'es où ? Faut que tu viennes au campus, c'est urgent.
C'est Miguel. Sa voix résonne comme un écho dans mon esprit embrouillé. Lui, mon meilleur ami. Comment j'ai pu l'oublier ?
— Pourquoi ? je demande, sans vraiment attendre une réponse.
— Il s'est passé un truc grave... dramatique, même, et je crois que la police te cherche.
Ces mots flottent autour de moi, comme un bruit lointain. Je ne réagis pas tout de suite. Je suis si fatigué, si épuisé que même l'idée de m'enfuir, de faire quelque chose, semble impossible.
— Val ?! Ça va ? Pourquoi t'es pas là ? J'ai pas eu de nouvelles de toi hier...
Sa voix. Miguel, mon pote, mon frère. Son inquiétude, sincère, me transperce. Je n'ai pas le droit de le laisser tomber. Une bouffée de motivation monte en moi, juste assez pour me tirer de cet endroit sombre où je m'étais enfoui.
— J'arrive... Donne-moi une demi-heure, j'attrape le bus.
Je raccroche et glisse la seringue dans ma poche, le cœur battant plus fort. Mes jambes me portent à peine, mais je marche, presque en pilote automatique, jusqu'à l'arrêt de bus. Le jour est déjà bien installé, mais tout me paraît étranger, comme si je regardais le monde à travers un voile de brume.
Quand j'arrive enfin au campus, quelque chose cloche. L'air est lourd, étouffant malgré le soleil qui brille dans le ciel. Des étudiants sortent en courant, certains pleurent, d'autres chuchotent entre eux, les visages figés de peur. Les sirènes de police résonnent au loin, leurs cris stridents réverbérant contre les murs. Je m'avance, sentant la tension monter en moi, et je vois Miguel et les autres près de l'entrée. Ils ont l'air bouleversés, pâles, comme s'ils venaient de voir un spectre. Miguel me fait signe, me hèle d'un geste rapide.
— C'est Lie Killer... Il a tué deux étudiants de chez nous.
Je fronce les sourcils. « Deux étudiants » ? Un frisson glacé parcourt ma colonne vertébrale. Une foule s'est formée autour d'un cordon de sécurité. Les gens parlent à voix basse, certains pleurent, d'autres n'osent même plus bouger. Je m'approche, presque par instinct, et je les vois. Romane et son frère. Étendus là, immobiles, baignant dans leur propre sang. Poignardés en plein cœur.
Je m'arrête net, comme si le sol venait de s'effondrer sous mes pieds. Je fixe leurs corps sans vie, et quelque chose d'inexplicable se passe en moi. Ce n'est pas de l'horreur que je ressens. C'est du soulagement. Un soulagement si profond qu'il me coupe presque le souffle. Je ferme les yeux un instant, puis, sans pouvoir m'en empêcher, un sourire me monte aux lèvres.
Ils sont morts. Morts. Ces deux salopards. Fini. Plus jamais ils ne me toucheront, plus jamais je ne verrai leurs visages, ni n'entendrai leurs rires. C'est terminé. Mon cœur bat à tout rompre, et avant même que je puisse le contrôler, un rire me secoue. Un rire nerveux, incontrôlable, presque hystérique. Des regards se tournent vers moi, incrédules, choqués. Mais je m'en fous. Je m'en fous de ce qu'ils pensent. Parce que pour la première fois depuis ce qu'ils m'ont fait, je me sens libéré.
— C'est quoi ton problème ? souffle un étudiant à côté, les yeux remplis d'indignation.
Je l'ignore complètement, mes yeux fixés sur les corps. Putain, « Lie Killer », où que tu sois, qui que tu sois, aujourd'hui tu m'a littéralement sauvé la vie. Je te suis redevable, à la vie, à la mort !
Mais un détail ne m'a pas échappé : la lettre de l'alphabet, juste à côté. Je crois que j'ai compris.
Mais d'ailleurs, pourquoi la police me chercherait-elle ?
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro