Lorsqu'elle et Tarik descendirent main dans la main de la colline, ils se trouvaient en réalité dans un autre univers parallèle. Pour la première fois depuis de très longues années, il se sentaient apaisés et surtout rechargés d'une énergie presque cosmique. Ils étaient là et ailleurs.

Tarik lui tenait sa main droite, et même par ce geste qui pourrait sembler habituel et banal par ceux qui ont l'habitude de l'accomplir, il était fier de l'accompagner dans les étapes de sa vie. Ainsi, plusieurs fois, il l'aida à descendre de cailloux trop hauts, à traverser de magnifiques sources, en remarquant plusieurs fois qu'elle ne pouvait s'empêcher de vérifier avec un mouvement de ses autres doigts que la bague était bien la preuve réelle de ce qui s'était passé. 

« Tarik, je n'arrive pas encore à croire dont ce que tu viens de me demander s'est bien produit. Je n'aurais pas pensé de sitôt que tu aurais cette conviction d'assumer toutes ces responsabilités. J'ai tellement hâte de devenir officiellement ta femme. Avant cela, il faut publier les bans... ». Bien qu'elle mettait en œuvre tous les efforts pour ne pas transmettre son émotion dans sa voix, Tarik sentait au contraire un soulagement profond à l'entendre et la voir aussi bouleversée.

Comme d'habitude, elle semblait être au courant de pas mal de détails concernant l'acte du mariage en lui-même, alors que Tarik n'en avait encore pas entendu parler. C'est pourquoi il l'interrompit pour lui demander : « Attends, attends, c'est quoi la publication des... ? ».

Le langage juridique français était encore loin d'être accessible à ses citoyens, bien qu'elle ne cesserait de lui répondre avec un ton bienveillant et affectueux : « Des bans. Pour la mairie, ce sont en quelque sorte une carte d'identité du couple. Nom, prénom, domicile, profession... ».

A présent, ils rentraient dans le village. La luminosité orangée permettait de mettre en valeur la rue principale pavée. Cette dernière rappelait à Tarik tant de souvenirs d'enfance avec son frère. Andrieu. C'était le seul détail dont Tarik ne lui laisserait pas le choix, à savoir de...

« Tu prendras mon nom. ». Or, cette affirmation sonna comme une question. Tarik se disait bien que la soirée avait été jusqu'à présent bien trop parfaite pour qu'il ne la gâche pas toute.

« Naturellement Tarik, je serai très fière d'être ton épouse ! », le coupa-t-elle dans la descente pour s'arrêter au marchand de glace qui venait tout juste d'ouvrir boutique. « Crème de lait s'il-vous-plaît. », dit-elle au serveur. Tarik, quant à lui, choisit la fraîcheur de la menthe.

« Personnellement, j'aimerais porter une alliance. De ton côté, tu pourras toujours faire ce que tu souhaites. Je te laisse le choix. », lui informa-t-elle alors qu'elle croquait dans le biscuit.

« Oui car ne pense jamais que j'aurais honte de toi. Ça me va aussi de nous marier qu'à la mairie et de ne célébrer tout ça qu'en famille. Je n'ai pas besoin de grandes choses et de trucs futiles. ». C'était la première fois que Tarik se sentait aussi naturel et légitime d'un sujet qu'il ne découvrait pourtant qu'au fil des conversations qu'il avait avec sa femme. Il se sentait adulte.

« Je pense en effet que cela sera beaucoup plus simple et notamment à notre image. Mes invités ne seront que Ken, Jason, Idriss, Théo, Mikael, Mo, Alpha, Eddy, Roméo, Antoine, Florian et Olivio. Je demanderai à Nabil s'il veut bien m'accompagner jusqu'à toi parce que je ne me vois pas entrer seule sous leurs regards. Même le jour du mariage, je ne veux pas attirer l'attention. ». Cette dernière provoqua à nouveau un sourire enjoué sur le visage de son homme. Ensemble, ils étaient heureux. Ils vivaient sans prétention en ayant des principes semblables forts et fondés.

« Ça je sais, pas besoin de me le préciser. Et pour les témoins ? Oim, ça sera mes frangins. ». Tarik n'aurait jamais pensé qu'il ne pouvait parler autant de cette union. Après tout, c'était un projet à deux et ils devaient s'y investir à la hauteur de l'intérêt qu'ils y portaient.

« Fabrice et Olivio, puisque qu'ils sont deux cadets et représentent tellement de valeurs pour moi qu'au moment où je te parle, je serai bien incapable de toutes les expliquer. Pour ainsi dire, ils me rappelleront le mien. Je ne pense pas qu'il pourra être présent physiquement. ». Depuis qu'elle fréquentait Tarik, elle semblait avoir pris un certain recul de son passé et ses blessures.

« Tu penses que d'ici un mois, ça devrait être bon ? ». Tarik Andrieu avait-il hâte de réaliser ses projets ? Oui car il était un homme ambitieux qui se servait surtout de son orgueil pour prouver aux personnes que Tarik aimait qu'il était capable de sérieusement s'engager. « Putain j'y pense mais en fait, je n'ai jamais porté aucun costume. Tout simplement peut-être parce que je n'en ai jamais eu. Tu ne trouves pas que ça fait trop babtou ce déguisement ? Ça ne te dit pas plutôt que ce jour-là uniquement, je sois dans un bel ensemble avec baskets stylées, coupe de rebeu, barbe bien taillée, lunette beau gosse ? ». Pour la première fois de sa vie, Tarik réussissait à se projeter. Sauf étrangement pour ses frères car au contraire, il les voyait bien en cravate. « On a juste oublié un détail : on va leur annoncer comment aux gars ce qu'on va vivre ? ».

Arrivés sur la plage, elle se tourna vers lui pendant qu'elle était déjà en train de dénouer ses sandales dans l'intention de se diriger vers la mer pour s'y tremper le bas du corps. Tarik fut surpris de sa réponse, surtout parce que cette dernière fut non verbale : elle hocha les épaules.

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« Attends. C'est quoi cette bague que tu portes ? Oh, je vous parle les deux, répondez-moi ! ». Comment Roméo avait-il pu remarquer l'émeraude sur la bague discrète qu'elle portait ? Son ton dur venait de surprendre tout le monde, lui qui n'avait pas du tout l'habitude de s'exprimer avec une telle voix.

A l'aéroport où leur avion venait de se poser, elle et Tarik étaient attendus au bord du bus qui stationnait dans l'un des parkings les plus reculés, mais ayant l'avantage d'être discret. Nabil était venu les chercher avec une voiture de location spécialement affrétée pour ce voyage. 

Quand elle et Tarik montèrent au bord du bus - qu'ils ne rendraient qu'à la fin du mois d'août concluant la fin de l'été dans deux semaines -, des cris de joie se firent entendre de la part de l'équipe. Après l'aboutissement de leur tournée, tous avaient été d'accords pour sillonner une nouvelle fois les routes de France dans un but précis, celui de découvrir les villes de nuit.

A présent, il était grand temps de retourner là où tout a commencé, à savoir Les Tarterêts. Les gars avaient prévu d'y rester une semaine. De leur part, aucun programme n'avait été défini. Cependant, aucun d'entre eux n'auraient pu prévoir les évènements qui allaient s'y dérouler.

Elle et Tarik avaient justement l'intention de leur en parler, jusqu'à ce que Roméo soit en réalité plus malin qu'eux. Ils étaient réunis au premier étage qui faisait office de salon-salle à manger. Chacun était habitué à vaquer à ses occupations, que ce soit seul ou en comité. Si Tarik avait dû expliquer ultérieurement le contexte dans lequel s'était passée cette discussion, il en aurait été incapable. En effet, après la question surprise car complétement inattendue de Roméo, deux groupes se formèrent : ceux qui se retenaient de sauter de joie, et les autres.

« Attendez, vous vous êtes fiancés et c'est comme aç que vous nous l'annoncez ? Vous abusez car d'abord, vous ne nous avez jamais dit officiellement que vous étiez ensemble ! ». Contrairement à Roméo, Alpha prit une tonalité annonçant la plaisanterie et le bonheur. 

Régnait-il dans la pièce un brouhaha par définition inaudible ou un silence assourdissant comme à chaque évènement important qu'ils vivaient ? Elle et Tarik n'auraient su le dire.

« La khotba, c'est sacré man parce qu'une fois conclu, elle ne peut pas être déliée. Ni par l'homme et encore moins par Dieu. ». Jason, l'un des frères que secrètement, Tarik appréciait le plus grâce à sa sincérité et sa droiture. Justement, les deux étaient assis l'un en face de l'autre. « Dans l'regard paraît qu'on y voit une âme. ». Alors, Tarik dévisagea l'ainé des frères Akrour. Derrière ses yeux qui traduisait tout le sérieux de cet homme se cachait la fierté et l'admiration.

« Vous avez prévu de vous marier quand, où et dans quelles conditions ? Vous verrez, c'est juste génial. ». Théo était celui dont les arguments étaient les plus recevables car très légitimes.

« On espère d'ici un mois, la durée minimum pour que la mairie officialise notre demande. Ça nous laissera juste le temps d'acheter ce que nous avons besoin, c'est-à-dire en réalité pas grand-chose. Juste un ensemble, une robe, des chaussures, un bouquet et surtout la graille. ». De quelle manière Tarik avait-il réussi à prononcer ces mots-là en les imposant définitivement ?

« En tout cas, nous serons toujours présents pour vous accompagner dans votre histoire. Au fond, nous le sommes depuis le premier soir. On a bien remarqué qu'il y avait ce feeling entre vous. ». Mikael étant assis de l'autre côté du couloir, Tarik lui rendit donc facilement son check.

« Si je peux vous rassurer, on n'a jamais eu l'intention d'avoir une vie... Normale et banale. ». Pourquoi essayait-elle de se justifier ? Tarik se souvint soudainement des autres qui n'avaient pas encore réagi. Ken, Fabrice, Eddy et Antoine semblaient être sidérés et entièrement sonnés. 

« Mais meuf, bien sûr que non ! T'as vu comment vous avait fait votre annonce... Bon, ce n'est peut-être pas ce à quoi vous vous attendiez mais crois-moi, même si on est tous très étonnés, on est contents. Pas vrai les gars ? ». Par ses paroles, Sneazzy rejoignait le côté des bienheureux.

« De toute façon pour les autres, vous avez intérêt de déclarer ce que vous pensez maintenant parce que quand nous serons devant le maire pour la seule fois de notre vie, ce sera trop tard. Si vous osez l'ouvrir à ce moment-là, croyez-moi bien que je ne vous le pardonnerai jamais. », menaça-t-elle gentiment Florian et Olivio qui venaient tout à coup d'afficher de beaux sourires.

Nabil. Tarik se rendit compte que son frère n'avait pas pipé mot. Ce dernier était assis en face de son aîné. Lui aussi semblait ne pas avoir eu le temps d'esquiver la claque plus qu'inattendue. Tarik plongea aux fins fonds de ses yeux. Immédiatement, il put y lire en un claquement de doigt toute l'exaltation qui enveloppait son frère. Nabil attendait tellement la paix de Tarik.

Le cadet de la fratrie Andrieu se leva. Par ce geste inhabituel - en effet, Nabil resterait jusqu'à son dernier souffle un homme préférant la discrétion à la focalisation sur sa personne -, il mit fin malgré lui à un débat qui n'avait aucunement lieu d'être. L'union est une histoire de couple. « A mon frère et ma future belle-sœur, pour que votre vie soit belle, heureuse, légère et libre. ». Nabil leva son verre rempli d'un cocktail dont elle avait eu auparavant le plaisir de préparer.

Un à un, les hommes du clan se levèrent avec en main leur boisson toutes les plus colorées et différentes que les autres. Puis, Nabil se dirigea vers elle pour admirer la plus belle offrande. Tous se relayèrent pour la féliciter. Tarik admirait une fois de plus sa femme, et son ventre...