V
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Le rapprochement de Taehyung m'avait fortement bouleversé, et j'avais beau le remuer dans tous les sens, il demeurait inexplicable. Il fut cependant le dernier, et lorsque nous nous revîmes un jour plus tard, aucun de nous deux ne parla de l'événement. Puis, les habitudes reprirent leur cours. Pourtant je ne parvenais pas à oublier, à ne pas le dévisager plus qu'il ne le fallait, à ôter la pensée étrange que quelque chose avait changé. Enfin, nous sommes repartis, sans y faire une allusion. D'ailleurs nous n'en parlâmes jamais, ne serait-ce qu'une seconde.
Durant le reste de l'année, il nous arrivait d'échanger des lettres. Elles n'étaient que concentré de banalités et d'anecdotes sur la vie qui passe, et qui finit par ficher le camp. Je les conservais toutes, et bien qu'elles soient vide de réel intérêt, je les relisais et les remuais de fond en comble. Pour moi, c'était un plaisir de lui conter les bouleversements minimes de mon quotidien. Inspiré par sa personne, je voyais dans les petits riens, d'immenses et passionnantes histoires.
Nos écritures étaient toujours soignées, presque dessinées. J'y mettais mon affection et mon respect. Je recevais son éloquence et ses photos. Quelque part, dans ma chambre, elles s'entassaient et se cajolaient, dans l'attente que je m'absorbe de leur valeur. Et à la fin du papier blanc, nous inscrivions constamment notre impatience à l'idée de l'Automne s'approchant à grands pas. Le sablier s'écoulait. Or, ni lui, ni moi n'oublions la promesse. Ni lui, ni moi, n'oublions l'autre.
Nous nous souhaitions bonne chance pour les rentrées, pour les examens et pour les grands événements. Nous félicitions et encouragions. Nous envions et plaisantions. Mais quel était ce tourment lugubre emplissant ma poitrine ? Plus il me parlait, plus il posait des questions sur ma vie, plus il devenait adulte, plus j'avais le sentiment de m'éloigner. A moins que ce fut lui ? Je ne savais pas. Puis arriva l'octobre de mes dix-neuf ans. Le dernier où je l'ai vu. Tout paraissait normal. Certes, nous jouions moins, nous rions moins, mais nous semblions heureux. Lui, en tout cas souriait beaucoup. Et il me parla de ses projets d'avenir, de ses études et de ses plans. Il me confia pour la première fois, qu'il fréquentait des gens. Des filles. Des garçons. Et cela me fit l'effet d'un bain dans le lac. J'étais gelé et je tremblais. Il m'a alors demandé si j'allais bien. J'ai répondu que oui, mais il m'a raccompagné malgré tout. En vérité, j'étais mal, très mal. Seulement, cela n'avait rien à voir avec une maladie, une fièvre ou un coup de froid. Car en entendant ses mots, je m'étais tourné vers mon présent, j'avais imaginé mes connaissances. Car au fond je savais que je n'avais que lui et qu'il n'y avait que lui qui importait. Ensuite, j'avais balayé des yeux mon avenir. Mais sur le chemin, je ne trouvais rien du tout. J'ai alors paniqué. J'ai alors éprouvé l'envie de courir, de voler, de fuir très loin. Là où il n'y avait rien.
Nous sommes partis à nouveau. Et cette fois, je ne suis pas revenu. Au départ, tâtonnant vers l'horizon et mon entrée à l'université, je portais le poids de la culpabilité et de l'absence. Il m'envoyait des lettres. Je n'y répondais pas. Il prenait toujours des photos. Je les gardais mais je ne les commentais pas. Ainsi, mon objectif s'avérait être celui de rompre lentement avec le passé et m'ouvrir à la nouveauté. L'idée immuable que c'était mon devoir, fleurissait dans mon esprit et je m'y accrochais avec force.
« Un jour je ne souffrirais plus en revoyant sa silhouette inatteignable, me disais-je. »
Un automne passa, puis deux. J'y échappai, désolé, prétextant une charge trop importante de travail. J'ignore s'il m'a cherché, s'il s'est interrogé à propos de mon absence ou s'il s'est senti désœuvré. Je ne sus rien. Il ne m'envoyait plus de lettres, n'espérant probablement plus de réponse. Je l'imaginais grandi, car moi aussi je grandissais. Je n'étais plus le même Jungkook. A présent, je me dressais en adulte. Pour finir, j'ai quitté la maison familiale et ai trouvé l'appartement qui est aujourd'hui le mien. Et depuis ce jour, de nouveaux changement m'assaillent.
Le recul et la maturité offerts par la solitude me conféra de nombreux soulagements. Avec douceur, le teintes fades qui avaient recouvert le monde dégoulinaient, me rendant ainsi mes couleurs. Je ne percevais plus l'aigreur et le silence. Je savourais encore ce qui m'appartenait. Le bon comme le mauvais. Je vouais un culte à l'œuvre de ma vie. En quelques mois, j'avais atteint mon objectif. J'étais parvenu à éclore dans une enveloppe s'approchant concrètement de l'homme. Je contemplais les passants. Je peignais leurs ombres dans la nuit. Je buvais des thés et des cafés. Je guettais l'approche de l'hiver. Puis ce que je n'attendais pas se produit. Je me languissais à l'approche de l'automne. Comme avant.
Et aussi brutalement que m'était venu l'instinct de partir, me frappa l'envie de revenir. Je rêvais de lui. Je ressortais ses vieilles lettres et ses vieux clichés. J'en accrochais quelques unes, dont un polaroid qui me marqua nouvellement. Il représentait un tout petit oiseau, perché sur la branche d'un sapin. Au dos était écrit :
« Voici une Mésange boréale. Elle te ressemble plus que le Bec croisé. Elle est plus délicate. Elle est plus sombre. Elle est plus belle. J'espère que tu vas bien.
Taehyung. »
A peine avais-je scotché la photographie à côté de la fenêtre que je compris qu'il fallait que j'y retourne. Qu'il fallait que je le revoie. A tout prix.
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