Chapitre 9 : Animosité
« Nan mais t'es sérieux ?! Je t'avais dit que je n'en voulais que des en bon état ! C'est si difficile que ça de tuer proprement ?! »
Axelle pointait un doigt accusateur sur Alexandre, montrant de l'autre main le piteux cadavre du rodeur nocturne. Lorsqu'elle avait appris le fait d'arme du jeune homme, elle n'avait pas tenu en place jusqu'au lever du jour où elle était, avec une bande de désignés-volontaires, aller récupérer le corps de la bête.
Pétillante rousse de quinze ans, Axelle se distinguait par un goût des sciences et de la recherche extrêmement poussé. Trop même. Au point qu'elle avait décidé de dédier sa vie à cela, même dans ce nouveau monde.
Axelle était plutôt petite et pas féminine pour un sou. On aurait pu la confondre avec un garçon. Elle avait des cheveux roux qu'elle maintenait en arrière à l'aide d'un bandeau vert à motifs de losanges, et des yeux verts toujours pétillants. Elle portait le plus souvent une blouse blanche sur ses autres vêtements, même lorsqu'elle était en dehors de son « laboratoire » (une chambre froide vidée de son contenu et réaménagée par ses soins en labos.
Inexplicablement, Axelle plaisait à plusieurs personnes sur la Semîle, au moins à une fille et à un garçon. Elle ne s'en était évidemment pas rendu compte, malgré les signaux qui crevaient les yeux.
Alexandre avait du mal à comprendre qui pouvait tomber amoureux de celle qu'il appelait « l'excitée », même si lui-même avait fini par lui trouver un petit côté attachant, avec son air toujours passionné. D'autant qu'elle n'avait pas avec lui la même façon de parler que les autres, comme s'ils marchaient sur des œufs, ce qui avait tendance à le gaver. Axelle était plus directe.
Enfin, là, elle l'était carrément trop.
« Tu crois vraiment que quand je l'ai défoncé, j'me suis dit « Oh, attention, ne lui fais pas trop de mal, il faut que l'excitée de service puisse analyser un corps en bon état » ?
- C'est bon, j'ai compris, je vais me débrouiller avec la chose indéfinissable que tu as ramenée. Merci infiniment mon cher Alexandre.
- Un peu moins pompeux et se sera parfait, lui lança t-il, sarcastique, en s'éloignant. »
- Comme une vraie gamine, elle lui tira la langue. Puis elle se retourna vers le rodeur, des étoiles plein les yeux, en lui disant : « Je vais enfin pouvoir m'occuper de toi mon bébé ! Juste une petite dissection et ce sera parfait ! »
- Alexandre s'était éloigné sans savoir où il allait précisément. Il passa devant un groupe de petits, qui discutaient à voix basses. Lorsqu'il passa, les enfants se turent et levèrent leurs grands yeux mi- effrayés mi- fascinés vers lui. Quand il se fut éloigné, ils reprirent leurs confidences sur un ton excité : « Oui, oui, un rodeur nocturne ! –Un quoi ? –Un gros monstre tout blanc avec des dents longues comme ça ! –Et même qu'il voulait manger une demoiselle et que le garçon l'a sauvé ! – La fille, c'était une belle princesse ? Comme dans les contes ? »
- Alexandre marcha un peu au hasard dans les rues réaménagées quand quelqu'un s'approcha de lui. Will, un subordonné de Bens. Bien que largement plus grand qu'Alexandre, il lui parla avec un regard un peu fuyant. « Euh... Alexandre ? Y a Bens qui veut te voir... pour te dire un truc. T'as quelques choses à faire, là ? Sinon ça peut att...
- Et il peut pas venir lui-même ?
- Bah, tu sais, avec toutes ses occupations...
- C'est bon, j'ai rien d'autre de prévu. »
Plantant là le grand Will, il partit en direction de l'hôtel où Bens et ses amis avaient élu domicile. Evidemment, ça ne se refusait rien...
Alexandre marchait dans les couloirs de l'hôtel. Son humeur empirait à chaque pas. Depuis qu'il avait intégré la communauté de la Semîle, il ne pouvait tout simplement pas voir Bens. Et c'était réciproque. Les deux garçons avaient leurs raisons et savaient pertinemment qu'ils pouvaient se nuire l'un à l'autre : Bens était le chef de la communauté et rusé comme une fouine, tandis qu'Alexandre, avec sa popularité de héros et le charisme particulier qu'il dégageait, faisait de l'ombre à Bens. Sans compter que, s'ils s'étaient retrouvés seuls face à face, sans qu'aucune conséquence problématique n'intervienne dans l'équation, Bens n'aurait pas donné cher de sa peau. Alexandre lui semblait aussi imprévisible qu'une créature formée par la Tempête, sinon plus.
Alexandre finit par localiser la pièce d'où Bens régnait sur son petit monde. Ça lui avait pris un certain temps, il ne s'y était rendu que le minimum de fois possible. Il entra sans prendre la peine de frapper. Bens lisait –ou plutôt affectait de lire – des papiers étalés sur un large bureau. Il leva la tête, vit Alexandre et eut un rictus. « Ici, on frappe avant d'entrer.
- Joue pas à ça avec moi, tu vas vite m'énerver.
- Oh, désolé... Le balafré », compléta t'il après un silence.
Alexandre se rapprocha de Bens, jusqu'à se tenir juste devant le bureau. Il lui décocha un regard si menaçant que Bens frémit et se força à déglutir. Alexandre pouvait se montrer particulièrement impressionnant. Non pas à cause de sa taille –au contraire, quelques centimètres supplémentaires ne lui aurait pas nuit – ni à cause de la longue cicatrice qui partait du haut de son front, dissimulée par les mèches de ses cheveux noirs, et qui barrait son œil droit, mais surtout à cause de son regard, un regard dur que peu parvenait à soutenir très longtemps.
Bens baissa les yeux, le front brûlant, honteux de n'avoir pas tenu. Alexandre fit nonchalamment craquer ses articulations et déclara d'un ton neutre : « Appelle moi encore une fois par ce surnom et on pourra bientôt te surnommer l'édenté. »
Bens voulut répliquer mais les mots restèrent coincés dans sa gorge. Un ennemi comme celui-là, on ne prenait pas ses menaces à la légère. Il tenait à garder sa dentition intacte.
« Bref, coupa Alexandre. Tu voulais me dire autre chose que ça j'espère.
- Ah, oui. On a aperçu des colonnes de fumées, à plusieurs kilomètres d'ici. On va bientôt en discuter et... » Il se força à sourire malgré ce que lui coutait ces mots : « Et on a besoin de ton avis, puisqu'on ne sait pas si cela impliquera un danger ou pas. Sachant que selon ce qu'on décidera, tu dirigeras peut-être une équipe de repérage. On convoquera une réunion générale dans deux jours, le temps de voir ce que la long-marcheuse peut nous apprendre.
- C'est tout ?
- Euh... oui.
- T'avais pas besoin de me faire perdre mon temps juste pour m'informer de ça.
- Euh... Et sinon, la long-marcheuse a demandé à pouvoir te voir, si c'était possible. Pour te remercier j'imagine... » Malgré les efforts de Bens, il ne put s'empêcher de cracher ces mots comme du venin.
- Ok. Dans ce cas... » Il tourna les talons. Devant la porte, sans se retourner, il leva la main et lança un simple « A plus », qui, jeté d'un ton pourtant neutre, était particulièrement supérieur et sarcastique.
***
Swann était réveillée. Assise dans son lit, ses deux bras fins bandés reposant sur les draps, elle regardait les poussières voletant dans la lumière blanche que déversait la fenêtre.
Deux coups frappèrent à la porte et un adolescent entra sans en attendre l'autorisation. Swan ne l'avait pas bien vu, dans la nuit et l'état de choc où elle se trouvait, pourtant elle reconnut dans l'ensemble celui qui l'avait sauvée la veille en combattant le rodeur nocturne. Réputée comme étant la créature la plus dangereuse du Nouveau-Monde, Swann était assez impressionnée que quelqu'un ait risqué sa vie à un combat aussi perdu d'avance. Et pourtant, ce garçon avait réussi le double exploit de tuer le rodeur et de la ramener vivante.
« C'était bien toi, hier soir... lança t-elle
- Oui.
- Je voulais vraiment te remercier. Sans toi, je ne serais plus vivante à l'heure actuelle. C'était très courageux de ta part.
- C'est rien, c'est normal.
- Pas tant que ça. Tout le monde ne risquerait pas sa vie pour une inconnue, dans un combat impossible.
- Alors, ça doit être moi qui suis malade... »
Cela fit rire Swann, la réflexion lui rappela May qui se disait « folle et fière de l'être ».
« J'ai dit quelque chose de drôle ?
- Oui.
- Ah. »
Un silence s'installa. Il se prolongea jusqu'à devenir embarrassant.
« Et donc, toi tu n'as pas été blessé ?
- Hein ?
- Pendant la bataille, contre le rodeur nocturne. Tu as dû être blessé, non ? On m'a dit que j'étais seule à l'hôpital. »
« L'hôpital » désignait une simple maison dans laquelle on logeait les blessés pour faciliter le travail des Pans à peu près capable de s'occuper d'eux, avec leurs connaissances limitées.
« Ah, non, répondit Alexandre. Je suis capable de me soigner tout seul.
- Tu te fais toi-même tes bandages et tout et tout ?
- Oui. »
Alexandre s'était, la veille, occupé de sa blessure sur le côté, la plus importante. Il aurait aimé pouvoir la recoudre en bonne et due forme, mais son emplacement peu pratique l'en empêchait et il se doutait que personne sur l'île ne serait en mesure de faire ça correctement. Peu importait. De toute façon, depuis quelques temps ses blessures guérissaient beaucoup plus vite. Sans doute son « altération » qui se manifestait, comme c'était le cas pour beaucoup de Pans. Alors il s'était contenté de panser soigneusement la plaie comme il avait appris à le faire. Elle n'était pas si profonde que ça, il se ménagerait quelques jours et ça irait vite mieux.
« Et toi, tes blessures ?
- Oh, rien de dramatique, ce n'est pas si grave qu'il n'y paraît. Hier, j'étais surtout en état de choc, c'est pour ça que j'ai perdu connaissance. Je vais rester quelques temps ici, si votre colonie m'accepte, puis je repartirai.
- Dans ce cas, je te laisse te reposer.
- Dis, euh... au fait, je ne t'ai toujours pas demandé ton nom...
- Alexandre.
- Enchanté Alexandre, moi c'est Swann ! Est-ce que demain ça ne te dérangerai pas... de me faire visiter ? Je récupère encore un peu, mais je pourrais quitter le lit dès maintenant. Donc, si ça ne te dérange pas...
- D'accord. Aucun problème. »
Il ne savait pas vraiment ce qui l'avait poussé à accepter si soudainement. Il aurait probablement délégué la tâche, s'il n'en avait pas eu envie. Pourtant, cette fille dégageait quelque chose de calme, et de presque... rassurant. Il avait apprécié lui parler. Et c'était très rare qu'il passe de bons moments avec des gens.
Il sortit et referma la porte, et Swann retomba dans la contemplation des poussières qui volaient sous la fenêtre.
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