Partie 5
L'extérieur s'était anuité d'une bien belle façon, l'empyrée se voilant d'une chape nuageuse noire piqueté de petits points empreints d'une nitescence délicate. La pluie continuait de tomber, mais sous forme d'une bruine humide.
Kurt était assis sur le canapé, seul. Il observait la pluie tomber sur la table dont on ne pouvait que deviner la forme dans la pénombre. La lumière des lampadaires de la rue venait se refléter sur la surface de l'eau déjà présente sur le bois sombre. Le loup observait cela de manière déprimée. Il avait une moue neutre sur le museau, et sa queue était en partie hérissée, signe de son trouble.
Emile, après s'être assuré que son ami soit bien éveillé, avait dit qu'il allait se doucher. Il avait demandé à son loup de rester au salon, de faire comme chez lui. Cela faisait maintenant une heure qu'il était dans cette pièce que Kurt n'avait jamais vu, et toujours rien. Il en avait un peu marre de regarder la pluie, c'était une personne d'action.
Merde, Kurt. Tu te prends pour qui ? Il t'accueille, mais il n'est pas à toi. Il a une vie, il est libre de faire ce qu'il veut. Que je l'aime n'y change rien. Il n'a pas à rester avec moi....
Par pur ennui, il se leva et s'approcha de la cheminée. Tout le nécessaire de nettoyage, une brosse et une pellette en fer noir, se trouvait pendu à un porte-outil dans la même matière. L'âtre était nettoyé, mais des emballages en carton et en papier ainsi que des allumettes consumées se trouvaient déjà dedans. Le loup se souvint que certains utilisaient leur cheminée comme endroit où se débarrasser de leurs déchets papiers, pour ne pas surcharger un sac. Le chat devait en faire partie.
Se saisissant de quatre bûches d'un bois qu'il supposa être du hêtre et les posa de sorte à ce que trois soient autours des déchets et une posée dessus. Ensuite, il chercha les allumettes. Elles se trouvaient simplement sur un plateau faisant partie du porte-outil. Il prit la boîte, en sortit une et la gratta. Une flamme orangée vive apparut, luisant dans ses yeux. Il se leva, tourna la molette ouvrant le conduit de fumée et alluma un bout de papier, ce qui entraîna la combustion de l'ensemble. Le papier flamba rapidement, se racornissant sous les assauts de fines flammes. La bûche du dessus suivit, ses fines échardes noircissant. Le loup referma la vitre coulissante qui grinça un peu, avant de se demander s'il devait ouvrir la petite grille à la base de la vitre pour apporter de l'air. Il le fit, en dépit de toute indication contraire.
Désolé, papa. J'ai oublié comment fonctionne une cheminée. Me maudis pas, s'il te plaît
De penser cela lui rappela sa famille. Il était attristé pour Emile qui n'avait presque pas de lien avec la sienne ; d'autant que celle de Kurt avait bien pris le fait qu'il soit en couple... Sa mère avait même dit que, tant qu'il était heureux, tout allait bien. Il faut dire que la religion ou l'envie d'avoir des petits-enfants ne les touchaient pas vraiment, donc, l'un dans l'autre...
Le loup se rassit, agitant doucement la queue. Il observa le feu naître, la vitre était parfaitement nettoyée. Les flammes semblaient danser pour quelque salamandre. C'était beau, cela lui rappelait de belles soirées avec sa famille. Le bruit du bois craquant, le son de l'air s'engouffrant avec rage dans l'âtre, la lueur orangée vacillante...
Mais il fut vite déprimé. Il aurait voulu que son chaton soit là. Qu'est-ce qui pouvait bien prendre autant de temps ? Merde, voilà qu'il se montrait ingrat... Il l'avait forcé à sortir pour acheter à manger, alors il pouvait bien se détendre sous la douche... ou bien faire autre chose...
C'est ce moment-là que choisirent les pensées salaces du loup pour envahir son esprit. Putain. Il revoyait la façon dont Emile s'était collé contre lui cet après-midi... ses hanches fines, sa longue queue le caressant... Et maintenant les souvenirs qu'il avait avec lui d'il y a sept ans revenaient... Non. Il ne devait pas penser comme cela... Emile n'était pas un simple plan cul. Il était son ami, un ami qui le logeait même s'ils ne s'étaient pas vus pendant tellement de temps...
Cette pensée lui réchauffa le cœur. Il aimait son chaton, il lui était cher. Dans ces nuits qu'il avait passé, moins que rien, il se souvenait de l'espoir qu'Emile lui tombe dans les bras dès son arrivée... mais bof, il n'était pas dans un film à l'eau de rose. Il réfléchissait encore à la teneur de ses sentiments, il cherchait une raison à ce trouble qu'il avait. Ses pensées revenaient sans cesse au chat, à sa manière d'être, à ces nuits qu'ils avaient passées dans le même lit, la douceur de sa fourrure, son minois si mignon, et, pour être tout à fait honnête, le regard du loup dérivait souvent vers son si court short. Mais rien ne remplaçait l'apaisement qu'il ressentait en le tenant dans ses bras, cette sensation de plénitude qu'il avait en sentant le souffle calme du félin contre lui...
C'est à cet instant qu'il entendit la porte de la salle de bain s'ouvrir, une raie de lumière éclairant fugitivement le hall avant de s'éteindre. Il entendit ces petits pas silencieux qu'il connaissait si bien et Emile apparut.
Il portait simplement une serviette blanche à la taille, sa queue s'agitant doucement. Il avait la fourrure plus sombre, légèrement mouillée. Lorsqu'il vit le loup, il eut un sourire, puis ses yeux se piquetèrent d'étoiles rousses quand il vit le feu.
- J'ai toujours aimé les feux... c'est agréable... la chaleur, la couleur... p-pardon, tu veux aller te doucher ? C'est important, de garder sa fourrure propre... pendant ce temps, je ferai à manger. Ça te va, une soupe aux légumes ?
- Emile, tout ce que tu feras à manger me plaira car tu es un gentil chaton.
Le chat s'approcha du loup et lui tapota la tête en souriant. Ce simple contact déclencha chez Kurt un ensemble de sentiments plaisants. Il aimait beaucoup se sentir touché par ce chat, sa manière à la fois douce et présente de le caresser...
L'autre enleva sa main en souriant toujours. Il émanait de lui une douce fragrance de cassis, très agréable de par sa façon de ne pas s'imposer.
- Tu es toujours aussi heureux quand je te caresse, toi. Je vais devoir te donner un linge si tu veux pouvoir sécher ta fourrure. Rentre dans la douche, le temps que j'en trouve un à ta taille... Le foehn est posé sur le rebord du lavabo.
- Ok, chaton. Bon, j'y vais alors. Sèche-toi bien, j'ai tout mon temps.
Sans attendre de réponse, il se leva et se rendit dans la salle de bain. Il alluma la lumière puis ferma la porte.
C'était une pièce sobre et assez grande. Les parois vitrées constellées de gouttes d'une douche à l'italienne faisait directement face à l'entrée. Les murs formés de grandes dalles gris sombre tranchaient avec le ton clair du carrelage au sol. Directement à droite il y avait une cuvette d'émail blanche accompagnée à sa droite d'une pharmacie au miroir encore en partie embué. Un tapis aux motifs colorés se trouvait au sol, très doux à ce que pouvait en juger Kurt malgré ses chaussettes. Il y avait une fenêtre dans la cabine de douche, mais la vitre était opaque, ne laissant passer que la lumière. Une délicate odeur de cassis régnait dans l'air humide, ce qui plaisait beaucoup au loup.
Il se déshabilla rapidement, pliant sommairement ses vêtements et les posant le couvercle de la cuvette. Il se regarda quelques instants dans le miroir. Merde. C'est vrai qu'il s'était amaigri. Et sa fourrure avait pris un gris terne à certains endroits... Il se rappelait de la façon dont il s'était haï, au début de sa vie de sans-abris. Cette misère... il se cachait beaucoup, évitant les gens. Heureusement que c'était au mois d'août qu'il s'était retrouvé là-dedans... le froid actuel avait été un des facteurs décisifs pour qu'il vienne demander de l'aide à son ami.
Il entra dans la cabine de douche en agitant la queue. C'était une sensation étrange de sentir une eau tiède s'insinuer entre ses coussinets. Il tenta de se rappeler sa dernière douche... à deux jours environs...
Alors qu'il s'apprêtait à ouvrir l'arrivée d'eau, il entendit la porte s'ouvrir. Emile, bien séché et portant son habit de nuit, entra. Il avait mis une de ses mains devant ses yeux et tendait un linge blanc vers l'emplacement supposé du loup.
- Tiens, ton linge. C'est le plus grand que j'ai, j'espère qu'il va suffire...
Il avait dit cela avec un ton tellement proche d'une excuse que le cœur de Kurt se serra. Il s'approcha de quelques pas, mais ne prit pas le linge, préférant attirer doucement le chat contre lui par le poignet. Ce dernier eut un petit gémissement de surprise mais se laissa faire. Il le serra ainsi pendant quelques instants avant de lever son museau de la main. Il soupira en constatant qu'il avait encore les yeux fermés.
- Emile, tu n'as pas à dire cela comme ça... je t'aime, et même si tu ne m'aimes pas en retour pour l'instant, chaque chose que tu fais est un cadeau pour moi. Alors, arrête d'agir comme si on était des inconnus. Tu sais comment je suis, je sais comment tu es. Je veux retrouver le chaton avec qui je pouvais parler de tout, de rien, pour qui une journée est parfaite s'il peut s'asseoir sur un banc dans un parc avec une tasse de thé pour regarder les gens vivres leur vie, celui que j'avais envie de protéger même si l'enfer se levait pour me l'arracher quand je le regardais dormir en serrant sa peluche. Alors, maintenant, tu n'as pas besoin de te cacher les yeux.
Emile ouvrit doucement ses yeux bleu océan. Immédiatement, le loup s'en voulu d'avoir pris un ton légèrement irrité au début ; il y avait une telle douceur dans le regard du chat que Kurt retrouva tout ce qu'il avait cherché, tout ce qu'il avait vécu avec Emile. Leur première rencontre dans les couloirs de l'école, la fois où il avait dit oui quand un Kurt gêné et rougissant lui avait demandé de sortir avec lui, leur premier baiser, dans l'intimité de leur dortoir d'étudiant, leur première fois si maladroite mais agréable, toute les fois où ils avaient passé du temps ensemble... Cette sensation fut confirmée par la voix du chat, qui avait l'évanescence de ces souvenirs, cette caresse éthérée si typique d'Emile.
- Kurty... je... je n'ignore pas tes sentiments, ils me sont importants... Je ressens bien quelque chose pour toi mais je ne sais pas si cela va au-delà de l'heur de te revoir, car c'est de cela qu'il s'agit, d'un présage. (Il libère son museau d'un petit mouvement de la tête et vient l'appuyer contre le torse du loup, se blottissant contre lui). Je vais sûrement radoter et t'ennuyer, mais je souhaite être clair, car je te sens troublé. J'ai passé tellement de temps seul... il y a eu ma dépression après notre rupture, où je maintenais la tête hors de l'eau uniquement grâce au travail, ensuite il y a eu Anthony et cette expérience vraiment... déplaisante. Mon travail me fait un peu de mal, mais je résiste. Tu sais comme je suis sensible, alors devoir trancher sur le bon droit ou non d'un père voulant donner son cœur à son fils, tu imagines bien que ça me chamboule. Et puis, il y a ton arrivée, qui m'a mis du baume au cœur... Honnêtement, sans réflexion aucune, dans l'instant, je dirais que je suis amoureux de toi, mais ce genre de question demande justement réflexion. J'espère ne pas trop te blesser avec cette attente, mais je souhaite vraiment te dire demain... Même si j'ai envie de pleurer en te voyant triste de cette situation, de ce mal que je te fais...
Il y eut un silence. Le loup serra légèrement plus son ami, voulant sentir sa chaleur, sa présence. Il avait une réponse claire, même si elle avait déjà été donnée plus tôt. Il ferma les yeux, voulant juste apprécier le moment présent.
- Tu peux me lâcher... ? Ce n'est pas que je serais contre rester comme ça toute la nuit, mais je dois nous faire à manger...
La voix du chat était toujours aussi douce, presque nostalgique. Venant le conforter dans cette idée, Kurt sentit qu'on lui caressait la truffe. Il ouvrit les yeux et vit le bout chocolat de la queue d'Emile, le tapotant de la même manière qu'il le faisait quand ils passaient du temps ensemble, avant.
- Je te lâche dans quelques instants. Juste le temps de te sentir près de moi, chaton... d'ailleurs, ça te gêne pas que je t'appelle chaton, chaton ?
Ok, là, il avait fait exprès de donner une répétition. Parce que s'il n'avait pas tenté de l'humour, il aurait embrassé cet adorable chat sans son consentement, donc violé. Ce qui serait un très mauvais départ... d'autant qu'il savait que, s'il n'était pas rancunier, il se souvenait des choses l'ayant un peu blessé. Et un viol, même s'il pouvait encore avoir des sentiments, ce n'était pas la meilleure façon de débuter une nouvelle relation ; ça lui ferait un choc, malgré qu'il soit en partie amoureux. Ça lui resterait sur le cœur, ça l'attristerait... non, non. Ne pas tirer sur la queue du dragon.
- Mmhh... non, ça ne me dérange pas du tout. J'aime quand tu m'appelles chaton car ça me montre que tu penses à moi, Kurty... mais justement, toi, ça ne te dérange pas que je t'appelle Kurty ? Enfin, je me vois mal t'appeler Kurt... vraiment... d'autant qu'elle est tout sauf courte, si tu me permets le jeu de mot....
Le loup eut un sourire en coin à la blague, d'autant que le félin rougissait. Honnêtement, c'était tout Emile ; faire une blague grivoise puis être gêné. Cela faisait chaud au cœur de voir que quelqu'un d'aussi gentil et mignon existait. Et qu'il était comme cela tout le temps.
- Non, ça ne me dérange absolument pas. Tu es mignon quand tu le dis, d'autant que tu es le seul à m'appeler comme cela et que cela te rend spécial dans mon cœu...
- Patapouf. Ce serait un surnom gé-nial, patapouf, non ? Mh... en fait non. Ce serait... Ho ! désolé, je t'ai interrompu, j'aurais dû faire attention...
Alors que, durant son monologue, il avait une main doucement repliée sous le menton, il avait rougit et levé un regard désolé vers le loup lorsqu'il avait remarqué qu'il soliloquait. Ce dernier lui ébouriffa le haut de la tête, juste entre les oreilles, en souriant.
- Non, tu as bien fait. J'allais partir dans des élucubrations sentimentales qui auraient été embarrassantes. Maintenant file faire un bon petit plat, ma fée du logis. D'autant que, si tu n'avais pas remarqué, je suis littéralement à poil et que tu n'es pas désagréable à regarder...
Aller, le meilleur moyen de lénifier un trouble reste de blaguer dessus. Emile s'écarta doucement, en prenant garde à tenir son regard haut, mais il avait un petit sourire malicieux qui semblait dire autre chose que de la gêne. Quelque chose qui allait de pair avec un léger rougissement adorable.
- Tu as raison, je vais nous faire à manger. Bon, bonne douche, mon loup.
Et le chat de sortir de sa manière si légère et éthérée en agitant doucement la queue.
Kurt resta un instant à regarder la porte fermée, déposa le linge sur le rebord du lavabo juste à côté du sèche-cheveux avant d'actionner l'arrivée d'eau. Il sentit l'eau chaude s'infiltrer dans sa fourrure avec une espèce de délectation. Pile la bonne température, comme si une certaine personne avait fait attention de régler le robinet.
Il ne resta pas longtemps sous la doucher, même si c'était appréciable. Il n'aimait pas perdre du temps, c'était viscéral. Le temps était tellement évanescent, on pouvait le donner, le perdre mais jamais le récupérer... En fait, la seule vraie peur de Kurt était bel et bien cet élément de la vie de tous les jours. Il avait un jour songé que le temps n'existait pas. Le passé ne peut plus être atteint que par les souvenirs, le présent est instantané et le futur n'est visible que par l'imagination. D'autant que l'instantanéité du présent était quelque chose de vraiment troublant. Il en avait vraiment... peur. Oui, c'était cela. Une vraie terreur de ne rien contrôler de cette chose qui est là sans qu'on puisse la toucher.
Il coupa l'eau. Sa fourrure lui collait bizarrement, lui donnant un air maladif et décharné. C'était immonde, il le savait. Le loup tendit son bras hors de la douche et attrapa le linge blanc pour le ramener à l'intérieur. D'un rapide mouvement de poignet, il le déplia et commença à se sécher. Des volutes de vapeurs s'élevaient vers le plafonnier en formant de délicates et volatiles arabesques plaisantes à l'œil. L'air en lui-même était chargé d'humidité et chaleureux, tout en restant léger et calme.
Une fois à peu près sec, le canidé sortit de la cabine accompagné par le son mou de sa fourrure trempée à chaque pas. Il se saisit du foehn et brancha la fiche dans la prise femelle située juste en-dessous de l'interrupteur.
Ce qui était pénible avec toute cette fourrure était de correctement se laver de de bien se sécher. D'abord le lavage, auquel le loup s'appliquait avec une minutie draconienne ; comme on le lui avait appris. Une bonne fourrure ne demandait certes pas tous les produits de soin dont on vantait les mérites dans les publicités, juste le temps de bien faire les choses.
Kurt se demanda où poser le linge pour le sécher, vu qu'il n'y avait pas de barre où le suspendre. Il faudra qu'il questionne à Emile, il ne voulait pas commettre un impair. Il alluma le sèche-cheveux, qui souffla bruyamment un air chaud. Il se sécha en prenant son temps pour sa queue et son dos, car sa fourrure avait la mauvaise habitude de retenir l'eau. Donc, s'il n'y prenait pas garde, le dos de ses habits et là où il s'asseyait pouvait finir trempé. Et c'était désagréable de sentir un tissu mouillé contre soi toute la journée.
Enfin, il était de nouveau à peu près sec. En tout cas, il était chaud. Il débrancha l'engin et enroula le câble avant de le reposer là où il l'avait trouvé. Il passa son linge trempe autour de ses hanches et sortit ainsi, entraînant dans son sillage un nuage de vapeur tourbillonnante.
Le loup s'avança dans le couloir d'un pas rapide tout en commençant à parler.
- Emile, où est-ce que je suis censé mettre mon linge, il n'y a pas de... ça va ?
Le chat, qui coupait des légumes sur une planche en bois, était en train de pleurer et de renifler. La lumière tamisée analogue à celle offerte par une bougie choyant de la lampe offrait à ses larmes un aspect de cristal aux reflets d'or, une vision de velours rare à sa fourrure. Il se tenait courbé sur cette planche, un couteau fin dans ses mains tout autant fines et délicates.
Lorsqu'il entendit la voix de Kurt, le félin releva ses oreilles et tourna vers son ami un regard bleu rougis et humide et renifla d'une façon telle qu'il inspirait pitié.
- Je coupe des oignons, et ce fichu oxyde propanethial me cause bien du tort.
Cette manière de parler était légèrement nasale mais c'était Emile tout craché, ce qui rassura de manière illogique Kurt. Prononcé le son « oua » au début d'oignon, cette douceur.
Il s'approcha et posa doucement une main sur son épaule.
- Dis-moi où poser ce linge, je m'habille et je t'aide. Ma mère m'a toujours dit de mettre de l'huile d'olive sur la lame avant de couper des « aulx chialeur », comme elle les appelle. Même si mon père les appelait simplement ails cèpe, comme il aimait bien traduire le latin. Enfin, je radote. Va te sécher les yeux à l'eau tiède, je sais que cet oxyde est soluble dans l'eau. Et tu es craquant, quand tu es comme ça, chaton.
- Ho, toi ! fit l'autre d'un ton mi-figue mi-raisin. Je pourrais me faire amputer que tu trouverais l'écoulement de mon sang mignon. Enfin... tu peux me donner ton linge, je vais le mettre dans le sèche-linge et... oh euh... je vais te laisser faire... mieux vaut que tu te changes...
- T'inquiète, chaton. Bon, maintenant, repose-toi.
Alors qu'il se dirigeait vers la chambre d'ami, Kurt se rendit compte que la pluie tombait dans un grondement sourd et profond contre le toit. Il remarqua les gouttes contre la vitre à leur éclat luisant à cause des lampadaires lointain, d'autant qu'il était entré dans la pièce sans allumer la lumière. Il sentait le parquet sous ses coussinets, froid et lisse, et sentait l'air contre ses poils. Il trouva rapidement dans son sac à dos, qui gisait lamentablement contre le fond de l'armoire, un boxer propre et l'enfila. Il farfouilla un peu plus longuement dans son sac à la recherche d'une tenue avant de se rappeler qu'il avait posé ses habits d'intérieurs sur son lit. Il les mit donc et revint vers le félin avec le linge dans la main.
- Tu sais, j'ai remarqué que je baguenaude beaucoup. Mon travail ne prend pas une grande place dans ma vie, car je travaille trop vite et bien. Je gère trois affaires « normales » par semaine, enfin, qui ne demande pas plus d'une journée de travail. Et c'est généralement médical, car c'est là qu'il y a le plus de décisions. Environ une fois par moi, on me donne un cas vraiment complexe. Et ça me dévore mentalement...
Kurt garda le silence pendant que son chaton parlait. Il le savait sensible et... est-ce que de gérer des cas d'éthique, donc souvent sombres, n'avaient pas un effet délétère sur lui ? Ils avaient eu une discussion du même genre. Emile était du genre à se noyer dans le travail, jusqu'à s'oublier. Chaque fois, le loup avait peur de ne plus revoir le chat souriant qu'il connaissait et qu'il aimait... et pendant tout ce temps où il avait été absent, combien de fois cet état malheureux avait-il frappé ce petit être innocent ?
- Tu veux bien aller t'asseoir sur ton canapé ? Je sais que tu es en plein préparatif pour faire le manger mais je sais que tu es sensible et que ça doit pas être facile. Je te connais, chaton.
Le maître de maison fit une moue perplexe. Sans attendre sa réponse, le loup retourna dans la chambre. Dans le couloir, il se rendit compte que la pluie tombait plus fort à cause du grondement sourd venant du toit. C'est avec ce bruit qu'il entra dans la chambre.
L'ambiance avait changé. La pièce était toujours la même mais quelque chose de plus profond que l'apparence s'était modifié. La lueur venant de la cuisine découpait un rectangle pâle sur le sol alors que la fenêtre s'était perlée de petites larmes dorées à cause de la lumière de lointains lampadaires. On devinait la forme grise des meubles, leurs charmes rustiques, mais cela semblait maintenant estompé, éteint. Une peur étrange frappa Kurt. Il y avait une telle différence entre la pièce où se trouvait le chat et celle-ci... Cela faisait environ une journée qu'il était là, il était entré dans la pièce dans la même condition nocturne mais tout semblait plus... sinistre, c'était le mot. Le chat dégageait un genre de chaleur, d'envie de vivre, une chose qui manquait à cette tristounette chambre. Kurt sentit sa fourrure légèrement s'hérisser devant la lourdeur de l'atmosphère. On aurait dit la chambre d'un auteur dément. Le loup s'attendait presque à voir une silhouette sortir de sous le lit.
Par un geste rapide et craintif, il se saisit de sa couverture grise et sortit de la pièce et refermant la porte derrière lui. Après quelques secondes sans bouger, il sourit à sa soudaine peur de la pièce. Ça ne lui ressemblait pas.
Lorsqu'il revint au salon, il constata agréablement qu'Emile l'avait écouté et s'était assis en face de la cheminée, dans laquelle le feu continuait de brûler.
- Que fais-tu avec ta couverture ? Je n'ai pas prévu d'aller dormir maintenant...
Le chat avait pris un air désolé à cette phrase, ce qui n'étonna pas l'autre. Il connaissait bien son ami pour savoir qu'il avait l'excuse facile. Aussi ne fit-il aucune remarque et se contenta de prendre place à côté du félin et de le plaquer délicatement contre le canapé. Il fut heureux de constater qu'il ne résista pas et de le voir sourire par ce geste. Ensuite, d'un geste leste de la main, il étendit la couverture sur eux deux, ramenant son ami contre lui alors qu'il se couchait sur le côté ouvert du canapé.
Une fois dans cette position, museaux à museaux, le loup posa sa main sur la joue du chat. Ce dernier ferma les yeux et sourit de manière adorable et appuya le bout de son museau contre celui de Kurt.
- Tu pensais à cela depuis combien de temps, sans mentir ? Toi, moi, dans un lit, tous proches ?
- Honnêtement, j'en ai rêvé pendant sept ans.
- Ho, Kurty, ce que tu peux être romantique parfois...
Et ils restèrent ainsi quelques minutes, le chat un sourire aux lèvres et le canidé tentant de maîtriser les battements de son cœur. Il sentait sa fourrure bouger à chaque expiration de son amoureux mais cela lui faisait du bien.
Il repensa à toutes ces nuits qu'ils avaient passées, un peu hors du temps, un peu dans une bulle. Son cœur se calma, la situation n'était pas inhabituelle, ils étaient restés ainsi tant de fois. Mais le fait de ne pas être un couple le bloquait un peu, car il aurait volontiers embrassé le chat et...
Il sentit un souffle chaud sur sa truffe et vit Emile y déposer un bisou. Ce doux contact n'était pas pour déplaire au loup et ce dernier se sentit rougir. Il serra un peu le chat contre lui, qui se laissa faire en ronronnant.
- Je te sentais pas bien. Et vue que j'en suis la cause, je te donne une consolation temporaire... en espérant pouvoir te le rendre demain.
- Tu n'as pas besoin de le faire, je n'aime pas quand tu te forces et que tu agis de manière impulsive.
- Dixit es celui qui m'a plaqué aux casiers en me demandant de sortir avec lui...
- Je te rappelle que tu m'as embrassé directement après avoir dit oui. Ta magie est inefficace contre moi, Emile le gris !
L'autre ne répondit pas, se contentant de se blottir contre son Kurty avec un sourire de satisfaction extrême. Et il resta ainsi en agitant un peu sa queue sous la couverture, caressant le dos de son loup.
Un petit bruit venant de derrière ce lieu de paix vint briser cette union chaleureuse. Deux brefs coups avec fond mouillée peinèrent à se faire entendre au-dessus du grondement de l'ondée. Le chat réagit aussitôt en se relevant un peu, introduisant par ce soulèvement un air plus frais sous entre lui et son ami.
- C'est Foxy ! J'ai totalement oublié qu'il devait passer !
Prestement, il se leva, faisant attention à ne pas appuyer sur le corps du loup, qui affichait à son tour un air perplexe. Les coussinets du félin touchèrent le sol dans un tapement ténu avant qu'il ne se dirigeât vers la cuisine. Kurt s'assit, regrettant avec un peu de honte que ça n'ait pas duré plus longtemps. Il regarda son hôte ouvrir un placard juste à côté du frigo révélant une machine à laver et un sèche-linge, les deux assez petits et modernes. Les fines mains du siamois ouvrirent l'appareil à sécher le linge et en sortirent un grand linge violet sombre avant de le refermer, lui et les placards.
Les petits coups reprirent, deux encore. Kurt tourna la tête mais ne discerna rien, les portes-fenêtres semblant de jais et un peu luisantes. Quelques secondes passèrent avant qu'Emile ne posât un bout du linge au sol en tenant l'autre dans ses mains avant d'ouvrir la porte.
Le bruit de pluie se fit plus clapotant, plus présent. Un air frais entra à l'intérieur, faisant frissonner le chat. D'abord, rien ne se passa. Puis un renard entra en trottinant et en tremblant un peu. Il avait la fourrure collée contre sa peau par l'eau et la queue tombante. Mais son regard était encore vif, tout comme ses gestes. Il avait le poil orange sombre avec quelques nuances noires lui donnant un air ténébreux, ce qui fit sourire le loup.
L'écrivain ferma la porte, coupant net une rafale de pluie et tendit maintint sa main droite, comme lors d'un top-là, au niveau du museau de l'animal. Ce dernier réagit en appuyant ses coussinets contre la paume d'un geste qui semblait routine. C'est alors que commença une cession de séchage en règle d'une main experte.
- C'est donc lui, ce Foxy ?
- Ho, oui, désolé, la plupart des gens trouvent cela troublant... Environ un mois après que j'ai emménagé, je l'avais trouvé blessé dans le jardin. Il avait été mordu à sa patte avant droite. Je l'ai soigné, il dormait au salon avec de l'eau et de la nourriture. Les premières nuits, il était craintif, mais la douleur le forçait à rester. Et faut dire que les baies du jardin sont plutôt bonnes, alors il est resté. Depuis, il vient tous les soirs demander à manger. Et quand il y a trop de neige ou qu'il roille comme pas permis, comme ce soir, il reste dormir. Ce qu'il va faire, donc.
Il enleva le linge pour laisser un renard sec mais ébouriffé s'avancer dans la pièce en agitant sa queue de droite à gauche.
- Tu as un faible pour les canidés, toi. Aurais-tu subi un traumatisme avec un chien dans ton enfance pour expliquer cet amour ?
- Non, mais quand j'étais au lycée, y avait un loup dans mon lit, alors ceci explique cela.
Kurt se sentit prêt à tuer pour le rire cristallin de son ami. Il lui arrivait même auparavant de simplement passer du temps avec lui juste pour l'entendre parler. Enfin, maintenant, il y avait de la concurrence pour les faveurs du chat dans la maison.
Cette scène avait un tel naturel ici... Un renard, Emile qui le séchait et Kurt en spectateur... c'était tellement logique dans l'illogique que c'était naturel.
L'arrivant s'approcha furtivement du canapé et sauta dessus. Il fixa longuement son homologue, qui put tout à loisir apprécier les jeux de lumière dans ce regard malin et ambré. Puis ce dernier se rappela de quelque chose. Il tendit ses mains en avant, assez lentement pour ne pas brusquer l'animal sauvage, et forma un cercle avec ses deux mains.
Après quelques instants d'incompréhension signifiés par une inclinaison de la tête, le renard glissa son long museau dans l'ouverture et sortit le bout de la langue de manière joueuse.
Gottcha Foxy, t'es tout à moi.
- Et voilà deux nouveaux copains ! fit le félin avec un sourire.
Ce dernier retourna à la cuisine et rangea le linge à sa place. Il se tourna ensuite vers les deux nouveaux amis, qui se jaugeaient, l'animal sur le ventre du plus grand, les yeux dans les yeux.
- Bon, on finit le manger, comme ça on pourra tranquillement profiter de se faire des câlins !
*
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