Partie 3
Le fond de l'air était frais mais agréable malgré que la journée soit bien avancée lorsque Kurt et Emile sortirent dans la rue. L'on oyait le léger friselis des feuilles soufflées par quelque sylphe malicieux en même temps que les pas des deux amis. Le macadam était semé de ces tâches sombres que l'on retrouve après une averse et des débris végétaux avaient adhéré au sol en formant une petite auréole sombre autours d'eux. Kurt portait les mêmes habits que la veille, comme s'il voulait se fondre avec la grisaille urbaine ; alors qu'Emile portait un manteau beige au revers de fourrure blanche, un pull gris, un jean gris clair et une paire de chaussures brunes à haut col.
La différence entre les deux se remarquait même dans leur manière de marcher : l'un, dans la continuité de se fondre dans le décor avait une démarche raide, presque mécanique, alors que l'autre flânait, observait, saluait les gens dans la rue, agitait sa longue queue pour désigner des choses ou simplement par habitude.
- Tu es sûr que tu ne te donnes pas un peu en spectacle ?
- Pas du tout ! rit l'autre. L'automne est une saison que je trouve si belle... On dirait que la nature se prépare à une fête. Même les mœurs changent : les gens sortent moins, il y a plus de place dans la rue...hey, mais n'est-ce pas la bonne dame Openeimer ?
Kurt, qui observait son ami parler avec intérêt, tourna la tête et vit une vieille renarde portant une robe ample et un tablier gris tenant un panier d'osier souple. Elle se retourna lorsqu'elle entendit son nom, assez lentement d'ailleurs. Entre deux, Emile s'était déjà approché, un sourire joyeux éclairant son visage.
- Votre jambe va mieux ? J'ai cru comprendre par madame Fletcher que vous aviez une bricole...
Il parlait bien de sa voix normale, douce, sans monter le ton, mais une personne ne le connaissant pas aurait dit qu'il avait ce ton pour ne pas brusquer la grand-mère.
- Ho, Emile... tu es toujours aussi prévenant. Cette Jessica vendrait père et mère pour avoir une rumeur croustillante ! Mais elle n'avait pas tort, j'avais bien eu un souci avec mes artères. Prends soin des tiennes tant que tu le peux, petit siamois.
A contrario de celle du chat, la voix de la vieille femme était rauque et lente. Elle semblait avoir du vécu, et un passé de cheminée d'usine.
- Mais qui est ce loup avec toi ? Mais c'est qu'il y a de la bonne bidoche en ville aujourd'hui, dis-moi ?
Kurt détourna un peu la tête, gêné de se voir complimenter de manière aussi directe. Mais le félin étouffa un rire malvenu en pleine rue.
- Mais non, mais non, Marie-Catherine ! Il n'est pas à vendre, c'est un ami de lycée qui est venu me rendre visite. Il travaille dans le domaine ô combien magique et occulte de la nanotechnologie. Enfin, comprenez qu'il est magicien.
- Emile, de deux chose l'une. Ou tu me tutoies ou je t'en fous une ! Je te le dis à chaque fois, ne crois pas que le petit Al me tient déjà. Et tu as des amis de ton âge ? Toi ? Déjà qu'on ne te voit rarement en ville et jamais avec des jeunes gens. Enfin, mieux vaut être seul que mal accompagné, fils. A ton âge, avec mes camarades de jeux, l'on allait souvent en forêt faire comme si l'on était déjà matrones. Maintenant, de jeunes damoiseaux emmènent leurs compagnes faciles dans les bois pour les lutiner !
- Personnellement j'y vais pour observer des animaux, voir la nature changer, puiser mon inspiration... d'ailleurs la Combe du Chien est particulièrement en beauté ces derniers temps ! Je vous conseille d'y aller, ça vaut le coup d'œil.
- Si j'en avais encore la force... Certes, mais toi, tu es si bon, tu te tiens éloigner de tous ces facéties lubriques ! Et si j'avais la force de voir la Combe, je l'utiliserais pour foutre de ces torgnoles magistrales, à toi comme à d'autres ! On se connaît depuis tant d'années, mon petiot. Bon, moi, je m'en vais me ranger, merci d'être venu me parler. Tu sais, c'est une bonne chose que ton ami soit là. Depuis que Gilbert est mort...
Elle posa une main sur l'épaule du jeune chat, le couvant d'un regard un peu larmoyant. Kurt eut de la peine pour cette dame, qui devait être bien esseulée. On eut presque dit qu'elle se retenait de pleurer, mais le léger tremblement de sa mâchoire ne trompait pas.
- Je vais t'apprendre une chose, bien que tu aies la tête bien remplie pour sortir tes poèmes de là, j'en serais pas capable, moi, personnellement. Quand on est seul trop longtemps, les mots, on finit par les oublier. Avant que tu ne viennes me dire bonjour à peine deux jours après avoir emménagé, je ne disais pas trois phrases de ma diablerie de journée. Sans toi, je serais sénile depuis longtemps ! garde tes mots tant que tu le peux.
Et la veille renarde de s'en aller, les dépassant d'un pas qui se voulait soutenu mais un peu boitillant. Elle fit un sourire amical au loup en passant à côté avant de disparaître à l'angle d'une ruelle, ne laissant entendre que ses petits pas. Le chat se tenait toujours un peu devant son ami, sa queue s'agitant un peu moins qu'avant. Il semblait pensif et appuyait sa main sur sa frêle épaule.
- Ça va ?
- Elle sent l'aspirine... je croyais que c'était moi mais quand elle a posé sa main sur mon épaule, j'ai senti clairement cette odeur... elle souffre... Je la plains, elle n'a plus personne. Il n'y a que moi qui vais la voir...
- Ça va aller, je vais venir avec toi, ça lui fera un peu de bonne compagnie. Je ne veux pas te voir dans cet état, surtout depuis le déjeuner. Viens, il faut te changer les idées.
Son ami releva la tête et le regarda d'une manière étrange, ses yeux hiver troublés, comme si redécouvrait sa présence. Il devait être bien perdu dans ses pensées, le pauvre. Mais il sourit et lorsqu'il parla, sa voix s'était égayée.
- Oui, bonne idée. Et je dois remplumer ce loup qui me sert d'ami ! Si tu veux continuer à t'exhiber devant moi torse nu dès le réveil, on ferait mieux de te rendre ton muscle passé !
- Alors on me mate ?
- Qui ça, moi ? pas du tout, ce sont juste mes yeux qui te fixaient, tu étais devant moi et torse nu après tout ! Enfin, allons à la boucherie de Mikael, il fait les meilleurs steaks de la région.
La devanture du commerce était agréable à voir. Un banc juste en dessous d'une vitrine présentant des produits propres et attrayants, deux grands vases emplis des branches de saules aux feuilles flamboyantes entouraient l'entrée artistiquement. L'intérieur n'était pas en reste, le blanc du carrelage au sol et le cassé des murs soutenant l'impression de couleur venant de tableaux montrant des scènes de chasse. Directement sur la droite, il y avait un étal abrité d'une vitrine sur lequel était posée la marchandise protéinée. En face, des étagères où s'empilaient des bocaux de champignons au vinaigre, de confitures, de biscuits, le tout certifiés maison, tout naturellement.
A l'entrée des deux compères, une clochette tintinnabula harmoniquement. Directement après, un cerf monté comme une armoire ouvrit la porte de l'arrière salle, d'où montaient des échos musicaux de jazz lounge. Il avait une cicatrice sous son œil droit aveugle courant jusqu'à la commissure de sa lèvre et l'autre œil vert pâle semblait détailler chaque partie des visiteurs. Le boucher avait cette mine fermée et neutre qui n'engageait pas à la conversation, et sa voix n'aidait pas.
- Que l'individu qui t'accompagne décline son identité, siamois.
- Allons, allons, Mikael. Tu vas lui faire peur. Il est avec moi.
- Je vois cela, je suis borgne mais pas aveugle. Canidé, je vous demande de décliner votre identité ou je vous traîne devant le caporal pour insubordination, à vous.
- K-Kurt Neuhart ; je suis ami avec Emile.
- Entre camarades, on va bien s'amuser, comme dirait feu mon Vather. J'ai servi durant la longue guerre pour protéger mon Allemagne natale. Enfin, je suppose que vous n'êtes pas là pour entendre un vétéran parler, camarades. Ce sera quoi ?
Emile paraissait tout à son aise, mais Kurt ne savait pas comment réagir. Alors il laissa à son hôte le soin de faire la causette.
- Quatre belles entrecôtes.
- C'est pas dans mes habitudes de saloper ce que mes clients vont mettre dans leur gamelle. Ni dans les tiennes de manger autant. Enfin, tes activités ne me concernent pas, siamois.
Le boucher saisit de ses mains gantées de plastique le morceau de viande et un long couteau sur son établi. Il posa la lame à quelques distances du bord et observe le chat.
- Moins, par tous les oiseaux ! Je vais m'étouffer !
- Allons, tu ne vas jamais gagner en force si tu manges si peu. Et le camarade qui t'accompagne doit bien avoir faim, il est maigre comme un clou.
- Allons, j'ai quand même six ans de muscu derrière moi. Dit Kurt
Le regard froid du cerf le convainquit qu'il avait dit une bêtise. D'un geste raide, il montra sa cicatrice à l'œil.
- Hué, 1972, mois d'août. Je rampais dans la boue, mes bois avaient été enlevés au début de cette guerre mais la blessure s'était rouverte. Je sentais cette matière visqueuse et froide s'insinuer dans ma fourrure. On me voyait comme faible car les cerfs, peuh, ce sont pas des prédateurs, ils savent pas se battre. Au bout de cette connerie, cette merde de dieu, une petite hutte. Deux soldats amerloques gisaient au sol, mort. Et un gosse, vraiment, je lui donnais pas plus de 9 ans, avec un flingue, un M16 standard à crosse blanche. Je crois bien qu'il l'avait peinte car ce n'est pas correct de peindre son arme. Il me remarque pas, il est occupé à détrousser un des gars. Sous cette boue, je sors de sa poche mon couteau de survie à la lame noire comme les chiottes de Satan en personne. Je sors de cette chierie tel un monstre et égorge le gosse avant qu'il n'ait pu saisir ce qu'il se passait. Mais j'avais merdé. Si ma lame avait tranché sa fourrure et sa pomme d'Adam, je n'avais pas correctement coupé l'artère. Il était tombé sur le côté et je le voyais se tenir pitoyablement la gorge où sang et boue se mêlait. On apprend à l'armée à diaboliser l'ennemi. Mais ce n'était qu'un gosse putain ! Il avait, alors que je contemplais l'horreur de ce que j'avais fait, son arme en main. Je me suis jeté sur lui et la lui ai arrachée. Je n'ose pas imaginer la vision qu'il a eu, moi couvert de bout me jetant sur lui après lui avoir ouvert la gorge et lui pauvre gosse apeuré et perclus d'une ignoble douleur. Mais il devait avoir aussi détroussé à l'un des soldats son couteau, car je senti une vague douleur au côté droit du visage et un liquide chaud couler. Alors j'abattis mon couteau dans son font jusqu'à la garde. Cela fit un ploc puis s'enfonça comme dans de la gélatine.
Les deux jeunes l'observèrent tout le long du récit. Pour une fois, Kurt est le plus touché. Il a forcé ce vétéran à se rappeler cela à cause de sa bêtise. Pourtant son ami parut écouter d'une oreille, comme s'il connaissait déjà cela. Le loup le connaissant, il savait que cela avait dû vraiment le choquer la première fois.
- Pas la peine de t'excuser, ça ne servira à rien, canidé. Je me fous de ce que tu penses de mon acte. J'ai encore en tête le bruit que cela a fait. Je ne sais pas même aujourd'hui de quelle race était le gosse. Il avait la fourrure gris poussière. Fin du récit. Camarade, tu n'y es pour rien, j'aurais quand même parlé de cela un jour ou l'autre. Enfin, bon appétit. Dix-huit dollars, siamois. Et désolé pour la causette, tu ne voulais sûrement pas entendre cela encore une fois.
Emile farfouilla un peu dans sa poche de manteau et sort un portefeuille beige. Il paya avec un billet de vingt, reprit sa monnaie et prit le sac que lui tendait le boucher. Mais Kurt ne bougea pas, il observait la cicatrice du vétéran. Une histoire se cachait derrière. Pas seulement une histoire, mais quelque chose de plus profond : les idées et sentiments qu'avait eu le soldat durant cette guerre...
- La lame. Gardez-la.
- Pardon, camarade ? Tu es bien le premier à me dire cela. Les autres ayant écouté mon histoire à me demander de garder cette arme. Mais je l'ai fait, ce couteau m'a sauvé la vie plusieurs fois...
- La n'est pas l'important. Ma famille n'était pas très religieuse, on avait gardé certaines traditions de nos racines, cette bonne vieille Forêt Noire. L'une d'elle dit qu'une arme ayant tué doit être gardé par le meurtrier en mémoire de la victime, sous peine qu'un malheur arrive. Par simple respect humain. Si l'on prend cela sous l'angle qu'un stylo est une arme et que j'ai licencié des gens avec avant de le jeter, il est logique que mon entreprise ait... ait eu quelques soucis sans importance.
- Siamois, par en éclaireur, je dois dire quelques mots à mon camarade.
L'ambiance était devenue d'un coup moins conviviale. Le loup se sentait comme accusé de quelque chose. Le félin parut surpris mais ne protesta pas. Il sourit à son ami avant de sortir en refermant derrière lui plutôt que de laisser le bras métallique faire. Kurt n'osa pas se retourner, il était comme sous l'emprise de ce regard borgne qui le détaillait encore plus attentivement. Mikael se saisit d'un couteau long et d'un fusil d'aiguisage puis entreprit d'aiguiser la lame.
- Camarade, je ne vais pas te faire la morale. Mais je vais t'avertir. Dans ma toute ma carrière, j'ai appris que seuls les avertissements comptent. Faire la morale à quelqu'un, non. Avertir puis punir. Je sais également grâce à la guerre reconnaître un menteur quand j'en vois un.
- Je ne sais pas de quoi vous parlez. Et je ne mentirais jamais intentionnellement à propos de quoi que ce soit !
- Je ne sais pas pourquoi tu hésites à dire quelque chose à Emile. Mais ce siamois est fragile. Il semble t'estimer, alors ne merde pas. Je ne dis pas que tu le fais dans un but machiavélique, mais il vaut mieux que tu sois honnête avec ceux qui t'aime, canidé. Maintenant va, et ne merde pas.
Il sait. Je ne sais pas comment, mais il sait. A croire qu'il y a une pancarte sur ma tête disant « menteur ». C'est vrai. Je ne suis qu'un menteur mais qui pense à l'honneur.
- Vous avez raison, je vais lui dire la vérité à propos de...
- Je ne veux rien savoir. Il t'attend. Mais si jamais faire mal à tes amis est ta conception de l'amitié... menaça le boucher en plantant son couteau sur son établi, tu vas devenir meilleur ami pour la vie, camarade.
Il mit fin à la discussion d'un signe de la main et Kurt sortit avec un empressement qu'il peina à dissimuler.
Dehors, l'air s'était un peu réchauffé, s'insinuant agréablement dans sa fourrure. Un mélange honteux et confus de sentiments lui nouait l'estomac. Certes, il avait menti à son ami par honneur, pour ne pas sembler faible devant lui mais... étais-ce vraiment si important ? Jamais le félin ne le moquerait. Mais il aurait pitié et ça, ça répugnait le jeune loup. En un sens, son naïf ex-compagnon aidait à chaque fois. Sa personnalité ne changeait pas et il le soutenait tout le temps. Il faisait rempart contre le doute... cela expliquait peut-être pourquoi ça avait merdé dès le début... S'ils étaient restés ensemble ça aurait peut-être tout changé.
Non. Ils s'étaient mis d'accord. Les deux avaient été tristes de se séparer (Plus jamais il ne voulait voir la mine brisée de son chaton. Jamais. Cela lui avait brisé le cœur). Les relations à distances ne finissaient jamais bien. Et Kurt allait être accaparé par son projet. Mais... ce qu'Emile avait subi était atroce. Si seulement son « ami » avait été là pour le protéger de ce Anthony... en le voyant comme ça, on n'arrivait pas à se figurer ces choses qu'il a été forcé de faire... merde, comment cela avait-il pu dégénérer dès qu'ils s'étaient perdus de vue ?
Le chat se tenait accroupi, les genoux pliés et la queue remuant doucement, tenant le sac blanc contenant la viande dans ses mains. Toute son attention était focalisée sur une feuille au sol. Il se trouvait sous un arbre, un platane d'après ce que le loup en savait. Il s'approcha, les mains dans les poches.
- Tu observes une feuille sur les dizaines ayant collé au béton.
- Regarde, elle est spéciale, celle-là.
Il indique de la tête la feuille. Effectivement, le débris végétal affichait un panel de couleur allant du vert en passant par toutes les nuances de jaunes avant de finir sur le rouge carmin, et le tout de gauche à droite. Elle était belle, il est vrai qu'elle attirait le regard de celui qui avait du temps à perdre à contempler la saison.
- Tu veux la prendre ? On pourrait la sécher et la conserver...
- Je n'aimerais pas prendre à des gens le plaisir de découvrir par hasard cette feuille et sa beauté réside un peu, quand on y pense, à son côté éphémère. Je sais que peu de gens penseront comme moi, que bien peu la verront, mais je n'ai pas envie d'arracher la satisfaction de se dire « Yes, j'ai vu un truc beau tout seul ».
- Emile, tu es vraiment trop gentil. Ça a l'air tellement simple dans ta tête...
- Désolé, mais je suis comme ça. dit le chat en se redressant en faisant une moue craquante se voulant boudeuse.
Kurt ne répondit pas mais songea à certaines choses. Des choses qui lui demanderaient du courage mais que méritaient son ami.
- On rentre ? Enfin, tu as peut-être quelque chose à acheter...
- Non. Je n'ai besoin de rien. Et je dois te nourrir quand même...
- C'est quoi cette fixette sur la nourriture ? Serais-tu devenu quelqu'un obsédé par le poids des autres, mon ami félin ?
- Mais... pas du tout ! Tu as vu comme je suis maigre quand même ?
Il rougit soudain et détourne les yeux.
- Je... je ne te demande pas de me mater non plus... juste, tu as vu, je suis une femmelette. D'ailleurs tu me critiquais amicalement là-dessus. Mais ça ne te déplaisait pas de caresser ma fourrure, hein ? Enfin, bref, rentrons manger !
Et le petit chat de partir d'un pas rapide, presque ne courant, pendant que son ami restait là. Ce dernier secoua la tête avec un sourire avant de rejoindre à bon pas le chat.
La rue qu'ils prirent pour rentrer n'était pas la même que celle de l'allée. Le visiteur soupçonna son ami de vouloir lui montrer l'avenue marchande. Elle était large, pavée de ces petites dalles rouge brique séparée par un mortier gris pâle comme l'on en voit dans les vieilles villes. Il y avait environ une dizaine de magasins vendant des produits de toute sorte, pour la plupart artisanaux. C'était comme faire un bon dans le passé : les enseignes étaient de bois peint maintenue à une barre en ferre. La ville elle-même avait cette ambiance typique des endroits oubliés du temps, cette douceur de vivre sourdait de partout.
Kurt eu vite fait de rejoindre Emile, ce dernier n'ayant jamais été bon en sport. Il pose sa main sur son épaule et lui chipe le sac.
- Mais je peux le porter ! Je ne suis pas une demoiselle en détresse, Kurty.
- Tu le seras toujours à mes yeux. Et tu sais qu'il ne sert à rien d'argumenter sur ce propos, mon petit chaton au pelage soyeux.
- Il est pas soyeux. Il est simplement doux. Si jamais tu vois de la soie chocolat, appelle-moi.
Le chat accepta la situation d'aide et il prit le bras de son ami, comme il y avait sept ans et qu'ils sortaient assez souvent. Cette manière de se tenir doucement à son bras était tout Emile, et le loup comprit que cela lui avait manqué. Sentir ce jeune homme qu'il avait tant aimé à nouveau, comme si rien n'était arrivé était... apaisant. C'était vraiment agréable.
Il y avait peu de gens dans la rue, il était vrai que le samedi, on restait chez soi. Le temps bas avait aussi sa part de responsabilité, cela dit. Une petite dizaine de personnes flânaient dans la rue, un peu plus si on comptait les habitués des bistrots. Les deux passèrent devant un pauvre croquenote habillé d'un costard qui tentait de tirer de pauvres notes de son accordéon. Le lézard musicien s'appliqua à offrir de son art médiocre aux passants et osa même un commentaire de sa voix râpeuse, causant quelques mauvaises notes par cet acte.
- Bien belle demoiselle, vous avez de la chance, une bien belle beauté féline.
Kurt eut un sourire mais son ami se figea. Il tourna la tête vers le musicien, qui craignait d'avoir dit quelque chose de mal, et dit de sa voix douce :
- Mais je suis un homme, monsieur...
Voyant le lézard soudain mal à l'aise, le chat sort une piécette de sa poche et la lui donne.
- Tenez. Je ne vous en veux pas, mais faites attention.
Emile entraîna son loup sans attendre de réponse par le bras dans le claquement de ses souliers contre les pavés. Après avoir tourné à l'angle d'une rue, il s'arrêta et se tourna museau à museau vers son ami, qui dut baisser la tête pour le regarder dans les yeux, le félin ne lui arrivant qu'à la poitrine.
- Est-ce que je ressemble à une fille ? En ville, je veux dire, dans la capitale, on ne me connaît pas du tout. Mon éditeur voulait mettre ma photo à la fin de mes livres avec ma biographie, mais j'ai refusé. Je vais t'en raconter une. Un jeune lapin, qui devait souvent me voir quand je prenais le train pour aller à l'hôpital où je travaillais à la base, est un jour venu en m'abordant en ces termes : b-bonjour mademoiselle... je ne vais pas vous le cacher mais... je vous vois souvent ici et... j'aimerais vous inviter boire un verre. Je m'en souviens nettement, il portait un T-shirt bordeaux avec un jean noir vraiment serré, j'ai même voulu lui demander s'il ne se faisait pas mal, avec une veste grise qui avait l'air douce, tu sais, le genre de cardigan en laine avec un extérieur tricoté et un intérieur de fourrure synthétique. J'ai d'abord été étonné, ensuite je lui ai dit que j'étais un garçon. Il a rougis, semblé troublé, vraiment, il était mal à l'aise. Je m'en suis voulu alors je l'ai invité à boire un café, par pure gentillesse. Il a accepté mais il était vraiment gêné. Il agitait sans cesse ses grandes oreilles. Alors je l'ai entraîné par le bras et on a fait connaissance. Je suis étonnement bon pour engager une conversation. Il m'a raconté qu'il me trouvait vraiment beau, que j'avais un côté assez féminin. J'avais bien compris, ne te méprends pas, mais je venais de sortir de cette relation toxique avec Anthony et j'avais publié mon second livre deux jours avant. Alors qu'on parlait, Melo, son petit nom, m'a demandé le mien. Je lui ai répondu par mon nom de famille en premier, tu me connais. Il a ouvert des yeux ronds comme des soucoupes ! Il a bafouillé et, vu que je suis tellement tactile, je lui ai pris les mains. Il a demandé un autographe, presque honteusement. Je lui ai fait puis, tu sens la suite, hein ?, lui ai fait un gros câlin avant de partir au travail. Je regrette qu'il ne m'ait pas demandé mon numéro avant que je dis être un mec. Il semblait sympa comme ami. Mais pas mon genre niveau vie amoureuse. Enfin, tout ce foin pour te demander si je suis efféminé.
Me voilà dans de beaux draps. Je ne sais pas ce qu'il souhaite entendre. Il devait se douter que j'allais dire quelque chose pour lui faire plaisir, alors il a sciemment rien dit. J'ai toujours trouvé qu'il avait un côté douillet, mignon. Quand on était ensemble, il était toujours doux et chaleureux. Mais de là à dire qu'il est efféminé... il l'est un peu, c'est ce qui fait un peu se charme... mais il n'est pas le cliché du gay non plus, moi non plus cela dit. En nous voyant ensemble il y a sept ans on aurait juste dit des amis.
- Nah, c'est plus profond que simplement te dire efféminé. Tu as un côté féminin, c'est indéniable. Mais encore que toutes les filles n'ont pas ce côté ou tous les garçons ne sont pas virils. Je trouve cela réducteur de dire qu'une personne a un côté qui doit forcément appartenir à un sexe. Tu es Emile, mon ami, rien d'autre. Tu es toi.
Le chat pencha la tête et mit sa main sous son menton. Il réfléchit dans cette position plusieurs secondes puis souris.
- Notre prof de philo aurait à redire sur ta manière de poser ta réflexion mais pas moi. Je suis d'accord avec toi, même si ça ne m'était jamais venu à l'esprit. Merci, je sais à quoi je vais occuper mon temps quand tu seras parti.
Mince. La fourrure de Kurt se dresse un peu sur sa queue. Il devait dire à Emile la vérité, sinon il ne le ferait jamais.
- Tu as est d'humeur bouffante, là. Tu as un truc à me dire, toi.
- T-tu te souviens de mon tic toi ?
- Bien sûr ! fit un chat outré. Je me souviens quand même des habitudes de mes amis, je suis pas autant ignoble ! Alors, dis-moi tout. J'aime pas les cachotteries !
- Je... je... j'ai un truc important à te dire... il y a peu je... Tu sais ce que c'est, les entreprises, tout ça... j'ai eu le temps de penser depuis et...
- Bon. Ne me dis pas maintenant. On rentre, on dîne et tu me racontes pendant que je fais mes mots-cachés, ok ?
Le loup passa sa main sur son museau. Il était chaud. Il savait que son ami lui avait ôté un poids des épaules. Comment lui dire qu'il avait menti ? Il ne l'avait jamais fait avant et... mais pourquoi l'avait-il fait ?! Il aurait pu tout aussi bien dire la vérité...
Il se laissa entraîner par le bras par son ami hors de la ruelle. Perdu dans ses pensées comme il l'était, il ne remarqua qu'à peine qu'il marchait.
*
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro