C8 - La résistance (2/3)
Idsou avançait vers une imposante tribune en bois, construite à l'intérieur de la salle de réception. Un silence lourd accompagnait son ami, que le claquement des bottes sur le dallage brisait, et un froid s'insinua dans les veines de Flore. Son cœur se serra quand les marches grincèrent, alors que le garçon les grimpait.
Puis il manqua un battement.
Xénon scrutait le Kaliornais au visage masqué.
Tel un rapace prêt à fondre, il se délectait de son prochain repas.
— Idsou, fuis ! hurla Flore, incapable d'envoyer une boule d'énergie sur l'ennemi.
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— Idsou, fuis ! répéta-t-elle en se redressant.
De nouveau, Flore ne parvint pas à créer une boule d'énergie. Elle transpirait, elle cherchait à activer sa perle de toutes ses forces, elle tentait d'anéantir Xénon d'un seul regard.
L'anéantir ?
Ses paupières clignèrent plusieurs fois : l'Astrydien avait disparu, ainsi que la tribune, le palais et Idsou. Une toile brune les remplaçait, des sphères d'éclairage diffusaient une lumière tamisée, un parfum floral embaumait l'espace que son brancard et plusieurs sièges occupaient.
Où suis-je ?
La question lui transperça le crâne et elle gémit. Lorsque Flore respira profondément, la douleur s'atténua un peu. Elle devrait éviter de trop réfléchir, mais cet endroit inconnu ne lui laissait pas le choix. Les dents serrées, elle analysa son environnement et les ondulations du toit lui apportèrent une première information.
Je suis dans une tente.
Le mobilier grossier, facile à déplacer, le confirmait. Flore se trouvait donc encore en forêt. Encore ? Cette interrogation raviva ses souvenirs : un Astrydien brandissait un pistolet contre elle et Idsou, dans la clairière des Imlayas, et des milliers d'aiguilles s'enfonçaient la seconde suivante sous son crâne. Elles l'emportaient dans l'Entre-Deux monde.
La souffrance envahit Flore, la résistance n'existait pas, son frère et ses amis avaient été vaincus, et les Astrydiens l'avaient capturée. Ces derniers n'oubliaient pas de bloquer ses pouvoirs avec un brouilleur.
Dans quoi t'ai-je emmené, Idsou, s'excusa-t-elle tristement.
Son cauchemar surgit dans sa tête. Exprimait-il la réalité, une prémonition ou simplement ses propres peurs ? Si les appareils astrydiens ne l'affectaient pas, le garçon demeurait un être de chair et de sang que l'ennemi pouvait exécuter. Ou torturer.
« Nos scientifiques se régaleront avec tes pouvoirs psychiques, leur imagination ne connaît pas de limites. »
Flore rejeta cette terrible idée, qui ne la sortirait pas de sa prison, ni lui permettrait de secourir Idsou... ni à récupérer son téléholo dalgarhien. Celui-ci n'était plus accroché à son poignet.
Avant que le découragement ne s'abatte sur ses épaules, elle se rejoignit l'ouverture de la tente et jeta un coup d'œil prudent à l'extérieur. La foudre la saisit. Des hommes et des femmes vaquaient à des tâches simples, comme entretenir un feu, cuisiner ou s'entraider. Les objets se déplaçaient dans les airs sans se gêner, les perles irisées sur les têtes se coloraient suivant le kiriah activé. Une scène normale de la vie, pourtant si différente à celle que Flore avait assisté avec tristesse dans la capitale. Les marchands de la guilde de la mode pliaient sous le poids des tissus à porter et des lourds étals à installer.
Doyen, vous vous êtes trompé.
La résistance existait.
Après six ans d'isolation mentale avec les siens, son attente se terminait, le vide se comblait. Des larmes roulèrent sur les joues de Flore.
— Moi qui espérais te voir sauter de joie pour nos retrouvailles, tu me déçois !
Les jambes flageolantes, elle se tourna vers la voix mutine et découvrit le Tourbillon, en tenue de combattante imlaya, les poings sur les hanches. À ses côtés, un initié à l'attitude réservée esquissait un sourire.
— Lin... lin... Yel... do.
Une boule douloureuse se coinçait dans sa gorge, elle ne parvenait ni à déglutir ni à parler. Ses deux amis non plus. De grands lacs dorés, où brillaient des milliers d'étoiles, mangeaient leur visage. Ils n'avaient pas tant vieilli, la guerre ne marquait pas trop leurs traits. Puis un large bracelet, composé de feuilles d'arbre émeraude, retint le regard de Flore. Un second ornait l'autre bras.
La joie et la stupéfaction libérèrent ses mots.
— Compagnons de vie ! Je m'en doutais. Félicitations. Et pour Kishor et Merioni ?
— Tu t'en étais rendu compte ? s'étonna Linlin.
— Donc la réponse est oui. Vous avez suivi mon conseil, continuer à vivre, à aimer.
Au moment où le couple acquiesçait, une nouvelle venue rejoignit Flore et les rayons d'un soleil, si longtemps meurtri, se déployèrent dans les moindres recoins de son corps. Ixli, dans sa longue robe indigo brodée des fleurs de llyriah en filigrane, la saluait d'une main sur le cœur. Elle imita sa tante et s'exprima en pensée :
— Je te retrouve saine et sauve !
— L'espoir que la princesse rebelle revienne ne nous a jamais quittés. Tu es devenue une légende, telle la reine Edjo, pour la résistance et les Auroréens.
Ixli tendait ses paumes vers le ciel, bras ouverts.
— Le Doyen... m'a nommée ainsi, balbutia Flore à voix haute, j'aurais aimé le rassurer sur votre existence.
— Nous aurions aimé les informer tous, intervint Linlin.
Mais la résistance se mettrait en danger. Flore le comprenait, même si le regard triste ou résigné des Auroréens défilait dans son esprit ; même si un pli amer tordait les lèvres de ses amis. Elle vacilla et serait tombée sans le soutien psychique de sa tante.
— Allons manger auprès du feu. L'attaque mentale des Astrydiens est très puissante, elle a consommé une importante part de ton énergie.
Flore suivit Ixli, en jetant des coups d'œil à Linlin et son compagnon ; elle craignait trop de vivre un rêve éveillé. Le Tourbillon qui l'imitait ramassa soudain une branche. Quand elle se frappa avec, son gémissement de douleur fit lever soupirer Yeldo.
— Vous ne rêvez pas.
— Toujours terre à terre, toi !
Elle pointait son bout de bois en direction de l'initié. Flore pouffa, tandis que sa tante toussotait. Les deux combattants retrouvèrent leur sérieux, et ils s'installèrent sur les rondins en cercle autour du foyer. Des Imlayas ou des kiriahnis les observaient depuis leur poste, la curiosité dépassant la réserve naturelle des Auroréens.
Pour eux, je suis une légende, se remémora Flore.
Elle n'estimait pas avoir mérité un tel statut et préférait qu'ils ne lui prêtent pas plus d'attention qu'à ses amis. Heureusement, l'arrivée du repas rompit son malaise. L'odeur de volailles grillées et de fruits confits lui amena l'eau à la bouche.
— Hum, cela a l'air délicieux, commenta Flore. Je n'ai pas eu l'occasion de manger des plats auroréens depuis... depuis une vingtaine de jours !
Avant qu'elle ne se repasse en mémoire sa quête sur Aurora, le Tourbillon lança une série de questions :
— Tu n'es pas venue seule, n'est-ce pas ? Où se cachent tes alliés ? Possèdent-ils la technologie qui nous débarrassera des Astrydiens ?
— Linlin, laisse d'abord Flore manger si tu veux qu'elle te réponde, déclara Lorina.
La gardienne de la tribu légendaire, qu'elle salua volontiers, s'assit au côté d'Ixli, pendant que la combattante s'excusait. Flore s'empara ensuite d'une galette salée et la dégusta avec délice. Des larmes lui piquaient les yeux. Des saveurs qu'elle croyait oubliées explosaient dans son palais. Elles lui apportaient les souvenirs pêle-mêles de sa jeunesse, de ses parents, de ses amis et de... son frère.
— Ixli, quand verrai-je Sojeyn ?
— Après la tienne cette nuit, il est parti secourir Idsou, qui erre dans la forêt. Les Astrydiens l'ont blessé avec une de leur électase empoisonnée.
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