— Sojeyn, lève-toi !

La voix tendue le réveilla d'un coup.

— Ta tante veut te parler au sujet du non-Auroréen. Tu dormais si profondément qu'elle m'a envoyé.

— Nous avons eu notre part de combats, hier, se justifia Sojeyn.

— Tu as eu, au point de te coucher tout habillé. Je n'aime pas...

— Inutile de revenir dessus, Ixli nous attend.

Sojeyn ne souhaitait pas se remémorer sa bataille avec Limoso, trop douloureuse à son esprit. Se concentrer sur des événements positifs, comme la mission actuelle, valait mieux. Il s'exprima d'une voix radoucie pour s'excuser de son attitude.

— Comment vont ma sœur et Linlin ?

— Notre sacrée Tourbillon répand à nouveau son caractère vif, et la guérisseuse a bon espoir que Flore ouvre les yeux avant midi.

Kishor avait compris son besoin et lui apportait ces nouvelles d'un ton chaleureux. Sojeyn se leva de son lit, qu'un panneau en bois séparait du reste de la tente, où deux sièges et une table accueillaient de potentiels visiteurs. Malgré l'aspect temporaire de la base, des Auroréens pourvoyaient à un minimum de confort. Ils avaient même ajouté des fleurs de la forêt.

Tu admireras la décoration une autre fois.

Dehors, les premières lueurs de l'aube déchiraient la nuit et une journée ensoleillée s'annonçait. Sojeyn s'en réjouit, elle faciliterait sa mission. Il entra d'un pas décidé dans la tente du Cercle. Six kiriahnis, un moniteur et Ixli entouraient la sphère aussi grande que son bras. Leurs traits attestaient de leur fatigue.

Par respect pour leur repos, Sojeyn ressortit avec Kishor et sa tante. Elle les informa :

— Nous avons retrouvé le non-Auroréen. Le contact demeure ténu, sa trace psychique aléatoire et... il s'est rapproché d'une zone sous contrôle des Astrydiens.

— Si les clones le capturent, Xénon le tortura et il pourrait trahir ses alliés ; parce que Flore et lui n'ont pas débarqué sur Aurora seuls, argua Kishor. Un vaisseau doit les attendre quelque part.

— Ils peuvent avoir voyagé sous de fausses identités à bord d'un navire, les Astrydiens commercent avec quelques planètes de la Confédération au noir.

Même si le raisonnement de son ami se tenait, Sojeyn préférait étudier toutes les options avec autant d'enjeux sous-entendus.

— Je n'ai pas osé te réveiller hier soir, mais nous avons trouvé une sorte de montre dans les affaires des clones. Ni son apparence ni le matériau ne ressemble aux produits astrydiens. Et pourquoi donc Flore porterait un tel instrument qui la trahirait si ce n'est pour contacter des alliés ?

— La situation de ma nièce s'éclairera à son réveil. Idsou, lui, doit être secouru au plus vite.

— Idsou ? répéta Sojeyn.

— J'ai pris le temps de regarder toute la scène avant le combat. Que comptes-tu faire ?

Bonne question, à laquelle il réfléchit avant de suggérer :

— Kishor et moi, accompagnés de plusieurs Imlayas pour notre sécurité, irons jusqu'à la limite de la zone où peut circuler la résistance sans danger. Ensuite, nous chercherons seuls le non... Idsou. Au moindre problème, je me téléporterai avec Kishor et lui.

— Risqué, mais jouable, approuva son ami.

Quant à sa tante, elle soupira :

— Il te faut utiliser ton kiriah de guérison dès que tu trouveras Idsou, sa vie erre entre l'Entre-Deux monde et le monde des Morts. Évite toutefois d'en abuser.

Sojeyn la rassura sur sa prudence, mais un coup d'œil appuyé lui montra qu'il ne la convainquait pas. Cependant, elle n'insista pas et retourna dans la tente.

Le soleil se levait à peine au-dessus de la canopée lorsqu'il s'enfonça avec Kishor et cinq Imlayas dans la forêt, à dos d'okyda, dissimulés par une cape. Akeno ne se joignait pas à eux. Les règles de la résistance l'exigeaient : plus une mission s'approchait d'une zone astrydienne ou devenait trop dangereuse, moins le groupe d'intervention devait inclure de personnes importantes.

Après un trajet de plusieurs heures sans encombre, Sojeyn ordonna à la troupe de s'installer dans une grotte, à une limite raisonnable des ennemis. Il poursuivit sa route avec Kishor, guidé par Merioni qui remplaçait sa tante à la tête du Cercle.

Le bruit d'un ruisseau au milieu du chant des oiseaux parvint à Sojeyn une demi-heure plus tard. Quand il l'atteignit, son soulagement fut double. Le non-Auroréen se trouvait bien à l'endroit prévu, et aucun brouilleur ne perturbait les pouvoirs psychiques.

En revanche, un autre danger régnait qu'il avait oublié : la pantigra avec laquelle le garçon s'était lié. Sa tête reposait sur le torse de celui-ci, les pointes sombres de son échine dressées, tandis que sa queue rubis battait l'air.

— Elle n'hésitera pas à nous tuer. Je l'assomme avec une boule d'énergie ? le questionna Kishor.

— J'aimerais l'éviter.

Sojeyn descendit de sa monture et s'avança lentement, jusqu'à ce que le félin retrousse les babines. Après s'être accroupi, il lui projeta une pensée réconfortante.

Tous les deux, nous voulons le sauver, laisse-moi l'approcher.

Sa perle qu'il avait activée luisait d'un orange lumineux. Des oiseaux chantèrent plus fort. Certains, pas plus grands que sa paume, se posèrent sur ses épaules et celles de Kishor. À son habitude, l'Imlaya restait debout, un pas en arrière, prêt à dégainer.

Dès que le halo de sa perle s'estompa, les petits visiteurs s'envolèrent. La pantigra avait observé la scène sans bouger un muscle. Elle se leva et grimpa dans un arbre à proximité.

— Je ne savais pas que tu commandais les animaux, s'étonna Kishor. Un pouvoir très rare.

— Je n'en suis pas capable, notre jeune ami y parvient bien mieux que moi. J'ai simplement tenté de montrer la confiance des oiseaux.

— Tu as réussi !

— Il semblerait. Néanmoins, si le garçon le lui ordonnait, elle nous attaquerait.

Sojeyn se positionna en trépied à côté du blessé et sa perle vira au vert foncé, couleur du kiriah de guérison.

La plaie à l'épaule était superficielle. Quant au poison, s'il avait progressé, une potion étrangère essayait de l'enrayer. L'ami de Flore avait dû se l'administrer d'une manière ou d'une autre, et l'efficacité du produit avait repoussé son départ vers le monde des Morts. Il faciliterait le travail de Sojeyn. Paupières closes, il soigna d'abord les cellules blessées, puis multiplia le remède et le fit circuler plus vite dans le sang.

Un contact mental de Kishor, aussi léger qu'une plume, l'interrompit ; il contenait une mise en garde.

Si je dépense trop d'énergie, mes forces ne suffiront pas à nous transporter tous les trois en cas d'agression.

Sojeyn persista encore quelques minutes avant de rouvrir les yeux.

— Le poison ne pourra plus le tuer. Pourtant, je n'arrive pas à l'éloigner du monde des Morts.

— Et si tu le ramenais à la base, un Cercle de guérisseurs y parviendrait ?

— Il ne survivra pas d'ici là ni à la téléportation.