C6 - Une errance mortifère (3/4)
Idsou souleva les paupières, puis les cligna plusieurs fois pour s'assurer qu'il ne rêvait pas : son regard accrochait le ciel où les premiers voiles d'une aurore s'invitaient dans le crépuscule. Aurait-il échappé à la mort ? Il bougea ses membres et les tâtonna avec précaution. Aucune douleur, aucune blessure. Pas d'erreur, la faucheuse n'avait pas coupé son fil de vie ! Et il reposait sur la plateforme.
Je ne suis pas tombé ? Comment...
Un miaulement interrompit sa réflexion. Tigri ! Idsou se tourna vers la pantigra, qui, couchée, l'observait avec inquiétude. Une vague de chaleur l'envahit, alors que l'explication jaillissait dans sa tête. Elle l'avait sauvé en se jetant sur lui.
Je bénis ton adresse et tes mouvements silencieux, ma belle !
Ses doigts glissèrent dans le poil soyeux du félin qui ronronna de plaisir. Il eut un effet bénéfique sur le cœur d'Idsou, tout comme les sons que captaient ses oreilles aux aguets. Des cris d'oiseaux appelaient au coucher, de légers craquements indiquaient le retour des animaux dans leurs terriers, les plantes relâchaient leurs effluves après une journée ensoleillée.
La forêt s'apprêtait pour la nuit et rien ne perturbait son rituel.
Tigri a éliminé le second Astrydien.
Soulagé, Idsou récupéra son électase, sa besace dans la grotte et s'injecta une nouvelle dose contre le poison. Que le remède fonctionne ou non, il préférait mettre toutes les chances de son côté. Puis il descendit les rochers d'un pas leste, Tigri sur ses talons. Des points brillants dans la petite clairière au pied de la pente le guidaient, et ses yeux finirent par distinguer de minuscules papillons, dont les ailes miroirs amplifiaient l'éclat de leurs corps.
Des lumyels !
Flore lui en avait parlé. Idsou s'avança au milieu d'eux et ils s'envolèrent pour se reposer plus loin. Certains n'hésitèrent pas à se percher sur le crâne de Tigri, qui s'allongea comme si elle désirait se fondre avec le sol. Les lumyels parsemèrent aussitôt sa belle robe noire.
La chaleur qu'elle dégage les attirerait ?
Idsou imita la pantigra. Lorsque ses visiteurs s'empressèrent de le recouvrir, un sourire lui étira les lèvres. Si Flore préférait danser, l'immobilité lui convenait mieux. Il s'amusait juste à bouger ses oreilles de temps à autre, ce qui déclenchait un vol au-dessus de ses cheveux.
La nature révélait sa beauté à qui savait la respecter.
Pourtant, il brisa lui-même cet instant d'harmonie, ou plutôt une toux. À la seconde, les lumyels s'agitèrent, et la troisième les chassa définitivement. Idsou grogna : son état se rappelait à lui avec ironie. Il avait échappé à la mort, mais celle-ci ne reculerait pas l'heure d'un autre rendez-vous. Elle l'emporterait dans les abysses de Kaliorn, s'il ne trouvait pas un point d'eau.
En urgence !
Idsou posa une paume sur le front de Tigri, son instinct la sauverait, quand le sien le lâcherait bientôt. Dès qu'il projeta l'image d'un ruisseau, la pantigra sauta sur ses pattes et s'enfonça dans la forêt sans hésiter. Il la suivit à pas mesurés, dans l'espoir de tenir jusqu'au petit matin.
Sauf si l'ennemi me barre encore la route.
Un frisson se propagea sur sa peau, et il jeta un coup d'œil par-dessus son épaule. Parmi les arbres, une ombre se moquait de son impuissance, se délectait à l'affoler, le poussait à commettre une faute. Son souffle s'accéléra et la transpiration couvrit son corps. En écho à son inquiétude, la pantigra grogna.
Si Tigri s'énervait trop, elle en oublierait son but. Leur but.
Ressaisis-toi, tu es seul ! s'ordonna-t-il.
Une pause, quelques mouvements pour délier ses muscles tendus, plusieurs images des plages kaliornaises sous le soleil ; et l'effet ne tarda pas. La queue rubis du félin arrêta de battre l'air, le calme revint.
Idsou reprit sa route derrière Tigri et ils progressèrent dans un silence bienvenu... que ses quintes de toux brisaient. Alors que l'une le pliait en deux, une voix de femme lui cria :
— Sauve-moi, Idsou ! Sauve-toi !
— Personne ne viendra à votre aide, ricana l'ombre de la forêt.
Eïreen ! Où est-elle ? Je t'interdis de poser tes sales pattes sur elle !
Il essuya la sueur sur son front, puis scruta la végétation à la recherche d'un indice, un infime signe qui le mènerait à la princesse.
— Sauve-moi, Idsou ! Sauve-toi !
Les appels désespérés d'Eïreen emplissaient tant l'espace sous son crâne qu'une douleur sourde le martelait sans relâche. Idsou devait agir, ne plus perdre de temps. Supprimer cette ombre qui les torturait.
— Sauve-moi, Idsou ! Sauve-toi !
Idsou extirpa une électase et attaqua un fourré, la rage décuplant ses forces. Les branches volèrent en tous sens. Ou les membres du tortionnaire ? Il ne savait plus, il s'en fichait. Seule comptait la vie de la princesse, alors que ses cris s'entremêlaient avec les rires lugubres de l'ombre. Il ignora les rugissements de Tigri et persista à se battre... jusqu'à ce qu'une masse le renverse au sol.
Le choc éteignit les voix dans sa tête, et il passa une main tremblante dans ses cheveux.
— Merci, ma belle. Tu m'as tiré de mes délires, la faute au poison astrydien.
Malheureusement, ils reviendraient et la pantigra ne parviendrait peut-être plus à le ramener dans la réalité. Si quelqu'un se trouvait à ses côtés, Idsou n'aurait qu'à s'accrocher ; mais il errait seul !
Son regard effleura son téléholo : appeler le vaisseau dalgharien s'avérerait-elle son unique solution ? Avait-il atteint cette dernière extrémité ? L'échec courbait ses épaules, et il s'adressa d'un ton lugubre à Tigri.
— Qu'en penses-tu ? Je les contacte ?
À peine les questions posées que ses sourcils se fronçaient. Il n'était qu'un triple idiot. La pantigra pouvait servir de canne à l'aveugle qu'il devenait peu à peu, puisque leur union avait fonctionné dans les rochers.
Idsou plongea son regard dans celui de l'animal, et resta ainsi jusqu'à se voir lui-même. Des pupilles de félin agrandies dans un visage pâle et en sueur lui arrachèrent une grimace.
Pas étonnant que Tigri s'inquiète à mon sujet !
Ce fut sa dernière pensée avant de suivre la pantigra. Son propre corps s'était transformé en pantin, tandis que « ses yeux » rasaient le sol. L'étrange sensation lui donnait la nausée, mais la liaison fonctionnait et son esprit se focalisait sur une chose.
L'eau.
« Son instinct » indiquait sa proximité et Tigri s'y dirigeait.
Toutefois, l'odeur soudaine d'un rongeur perturba sa quête et elle renifla la trace d'une proie potentielle avec un plaisir anticipé. Les craquements des os résonnèrent dans « la tête » d'Idsou, le goût du sang chaud coula dans « sa gorge » à s'en lécher les babines. L'envie de tuer pour se nourrir l'envahissait. Il se raccrocha aussitôt à son lien et imposa la soif au prédateur qui se détourna de son festin pour un besoin plus primaire.
Le reste du trajet fut parcouru sans encombre. Quand Tigri s'immobilisa à quelques pas d'un ruisseau, Idsou réintégra son corps avec douceur pour ne pas la blesser... et s'écroula au sol.
Son énergie l'abandonnait.
Il ne put que ramper vers sa planche de salut, dont le son cristallin le narguait. Il forçait ses muscles aussi lourds que du plomb, transpirait par tous les pores de sa peau et respirait la bouche ouverte. Ce mètre était devenu des kilomètres, mais Idsou refusait de capituler, encouragé par les grognements de Tigri. Un sourire à la pantigra, une pause pour ses bras tremblants. Et un nouveau glissement.
Lorsque ses mains touchèrent enfin l'eau, sa fraîcheur se propagea dans son corps et apaisa le feu qui le consumait. La lutte n'était pourtant pas terminée, il devait plonger dans ce bain salvateur.
— Courage, encore vingt centimètres !
Au même moment, l'ombre maléfique dans sa tête éclata de rire et l'emporta loin du ruisseau.
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