C6 - Une errance mortifère (1/4)
Idsou se félicitait pour sa prudence alors qu'il récupérait sa besace, calée au creux d'un tronc, quand une douleur dans l'épaule lui rappela sa situation précaire. Le chef des assaillants avait ordonné sa capture mort ou vif sans oublier de crier l'information sur les électases empoisonnées.
Il tente de me briser le moral.
Un rictus étira ses lèvres : avec son expérience de garde secret et de la forêt, une simple menace ne l'abattrait pas, même en terre étrangère. Idsou possédait un avantage sur ces ennemis, qui compensait un handicap : son incapacité à se déplacer de branche en branche avec sa blessure.
Tigri n'en devenait que plus précieuse.
La pantigra se faufilait parmi les fourrés les plus sombres et changeait souvent de trajet, s'arrêtant une seconde pour s'assurer qu'il la suivait. Idsou courait le bras gauche maintenu contre son torse, le visage crispé et en sueur. Chaque pas envoyait une décharge sourde dans son épaule jusqu'à sa main, chaque branche qui la frappait déclenchait un tsunami de souffrances.
Idsou se mordait l'intérieur des joues pour ne pas hurler. Il se concentrait sur sa fuite, n'entendait que son souffle saccadé et son cœur battre aussi vite que le félin. Des étoiles scintillaient devant ses yeux, et elles n'avaient rien à voir avec celles d'un ciel nocturne. Le soleil brillait au zénith.
Tigri atteignit une petite clairière, que fermait une pente rocheuse, pas trop difficile à escalader. En une dizaine de bonds, la pantigra devint une ombre parmi les autres, sans qu'elle perturbe les oiseaux qui survolaient leur domaine. Idsou les compara à des aigles avec leur bec recourbé, couleur rouge, et leurs ailes à bout orangé.
Ils ne resteront peut-être pas aussi silencieux lorsque je grimperai, et leurs cris alerteront les Astrydiens.
La solution résidait dans l'activation de son pouvoir d'invisibilité, mais elle lui coûterait en énergie. Pourtant, Idsou ne tergiversa pas. Tigri avait choisi la meilleure cachette : la roche ne conserverait aucune trace de son passage, au contraire de la forêt.
À condition de bander ma blessure.
Le dos contre la paroi, il farfouilla dans sa besace en aveugle. Ses yeux ne quittaient pas les arbres et ses oreilles analysaient tous les bruits : une feuille déplacée, un caillou qui crisse, les glatissements des oiseaux prédateurs. Même son nez lui servait. Sans rivaliser avec Tigri, Idsou parvenait à distinguer l'odeur de l'ennemi parmi celles des animaux ou des plantes, que lui apportait la brise.
Toutefois, se téléporter comme Flore l'aurait sacrément aidé.
Sauf qu'elle doit connaître le point d'arrivée !
Ses doigts attrapèrent enfin un pansement. Idsou le glissa sous sa tunique par le col et ses dents mordirent un bâton imaginaire quand le tissu s'arracha de la plaie. Surtout ne pas gémir ! L'emplâtre médical se colla en trois secondes, son film protecteur se détruisant avec la chaleur corporelle. Il absorberait le sang, activerait les cellules de ses muscles et de sa peau à se refermer. La taille de la blessure évitait une suture, mais les gestes brusques risqueraient d'annuler le soin.
Idsou espérait qu'il tienne au moins pour son ascension.
Lorsqu'Idsou déclencha son invisibilité, il lui sembla s'affranchir de l'apesanteur, la nature revêtir des nuances pourpre, couleur dominante de la canopée ; et son énergie s'enfuir.
C'est parti, s'encouragea-t-il.
Son parcours consista à sauter de rocher en rocher, avant que son équilibre précaire ne le fasse basculer dans le vide, ou marcher à l'à-pic sur des barres étroites, les bras à l'horizontale. Il lui fallut aussi attraper des racines d'arbre et se propulser. Ses pieds et son membre valide compensaient l'épaule abîmée. Quant à ses yeux, grâce aux gènes fouxians, ils anticipaient les meilleurs appuis.
Il redevint visible sur une petite plateforme, où l'attendait Tigri devant une grotte, une simple cavité de trois mètres sur trois, à l'humidité prégnante. Idsou s'écroula au sol couvert de mousse, comme si sa tension le lâchait d'un coup ; alors que le poison des Astrydiens en était la cause.
Un feu le consumait, et pourtant il mourait de froid.
Idsou extirpa un tube-seringue de sa besace contenant un sérum large spectre fabriqué sur Kaliorn. Les habitants en emportaient toujours sur eux quand ils voyageaient sur la planète aux mille îlots, parsemés d'autant de dangers.
Rien ne dit que le remède agira contre la technologie ennemie.
Idsou chassa cette idée négative, s'injecta l'antidote dans la cuisse, puis récupéra une portion de survie militaire fournie par les Dalghariens. La pâte dure sans goût le nourrissait et le désaltérait en même temps. La prochaine étape consisterait à trouver de l'eau, sinon la mort par asphyxie le cueillerait avant que le sérum ne le sauve ; tandis qu'il devrait éviter les Astrydiens. Beaucoup de paramètres rendaient son avenir plus qu'incertain, même s'il lui restait une porte de sortie. Le téléholo dalgharien.
À son activation, Kris et Brian le téléporteraient sur leur vaisseau...
Et trahirait leur présence, ou pire, leur position exacte.
Leur plan avec la résistance s'écroulerait, des milliers de victimes parsèmeraient Aurora, le chaos et la violence régneraient.
Idsou refusa d'engendrer un tel échec. Flore n'avait d'ailleurs pas déclenché la sienne lors de la bataille face aux Astrydiens ; à moins qu'elle n'y ait pas songé, en habituée des pouvoirs psychiques.
Peu importe, je l'utiliserais en dernière extrémité.
D'un geste sec, il tira sa manche par-dessus. Flore l'avait emmené sur sa planète parce qu'il savait se débrouiller seul. Idsou n'allait pas faillir à sa réputation ni à sa mission. Kaliorn s'était débarrassé des Fouxians avec l'aide de la Confédération, rendre la pareille à un autre monde lui semblait naturel, même si l'asservissement de son peuple avait eu lieu bien des siècles auparavant.
Je dois libérer Flore, et nous aviserons.
Après sa sieste, après son « bain », une chose à la fois et dans le bon ordre, s'il voulait avoir une chance de succès. Tigri le protégerait durant son sommeil.
Idsou projeta son esprit vers le sien, s'en extirpa la seconde suivante : il avait cru qu'il chutait, car la pantigra fixait la forêt en contrebas, et celle-ci apparaissait fuyante sur les bords de son champ de vision.
Je n'ai plus pratiqué cette symbiose depuis son enlèvement.
Lorsqu'une douleur broya son ventre, il la rejeta au plus profond de lui avant de se glisser dans la tête de Tigri. Son calme l'envahit, le silence agrémenté de cris d'oiseaux à la recherche de leur pitance le réconforta. L'ennemi ne les menaçait pas. Idsou ordonna au félin de continuer à monter la garde et se retira. Ses paupières se fermèrent aussitôt.
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