C3 - La clairière des Imlayas (1/4)
Flore étira chacun de ses membres courbaturés, puis son dos, avec un soupir de soulagement : elle n'avait plus chevauché durant dix jours, depuis des années. Sans compter le couchage sur le sol dur, malgré le tapis confortable qu'utilisaient les militaires dalghariens. Aussi, annonça-t-elle avec plaisir :
— Ce soir, nous dormirons à l'aise à Conimont, l'ultime point de vie de Monti.
— Un village ? s'enquit Idsou.
Il attachait les trois okydas à un arbre.
— Juste une habitation. Là où, Sojeyn et moi sommes séparés avant mon départ pour la clairière des Imlayas. Là où, mes parents et moi sommes réconciliés au sujet de ma vision.
Les derniers mots s'étaient éteints dans sa gorge. Le commentaire d'Idsou l'empêcha de plonger dans des souvenirs nostalgiques.
— Même si les hôtes ont été ramenés en ville, des brouilleurs contrôlent probablement le logement. Tu prends un risque.
— Je vérifierai. Dans ce cas-là, nous contournerons le lieu. J'aimerais m'y recueillir.
— Et te reposer dans un bon lit et un abri en dur, se moqua Idsou.
Flore s'empressa d'ôter selle et sacoches de sa monture, une activité qui lui permettait de cacher sa gêne. Comme lors de sa quête de la tribu légendaire, elle s'habituait mal aux bruits de la forêt surtout en pleine nuit : Idsou insistait pour dormir au milieu des arbres, très loin du chemin tracé vers Conimont.
Dès que Flore percevait un léger blocage de ses kiriahs, signe de brouilleurs et d'Astrydiens, ils s'enfonçaient encore plus dans les bois.
Idsou connaissait son fait, elle ne regrettait pas de lui avoir demandé de l'accompagner. Originaire de Kaliorn, surnommé la planète aux mille îlots, il trouvait l'eau d'instinct. Il pêchait le poisson et cueillait les baies, pendant qu'elle chassait les oiseaux à l'aide d'un arc, fabriqué par ses soins. Le feu n'était autorisé que dans les abris naturels, avec l'entrée masquée.
Notre voyage se passe au mieux. Excepté mes courbatures, je suis en bonne santé.
Un sourire amusé étira les lèvres de Flore. La tête penchée, Idsou scrutait une longue chaîne de clochettes irisées, grandes comme sa main, posée sur une branche à l'écorce brune dans un écrin de feuilles mauves. Il les effleura du bout du doigt, puis recula dans un sursaut : la plante s'était écartée sous la menace de l'intrus. Elle ne tarda pas à reprendre sa place, et le garçon afficha une moue avant de s'asseoir, dos contre un tronc. Tandis qu'il mangeait les restes des grillades de la veille au soir de bon appétit, Flore s'installa en face de lui.
Un chant cristallin, digne des meilleurs artistes auroréens, brisa le silence de leur « succulent » repas. Il provenait d'un oiseau de taille moyenne, haut sur pattes. Ses ailes topaze et jade, ouvertes en guise de salutation, ainsi que la huppe argentée sur sa tête, brillaient au soleil.
Un senossaig !
Le cœur de Flore manqua un battement, elle n'oublierait pas cet assassin fourbe sous son air majestueux.
L'oiseau avait déposé l'arme du crime sur un rocher : une baie rose bonbon. Le goût sucré et la texture fondante se rappelèrent sur sa langue aussitôt. Un frisson la parcourut. Idsou attrapa la friandise, la tourna dans ses doigts, la huma... et la mit dans sa bouche.
— Recrache, les baies sont mortelles ! s'écria-t-elle, horrifiée.
— Je ne l'ai pas avalé.
— Toi alors ! Je devrais t'étriper pour cette frayeur.
— Ne t'inquiète pas pour si peu, et laisse-moi observer sa tactique.
Le senossaig avait décollé et décrivait des cercles au-dessus d'eux, il désirait qu'on le suive. Idsou obéit et Flore se joignit à lui. Ils marchèrent plusieurs mètres jusqu'à un buisson au feuillage rouille sans épines, couvert de ces baies roses.
— Extraordinaire moyen de défense ! siffla Idsou.
— Comment as-tu compris ?
— Dans les mers de Kaliorn, il existe des poissons au comportement similaire. Sous un geste ou une apparence inoffensive, ils t'entraînent vers la mort. Comment agissent ces baies appétissantes ?
— Par le sommeil. Tu crois être de plus en plus fatigué, puis tu finis par t'endormir à tout jamais.
Idsou la fixait, les paupières mi-closes.
— C'est de cela que tu as failli mourir pendant ta quête de la tribu légendaire.
— Sojeyn m'a sauvée dans l'Entre-Deux monde, alors que je venais d'arriver chez les Imlayas avec Kishor.
— L'Entre-Deux monde ?
— Le lieu où vivent l'esprit des dormeurs et des personnes dans le coma. Les kiriahnis peuvent les visiter, les soigner.
Idsou se détourna avec une grimace, les Kaliornais rejetaient tout ce qui avait trait aux pouvoirs psychiques.
Pourtant, tu en possèdes et tu devras te former un jour ou l'autre.
Le chant du senossaig dans le ciel lui fit lever les yeux, il continuait ses cercles au-dessus d'eux.
— Il attend de nous voir manger son cadeau, commenta Idsou. Désolé de te décevoir, nous ne serons pas tes victimes.
Au même instant, une flèche transperça l'oiseau. Sa mélodie se termina avec un couac, il battit des ailes dans un dernier geste désespéré, puis chuta. Des branches craquèrent lorsque son corps traversa les arbres jusqu'au sol. Flore se dissimula derrière un tronc, tandis qu'Idsou grimpait sur un autre à l'aide des lianes gris-orange qui le ceinturaient.
Un Astrydien apparut, ramassa son butin et repartit. Quand Flore ne détecta pas de brouilleur, elle se réjouit : une occasion de l'interroger ne se refusait pas. Sa perle se colora en rouge et une boule d'énergie de la même couleur, au contour mouvant, se forma dans sa main. Assommer l'homme solitaire ne lui prit que quelques secondes, grâce à la téléportation.
Flore activa ensuite son kiriah de lecture forcée et fouilla parmi les souvenirs de son prisonnier, sans le ménager. Dès qu'elle se déconnecta, un gémissement de douleur lui échappa.
— Tu te sens bien ? lui demanda Idsou.
— L'emploi d'un pouvoir maudit provoque des maux de tête. Je me suis dépêchée, ils ne dureront pas. Partons !
— Sans l'éliminer ?
— Il n'a pas compris que je l'attaquais, déclara Flore d'un ton ferme.
Ils retournèrent à leur campement, où ils effacèrent leurs traces avant de grimper sur leurs okydas, le troisième tenu en longe. Après une heure de trot rapide, ils ralentirent l'allure et Flore dévoila les informations obtenues. Peu nombreuses. L'Astrydien était un espion, déguisé en marchand, qui prenait ses ordres uniquement du Chef Suprême, Xénon, ou de son second, Xian. Ils étaient plusieurs, envoyés dans tous les Doryaums, et leur mission consistait à vérifier l'obéissance des gouverneurs ou à enquêter sur les évènements anormaux. Ceci expliquait l'absence de brouilleurs pour ne pas être détecté.
— J'ai préféré le laisser en vie, sa disparition attirerait trop le regard de Xénon ou Xian.
— Une bonne décision. Avait-il des informations sur la résistance ?
— Pour les Astrydiens, elle n'existe pas. Des habitants se révoltent par-ci, par-là, vite remis dans le droit chemin. Néanmoins, Xénon vit comme s'il y en avait une : palais surveillé, brouilleurs sur toute la planète, patrouilles au sol et dans les airs. Obéissance et répression sont ses ordres, formula Flore, une boule douloureuse dans la gorge.
À peine entamait-elle sa lecture forcée, que des Auroréens punis, torturés, détruits sous le regard satisfait de l'ennemi l'avaient submergée. Ils n'avaient pourtant pas défié l'envahisseur, ils tentaient juste de secourir ou protéger les leurs. Sous le choc, Flore avait songé à tuer le prisonnier à petit feu, jusqu'à ce que le mot « résistance » s'affiche dans son esprit.
J'ai failli me comporter comme ces monstres !
— C'est signe qu'elle se cache bien, la rassurait Idsou.
Flore hocha la tête, gênée de ne pas partager les paroles du doyen de la guilde de la mode, mais son ami exigerait le retour immédiat au vaisseau spatial dalgharien.
Je l'informerai si aucun Imlaya nous récupère.
Cette solution la réconforta, et elle poursuivit leur route pleine d'espoir.
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