C28 - Célébration (1/3)
Un coup de poing à son adversaire couché au sol et le visage du clone tordu par la douleur valsa sur le côté. Nez cassé, lèvres éclatées, arcades sourcilières ensanglantées indifféraient Idsou. Il recommença et recommença. La rage le consumait, telle la lave d'un volcan en furie. Elle le poussait à tuer pour sauver sa vie, pour sauver...
Arrête, ne deviens pas comme eux !
Idsou se redressa à cet ordre et bondit pour se mettre en position accroupie, en position de défense. Puis son regard s'agrandit : il se trouvait sur un canapé, dans la véranda de son appartement. Aucun ennemi ne le menaçait. Le silence régnait, les rayons du soleil teintaient de rose les meubles en bois, une légère odeur fleurie flottait dans l'air. La sérénité des lieux calma son cœur. Il essuya la sueur sur son front avec un soupir de soulagement.
J'ai juste fait un cauchemar !
Ses oreilles frémirent : quelque chose pourtant clochait. Quoi ? La violence de la lutte n'était pas concernée. Idsou en avait subi de bien plus terribles qu'il revivait dans ses rêves. Or, celui-ci ne lui remémorait rien.
Il se rallongea et ferma les paupières. Le sommeil voulut l'emporter, mais il se concentra sur la scène de combat. Elle reprit consistance, telles les pièces d'un puzzle qui s'assemblaient sous son regard intrigué.
La salle de réception de l'ancien palais, des tables en U où festoyaient les gouverneurs astrydiens et Xénon, une arène. Deux hommes luttaient à mains nues sous les encouragements de l'ennemi : un Auroréen contre un clone, chacun vêtu d'un simple pagne. Ils se battaient dans un duel à mort pour la femme couchée sur le rebord. La mère de Daliohn. Son compagnon de vie essayait de la sauver.
Idsou « bloqua » Enorian avant qu'il se jette sur son adversaire. Son instinct lui soufflait que ce qui le perturbait se trouvait dans cette image. Il l'analysa sous toutes les coutures.
Plus élancé, moins grand, le reflet des cheveux plus mauve, le visage plus jeune.
Cet homme n'était pas celui qu'il avait vu dans la salle de torture. Non, il s'agissait de... Sojeyn !
La stupéfaction lui fit ouvrir les yeux. Aurait-il eu une vision ? Cette idée lui arracha une grimace : il ne possédait pas un tel don, au contraire de Flore. Sa défiance envers le prince d'Aurora expliquait son cauchemar.
Rendors-toi, se morigéna-t-il. Tu meurs de fatigue, et toutes tes forces ne seront pas de trop pour aider Flore et la résistance.
Alors qu'Idsou plongeait dans les limbes du sommeil, un détail affleura la surface de son esprit. Les pagnes. La tenue heurtait la pudeur des Auroréens et jamais il n'imaginerait de tels habits dans ses rêves. Partageait-il les images de Sojeyn, grâce à un pouvoir psychique inconnu ? Si ce point l'étonnait et ne lui plaisait guère, un autre l'énerva encore plus.
La bataille a déjà démarré ! Sans m'impliquer.
Il en était persuadé. Impossible de rejoindre l'ancien palais avec cette distance, soit une semaine de marche, et son corps réclamait son dû. Un peu trop à son goût. Les Auroréens l'avaient drogué ou avaient employé leurs fameux kiriahs pour le forcer à dormir.
Cette seconde certitude attisa sa colère. Flore allait passer un sale quart d'heure à leur prochaine rencontre, il la dégoûterait de lui jouer des tours. Brian ne l'empêcherait pas d'asséner ses quatre vérités à la princesse rebelle.
Puis Idsou songea à Sojeyn. Comment le futur souverain d'Aurora avait-il réussi à s'embarquer dans ce duel mortel ? Quelle tête brûlée ! Comment le sauver alors que lui-même était se trouvait à des kilomètres du drame ? Comment alerter quelqu'un quand il n'avait pas le pouvoir de télépathie ?
Le mot le fit se redresser. Il possédait ce don, ou plutôt son équivalent avec Tigri !
Si ta belle pantigra a rejoint le palais, comme tu le souhaitais !
Il en avait rêvé, car son plan consistait à se battre avec elle contre les Astrydiens. Mais avait-il réussi à lui transmettre sa demande ? Un grognement lui échappa : agir le servirait mieux que les questions sans réponses.
Idsou projeta son esprit vers Tigri, consumant ses dernières forces, et la poussa à protéger Sojeyn. L'animal lui obéirait-il ? Rien ne le garantissait, d'autant qu'il ne pouvait pas garder un contact prolongé avec lui.
Débrouillez-vous avec ma pantigra, prince Sojeyn !
Une sphère couleur bronze attira son attention : elle scintillait de plus en plus fort. Idsou ne se fourvoyait pas sur son état anormal. Alors qu'il tendait une main pour l'attraper, ses paupières se fermèrent et un voile noir emporta son esprit.
******
— Idsou, Idsou, réveille-toi !
Cet appel l'arracha à son doux rêve : une chevauchée avec un dauphin-ailé. Il riait sous l'eau, il riait dans le vent, libre de tous ses tourments. Sa main chercha ses électases, attachées à ses hanches. Absentes ! Alors qu'il maugréait, la voix de Flore lui lança :
— Toujours aussi sauvage ! Nous sommes dans ta suite au palais de la résistance. Au nouveau palais d'Aurora, je devrais dire.
Idsou tourna la tête. Son amie assise dans un fauteuil jouait avec la sphère couleur bronze, dont la lumière ne rayonnait plus. Son sang rugit dans ses veines.
— Comment as-tu osé m'écarter de la bataille ?
Son ton agressif n'entraîna aucune excuse. Flore planta son regard dans le sien, tandis que le reflet argenté de cheveux s'intensifiait.
— Tu tenais à peine debout quand tu as transmis tes informations...
— J'avais juste besoin de récupérer une nuit, coupa-t-il, mais vous m'avez bloqué avec cette sphère. Ne le nie pas. Je l'ai vue ! Tu as de la chance que je ne sois pas mort asphyxié.
Étrangement, l'envie de se baigner pour respirer ne le torturait pas. Il voulait uniquement rappeler le risque que son amie avait pris. En vain.
— Je ne le nierai pas, et je le referai volontiers ! riposta-t-elle. La sphère de sommeil ne bloque pas les besoins primaires du corps. Tu t'es effondré après la réunion, incapable de revenir jusque dans cette pièce. Sojeyn a été obligé de te porter.
— Si les chefs de la résistance avaient découvert mon malaise, ils auraient pu croire que les Astrydiens me manipulaient. Pas terrible pour la crédibilité de ton frère. Me toucher, à son grand dam, valait mieux !
— Il le fallait aussi parce que...
La phrase resta en suspens. Flore ferma la bouche et regarda la forêt par la fenêtre.
Parce que quoi ? Que me cache-t-elle ?
Avant qu'Idsou ne puisse s'en enquérir, son amie lui parla d'une voix radoucie.
— Ne nous disputons pas en un tel jour... Tu nous as aidés dans cette bataille. Indirectement. Tigri a sauvé Sojeyn de la mort, et je suis persuadée que c'est grâce à toi. Mon frère aussi. Pourquoi le rejettes-tu dans ce cas ? Il a prouvé sa valeur, prêt à sacrifier sa vie pour la famille de Daliohn, et s'est battu contre Xénon dans un duel loyal.
Cet aveu le désarçonna. Il lui remémorait les images de son cauchemar.
— Alors, je n'avais pas rêvé ! Je l'ai vu lutter contre un clone et j'ai demandé à Tigri de le protéger... mais je me suis endormi. Elle a agi d'elle-même, vous faites fausse route.
Une grimace lui répondit, puis Flore arqua un sourcil. Son amie attendait autre chose de lui, en rapport avec sa promesse envers son frère. Idsou hocha la tête plusieurs fois avant de soupirer.
— D'accord, je m'excuserai auprès de lui. Sojeyn s'est montré digne de son peuple... mais il a intérêt à perdre cette fâcheuse habitude de se sacrifier. Inacceptable pour...
Il avait grondé sur sa dernière phrase et s'en mordait les lèvres. Pourtant, Flore ne l'en blâma pas.
— Nous le lui avons tous répété. Sa tentative de sauver la famille de Daliohn s'est soldée par un échec qui aurait pu lui coûter la vie.
— Ils sont décédés ? Avez-vous d'autres victimes ?
— Daliohn a survécu, Linlin, Kishor et Merioni de justesse. Mais les Astrydiens ont tué Lorina, des Auroréens et des Dalghariens. Peu, mais c'est déjà trop. La cérémonie des morts s'est déroulée hier, nous avons préféré te l'épargner à ton réveil.
La profonde tristesse de Flore envahit Idsou. Il effleura la main de son amie qui ne la retira pas, et l'encouragea à se confier. Tandis qu'elle s'exécutait, il lui projetait une douce chaleur. L'étau sur son cœur se détacha peu à peu et la fin du récit se termina sur quelques secondes de silence, un dernier hommage aux victimes.
— Ton kiriah d'empathie est puissant, lui annonça ensuite Flore. Ixli approuve ta formation à l'uriah et j'espère que tu ne la refuseras pas.
— Tu devras adresser ta proposition à la princesse Eïreen, je ne te garantis rien. D'ailleurs, pourquoi ai-je vu le duel de Sojeyn avec ce clone ? Est-ce lié à un pouvoir quelconque ?
— Je... je ne sais pas. Si tu restes, tu pourras en discuter avec Ixli, lui rétorqua Flore en se levant. Ne tardons plus, je t'ai réveillé pour la célébration de notre victoire et nous devons nous habiller. Toi et moi.
Idsou se crispa : Flore éludait à nouveau sa question. Néanmoins, il ne désirait pas se heurter avec elle et ce partage d'images avait permis d'envoyer Tigri. Que la pantigra soit sous son contrôle ou non importait peu. Il rebondit donc sur le changement de sujet.
— Vous fêtez déjà la victoire ? Combien de jours ai-je dormi ?
— Tu as été mis en sommeil une semaine, et ce sera juste une simple célébration... la fête de la Moisson dans un mois marquera vraiment la fin de ces terribles années. Le temps presse, dépêchons-nous !
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro