C27 - Le pacte (3/3)
L'étonnement remplaça la méfiance dans les prunelles inquisitrices quand le jeune Astrydien les posa sur elle. Il la relâcha et s'assit. Mioca baissa la tête dans l'attente d'une sévère réprimande, consciente d'avoir violé les règles du non-toucher, sans le consentement du dormeur. Ce même geste avec Sojeyn pendant son sommeil, lors d'un pique-nique, lui avait valu le rejet du prince, ainsi que les reproches de Flore et Tojian.
— Qui es-tu ? s'enquit le jeune homme. Une noble d'après ta jolie robe brodée de l'emblème de Monti.
Sa voix chaleureuse la surprit. Non seulement il ne se fâchait pas contre elle, mais la complimentait. Elle releva le front, perplexe. Les étoiles moqueuses teintées d'une pointe de curiosité dans les iris ambre, cerclés de rouge, la rassurèrent définitivement.
— Je suis Mioca, la fille du doryaumi. Et toi ? Que viens-tu faire sur Aurora ?
Les paupières de l'inconnu se plissèrent, et elle se mordit la langue. Avait-elle posé une question de trop ? Mais le regard retrouva vite son éclat amusé.
— Je m'appelle Xiolo, fils originel du gouverneur de Monti. Mon travail consistera à analyser les minéraux pour trouver les meilleurs à exploiter.
— Son fils ? Je ne t'ai jamais croisé auparavant.
— Je suis arrivé hier en provenance de Tzunig, la planète des Astrydiens.
— Et tu visites déjà cette partie du parc ?
— Je me promenais au hasard, quand j'ai découvert un chemin entretenu qui disparaissait dans la forêt. Cet endroit me plaît et j'ai l'intention de m'y reposer souvent.
Il accompagna ses mots d'un geste du bras vers l'étang. Mioca redressa les épaules et clama :
— Tu as devant toi son architecte ! Beaucoup préfèrent l'admirer en été, alors qu'il resplendit en toute saison.
— J'en suis convaincu. Félicitations !
Ce second compliment émut Mioca et son assurance se renforça.
— Tu te balades les pieds nus ?
— Mes bottes sont sous le banc. J'aime ressentir la texture de la végétation quand je me promène. Tu n'as jamais testé ?
Mioca resta abasourdie. Une autre personne qui appréciait le toucher ? Bien entendu, elle avait déjà foulé son jardin sans chaussures. Néanmoins, elle ne désirait pas le mentionner à un inconnu. Qui sait ce qu'il rapporterait.
Face à son silence, Xiolo l'encouragea à essayer. Il s'était mépris sur son manque de réaction. Mioca délaça ses bottes et s'aventura dans le parterre d'herbe au bord du sentier avec délice. Puis Xiolo l'incita à fermer les yeux. Elle hésita, mais le bras offert vainquit sa résistance : ses balades solitaires ne lui permettaient pas de telles expériences sans risque d'un accident ou d'être découverte. Les paupières baissées, une main posée sur le coude du jeune homme, elle se laissa guider.
Mioca savoura la douceur du tapis herbeux frais, dont certains brins lui chatouillèrent la plante. Elle savoura les pétales de fleurs aussi soyeux qu'une caresse. Elle savoura les feuilles d'automne qui craquelaient sous ses pas.
— C'est étrange, chuchota-t-elle après plusieurs minutes. Des ondes remontent dans mon corps depuis mes pieds, comme si...
— Ton être tissait des fils de vie avec la nature, souffla Xiolo.
Elle opina et souleva les paupières. Le jeune Astrydien la scrutait, tandis que ses doigts tapotaient sa bouche.
— Dis-moi ce qui te tracasse, s'inquiéta Mioca, tant elle souhaitait établir une bonne relation avec lui.
— À peine débarqué, j'ai constaté que les Auroréens nous évitaient et rejetaient le toucher... sauf toi.
Son aveu lui amena un soupir de soulagement. En quelques mots, elle lui expliqua l'habitude de sa mère à la cajoler en cachette. L'attitude de Xiolo, qui avait cessé son geste et l'écoutait avec attention, l'aida à se confier.
— Mon père l'acceptait pendant mon enfance ; maintenant, il me l'interdit. Alors, je dissimule mes expériences.
Xiolo décrocha un bref sourire en coin : il avait réalisé ce qu'elle n'avait pas osé lui dire plus tôt. Le cœur de Mioca dansa tels les voiles flamboyants d'une aurore. Pour la première fois, quelqu'un la comprenait, quelqu'un partageait ses goûts. Sa joie l'emportait vers les cieux d'une... jusqu'à ce qu'une question incongrue du jeune Astrydien la ramène sur terre.
— Quel âge as-tu ?
— Seize ans depuis un mois. Nous l'avons célébré dans l'intimité à cause...
Elle se mordit les lèvres et se dandina.
— À cause de mon père, compléta Xiolo d'un ton neutre. L'année prochaine, je te promets de mieux le fêter.
La mâchoire de Mioca s'affaissa. Avait-elle bien entendu ? Le sourire chaleureux du jeune homme l'en convainquit.
— Avec un grand bal ? demanda-t-elle.
Xiolo éclata de rire à son attitude enfantine, qu'elle se reprocha.
— Je songeai plus à un anniversaire célébré juste entre nous deux, proposa-t-il. Sauf si tu as un ami en particulier.
Aussitôt, la silhouette du Sojeyn se forma dans l'esprit de Mioca. Puis la requête de l'uriahmi de Monti résonna dans sa tête au moment où elle ouvrait la bouche. Elle avait promis de ne pas dévoiler la présence du prince d'Aurora à quiconque.
— Je suis trop jeune pour avoir un compagnon de vie, se contenta-t-elle donc de répondre.
— À seize ans ? Quand vous mettez-vous en couple ?
— La déclaration peut se faire à partir de vingt-trois ans, le compagnonnage à vingt-quatre, après notre majorité. Une année plus tôt, avec accord royal chez les nobles.
Ou dès que le Lien se déclenche, ajouta-t-elle en pensée.
Une information qu'elle ne désirait pas partager afin de ne pas révéler son rêve avec Sojeyn.
— J'ai encore beaucoup à apprendre sur les coutumes de ta planète, murmura Xiolo.
— Je te les enseignerai !
— En échange, d'ici quelques années, à un de tes anniversaires, je te dévoilerai un nouvel art que pratique mon peuple. Très... particulier.
Si les mystérieuses paroles piquèrent la curiosité de Mioca, mais aussi son inquiétude, elle s'interdit d'interroger Xiolo.
Comporte-toi comme une jeune fille.
— J'espère que j'aimerais, commenta-t-elle, toutefois.
— Ne t'inquiète pas, l'expérience ressemble à ta promenade. Elle te plaira, j'en suis persuadé.
— J'ai adoré ce jeu de marcher à pieds nus, les yeux fermés.
— Très similaire... en plus intense, confia Xiolo d'une voix rauque, les paupières à moitié baissées. Je ne te dis pas à quel anniversaire, sinon ce ne serait plus une surprise ! D'ici là, nous expérimenterons d'autres aspects, qui nous aideront à nous jeter dans le grand bain.
Mioca le dévisagea. Ses mots la perdaient, elle échouait à déchiffrer leur signification. Xiolo dut le réaliser, car il poursuivit :
— Laissons cela. Je souhaite mieux connaître Aurora, acceptes-tu de me servir de guide ?
— Avec plaisir. D'ailleurs, si tu aimes les bains, ma planète est couverte de sources d'eau chaude naturelle. Tu auras l'embarras du choix.
Le jeune homme se pinça les lèvres pour s'empêcher de rire. Qu'avait-elle dit de si drôle ? Des cris rocailleux la détournèrent de ses interrogations. Vive comme l'éclair Nonia, son kiriako, grimpa le long de sa jambe. Dès qu'elle atteignit son épaule, elle enroula sa queue annelée autour de sa tresse et observa Xiolo avec curiosité. Celui-ci fixait l'animal, déstabilisé. Quand Mioca lui expliqua l'adoption, ainsi que ses relations psychiques avec Nonia, il gronda :
— Tu es en contact mental avec elle ?
Les yeux de l'Astrydien se rétrécirent à deux fentes menaçantes, prêtes à projeter des couteaux meurtriers. Elle recula sans parvenir à réprimer des tremblements, tandis que Nonia crachait sa peur.
— Elle n'obéit qu'à moi et je ne possède pas de kiriahs. Mon test a été négatif ! s'exclama Mioca d'une voix angoissée.
Xiolo cilla, puis les traits durs sur son visage se détendirent.
— Je ne voulais pas t'effrayer. Tu n'as rien à craindre, ta petite femelle ne représente aucun danger. Comme l'adoption est rare, je n'imagine pas une armée de kiriakos nous agresser.
— Tu... tu n'en parleras pas à ton père ?
— Non, rassure-toi. Ce sera notre premier secret.
Mioca regarda, intriguée, la paume ouverte qu'il lui tendait, avant de glisser la sienne dessus. Il la serra. Quand Xiolo lâcha sa main, elle regretta la brièveté du geste, dont la chaleur se déversait en elle en milliers de fleurs colorées.
Les Auroréens ont tort de rejeter le toucher !
Ses cheveux qui avaient viré au rose foncé intéressèrent le jeune homme. Sourcil arqué, il enroula une mèche échappée de sa tresse autour de son doigt.
— Cette couleur te va à ravir. Je pense que je prendrai plaisir à t'embarrasser.
— Oh, ce n'est pas gentil !
Les poings sur les hanches, Mioca s'apprêtait à le sermonner, mais l'éclat de rire de Xiolo arrêta son élan. Elle se joignit à lui. Lorsqu'il se tut, il jeta un coup d'œil à son poignet.
— Je dois repartir. Notre rencontre m'a enchanté.
— Moi aussi. Nous reverrons-nous bientôt ?
— Je te le promets, cela restera notre secret. Retrouvons-nous ici demain à la même heure. Je t'apporterai un objet de communication, identique à celui-là. C'est une « montre ».
Xiolo désignait le bracelet qu'il venait juste de regarder, avec un mot dans sa langue pour le qualifier. Un appareil astrydien ? Rien que pour elle ? Mioca maîtrisa sa joie enfantine et hocha la tête avec sérieux. Après une légère caresse sur sa joue, le jeune Astrydien la quitta, les bottes à la main. Il marchait sur le chemin du château en sifflotant.
Quand il eut disparu de son champ de vision, Mioca poursuivit sa promenade sous les derniers rayons du soleil. Songeuse. Elle ne regrettait pas sa décision de se lier avec Xiolo, il s'était montré plus attentionné qu'aucun Auroréen.
Père, vous vous trompez, les Astrydiens ne sont pas des monstres !
Elle en était convaincue et ne se gênerait pas pour côtoyer son nouvel ami. Un nom la traversa soudain. Sojeyn. Comment réagirait-il s'il l'apprenait ? Mioca haussa les épaules. Son futur compagnon de vie se cachait d'elle, ignorait sa souffrance, comme Yoron. Pourquoi devrait-elle s'inquiéter de son attitude ?
******
C'est ton choix de m'éviter, inutile de te pleurer plus longtemps. Je ne te trahirai pas, mais vivrai comme je le désire.
Mioca cilla pour revenir au présent. Xiolo avait tenu parole. Elle ne s'était plus jamais ennuyée et ils avaient eu de belles expériences ensemble. Celle de l'intimité l'avait comblée. Ses joues la brûlèrent.
— Aucun Auroréen ne t'apportera ce genre de plaisir, lui murmura le jeune homme.
Des étoiles pétillaient dans ses yeux, il retrouvait son aplomb. Et elle le retrouvait ! Le rythme cardiaque de Mioca entama un air joyeux. Pourquoi se refuserait-elle de merveilleux moments avec lui ?
Jusqu'à ce que je devienne la compagne de vie de Sojeyn, je ne vois pas le problème. En plus, il pourra m'être utile avec sa technologie.
— Tu as raison. Je te protégerai et t'aiderai à t'échapper quand tu le désireras ou quand ce sera nécessaire.
Xiolo l'attira contre lui et Mioca scella sa promesse d'un long baiser.
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