C23 - Dérapages (1/3)
Linlin ne parvenait pas à détacher les yeux de l'horrible spectacle. Au milieu des sofas aux couleurs vives, le corps d'une Auroréenne servait de rempart au frère du gouverneur, qui appuyait un large couteau contre sa gorge.
Un mélange de honte et de peur allumait les prunelles agrandies de la jeune femme en larmes : elle ne portait en tout et pour tout comme vêtement que ses longs cheveux, dont les reflets vert terne avaient foncé. S'ils dissimulaient la poitrine, la prisonnière devait couvrir son bas-ventre de ses mains que la lanière d'un fouet enroulé autour des bras gênait.
Des coups de cet instrument barbare marquaient la peau un peu partout. Des marques fraîches. Du sang coulait encore, il glissait le long d'anciennes croûtes qui le déviaient de son trajet.
Linlin serra la poignée de son électase à se faire mal. Elle rêvait de transpercer l'Astrydien, elle rêvait de lui donner autant de blessures que portaient les malheureuses, elle rêvait de le voir supplier qu'on l'épargne. Mais la générale Coffin avait exigé de le capturer vivant et sans coups. Elle avait aussi signalé aux hommes de leur troupe de sortir.
Il ne restait plus que deux Dalghariennes. Elles posaient des couvertures sur les trois autres Auroréennes, secouées de spasmes, agenouillées contre un mur, dissimulant leur semi-nudité derrière des coussins.
Un ordre craché par l'Astrydien ramena l'attention de Linlin sur lui.
— Un pas de plus et je la tue !
— Vous n'avez aucune chance de vous en sortir, rétorqua la générale avec son calme habituel.
— N'essaie pas de me tromper ! Si des hommes se laissent commander par toi, alors ils ne feront pas long feu. Les femmes sont juste bonnes à obéir. Mes gardes auront raison de vous dès leur retour des entrepôts.
— La résistance a provoqué l'incendie et les ont éliminés. Tous ! Vous êtes seul.
— Il reste Xénon et les Astrydiens avec lui. Je veux accéder à la salle de téléportation pour le rejoindre. Le Chef suprême vous vaincra dès que je l'aurai informé !
— La salle n'est plus praticable et le prince impérial d'Astrydie est lui aussi sous contrôle de la résistance. Rendez-vous.
Linlin réprima un mouvement de surprise : la générale ne pouvait pas savoir si c'était déjà le cas ou non.
Elle bluffe !
Avec succès. Le frère du gouverneur vacillait. Le doute brillait dans ses yeux jaunes cerclés de rouge. Hélas, il retrouva sa maîtrise après quelques secondes et resserra sa prise, arrachant un cri à sa victime. Un filet de sang apparut sur sa gorge.
— Dans ce cas, je me rendrai au spatioport, vos kiriahnis m'y téléporteront. L'otage m'accompagne.
— Comme vous voudrez. Donnez-lui au moins un habit décent.
— Certainement pas, sa pudeur bloquera sa volonté de fuir.
Alors que la générale s'écartait pour laisser le chemin libre vers le trou béant qui remplaçait la porte, une voix encore juvénile proclama avec force :
— Ce monstre n'ira nulle part !
Une jeune Auroréenne, au regard dur, pénétra dans la pièce.
Qui est-elle ?
La longue robe sans fioritures la classerait parmi les servantes, mais le port hautain contredisait l'image. Le frère du gouverneur lui apporta la réponse.
— Dame Lucidia, railla-t-il. Pourquoi ne m'avez-vous pas exprimé votre intérêt à mon égard plus tôt ? Je me serais fait une joie de vous combler.
La fille du doryaumi, comment a-t-elle réussi à traverser le barrage dans le couloir ?
Peut-être par téléportation, Linlin n'avait pas les moyens de vérifier. Ni le temps. Les malheureuses Auroréennes, serrées au pied du mur, avaient poussé des cris d'horreur. Lucidia, elle, demeurait imperturbable. Une moue déçue tordit les lèvres de l'Astrydien. Cependant, il enchaîna :
— Puisque vous tenez à moi, vous allez remplacer mon otage. Nous partirons ensemble vers Tzunig. Qui oserait risquer la vie d'une noble dans la résistance ?
— Je vous empêcherai de quitter Aurora !
— De nouveau, une femme qui s'imagine plus puissante qu'un homme, persifla l'Astrydien. Obéissez au lieu de vous vanter !
Quand Lucidia s'avança, Linlin s'intercala, mais la générale accrocha sa cape et secoua la tête.
— La prisonnière, mimèrent ses lèvres.
La malheureuse tremblait de tous ses membres et des larmes coulaient sur ses joues : le couteau de l'Astrydien n'avait pas abandonné son cou. Linlin soupira son impuissance, avant de reculer. Lucidia s'immobilisa à deux pas du frère du gouverneur qui affichait un rictus de plaisir. Sa longue chevelure se souleva soudain comme si un vent s'était engouffré dedans et le reflet incarnat se renforça.
Une lumière brûlait dans son corps, brûlait autour de son visage, brûlait l'air de la pièce.
D'un mouvement lent, elle tendit une main. Le couteau frissonna dans les doigts de l'Astrydien. Lucidia tentait de l'arracher, malgré le blocage du brouilleur, elle y jetait toute son énergie. Son adversaire aussi. Plus les traits de l'homme se défiguraient, plus les cheveux de la jeune fille s'animaient avec violence.
La lumière flamboyante s'intensifiait à en éblouir les spectateurs stupéfaits.
Linlin s'inquiéta. Avec le joug des Astrydiens, Lucidia n'avait pas été formée par les kiriahnis. Elle ne maîtrisait pas encore ses pouvoirs psychiques. Sa colère ne risquait-elle pas de la consumer ? Comment l'arrêter ? Comment la protéger ?
Je possède aucun kiriah, et la toucher serait dangereux.
Alors qu'elle cherchait une solution, celle-ci vint de la victime à qui personne ne prêtait plus attention, même l'Astrydien. Il avait écarté la lame de son cou. Elle mordit la main meurtrière de toutes ses forces.
Le frère du gouverneur poussa un cri, tandis que le couteau s'envolait dans la pièce et se fichait dans une paroi. Linlin baissa la tête de justesse, le sifflement n'était pas passé loin de son oreille droite. Sa respiration reprit son cours normal, elle l'avait bloquée sans s'en rendre compte. Elle se bloqua à nouveau.
Lucidia menaçait l'Astrydien avec une électase, la lumière crépitant autour de son corps.
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