Aurora ne s'en relèvera pas et nos amis subiraient des pertes.

Cette pensée lui en amena une autre, celle du jeune endormi à quelques mètres de la sienne. Malgré lui, il se téléporta auprès d'Idsou. Le garçon était allongé sur le ventre, le visage tourné vers la baie vitrée, les oreilles frémissantes. L'une d'elles pointait vers Sojeyn.

Même dans votre sommeil, vous demeurez sur le qui-vive ! La famille royale kaliornaise a beaucoup de chance de vous avoir.

Lien ou pas, Idsou l'intriguait. La fonction de garde du corps secret cachait autre chose. Une scène étrange dans ses propres appartements le convainquait définitivement. Par sécurité, la résistance avait installé des sphères qui donnaient l'alerte si une présence inconnue s'introduisait chez lui, comme celles utilisées dans la clairière des Imlayas. Le dispositif complétait le talent de Courm, le majordome, à localiser une personne dans le périmètre du palais. Et les caméras de surveillance que lui avait fournies Brian.

Lorsque le serviteur l'avait informé qu'Idsou s'était promené dans sa chambre durant sa mission à Monti, en plein jour, Sojeyn avait regardé l'enregistrement dalgharien. Le garçon allongé sur son lit, les bras croisés sous la nuque, contemplait le ciel à travers le toit transparent de la tour, en forme de dôme.

— Vous ne vous refusez rien, prince d'Aurora ! Reconnaître les étoiles doit être magnifique, je vous envierais... presque. Mais voyons le reste.

Idsou se leva, saisit l'électase posée à côté de lui et à pas furtifs se dirigea vers une porte entrouverte. Il descendit l'escalier qui conduisait à la salle de bains. À peine s'avançait-il à l'intérieur qu'une exclamation de stupeur franchit ses lèvres.

— Com... comment est-ce possible ?

Il fixait les poissons peints sur les murs. Le garçon rangea son arme, puis s'approcha de l'un d'eux. Sa main se tendit, hésitante, comme s'il craignait que le motif se faufile au milieu des rochers ou plantes aquatiques. Rien ne se passa, évidemment. Idsou s'enhardit et effleura l'un après l'autre un des habitants marins aux multiples formes et couleurs, en nommant certains.

Enfin, il revint au centre de la pièce et assena :

— Comment connaissez-vous l'aquarium du Capitole d'Ores ? Quel secret dissimulez-vous, prince d'Aurora ?

Sojeyn fronça les sourcils. Pour lui, ce lieu extraordinaire sortait tout droit de son imagination. Quand les artisans lui avaient demandé la décoration qu'il souhaitait, il avait décidé de remercier à sa manière la petite fille de ses rêves lors de sa dépression. Elle-même n'appartenait pas à ce décor. Il préférait la garder au fond de son cœur.

Que signifiaient les propos d'Idsou ?

Si secret, il y avait, Sojeyn ne le connaissait pas. Le garçon pourrait l'aider, mais il ne désirait pas dépendre de lui. D'ailleurs, un autre point le tracassait. En supposant que le Lien existe, pourquoi avec un jeune homme et non une femme ? La petite fille aquatique aux longs cheveux verts confortait sa préférence pour ces dernières.

Son esprit tourna et retourna en tous sens les interrogations, mais aucune nouvelle réponse ne surgit pour l'apaiser.

Un grattement, puis une sorte de miaulement le tirèrent soudain de ses réflexions. Tigri marchait en long et en large devant la baie vitrée. Dès que Sojeyn lui ouvrit, la pantigra s'installa contre les jambes d'Idsou et ses prunelles parme en amande le dévisagèrent.

Un joli tableau, songea-t-il. Le reverrais-je ?

La question lui rappela celle sur sa terrasse : que ferait-il si la bataille tournait mal ?

Nous devons gagner coûte que coûte... je ne m'épargnerai aucun danger.

Une profonde sérénité l'envahit jusqu'au plus profond de son être. La sérénité qu'apportait une décision face à un obstacle insurmontable, qui réclamait un sacrifice.

— Souhaite que le Lien n'existe pas, Idsou ! Malgré notre différend, je n'ai jamais désiré ta mort.

Au moment où Sojeyn se dématérialisa, la petite fille surgit dans son esprit.

La tristesse voilait son regard émeraude aux paillettes dorées.