Flore réapparut dans la suite allouée à Idsou, au premier étage du palais juste au-dessus des appartements de Sojeyn, qu'elle avait eu l'occasion de visiter à son arrivée. Le Kaliornais inspectait les pièces. Il ignora la chambre, et se dirigea vers la véranda, dans laquelle un canapé permettait de contempler les aurores, comme l'actuelle qui déployait des voiles orangé et violet.

Tu as sélectionné ton lit. Il convient parfaitement à ton caractère si sauvage.

— Avant de te tester, je te propose de te changer, intima Ixli.

— Les Dalghariens ont transféré toutes tes affaires du vaisseau spatial, éclaira Flore à la question muette dans le regard d'Idsou.

Quand le Kaliornais s'immobilisa sur le palier de la salle de bain, elle le rejoignit. Une baignoire ovale, couleur émeraude, trônait en plein milieu, deux fois plus vaste que la sienne ou celle de Brian.

— Sojeyn n'a pas oublié ton besoin de respirer sous l'eau.

Malheureusement, sa tentative de réconcilier les deux hommes échoua.

— Quelle attention touchante !

Tandis que Flore soupirait, Idsou s'enferma dans la pièce. Elle s'installa avec Ixli dans la véranda et lui raconta tout ce qu'elle savait sur le garçon afin de lui faciliter sa tâche.

Pas grand-chose, en fait.

Ixli ne renchérit pas sur ce point, ses sourcils froncés parlaient pour elle. Même si elle posa beaucoup de questions, leur échange se termina bien avant qu'Idsou les rejoigne. Sa tante s'adressa à lui avec un intérêt non dissimulé.

— En dehors des Imlayas, personne chez les Auroréens ne pourrait vivre comme toi dans la forêt.

— Les circonstances très particulières sur Kaliorn m'y ont amené. Mais, depuis que je sers la princesse Eïreen, je séjourne moins dehors, alors j'en profite sur Aurora. Ixli, vous allez connaître mon passé si j'ai bien compris. Certaines parties seront éprouvantes. Pouvez-vous m'assurer que vous le supporterez et que Flore n'y accédera pas ?

— Dans notre société où les pouvoirs psychiques sont autant développés, le respect de la vie privée et des pensées est encore plus crucial. C'est le troisième Principe des kiriahs. Tu n'as rien à craindre.

Ixli avait endossé son rôle d'uriahmi royale qui impressionnait toujours ses visiteurs. Le regard limpide dans un visage neutre d'une reine et le ton posé fonctionnèrent sur Idsou. Il s'installa confortablement dans un fauteuil. Flore atténua la lumière des sphères d'éclairage, et occulta les vitres. Les voiles de l'aurore ne devaient pas perturber le travail.

Quand sa tante et Idsou baissèrent leurs paupières, Flore retint son souffle avant de le relâcher : la perle d'Ixli avait revêtu une légère teinte brune. Si le garçon n'avait pas accepté d'ouvrir son esprit, la couleur aurait viré à un marron franc. La couleur de la lecture forcée. La couleur d'un kiriah interdit. Tous les deux en auraient souffert, ses expériences sur Dalghar le lui remémoraient comme s'ils s'étaient déroulés la veille.

Merci Idsou.

Mais elle l'avait remercié trop vite. Le corps de sa tante se raidissait, son souffle s'accélérait, et son ami s'agitait de plus en plus.

Flore hésita à interrompre le test, elle risquait de blesser l'un ou l'autre ou les deux. L'air se chargeait tant d'électricité que ses cheveux voletaient et crépitaient. Des éclairs marron foncé traversaient la perle d'Ixli. Violents, féroces. La fine paroi semblait prête à exploser à chaque assaut. Le visage crispé de l'uriahmi se couvrait de sueur. Idsou secouait la tête en tous sens, les oreilles déployées frémissantes, jusqu'à ce que ses gémissements se transforment en cris de protestation.

Ça suffit !

À peine Flore décidait-elle d'intervenir que l'étrange tempête s'envola, qu'un silence profond envahit la pièce. Puis Ixli et Idsou soulevèrent les paupières. Sa tante conservait des traits tendus, tandis que les yeux aux pupilles dilatées du Kaliornais la fixaient.

Telle une pantigra, prête à battre pour sa vie.

Néanmoins, le « félin » balbutia :

— Le... le test a échoué ?

— Il n'a même pas encore commencé ! Tes défenses mentales ou ta nature non auroréenne m'empêchent de t'atteindre.

Idsou dissimula ses oreilles et soupira :

— Votre échec réjouira le prince d'Aurora.

— Tu connais mal, mon neveu ! Bien des Auroréens ont sacrifié leur vie pour les plans du palais. Sojeyn souhaite les obtenir, pourtant, il a refusé les requêtes devant les décès successifs, et il n'a pas hésité à secourir ces malheureux en proie aux pires tourments.

La réprimande porta ses fruits, le garçon baissa la tête.

Petit frère, tu as choisi la meilleure personne pour dompter notre ami.

— Comment réussir ce test dans ce cas ? enchaîna celui-ci.

— Tu devras boire de la liqueur de llyriah. Elle diminuera tes résistances mentales, et Flore me monitora pour que je concentre toute mon énergie sur toi. Dans ce rôle, elle n'accédera pas à ton passé. Acceptes-tu ?

Sa tante avait téléporté la potion aux reflets émeraude comme les iris d'Idsou. Il s'allongea dans le sofa, après en avoir avalé quelques gouttes, qui le firent grimacer, et le test reprit.

Flore projeta son esprit vers Ixli : des ondes dorées parcouraient son corps, libres de toute contrainte. Elle renforça leur puissance avec la sienne et les minutes s'écoulèrent sans incident. Ixli parvenait enfin à accéder à la mémoire du garçon.

Et aucun piège astrydien ne se déclenchait.

Pourtant ce calme ne dura pas. Les flux d'énergie se brouillèrent d'un coup et un hurlement lui écorcha les tympans. Ixli s'était évanouie.

Flore lui transmit un peu de ses forces, sous le regard dépassé d'Idsou. Dès que sa tante reprit connaissance, elle téléporta une sphère de chaleur depuis sa chambre. Ixli la saisit à deux mains et la teinte orangée brilla dans la pénombre.

Criolato chaud et fougals se matérialisèrent ensuite sur la table basse, après la demande de Flore à Natti, la cuisinière. Chacun nourrit son estomac, si affamé que des gargouillis brisaient le silence.

Quand tout disparu des assiettes, Ixli annonça :

— Mon enfant, je comprends pourquoi tu gardes ton passé pour toi. Il est rare que je m'évanouisse, même si cela m'est arrivé avec l'attitude monstrueuse des Astrydiens envers les Auroréennes.

Quelle horreur as-tu vécue ?