Quand Sojeyn sortit de la source d'eau chaude dans le fond de son jardin, il s'immobilisa pour admirer le ciel. Des voiles orange, rouge et violet, striés de vert et d'or, s'animaient dans la pénombre du manteau crépusculaire.

Puis, les paupières mi-closes, il se concentra sur l'herbe en contact avec les plantes de ses pieds nus. Elle grandissait en lui, prenait possession de son corps, dans la recherche d'une harmonie entre la nature et son esprit.

Cette communion dura plusieurs minutes pendant laquelle des filaments dorés au plus profond de lui ondoyaient tel un champ de fleurs sous la brise. Même ses longs cheveux dénoués voletaient en rythme. Enfin, Sojeyn rouvrit les yeux et marcha en direction de ses appartements, guidé par les sphères d'éclairage qui lévitaient à une main du sol.

Un obstacle inattendu le força à s'arrêter quelques pas plus loin.

Le visage fermé, ses oreilles de félin dissimulées, Idsou pointait une de ses petites électases vers sa poitrine. Sous l'effet de la surprise, la perle de Sojeyn vira au blanc éclatant un bref instant.

Dans le salon, par-dessus l'image, le regard de Flore lui criait : « Vous avez le Lien ! ». Il ignora son message et se concentra sur son récit.

Comme s'il se trouvait en présence d'un visiteur ami, et non sous la menace d'une arme, Sojeyn engagea la conversation.

— Bonsoir Idsou. Je suis impressionné. Vous êtes parvenu à nous retrouver, malgré le champ d'invisibilité.

Un sourire sarcastique s'afficha sur le visage du Kaliornais, qui l'obligea à reculer vers un des divans. Il obtempéra à l'ordre muet. Sitôt que Sojeyn s'assit, la pointe de l'électase s'écarta, la tension dans le bras diminua.

— Espionner les Auroréens de votre base est un jeu d'enfant, ce qui m'a permis de déterminer ce lieu. Votre champ n'a eu aucun effet sur moi.

— Parce que je l'ai bien voulu, tout comme au camp. Néanmoins, la résistance a détecté votre passage.

La lame face à son torse eut un sursaut avant de se rapprocher. Aucun halo n'entourait l'arme, signe qu'Idsou ne désirait pas sa mort. Cependant, Sojeyn était convaincu que s'il attaquait le Kaliornais, celui-ci n'hésiterait pas à le blesser.

Ou pire.

Même s'il pouvait lui arracher son électase par la pensée, Idsou en possédait une seconde ou se rendrait invisible. Sojeyn préférait ne pas sous-estimer le Kaliornais ni verser de l'huile sur le feu.

— Balivernes, lui jeta le garçon. Si c'était le cas, vous auriez déployé vos hommes pour m'arrêter.

— Vous vous promenez à l'intérieur du domaine de la résistance depuis huit jours. J'espérais votre venue plus tôt... et sans me menacer.

Cette fois, Idsou ne contesta pas, mais conserva un visage méfiant. Sojeyn tenta d'amadouer l'animal aussi sauvage que Tigri.

— Flore m'a raconté votre périple sur Aurora. Grâce à vous et nos amis Dalghariens, nous avons découvert que les brouilleurs des Astrydiens ne vous affectaient pas. Seuls les pouvoirs psychiques des Auroréens sont bloqués.

— Vous m'en voyez désolé. Sincèrement. Aucune planète de la Confédération n'atteint le niveau technologique de votre ennemi, qui préfère se comporter en guerriers plutôt que de solliciter l'aide d'Aequalis pour résoudre leur avenir. D'autre part, le manque de moyens de défense et le pacifisme de votre peuple facilitent leur domination.

Sojeyn fronça les sourcils. Sur l'instant, il n'avait pas prêté attention aux propos du Kaliornais qui avait parfaitement résumé la situation. Sa manière de s'exprimer le perturbait : tel un membre du Conseil lors d'une séance. Qui était vraiment Idsou ? Un simple garde secret, un individu quelconque, au nom quelconque ?

Et si ce statut arrangeait le garçon pour cacher son identité ?

Hélas, il réfléchirait plus tard à ce mystère. Ses compagnons le fixaient avec perplexité : la scène avait disparu. Sojeyn réactiva le comurion.

— Jusqu'à ce jour, confirma son image. Maintenant, avec les troupes de Dalghar, nous pouvons envisager la libération et ne plus juste l'espérer ou la rêver.

Au lieu de poursuivre sur cette voie, Idsou persifla :

— Si vous n'êtes pas à armes égales avec les Astrydiens, comment avez-vous pu construire tout ce domaine à la barbe et au nez de l'ennemi ?

— Les Cercles, composés de kiriahnis, trouvent des pierres dans la haute montagne inhospitalière, les téléportent et montent les bâtiments, une fois que les artisans les ont sculptées. Quant à l'endroit, vous avez dû le constater, il s'agit d'une zone très dense de la forêt. Nous l'avons renforcée avec des buissons épais, en plus du champ de protection. La végétation atténue l'influence des brouilleurs. Mais, vous ne me croyez pas. Pourquoi Idsou ? Pourquoi vous méfiez-vous de moi ?

Idsou le scruta avant de répliquer d'une voix dure.

— Malgré votre position de faiblesse, vous parvenez à échapper aux Astrydiens depuis six longues années de domination. Vous pourriez tout autant être sous leur contrôle et trahir les vôtres au pire moment de la bataille.

La colère gronda en Sojeyn devant ce jugement injuste. Il se redressa pour protester, mais la pointe de l'électase le força à se rasseoir. Le garçon assena :

— Vous m'annoncez ne pas être mon ennemi. Pourtant à chacune de nos rencontres, vous avez alerté vos gardes ! Une attitude étrange pour quelqu'un qui soi-disant proclame la paix haut et fort !

— D'où vous vient cette... idée ?

— La perle de votre diadème. Elle devient blanche, brièvement. Oseriez-vous nier l'évidence ?