Tôt le matin, Flore profitait de ces instants de rare solitude dans les jardins du palais de Sojeyn. La fête sobre pour célébrer une importante victoire contre les Astrydiens gardait plus d'un résistant dans l'Entre-Deux monde. Chacun se reposait.

Une pause bien méritée.

Depuis les retrouvailles, leurs journées étaient si occupées qu'elle s'étonnait à l'arrivée des voiles dansants d'une aurore en soirée. Elle dormait ensuite comme une souche, un lit moelleux après le bivouac en forêt avec Idsou y contribuant.

L'image du Kaliornais se forma dans sa tête. Jamais, elle ne le remercierait assez. Sans lui, elle n'aurait pas revu son frère ni renoué avec la résistance, son intuition de lui demander de venir sur Aurora avait payé. Il éviterait bien des victimes dans le combat ultime contre Xénon.

Où te caches-tu, Idsou ?

Sur ordre de Sojeyn, les Imlayas continuaient à le chercher, sans succès. Le silence du garçon l'inquiétait, plus pour son isolement que pour sa survie. Si le Kaliornais refusait d'entrer en contact avec eux, il ne retrouverait pas le palais.

Pourquoi te comportes-tu ainsi ?

Kris et Brian aussi s'interrogeaient et demeuraient impuissants à l'éclairer.

Flore poussa un soupir : autant se préoccuper de la libération de la planète. Pendant l'absence de son frère, Akeno avait expliqué la situation d'Aurora, le contrôle par les Astrydiens, les poches de résistance dans chaque doryaum, avec leurs forces et leurs faiblesses.

Peu à peu, les Dalghariens avaient dressé une carte précise, grâce à l'intelligence artificielle du vaisseau. Sa projection en trois dimensions et la capacité de focaliser sur un point donné avaient époustouflé les doryaumis et les chefs de la résistance. La victoire de Sojeyn sur la mine de coltan avait servi de prétexte pour les inviter. S'ils avaient été stupéfaits de découvrir la présence d'alliés, aucun n'avait hésité à accorder sa confiance.

Sous l'étoile de l'espoir, ils avaient établi un plan d'attaque, que Sojeyn avait approuvé à son retour.

Un sourire étira les lèvres de Flore. Brian s'était révélé fin diplomate. Son expérience acquise lors de ses tribulations sur les différents mondes de la Confédération le gratifiait d'un atout indéniable. Malgré son caractère entier, il s'était montré d'une patience extraordinaire et avait encouragé chacun à participer, en soutien à Sojeyn. Leur entente la réjouissait.

Je n'avais pas réalisé, combien elle comptait pour moi.

Elle n'avait pas réalisé que

La nature accentuait son côté diablotin, comme aimait le qualifier Amélia. La femme de Kris, reine de Dalghar, lui avait expliqué la signification du mot.

Flore hésita. Devait-elle s'éclipser ? La réserve auroréenne lui dicta sa conduite. Alors qu'elle repartait, un bruissement dans la canopée environnante l'arrêta. Fébrile.

Idsou ?

Ses pensées qu'elle projeta rencontrèrent la barrière mentale du Kaliornais, qui s'éloignait déjà. Flore fut enchantée d'avoir sous-estimé le garçon, encore une fois. Et, si elle l'avait détecté c'est qu'il l'avait désiré. Un signal ? Son regard revint à Brian.

« À toi de prendre l'initiative, de le convaincre de tes sentiments si tu ne veux pas le perdre. », m'a-t-il conseillé à Conimont. C'est bien un signal.

Flore avait tant ressassé la conversation avec Idsou, que tenter sa chance lui apparaissait comme une évidence. Elle s'approcha de l'endormi sur la pointe des pieds. À chaque pas, sa bouche se desséchait, ses jambes tremblaient, son cœur s'accélérait un peu plus. La distance lui semblait s'allonger, et pourtant elle ne fut soudain plus qu'à une main. Il lui suffisait de la lever pour effleurer la tempe que parcourait une cicatrice.

Elle l'appelait à toucher Brian.

Paupières baissées, Flore se soumit. La douceur de la peau pénétra son corps, lui insufflant une hardiesse inconnue. Le bout de ses doigts glissa jusqu'à la bouche, dont elle éprouva le velours jusqu'à ce qu'elle saisisse la situation.

Par Kilyan, je me comporte comme Mioca avec Sojeyn, quand il dormait.

Elle se détacha, honteuse à en maudire Idsou et ses conseils. Quand Flore souleva ses paupières, elle espérait s'éclipser avant le réveil de Brian.

Trop tard.

Le prince la fixait d'un air narquois.

— Suis-je en train de rêver de mon ange bleu ? murmura-t-il.

Mon ange bleu ?

— Je me disais bien que je ne reconnaissais pas la grotte, la coupa-t-il.

La grotte ?

Celle de leur première rencontre sur Dalghar, quand elle l'avait sauvé d'une mort certaine dans la montagne. Brian délirait et s'était comporté comme Xénon qui avait tenté de l'agresser sur Aurora. Non ! Elle se trompait. Elle s'était trompée. Leur enquête sur l'assassinat des parents du prince lui avait dévoilé sa vraie personnalité.

— Pourquoi ? Pourquoi ce geste ? Sur Dalghar, tu t'es montrée si indifférente. Ton retour sur ta planète te rendrait-il plus accessible ?

Le ton railleur indiqua à Flore, combien Brian souffrait de son rejet après leur unique baiser. Que devait-elle répondre ? Elle ne souhaitait surtout pas détruire leur nouvelle entente.

Ô Kilyan, aide-moi !

Avec un Auroréen, le Lien arrangeait tout sans besoin de s'expliquer, mais Brian n'appartenait pas à son monde. Flore opta pour la vérité.

— Je... je ne savais pas comment... réagir. Je n'avais... jamais vécu cela auparavant. Le toucher n'est pas dans mes habitudes.

Brian sursauta avant de la fixer un long moment en silence.

— Je comprends mieux ta confusion entre moi et ce prince de pacotille.

Les mots avaient été soufflés, comme si le jeune homme parlait plus à lui-même. Puis il s'empara d'une mèche échappée de sa tresse et qui ondoyait sous la brise.

— Tes cheveux ont retrouvé leur éclat, vivre sur ta planète t'est nécessaire.

— Sa liberté m'importe plus ! Voyager dans la Confédération, et aider les civilisations à développer leurs pouvoirs psychiques sont mes souhaits.

— Un programme intéressant. Aurais-je ma place dans ce futur ? Est-ce que ton peuple m'acceptera ?

Flore se mordit les lèvres à la supplique de Brian, ne voulant pas l'offenser par un rire inopportun. Néanmoins, elle le taquina d'un ton faussement hautain :

— Si tu t'engages à me saluer matin, midi et soir, à t'occuper de moi à chaque instant ; alors, je considérerai ta requête !

Un éclair traversa les yeux du jeune homme, qui riposta :

— Te dorloter suivant ton rang, telle est mon désir. Je ne rejetterais surtout pas des devoirs aussi... intéressants.

Une alarme sonna dans l'esprit de Flore. Brian jouait sur les mots, d'après les codes de Dalghar, qu'elle n'avait pas expérimentés dans le domaine amoureux. N'ayant pas l'intention de se transformer en victime, elle orienta la conversation sur un autre sujet.

— Tous les Auroréens t'accepteront, comme Sojeyn et les chefs de la résistance.

Brian afficha un bref sourire en coin. Sa dérobade ne le dupait pas, mais il se plia à son désir.

— Ton frère me plaît. Il deviendra un roi sage et apportera de bons changements à Aurora après la guerre.

— S'il ne meurt pas avec celle-ci. Cet idiot est prêt à se rendre lui-même le palais pour nous transmettre les plans !

— Ils nous aideraient à vaincre les Astrydiens. Néanmoins, je ne laisserai pas Sojeyn se sacrifier, ni Kris.

— Lui aussi ne doit prendre aucun risque, il l'a promis à Amélia et Dalghar.

Quand Brian éclata de rire, la tête penchée en arrière, Flore plissa le front. Qu'avait-elle dit de drôle ?

— On croirait entendre la générale !

L'image de la petite femme à la peau noire et aux cheveux de paille surgit dans l'esprit de Flore, qui pointa un index accusateur.

— Elle fait un excellent travail. La comparaison me convient très bien.

— Pas à moi. Même si je ne nie pas son efficacité, personne ne remplacera mon ange bleu !

Sa voix était devenue plus rauque sur les derniers mots et le feu brûla dans ses belles prunelles sombres. Comme attirés par ces flammes, des lumyels s'envolèrent dans le ventre de Flore et la rapprochèrent de Brian.

Lorsque leurs lèvres se touchèrent, le soleil du jeune homme s'écoula en elle et une nouvelle énergie s'éveilla au plus profond de son être. Une nouvelle énergie qui lança son cœur dans un galop effréné, qui lui apporta une hardiesse inconnue. Elle s'abandonna avec plaisir à ce jeu fougueux dans lequel Brian les entraînait.

À regret, leurs bouches se détachèrent, mais leurs corps demeurèrent enlacés. Les paupières closes, Flore ne ressentait aucune gêne. La magie du Lien. Ses parents l'avaient prévenue et prédit un avenir différent à Conimont, mais elle avait refusé de les croire, obnubilée par son devoir.

Ils avaient raison, petit frère.

— À quoi penses-tu ? murmura Brian dans sa tête.

— À Sojeyn. J'espère qu'il accep... vivra une relation comme la nôtre.

— Sois patiente, il m'a fallu quatre ans pour le comprendre. Tu es mon plus grand challenge, et j'adore les défis.

Toi aussi, tu es un mystère pour moi.

Flore partageait néanmoins son opinion et découvrir leurs différences de culture ne l'effrayait pas. Ses années sur Dalghar faciliteraient leur entente. Étrange conclusion à cet exil qu'elle avait tant rêvé de fuir.

Sa perle se teinta en corail, quand elle l'activa, sous le regard interrogateur du prince, et deux fleurs blanches aux multiples pétales dentelés apparurent dans sa main. Leurs filaments qui prolongeaient le pourtour voletaient dans la brise et une fragrance délicate embaumait l'air.

— Je t'offre les erosiums, les fleurs de la déclaration, et te demande de devenir mon compagnon de vie.

Brian cligna plusieurs fois des paupières, bouche bée, puis s'empara du cadeau.

— J'accepte avec joie.

Un tendre baiser, et ils rejoignirent le pavillon du prince.