C14 - Catastrophe naturelle (2/3)
Enorian ne résista plus à la force qui le dévastait et se rua vers cet assassin sans pitié. L'Astrydien, au visage stupéfait, recula instinctivement. Ses pas maladroits heurtèrent de multiples débris. Une chaise renversée le fit tomber.
Ne laisse pas passer ta chance !
Un morceau de bois se retrouva dans sa main sans qu'il ne sache comment. Enorian frappa à l'aveugle. Il vengeait chaque enfant mort, il relâchait sa culpabilité, il pleurait de rage. Sous ses coups rapprochés, l'ennemi ne parvenait pas à dégainer une de ses armes et se contentait de se protéger avec ses bras.
Une nouvelle secousse, le toit de la maison s'effondra dans un chaos assourdissant et de poussière. Enorian se rua sous le lourd bureau, où il se recroquevilla, mains sur ses oreilles, bouche et nez dans ses habits.
Lorsque le calme, aussi inquiétant que le tremblement, revint, il s'extirpa de son abri, à moitié sonné, étonné d'avoir la vie sauve : un amas de tuile et de poutres pliait le plateau du bureau. Kilyan l'avait épargné... mais pas l'Astrydien. Son corps avait disparu, la secousse l'avait tué.
Ou je l'ai tué ?
Il préféra ne pas se pencher sur cette question qui lui provoquait des frissons, et s'empressa de sortir de ce piège. Sauf qu'il existait également dehors. Plus rien ne tenait debout, comme si le prince de légende des Perles voulait effacer l'horreur sur sa planète. Quant aux prisonniers, ils franchissaient l'enceinte effondrée et s'éloignaient sur l'unique route, dévastée par des crevasses. Les marchands auroréens, enveloppés dans de longues capes brunes, transportaient les plus faibles sur des brancards de fortune ou sur leurs okydas.
Déjà ? Ils ont dû courir aux premières secousses.
Mais suffiront-ils à sauver les blessés ? Depuis la disparition des guérisseurs, les chances de survie avaient chuté. Son corps se tendit comme un arc, tandis que ses yeux fouillèrent cette mêlée abîmée. Où se trouvaient Faline et Daliohn ? Il projeta sa pensée avec appréhension, une douleur violente lui traversa le crâne.
Les brouilleurs n'ont pas été détruits et il y en a tellement, maugréa Enorian, avant de se diriger vers la route.
— Papa !
Son fils et sa compagne s'étaient détachés des prisonniers et étaient revenus au pied de l'enceinte. Ils lui faisaient de grands gestes, le visage joyeux. Le soulagement éteignit son inquiétude... quelques secondes. Du coin de l'œil, il avait aperçu des Astrydiens. Ils n'en demeuraient pas beaucoup, une dizaine tout au plus, mais exécuteraient des fugitifs isolés en un clin d'œil.
Et Enorian ne disposait que des bouts de bois !
Il en attrapa un au hasard et se rua vers sa famille. Son rythme cardiaque s'accélérait à chaque pas : un Astrydien avait pris la même direction. Hélas, des poids semblaient entraver la course éperdue d'Enorian. Il se sentait lourd, lent. Il n'arriverait pas à temps pour sauver sa femme et son fils.
— Fuyez ! hurla-t-il.
Faline et Daliohn ne bougèrent pas, les flammes rouges autour de l'électase les avaient statufiés. Enorian allait assister à leur mise à mort ! L'arme s'abattait déjà pour exécuter son office macabre.
— NOOONN !
Un cri de désespoir face à l'inévitable. Enorian en était tombé à genoux, des larmes roulant sur ses joues. Pourtant, les évènements s'enchaînèrent différemment. Une autre électase, au halo mortel activé, bloquait la lame de l'Astrydien. Un marchand s'était interposé.
Le combat fit rage, les coups frappaient pour tuer. Un duel de force égal : l'inconnu ne fléchissait pas, ne cédait pas, attaquait et ripostait sans craindre son adversaire.
Aucun Auroréen ne possède une telle maîtrise des armes.
Comme si l'ennemi avait entendu sa pensée, il recula et s'écria :
— Tu n'appartiens pas à ce peuple de poltrons. Comment as-tu pu débarquer sur Aurora ?
— Pourquoi nous imagines-tu incapables de nous défendre ? objecta le marchand, narquois.
D'un geste vif, il abaissa sa capuche. Quelques mèches s'envolèrent des longs cheveux mauves rassemblés en catogan et retombèrent sur le visage bleu, dont les traits témoignaient une forte tension.
La mâchoire d'Enorian s'affaissa, tandis que l'Astrydien écarquillait les yeux. L'effet de surprise lui fut fatal. Le marchand le transperça sans hésiter et son corps se désintégra en poussière avant de toucher le sol.
Enorian rejoignit son sauveur qui le fixait avec bienveillance. Avant qu'il ne puisse le remercier, une déchirure, puis un cri de Faline glacèrent son sang. Daliohn avait reculé pour se mettre à l'abri du combat et une fissure s'était créée juste sous ses pieds !
Au ralenti, son fils bascula dans le précipice. Au ralenti, le marchand se jeta après lui.
Sa disparition dans les entrailles de la crevasse électrocuta Enorian, et il se précipita au bord avec Faline. Son cœur manqua un battement : leur sauveur était accroché par une main ensanglantée à un surplomb, à plusieurs mètres de la surface ; de l'autre, il serrait celle de Daliohn. L'inconnu parla à son fils :
— Je vais te tirer et tu t'agripperas à moi dès que possible. J'ai besoin de mes deux bras pour nous sortir de là, les brouilleurs des Astrydiens sont trop puissants pour que je me téléporte. Nous devons réussir seuls, et je compte sur toi. D'accord ?
— Obéis-lui, l'encouragea Faline, d'une voix calme qu'elle était certainement loin de ressentir.
La peur agrandissait les yeux de Daliohn. Cependant, son fils approuva de la tête et escalada le dos du marchand, où il se blottit en évitant de l'étrangler.
Ces mois de labeur dans la mine lui servent enfin à quelque chose !
Les traits tirés de l'Auroréen, en revanche, l'inquiétèrent. Il souffrait, du sang coulait de sa tempe, et ses bras tremblaient à chaque nouvelle prise vers la surface.
Jamais, il n'y parviendra seul !
Enorian descendit dans le précipice avec précaution et progressa jusqu'à leur sauveur. Celui-ci l'avait vu et se ménageait dans une position précaire, les pointes de ses chaussures sur la paroi, les mains agrippées à un rebord.
Plus vite !
Les doigts blessés du marchand, aux articulations pâles, qui glissaient peu à peu, accéléraient son pouls. Il fallait prendre plus de risques. À peine cette idée surgissait en lui, qu'Enorian sauta la distance restante. S'il atterrit sur la corniche, un de ses pieds partit dans le vide. Une large saillie, à laquelle il se raccrocha d'instinct, lui évita une chute mortelle. La transpiration mouillait sa chemise, sa bouche se desséchait.
Enorian inspira profondément pour calmer son cœur trop raide, avant de caler un genou au sol. Il saisit Daliohn et le déposa sur la corniche. Les dents de son fils s'entrechoquaient, son visage était couvert de larmes, mais il s'assit contre la falaise. Son petit garçon, si courageux, connaissait sa priorité : secourir le marchand.
L'homme bandait ses muscles pour se hisser. Enorian lui attrapa les bras. Juste à temps. Des bouts de rochers se détachèrent et tombèrent au fond du précipice. Deux secondes plus tard, et leur sauveur les aurait suivis.
Les bruits sourds, quand les morceaux cognèrent les parois, leur rappelaient leur précarité. Ils ne se reposèrent pas, poursuivirent la remontée à un rythme soutenu.
Une exclamation de joie retentit dans la tête d'Enorian à l'instant où il refit surface. À demi allongés sur le dos, le marchand et lui reprirent leur respiration, puis burent l'eau que leur proposait en silence un autre homme en cape. Son regard bleu-vert contenait de la désapprobation. L'inconnu serait-il quelqu'un d'important ?
— Merci, souffla Faline, vous avez sauvé mon fils.
— Et votre compagnon de vie m'a secouru. Vous ne craignez plus rien, retournez dans votre village.
— Je vous ai vu vous battre, vous n'êtes pas un marchand. Qui êtes-vous ?
Maintenant que tout danger était écarté, Enorian voulait en apprendre plus à leur sujet. L'Auroréen se releva, cacha son visage sous sa capuche et murmura :
— Un ami.
Sur ces mots sibyllins, il s'éclipsa avec son compagnon en cape. Alors que les silhouettes rejoignaient son groupe au bord du chemin, Faline déclara :
— Autrefois, les doryaumis et leur fils portaient les cheveux longs. C'était le meilleur moyen pour être reconnus, car nos pouvoirs psychiques balbutiaient. Avant l'invasion, un seul homme suivait cette coutume. Le prince Sojeyn, héritier du trône... qui serait décédé lors de la prise du palais royal.
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