C14 - Catastrophe naturelle (1/3)
Il est midi, et on se croirait en pleine nuit, songea Enorian.
Les nuages noirs s'accumulaient en force devant le soleil et semblaient interdire au beau temps de revenir. Pourtant, il ne le regrettait pas : le chef astrydien avait tenu sa promesse et arrêté le travail des enfants dans la mine. Comme si elle avait lu dans ses pensées, malgré les brouilleurs, sa compagne, assise avec lui dans la petite cuisine de leur logement, renchérit :
— Je n'imaginais pas un jour accueillir la pluie à bras ouverts.
Enorian non plus, car il ne serait pas exécuté. Il se félicita de ne pas avoir partagé cette menace avec Faline, qui enchaînait :
Je n'aurais pas supporté de voir l'inquiétude ternir le rose de tes yeux.
— Les nôtres ne ratissent pas d'éloges sur ton courage, il a évité blessés et morts.
— J'aimerais en faire plus, mais je suis poings et pieds liés. Mon cœur souffre chaque matin quand les enfants disparaissent dans la mine et se réjouit chaque soir à leur retour.
— Dans un mois, nous serons libres. Je compte les heures avec impatience et prie Kilyan pour que Daliohn demeure en bonne santé.
— Tant d'autres n'ont pas cette chance, confessa-t-il d'un ton lugubre. Si seulement il existait une résistance !
— Est-ce que cet orage ne te semble pas étrange par sa durée en cette saison ?
L'espoir vibrait dans la voix de Faline, et le reflet rose de ses cheveux tressés s'était intensifié. Enorian déglutit lorsqu'il imagina les conséquences de la question anodine.
Aurora, notre merveilleuse planète, libérée du joug de l'envahisseur.
Son pouls battit plus vite... juste quelques secondes. La réalité reprenait ses droits, la réalité étouffait ce rêve insensé. Si la résistance œuvrait depuis toutes ces années, les Auroréens en auraient connaissance et la peine ou la douleur ne régnerait pas sur leurs esprits. Alors qu'Enorian ouvrait la bouche pour énoncer son opinion, l'arrivée de son fils la lui fit refermer.
— J'ai faim, quand est-ce qu'on mange ?
— Bientôt, si vous m'aidez tous les deux.
— Tu as entendu ta mère ! Allons-y, ajouta Enorian.
Daliohn éclata de rire et contribua aux tâches de bon cœur. Avec l'arrêt des travaux deux jours auparavant, il retrouvait un peu de sa joie de vivre et de son appétit.
Pendant ce repas détendu, des taches de lumière filtrèrent par la fenêtre et éclairèrent la table en bois. Plus elles s'agrandissaient, plus son fils se fermait. Lorsqu'un rayon nacré le toucha, il hurla :
— Je veux pas que le soleil revienne ! Je veux qu'il pleuve pour toujours !
Des larmes roulaient sur les joues de Daliohn, des spasmes secouaient ses petites épaules. Ses sanglots déchiraient le cœur d'Enorian.
Comment avons-nous pu penser une seule seconde que la résistance pouvait exister ? Comment un Auroréen peut-il préférer la tempête à la beauté d'un doux soleil ?
— Ne pleure plus, Daliohn, tu ne retourneras pas dans la mine, je te le promets, s'entendit-il assener avec surprise.
— Enorian, ne lui dis pas...
— N'est-ce pas ce que tu désires ? coupa-t-il plus sèchement qu'il ne l'aurait voulu.
— De tout mon être, bien entendu ! Que vas-tu faire ?
Je ne sais pas.
Il ne pouvait pas l'avouer devant son fils et préférait ne pas y songer. Pour l'instant. Seules comptaient les étoiles dans le regard bleu-noir de Daliohn, elles devaient briller à nouveau.
— Avec le beau temps, les marchands reviendront et tu joueras avec tes amis. Sortons.
Le garçon lui décocha un vague sourire, avant d'obéir. Dehors, les Auroréens se retrouvèrent sur la place centrale, où les plantes bichonnées avec soin fleurissaient. Tandis que les adultes discutaient, les enfants s'amusaient sans s'aventurer sur le chemin de la mine. Certains s'immobilisaient, reculaient lentement, puis s'enfuyaient. La scène secouait Enorian. Comment avait-il pu rester sans réagir durant deux mois ?
Parce que je me raccrochais à la fin de la période obligatoire.
Les Astrydiens avaient réussi le tour de force à ce qu'ils travaillent avec cette lumière au bout du tunnel. Une lumière accessible. Trop. Elle avait occulté les souffrances des enfants, s'appuyait sur le caractère pacifique des Auroréens.
Ce mauvais temps inhabituel lui dessillait enfin les paupières.
Oui, cela suffit !
D'un pas décidé, il se dirigea vers la barrière qui séparait les prisonniers de la partie dédiée aux Astrydiens. Un garde le laissa passer. Que dirait-il au responsable du camp une fois devant lui ? Enorian n'en avait aucune idée, mais il avait intérêt à en trouver une rapidement. Les Auroréens, eux, le fixaient, un masque d'inquiétude collé à leur visage. Avaient-ils compris ce qu'il voulait tenter ?
Bien sûr, nous rêvons tous d'arrêter ce cauchemar sans oser nous l'avouer.
Une secousse plus puissante que celles des journées précédentes le fit soudain tomber à genoux. L'habitation du responsable astrydien frissonnait sur ses fondations, le toit perdait des tuiles, la façade se craquelait comme un fruit trop mûr.
Et ce n'était que le début.
Un sinistre grondement explosa derrière Enorian. Son sang se glaça, tandis que son rythme cardiaque se lançait dans une course aussi désordonnée que les tremblements de terre. Il ne réussit à se retourner que lentement, et ses yeux s'agrandirent d'horreur.
Les logements des prisonniers s'écroulaient un à un, des fissures apparaissaient dans le sol. Heureusement, les Auroréens étaient habitués à ces phénomènes. Ils se rassemblaient près de l'enceinte, loin du danger, et plusieurs secouraient ceux coincés dans les trouées ou sous les décombres.
Enorian retrouva ses facultés et se précipita dans l'habitation du responsable astrydien. L'homme discutait avec un de ses gardes. Il lui hurla :
— Commandant, ouvrez les portes du camp ! Nous devons fuir.
— Certainement pas, objecta-t-il, glacial. Les prisonniers se sont déjà regroupés loin des bâtiments. Qu'ils restent là et attendent la fin. Retournez auprès d'eux.
— Non ! Le sol se fissure de plus en plus. Nous mourrons tous, vous y compris, si vous n'agissez pas.
Comme si Kilyan voulait lui donner raison, une nouvelle secousse ébranla la maison, des dalles se disloquèrent, une armoire s'écroula et des objets chutèrent dans un fracas épouvantable. Au milieu de ce chaos, un autre garde entra en trombe, les habits à moitié déchirés.
— Commandant, tous nos logements sont détruits, beaucoup des nôtres ont été éliminés. Que faisons-nous ?
— Sortez du camp.
— Et les Auroréens ?
Le responsable se tourna vers Enorian et rétorqua :
— La mine de coltan est anéantie, nous ne pourrons rien reconstruire ici. Qu'ils se débrouillent avec leurs blessés, concentrez les secours sur les nôtres. Ainsi parlerait Xénon.
Les gardes partirent aussitôt exécuter l'ordre. Une colère sourde pénétra Enorian. Elle le secouait de l'intérieur avec la même puissance que le nouveau tremblement. Les deux l'obligeaient à se retenir à un montant du mur.
— Quel peuple êtes-vous ? cria-t-il. Aucune compassion, aucune sympathie pour les plus faibles !
— La faiblesse causerait la perte définitive des Astrydiens, et en tant que clones, nous devons nous dévouer corps et âme à l'empereur Xénon, jusqu'à la mort. Vous ne pouvez pas comprendre.
— Non, mais je peux t'empêcher de nuire plus longtemps !
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