C12 - Innocentes victimes (1/3)
Le printemps se déployait timidement sur la canopée. Les oiseaux s'ébattaient insouciants dans le ciel limpide et les arbres se recouvraient d'un manteau jaune, vert et mauve plus tendre que les teintes de l'aurore. Pourtant, Flore s'absorbait dans une autre contemplation, depuis qu'un Cercle l'avait téléporté à l'orée d'une plaine : le palais de la résistance dominait une vaste place à ses pieds.
L'édifice avait été construit petit à petit au sein du doryaum royal, à la frontière de celui de Monti. Presque sous le nez de Xénon ! De larges broussailles, ajoutées par les kiriahnis, et un puissant dôme d'invisibilité le protégeaient.
Sojeyn avait prévenu Flore et ses amis qu'ils ne se rendraient pas au village de la tribu légendaire, mais à cet endroit qui comportait un uriah. Plus facile pour opérer, plus dangereux aussi. Les Imlayas demeuraient libres d'habiter dans le lieu de leur choix. Cependant, elle n'avait pas imaginé un tel château.
Idsou ne le croirait jamais si je lui racontais !
Son frère, qui l'avait rejoint, lui avoua d'une voix douloureuse :
— Tu as vu comment Xénon a souillé le palais de nos ancêtres, y vivre à nouveau est pour moi inconcevable. Si nous parvenons à chasser l'usurpateur, il deviendra un bâtiment public avec un mémorial. Peut-être un lieu d'accueil pour les hautes personnalités de la Confédération.
Flore ne s'imaginait pas non plus déambuler dans les couloirs des appartements privés. Les souvenirs de ses parents, de Tojian, de sa douce jeunesse et même des sessions houleuses du Conseil la hanteraient à chaque pas ; ils l'entraîneraient dans une souffrance insoutenable.
Songer aux malheurs d'Aurora l'avait glacée. Elle avança sous la lumière et se gorgea de chaleur, tandis qu'elle détaillait le bâtiment en forme de L, dont la pierre couleur sable brillait sous les rayons du soleil matinal.
Surélevé par quelques marches, flanqué d'une large tour à la jonction des deux ailes, le palais comportait un seul étage. Sa façade se composait d'arcades au rez-de-chaussée, de terrasses par-dessus et de fenêtres arrondies. Des lianes fleuries en verre irisé torsadaient les piliers de séparation, qui se dressaient au-delà du toit et emportaient l'édifice vers le ciel.
L'élégance de la nature avait servi de guide à la construction, et s'opposait à l'architecture sobre du palais de leurs ancêtres. L'intégration allait jusqu'aux fragrances que dégageaient les ornements. Flore les humait avec plaisir.
Une fontaine décorait la cour d'accueil. En son centre, une sphère semblait léviter au-dessus des huit emblèmes des doryaums disposés en cercle. De leur cœur, l'eau se déversait dans le bassin. Un oiseau aux ailes déployées surmontait l'ensemble, une fleur de llyriah dans son bec.
— La nuit, les symboles revêtent les couleurs du doryaum respectif, l'informa Sojeyn.
La liberté, la force, la sérénité. Ce furent les mots qu'inspirait le tout à Flore.
À l'image des Imlayas, de la résistance.
— Magnifique ! lui souffla Brian.
Elle croisa son regard et ils se sourirent. Depuis leur altercation au camp de base, le jeune homme avait réduit la distance entre eux, peut-être sa propre attitude y contribuait. Même si l'ennemi dominait son monde, la joie de retrouver son frère et Aurora balayaient sa mélancolie. Qu'elle qu'en soit la raison, Flore se réjouissait de se rapprochement. Le baiser qu'ils avaient échangé restait un doux souvenir gravé dans sa mémoire, et elle rêvait d'en découvrir plus.
« À toi de prendre l'initiative... en mots ou en gestes ! Sinon tu le perdras », lui avait conseillé Idsou.
C'est plus simple à dire qu'à faire !
Flore y avait réfléchi maintes fois sans trouver la moindre idée.
— Deux sous pour connaître tes pensées, murmura Brian dans sa tête.
Tandis qu'elle bloquait l'éclair blanc de sa perle, le front plissé de son frère l'intrigua. Il semblait la sonder de ses iris bleu-mauve. Rejetterait-il son Lien avec un non Auroréen ?
Peu probable, il demeure chaleureux avec Brian.
Quelque chose le perturbait. Quoi ?
Le demi-tour de Sojeyn interrompit ses interrogations. Flore lui emboîta le pas avec ses amis dalghariens et Kishor. Ils traversèrent la cour et l'aile principale du palais, par une arche au centre, puis s'engagèrent dans un parc, couvert de parterres fleuris, d'arbustes et d'arbres.
Après plusieurs mètres, Sojeyn les invita à se retourner vers le bâtiment et leur expliqua la disposition intérieure pour leur permettre de s'orienter facilement. La partie la plus longue du L était divisée en bureaux, salles et chambres pour les visiteurs. La base, elle était réservée aux appartements privés : le rez-de-chaussée avec son jardin et la tour pour Sojeyn, ses convives personnels à l'étage. Flore et Idsou s'y installeraient.
— Les kiriahnis ont insisté sur une sécurité supplémentaire, un voile psychique bloque le passage entre les deux ailes, ajouta Sojeyn. Il est déjà programmé pour vous accepter.
Il reprit sa route vers le fond du parc et pénétra dans la forêt. Des pavillons en bois clair s'éparpillaient parmi les arbres, préservant l'intimité des occupants. Les plus grands, huit au total, étaient alloués aux doryaums ; les plus petits aux invités de marque. Kris et Brian logeraient dans un de ces derniers, où Sojeyn s'arrêta. Des lianes ambre s'enroulaient le long des poteaux qui supportaient un toit vert à quatre pentes. Leurs fleurs aux pétales blancs tachetés de jaune dégageaient un parfum acidulé.
— De l'oracia, mon jus de fruits préféré, souffla Flore, nostalgique.
— Une fleur différente orne chaque pavillon, lequel porte son nom. Cela facilite l'orientation.
— Un paradis au milieu de l'enfer, commenta Kris.
— Je voulais un endroit proche d'Auralia, surtout, un endroit d'où nous pourrions mieux coordonner la résistance sur la planète. Les kiriahnis chargés de la construction ont insisté pour une architecture et une décoration qui aident à panser les plaies et à oublier la guerre, autant que possible. J'ai fini par céder à leur demande.
— Ce palais devait correspondre à ton rang, intervint Kishor, puisque tu as décidé de résider ici après la libération d'Aurora.
Le regard de Sojeyn se perdit dans les fleurs d'oracia, comme s'il détaillait la structure des cinq larges pétales, aux bouts effilochés, ou s'imaginait la douceur de leur texture.
— Ne culpabilise pas, murmura Flore en pensée. Tu te dévoues à la résistance, les combattants ont voulu te prouver leur reconnaissance à leur manière. Celle d'un peuple pacifique, sensible à la nature et sa beauté.
— Te souviens-tu de notre échange pendant ta quête de la tribu légendaire ? On se moquait d'Hadil, de sa réaction potentielle si un jour...
— On construisait un uriah en pleine forêt, compléta Flore.
— Nous plaisantions encore, n'imaginions pas que le joug d'un envahisseur nous y mènerait.
Tant d'évènements s'étaient déroulés depuis leur décision de désobéir au Conseil. Tant d'autres restaient à venir. Leur silence marquait plus que les paroles ce passé et ce futur. Puis Sojeyn annonça à voix haute :
— Je souhaitais vous montrer les lieux moi-même, mais je dois vous quitter pour quelques jours. Yoron de Monti s'occupe de la résistance dans son doryaum et m'a demandé notre aide.
— C'est un homme sage, approuva Flore, même s'il a rejeté ma vision lors du vote du Conseil.
— Il le regrette profondément, et m'a rejoint le premier... lors d'une entrevue dans un cabanon.
— Voilà un lieu original pour décider de l'avenir d'Aurora, pointa Brian, amusé.
— Les Astrydiens espionnent toutes les conversations des Auroréens, personne ne se promène librement.
La phrase ramena Flore au milieu de la guilde de la mode, où chacun travaillait dans une prison psychique. Le petit paradis construit par la résistance ne devait pas occulter la souffrance du peuple ni lui faire oublier les familles des doryaumis.
— Qu'est devenue Mioca ?
— Yoron et moi avons préféré la tenir à l'écart de nos activités, pour sa sécurité. Je ne l'ai pas revue depuis l'invasion.
Si son frère avait répondu d'un ton neutre, son corps raide le trahissait. Il culpabilisait. Pourtant, la décision était censée. Xénon n'hésiterait pas à se servir de Mioca s'il apprenait qu'elle était ou avait été la future compagne de Sojeyn.
Le comprendra-t-elle ?
Mioca avait toujours été une enfant enthousiaste, ingénue... et égoïste. Tout le monde lui passait ses caprices, son éducation protégée à la suite de la mort de sa mère avait accentué ce défaut. Flore espérait que les drames autour d'elle avaient assagi la jolie tête de linotte. Si son frère lui accordait le compagnonnage de vie, seule une femme mature et tournée vers le bien-être d'Aurora pourrait diriger à ses côtés.
Une question de Brian l'arracha à ses réflexions :
— Vous ne voulez pas de notre aide ? Remettre à la place quelques clones me démange le bras.
— Je préférerais ne pas ébruiter votre présence, pour assurer un effet de surprise contre les Astrydiens. Au meilleur moment.
— Je partage votre avis, renchérit Kris. Pourquoi Monti vous réclame ?
— Je ne sais pas exactement.
Flore tressaillit à cet aveu énoncé à contrecœur. Avant qu'elle ne puisse protester, son frère lança :
— Chaque doryaum possède un groupe plus ou moins important de résistants, dissimulés dans la forêt, où les brouilleurs ne les affectent pas ou peu. Nous communiquons entre nous... sans nous étendre.
— Vous voulez à la fois éviter de trahir votre existence et donner des informations aux Astrydiens, analysa Brian. Très risqué, mais vous n'avez pas d'autres choix. Je suppose que vous ne vous rendez pas seul.
— Kishor, Ixli et quelques kiriahnis m'accompagnent. Monti en possède peu. Nous sommes habitués, ne vous inquiétez pas pour nous.
Venant de la part d'un ancien adolescent téméraire, la dernière phrase de Sojeyn ne convainquait pas Flore. Toutefois, elle ne tenta pas de le dissuader.
Si ma tante et Kishor y vont aussi, c'est que le danger est maîtrisé.
Sa conclusion la réassura quelque peu. Elle n'envisageait pas une séparation avec son frère, alors qu'ils se retrouvaient à peine. Seulement, la guerre l'exigeait et l'exigerait encore jusqu'à ce qu'ils la gagnent.
Ou qu'ils soient tous détruits.
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