— Des navettes astrydiennes, souffla Linlin. Comment est-ce possible ?

— Malgré toutes vos précautions, l'ennemi a détecté votre arrivée à la clairière des Imlayas, suggéra Akeno.

— J'en doute, répliqua Brian. Le pilote frôlait les cimes et les rochers ; et les Astrydiens n'ont pas réagi quand nous avons déposé de la même manière Flore et Idsou au doryaum de Volcani.

— Alors, que font-ils ici ?

Tandis que chacun se regardait, perplexe, Kris annonça d'une voix lugubre :

— Akeno ne se trompe pas, la faute m'incombe. La générale du vaisseau spatial m'a envoyé un signal, elle voulait s'assurer que tout allait bien, et j'ai répondu. Nous devons partir, je suis désolé.

— Ne le soyez pas et nous restons, le champ d'invisibilité nous protège, objecta Sojeyn. Sa puissance suffit sur une petite surface, et les brouilleurs sont moins efficaces en forêt.

Devant la moue dubitative de Brian et Kris, il les invita à le suivre. Kishor se joignit à eux, pendant qu'Akeno prenait la direction opposée. Sojeyn dépassa les tentes, puis les Imlayas qui montaient la garde près d'un foyer et s'immobilisa à l'orée du bois. De la main, il incita les deux Dalghariens à se retourner.

La clairière verdoyante s'étalait intacte, sans aucune présence humaine.

— Incroyable ! souffla Brian. Comment discernez-vous la limite ?

— Aucune gêne physique ?

— Un léger trouble visuel et mental, à peine perceptible, concéda Kris. Vos Cercles travaillent jour et nuit pour maintenir cette protection ?

— Non, des sphères d'invisibilité entourent le camp, et un kiriahni suffit à les activer.

— Vous évitez d'attirer l'attention, mais elles n'empêchent pas les Astrydiens de pénétrer dans la zone ?

Brian insistait sur l'argument d'autant que Kishor avait dégainé son électase et jetait des coups d'œil méfiants dans les ombres de la forêt.

— Retournons à l'abri, se contenta de répondre Sojeyn.

Ils n'eurent que quelques pas à faire et le foyer réapparut. Sans les gardes. Ils patrouillaient le long de la barrière psychique délimitée par des sphères disposées à intervalles réguliers, elles lévitaient à une main du sol et leur teinte de sable diffusait une lumière tamisée. Sojeyn avait emmené ses alliés auprès de la première. L'admiration de Brian transperçait dans ses mots quand il murmura :

— On perçoit mieux le champ.

Le prince semblait toucher une surface trouble, vouloir la traverser avec ses doigts.

— Gardez votre bras à l'intérieur, intima Sojeyn, et armez-vous. Par précaution.

Lui-même avait décroché son électase, attachée à la ceinture de son pantalon, et son corps se tendait en préparation d'un combat. Ces moments demeuraient délicats, même si un Cercle renforçait la puissance de la barrière de protection.

L'ennemi peut toujours venir en force ou déployer de nouveaux moyens.

Il allait être bientôt fixé : trois Astrydiens, pistolet psychique dégainé, marchaient vers eux. Chaque pas du clone accélérait son rythme cardiaque, chaque pas accentuait sa pression sur son arme.

Quand le premier Astrydien voulut franchir le champ, celui-ci le retint telle une toile d'araignée et Kishor le paralysa avec le halo jaune de son électase. La barrière lui évitait la chute. Ses deux comparses, eux, avaient reculé. Ils fixaient, stupéfaits, l'endroit où le premier homme avait disparu comme s'ils avaient la capacité de le ramener à eux. Lorsque des Imlayas surgirent dans leur dos, ils se ressaisirent trop tard. Ils furent assommés.

Brian s'approcha du corps inerte de l'ennemi, le poussa sans parvenir à le déloger de sa prison invisible.

— Vous avez la réponse, indiqua Sojeyn. Nous allons effacer leurs mémoires et les libérer loin d'ici.

— Pourquoi n'employez-vous pas cette méthode à grande échelle ?

— Cela nécessiterait une énergie considérable face aux brouilleurs, et nous n'avons que des électases face aux pistolets laser. Xénon interdit leur emploi hors des châteaux.

— Sans oublier leurs autres armes psychiques, compléta Kris.

Sojeyn approuva à contrecœur. Reconnaître la faiblesse de la résistance lui était douloureux.

Six longues années sans parvenir à ébranler notre ennemi. Comment le Conseil a-t-il pu être aussi aveugle en refusant la vision de Flore ?

Il se secoua et son optimisme reprit le dessus : l'arrivée des Dalghariens allait changer la donne.

Sur le chemin de retour vers le foyer central, les navettes astrydiennes les survolèrent. L'alerte était terminée. Quand les Imlayas se déployèrent, sur les ordres d'Akeno, pour une surveillance accrue, Flore supplia Ixli :

— Ne pouvons-nous pas quitter ce lieu dès ce soir ?

— Ta pâleur prouve ta faiblesse, je ne prendrai pas de risques. Va te reposer dans ta tente.

Leur tante leva une main, elle ne changerait pas d'avis. Sa sœur referma la bouche et obéit, les épaules basses.

— Nous t'accompagnons, intervint Brian, si vous nous l'autorisez.

Le prince de Dalghar s'était rattrapé lorsqu'Ixli avait arqué un sourcil. Il affichait son plus beau sourire, ce qui amusa Sojeyn.

Je n'aurai pas fait mieux.

Quelques rires fusèrent, mais les yeux dorés de l'uriahmi les éteignirent dans la foulée.

— Je n'ai jamais dit qu'elle devait demeurer seule, grinça-t-elle. Interdiction de communiquer par la pensée, et restez à l'extérieur du champ d'action des sphères d'inhibition. Elles permettent à Flore de récupérer plus vite son énergie.

Sojeyn et Kishor prirent la tête du petit groupe, Linlin ferma la marche avec Yeldo et Merioni. Dans la tente, ils installèrent des sièges à la distance voulue pendant que Flore se couchait sous une épaisse couverture en laine. L'odeur sucrée de la crème et celle acidulée des fruits confits envahirent l'étroit abri, dès qu'un Auroréen apporta fougals et boissons chaudes.

Alors que Sojeyn savourait son dessert, une pensée ténue l'effleura.

— Tu me mets au supplice, je vais mourir.

Elle provenait de Brian qui observait Flore en train de se lécher un doigt le plus discrètement possible. Des flammes brûlaient dans les yeux du prince fixés sur sa sœur, il semblait se consumer de l'intérieur.

Que lui arrive-t-il ?

Sojeyn activa la couleur verte de sa perle et monitora le Dalgharien. Ne relevant aucun souci de santé, il mit la réaction sur les différences de coutumes entre leurs planètes. Il les apprendrait petit à petit.

Comme toi, Flore.

Elle avait arrêté son geste et baissait le front.

Un toussotement de Kris rompit cette étrange atmosphère. Il se proposa de relater les péripéties de Flore sur Dalghar.

— Ainsi, tu ne te fatigueras pas et la curiosité de nos amis sera comblée entre toi, Brian et moi-même.

— Enfin ! renchérit le Tourbillon, laquelle se cala dans son siège en toile.

Chacun l'imita et le roi de Dalghar se lança. S'il donnait les explications rationnelles, Brian le complétait sur le plan émotionnel et Flore intervenait surtout pour minimiser son rôle ; tandis que les Auroréens n'hésitaient pas à commenter ou à les complimenter.

Ta légende de princesse rebelle va se renforcer dès demain.