Chapitre 2
Je suis assise, immobile et complètement sonnée. Je ne sais pas quelle heure il est, je ne sais pas depuis combien de temps je nai pas bougé. Jentends mon poul pulser dans mes tempes et résonner dans mes oreilles comme une mélodie effrayante qui menferme dans une bulle hors du monde extérieur. Jai limpression que le sang qui circule bruyamment dans mes veines brûle tout lintérieur de mon corps, je le sens me traverser douloureusement comme sil était le point de rencontre de toutes mes terminaisons nerveuses.
Malgré cette douleur, je reste éteinte, sans réactions, sans mouvements. Je ne sais même pas si ma poitrine se soulève quand je respire. Je ne sais même pas si je respire dailleurs. Jai les yeux dirigés droit sur la mare rougeâtre qui sétale à mes pieds depuis une bonne dizaine de minutes et je narrive pas à les orienter autre part.Tout me semble rouge. Aussi rouge que cette flaque qui sinfiltre dans mon parquet et se faufile entre les rainures. Je nai pas peur, je ne suis pas triste, je suis juste ailleurs ? Cest comme si toute pensée logique avec déserté ma tête et que le silence avait imposé son règne. Rien ne me vient. Jai limpression que je pourrais rester comme ça des heures, des jours, des années...qui sait ? Peut- être même toute ma vie !
Quand soudain, le bruit dun vase qui tombe me fait sursauter et sortir de cette transe étrange dans laquelle jétais. Je tourne brusquement la tête pour trouver mon chat, posté sur la table basse, le poil hérissé face à la bêtise quil vient de faire.
Cest bien mon minou, au moins tu comprends quand tas merdé ! Tu sais ce qui serait encore mieux ? que tu ne merdes pas.
Je remarque alors le pendentif qui trône sur son cou et me maudis intérieurement de ne pas lavoir vu ce matin.
Je finis par me lever, après avoir été je ne sais combien de temps affalée par terre à côté du cadavre et récupère mon collier. Une fois remis à sa juste place, je commence – enfin – à réfléchir. Finalement, la peur explose. Ce n'est même plus de la peur mais de la panique à l'état pur. Ma respiration saccélère et il me devient de plus en plus difficile dinspirer. Un millier de pensées traversent mon esprit en même temps dans une cacophonie douloureuse : Bordel mais qu'est-ce que je vais bien pouvoir faire avec un cadavre, UN CADAVRE dans mon salon ? Comment expliquer ça ?
"Oui bonjour ! C'est bien la police ? Et bien j'ai trouvé un mec blessé dans la rue et dans un élan de bonté et de courage que je ne me connaissais pas j'ai décidé de le monter chez moi au lieu d'appeler les urgences et de le laisser mourir sur mon parquet, mais juré, je lui ai rien fait !"
Sérieusement ! Qu'est-ce qui a bien pu me passer par la tête pour que je décide de le monter chez moi ? Tout en réfléchissant à cela, je me rappelle de mon statut d'orpheline...
En effet, dans notre nouvelle société, les lois élaborées nont absolument pas épargné les orphelins, devenus nombreux soit en raison dabandon car leur famille était trop pauvre pour les éduquer correctement et leur offrir un niveau de vie convenable en raison de lappauvrissement de la population, soit parce que leurs parents avaient été touchés par des virus radioactifs. C'était encore courant que les gens meurent de cette façon et le nombre d'enfants sans foyer était très élevé.
Pour ma part, je nai aucune idée quant à la catégorie à laquelle jappartiens. Jai été retrouvée complètement amnésique à lentrée de la ville. Mais quoi qu'il en soit, en raison de cette incontenable quantité d'enfants à gérer, l'État a mis en place tout un tas de règles très strictes qui ne sont pas en faveur des enfants : comme la plupart des crimes sont commis par des orphelins, le gouvernement est beaucoup plus sévère avec eux et la majorité des adolescents ou jeunes adultes incarcérés ont été élevés en orphelinat.
Sachant cela, moi, Willow Phoe, ORPHELINE, avec un CADAVRE dans le salon, il est absolument certain que si la police me trouve, je finirais le reste de mes jours au fond d'une prison si on ne menvoie pas me faire exécuter dans une contrée lointaine et secrète avant
Je nai pas le choix. Il faut que je menfuie avant qu'on ne me trouve.
Après avoir pris cette décision, je prends la chaise qui est derrière moi et massoie sur son bois massif et froid. Je commence à réfléchir à une façon de procéder. Je repasse les étapes de mon plan encore et encore, imaginant toutes les choses qui pourraient mal tourner.
Étape numéro 1 : ne PAS toucher le corps et ce qui lentoure.
Ce qui pourrait mal tourner : garder mes chaussures pleines de sang et faire des traces qui mèneraient la police à moi...oups
Note à moi-même : Jai déjà touché le corps, mes empreintes sont absolument partout ainsi que mon sang.
Étape numéro 2 : soigner ma main
Ce qui pourrait mal tourner : me vider de mon sang à côté du cadavre et finir à la morgue avec lui.
Étape numéro 3 : me changer et me débarrasser de tout ce qui est taché de sang ou qui a été en contact avec le corps.
Ce qui pourrait mal tourner : sortir dans la rue baignée de sang et attirer l'attention de tous les badauds qui passent par là.
Étape numéro 4 : nettoyer le vase cassé par mon chat pour éviter de croire que la victime sest battue avec moi.
Ce qui pourrait mal tourner : que je marche sur le verre brisé et que je finisse avec une main et un pied ouverts.
Étape numéro 5 : Prendre largent que jai économisé ces dernières années.
Ce qui pourrait mal tourner : qu'on croit que je l'ai tué et que je veux m'enfuir, ce qui en soit n'est pas si éloigné de la réalité...
Étape numéro 6 : prévenir Elody de ce qui se passe et lui dire au revoir.
Ce qui pourrait mal tourner : me mettre à pleurer, la faire pleurer puis changer d'avis du tout au tout.
Étape numéro 7 : trouver un bus qui va vers East-Town et prendre une chambre dans un hôtel miteux mais à labris des regards.
Ce qui pourrait mal tourner : que l'hôtel miteux en question soit le lieu d'un meurtre.
Étape numéro 8 : Improviser.
Ce qui pourrait mal tourner : me faire retrouver, me faire agresser, me faire tuer, être à court dargent et mourir de faim, mourir, mourir, mourir.
Question improbable : est-ce que je prends mon chat ?
Ma compassion étant supérieure à ma raison, je décide de prendre Bellatrix malgré tous les risques que cela entraîne.
Je commence à me déshabiller au milieu de mon salon et entasse mes vêtements dans la poubelle en métal que je vide dans lévier. Après avoir récupéré ma trousse de premier secours, je me dirige vers la salle de bain, ouvre mon placard à pharmacie, prends mon stock de désinfectant et me prépare mentalement au calvaire que je mapprête à vivre. Je rince ma main non sans lâcher un gémissement de douleur. Le froid paraît s'insinuer dans ma plaie et la faire brûler d'une chaleur fiévreuse et insupportable. Par réflexe, je tourne le robinet pour augmenter la température mais rien ne change, c'est tout simplement horrible.
Une fois le sang lavé, je passe le désinfectant dune main tremblante. L'intensité des sensations déclenche des larmes qui se bousculent le long de mes joues. C'est comme si je prenais une corde rugueuse et que je la frottais à l'intérieur de ma chair. Je retiens des cris étouffés. Il ne manquerait plus que mes voisins mentendent crier Je tremble de tout mon corps et ferme les yeux un instant, de peur de m'évanouir. Une soudaine envie de vomir me prends au ventre et je me penche devant le robinet. J'attends, mais rien ne sort. Puis je prends une longue inspiration et me calme peu à peu. Lorsque ma plaie est propre et que le sang a arrêté de couler, jenroule le bandage autour de ma main. Un coup d'il au miroir me fait prendre conscience de ma pâleur extrême, et cette douleur, cette impression d'être électrique depuis que je L'ai touché qui ne s'en va pas... ça doit être une réaction post-traumatique.
Je retourne dans mon salon, et réalise limage qui soffre à moi : je suis totalement nue, un bandage à la main à côté dun cadavre avec une poubelle remplie de vêtements et je préfère réfléchir à la condition de vie de mon chat plutôt qu'à la mienne. Si on marrête maintenant, je me demande si ce nest pas à lasile quon menverra plutôt quen prison
La suite de mes actions se réalisent dans un flou total, j'ai l'impression de ne pas vivre la scène, de n'être qu'une spectatrice de cette mascarade. Tout ce que je fais, je le fais dans un automatisme pur et simple qui me glacerait le sang en temps normal.
Je récupère des vêtements dans mon armoire et mhabille en vitesse. Jattrape une valise cabine noire qui ma été offerte pour mon départ de lorphelinat et y jette tout ce qui est nécessaire pour ma survie : fringues, nourriture, brosse à dent, savon etc
Une fois mon sac fait, je prends la bouteille de vin blanc qui trône sur mon plan de travail et verse son contenu dans la poubelle. Jattrape la boîte dallumettes qui me reste, en fait craquer une et la jette dedans. Je reste quelques minutes immobile, regardant les flammes bouger en une danse sensuelle brûlant les tissus corrompus de mes habits. J'éprouve la chaleur de ce petit feu, toujours insensible à ce que je fais.
Je prends la laisse de mon chat et lattache à son cou - oui jai une laisse pour chat, non ce nest pas bizarre.
Une fois toutes mes affaires prêtes, je jette un dernier coup dil à mon appartement. Je sais, au fond de moi, que je ne reviendrais pas. Ce dernier regard, c'est une sorte d'adieu. Et sans m'en rendre compte, voilà que je revisite intégralement chaque pièce de cet endroit dans lequel j'ai vécu depuis ma sortie de l'orphelinat, cet endroit qui était le lieu marquant le début de mon indépendance... Pour la première fois depuis que je suis sortie de la salle de bain, je ressens une émotion, un pincement au cur.
Les murs autrefois crème sont maintenant délavés et parsemés de traces de griffures de mon chat, je souris en repensant au moment où j'avais appliqué moi-même la peinture : j'avais cru, ô pauvre innocente que j'étais, que j'arriverai à contrôler ce petit félin. J'ai aujourd'hui une réponse quant à la question de mon autorité inexistante... Une table ronde en bois assortie aux trois chaises qui lentourent est postée au milieu de la pièce. Mon canapé beige, maintenant imbibé de liquide rouge avait, il y a encore quelques heures, une apparence moelleuse et confortable. Je nai aucune photo - j'ai voulu m'établir un petit cocon dans cet appartement qui pour la première fois représentait mon véritable chez moi, mais il est vrai que j'ai encore du mal à accepter que j'ai une vraie vie, que je suis pour la première fois heureuse et indépendante - et mes murs ne sont habillés que dun tableau représentant un oiseau multicolore prenant son envol. Cest Elody qui me lavait peint et la tristesse me submerge quand je pense que je vais devoir le laisser derrière moi. Ce tableau était une promesse. La promesse quun jour, nous serions libres, quun jour, nous pourrions nous aussi nous envoler où lenvie nous guidera.
Je détache mon regard de ce lieu que jai mis tant de temps à en faire mon chez moi, prends ma valise, mon chat et part sans jamais me retourner.
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