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J'arrive...
Lua ne cessait de scruter l'horizon au bout de la vaste plaine qui s'étendait par-delà l'orée du bois. La brise fraîche du matin murmurait à son oreille depuis quelques jours. Deux ans après son départ, Myrdhin revenait enfin de son périple à travers le pays en compagnie de sa famille.
J'arrive...
Que ce soient le vent, les plantes, les créatures ou n'importe quel être vivant peuplant Priyan, elle entendait les nouvelles qu'ils lui soufflaient. Son meilleur ami semi-félin était sur le chemin du retour, le son de sa voix lui parvenait. Jamais elle n'aurait pu l'oublier.
Alors qu'elle se perdait dans la contemplation du paysage face à elle, son esprit divaguait.
Du plus loin qu'elle se souvienne, Myrdhin était dans sa vie. Ils étaient nés le même jour, lui dans la chambre au-dessus de l'apothicairerie, elle dans la forêt. Sa mère dryade souhaitait rester en communion avec la nature pour que Lua en soit reconnue comme la protectrice, malgré le sang de son père humain qui coulait dans ses veines.
Myrdhin apprit en grandissant à soigner les villageois et voyageurs à l'aide de potions, à l'instar de ses parents. Elle partageait un lien spirituel profond avec les arbres et les animaux. Ses pouvoirs les guérissaient et leur permettaient de croître.
Ainsi, la forêt entourant le village caché d'Auranthia demeurait l'une des plus belles du pays, mais aussi la plus secrète. Un sortilège, lancé par un des mages, empêchait quiconque de mal attentionné de pénétrer dans leur havre de paix.
J'arrive...
Lua s'impatientait. Son ami lui manquait terriblement. Leurs discussions interminables, leurs fous rires, leur complicité, sa présence à ses côtés – juste sa présence.
Le lien entre la semi-dryade et le semi-humain s'était renforcé avec les années.
Deux ans, ce n'était pas grand-chose, mais pour la jeune femme, cela se rapprochait de l'éternité. Ils n'étaient encore que des adolescents lorsque Myrdhin avait suivi ses parents dans leur quête de nouveaux remèdes.
Ce soir, pendant la célébration du retour de l'automne, ils fêteraient tous les deux leur passage à l'âge adulte. Il était hors de question qu'elle soit séparée de lui pour ce grand jour. Ils avaient promis d'être de retour à temps.
Et le vent ne mentait jamais lorsqu'il apportait des nouvelles.
Il arrive.
Il sera bel et bien là.
Lua se leva. Le brouillard enveloppait l'entrée de la forêt et pouvait devenir si dense qu'il était impossible à une personne indésirable de cheminer à l'intérieur. Les pieds nus de la semi-dryade frôlaient le sol moussu jonché d'un tapis de feuilles. Leurs couleurs chatoyantes se mariaient avec sa peau vert pâle irisée. L'écorce des arbres vibrait quand ses doigts les caressaient. Elle ressentait leurs murmures au plus profond de son être.
Une tête malicieuse surgit d'un bosquet. La dense fourrure soyeuse brun et roux du petit animal trapu se confondait avec l'environnement. Ses grands yeux pétillants fixaient la jeune femme, ses oreilles se dressaient de curiosité.
— Oui, mon tout beau, notre ami sera de retour d'ici peu.
Il sauta dans ses bras. Ses petites pattes agiles le menèrent dans le creux du cou de Lua où il nicha son court museau pointu. Sa longue queue touffue chatouillait le corps de la semi-humaine dont la robe, d'un tissu aérien doré comme ses iris, ne couvrait pas les épaules.
« Egun est content. Myr a manqué à Egun. »
Le son aigu de la voix de l'Écuki résonna dans l'esprit de Lua. Elle afficha un air faussement contrarié pour taquiner la bête chère à son cœur.
« Egun heureux que Lua soit restée avec lui ! Egun aime Lua. »
— Moi aussi, je t'aime, mon petit Egun adoré.
« Lua aime Myr aussi. »
Un sourire étira les lèvres roses de la gardienne des lieux. Elle prodigua une caresse sur le poil doux de son ami.
Sur le pont de pierres usées par le temps, Lua s'arrêta un instant pour admirer le ruisseau s'écouler tranquillement entre les roches. Egun en profita pour sauter sur le parapet irrégulier patiné de mousse verte et de lichens argentés. La semi-dryade fredonna quelques notes en accord avec la mélodie de l'eau. Elle se revit quelques années plus tôt s'y amuser en compagnie de ses amis, avant que Myrdhin ne quitte le village. Leurs rires retentissaient dans sa mémoire. Une pointe de nostalgie passa brièvement en elle, l'empressement de le retrouver devint plus intense. Elle jeta un dernier regard à l'eau claire et se hâta de reprendre son chemin vers le village.
Au bout du sentier qu'elle connaissait par cœur, deux immenses sculptures représentant de majestueux Sylvaliores se dressaient l'une en face de l'autre, indiquant la voie à suivre pour les âmes en quête d'un refuge. Le sentier crissait sous les pas de Lua tandis qu'elle admirait la roche blanche, grisée par les années, taillée de façon à former la courbe du corps de l'énorme créature ailée qu'elle adorait monter pour parcourir le ciel et faire la course avec Myrdhin.
La brume ambiante s'estompait au fur et à mesure que les remparts de pierres entrelacées de lierre se dessinaient devant Lua. Le sortilège se levait pour lui permettre de pénétrer dans ce lieu d'où elle ne s'était jamais éloignée au-delà de l'orée des bois.
Lorsqu'elle passa l'entrée entre les deux tours gigantesques, les maisons à colombages, aux toits de tuiles rouges et aux façades ornées de fleurs séchées, apparurent de part et d'autre de la ruelle pavée qu'elle emprunta. La jeune femme contempla le spectacle enchanteur que les jardins lui offraient. Les parterres brillaient de mille feux en cette saison : les chrysalium aux pétales pourpre, jaune et bronze se dressaient fièrement ; les asterias s'épanouissaient en bouquets étoilés et apportaient des nuances violettes et bleu profond ; les daléides exhibaient des touches écarlates. Lua laissa sa magie insuffler encore plus d'éclats à toutes ces couleurs flamboyantes. Le mélange des fragrances terreuses et piquantes explosa et ragaillardit la jeune femme.
Les haies de buis et de houx, taillées avec soin, offraient un contraste encore verdoyant. Les vignes vierges d'un rouge vif cascadaient sur les murs en pierres allant du gris pâle au brun chaud.
Des lanternes suspendues le long des ruelles attendaient la nuit et les festivités pour être allumées. La grand place apparut et l'effervescence des villageois remplaça le calme de la nature. L'arbre d'or en son centre resplendissait avec les lueurs matinales, tout comme la peau de Lua qui étincelait sous les rayons du soleil. Les enfants se couraient après en hurlant de rire. Lua eut de nouveau une pensée pour son ami. Eux aussi ne cessaient de se pourchasser dans d'innombrables jeux qui leur avaient parfois valu quelques remontrances de la part des anciennes, installées sur les bancs en bois sous les chênes centenaires. D'ailleurs, les jeunes ne manquèrent pas de se faire houspiller par ces mêmes vieilles dames, assises toujours au même endroit pour bavarder.
Chaque créature vivant à Auranthia s'affairait déjà dans les préparatifs de la fête. De grandes tables en bois, décorées de baies rouges et de courges, étaient dressées pour recevoir le banquet. Certains s'activaient à mettre en place une scène, d'autres à accrocher des guirlandes de feuilles aux couleurs automnales pour concevoir une voûte naturelle. Des effluves épicés et de pain chaud en provenance des boutiques chatouillaient l'odorat de la jeune femme.
— Lua ! s'écria la furie qui lui fonça dessus.
Elle s'écarta juste à temps pour éviter Seko. Son ami semi-canis n'avait jamais été assez discret dans ses approches pour la surprendre et l'entraîner dans une chute. Ses grosses pattes alarmaient la nature piétinée qui alertait Lua de sa présence. Pris dans son élan, il tomba seul sur le sol en terre battue.
— Pff, t'es pas drôle, maugréa-t-il.
Seko se releva, épousseta ses vêtements en lin, puis tira la langue à la semi-dryade.
— Tu devrais savoir depuis le temps que tu n'arriveras jamais à me sauter dessus.
— Ne jamais dire jamais ! Je crois fort qu'un jour, j'y arriverai.
— J'admire ta persévérance.
— Alors, c'est bon ? Il sera là à temps ? enchaîna-t-il avec empressement.
— Oui.
— Ben cache pas ta joie ! Je sais que t'attends que ça depuis qu'il a franchi la dernière ligne d'arbres de la forêt pour partir à l'aventure !
Le manque avait saisi Lua aussitôt son meilleur ami envolé. Cette sensation avait grandi de jour en jour et devenait insupportable par moment.
— Et s'il avait...
Une boule se forma dans la gorge de Lua.
— S'il avait quoi ?
— Je ne sais pas. Changé ? Et s'il m'avait oubliée ? hasarda-t-elle.
— Lu'. Personne peut t'oublier. T'es inoubliable ! Et notre bon vieux Myr ne fera pas exception. Je pense même que lui, il résisterait à un charme qui effacerait ton image de nos mémoires.
Elle lui adressa un mince sourire reconnaissant. Il avait raison. Rien ne pourrait jamais la séparer du cœur de Myrdhin.
Les grands gestes de son père à l'entrée de l'auberge captèrent son attention. Elle prit congé de son ami et le rejoignit. La célébration du retour de l'automne attirait toujours les voyageurs. Cette année n'échappait pas aux habitudes et toutes les chambres allaient être occupées. Elle devait aider sa famille à tout organiser pour les arrivées, d'autant plus que ses parents se chargeaient de la préparation du banquet. La cuisine bouillonnait déjà, sa mère avait appelé du renfort.
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