Voyage Malicieux
L'air glacial du matin agressa Hataru à peine eut-elle glissé son nez dehors. Elle frissonna violemment, se demandant s'il ne lui aurait pas fallut ajouter au moins une autre veste aux trois couches qu'elle portait déjà, à savoir t-shirt, pull épais et anorak. Elle se félicita cependant d'avoir sorti son écharpe, et d'avoir emprunté les gants de Lucie qui, bien que légèrement trop grands pour elle, parvenaient au moins partiellement à tenir le froid à distance. Le soleil était à peine en train de se lever, éclairant de ses rayons rasants les branches de plus en plus nues des arbres qui jalonnaient la petite rue où se trouvait l'appartement d'Hataru et Lucie. Cette dernière grogna en sortant à son tour du hall de l'immeuble dans le froid matinal.
-Bordel... si j'avais su, j'aurai jamais accepté de t'amener et je serai restée bien tranquillement dans mon lit jusqu'à ce soir.
-Vous avez entrainement cet après midi, ne fais pas comme si tu avais oublié. La taquina Hataru. Remercie moi plutôt de t'avoir levée, sinon tu aurai dû faire face aux foudre du coach.
Lucie grimaça, faisant éclater son amie de rire. Un frisson plus tard, et elles se glissèrent dans l'habitacle de la petite voiture de Lucie, tout aussi glacial que l'extérieur. C'était un petit véhicule à hydrogène dépassé, n'ayant qu'un mode de conduite manuel, sa propriétaire ne faisant absolument pas confiances aux systèmes des voitures autonome et appréciant de conduire elle même.
-Bon... soupira-t-elle. On a rendez vous devant chez elle, c'est ça? Elle t'a donné l'adresse?
Je la lui donnais, et elle soupira. C'était de l'autre côté du campus, ce qui signifiait longs détours, petites rues et nombreux feux malgré le peu de circulation à cette heure-ci. Lucie mit le contact, et démarra. Quelques minutes plus tard, elles arrivèrent au pied d'un immeuble devant lequel Rin était déjà sortie, en train de sangler plusieurs petits sacs sur la plages arrière de son scooter. Elle avait abandonné son habituel chignon pour une queue de cheval basse, et était vêtue d'une épaisse doudoune surmontée d'une écharpe. Lucie se pila face à elle, et descendit la fenêtre.
-Bonsoir, j'ai un colis pour vous. Déclara-t-elle avec humour, ce à quoi Rin répondit par un regard vide.
-Tais-toi un peu. Grinçai-je en sortant de la voiture et en la contournant pour aller saluer la présidente du cercle. Bonjour, Rin. Je te présente Lucie, dont je t'ai déjà parlé.
-Enchantée. Répondit poliment Rin, sans se départir de son visage sans expression.
-De même. Fit Lucie en rentrant sa tête dans l'habitacle, visiblement vexée par le manque de réaction de la présidente à sa plaisanterie. Quel est le plan, du coup? Rouler jusqu'à Yamanashi?
Rin acquiesça.
-La route est assez longue, alors je pense que nous pourront faire une pause vers Minobu, et-
-Et aller dans un onsen? S'exclama Lucie, soudainement très intéressée.
-Lucie... soupira Hataru. C'est deux heures allez, deux heures retour, il te faudra quand même arriver à l'heure pour ton entrainement cet...
-Au diable l'entrainement! Grogna-t-elle. J'en ai fait toute la semaine. Je vous le dis, moi, je m'arrête dans un onsen à Minobu et je me pose au moins une heure. Et c'est optimiste.
Hataru poussa un très long soupire, espérant qu'il ferait comprendre à Lucie qu'elle commençait à se montrer pénible, mais soit la concernée ne le remarqua pas, soit elle l'ignora. Rin posa simplement une main sur l'épaule de Hataru pour attirer son attention, alors qu'elle fusillait sa meilleure amie du regard.
-Ce n'est pas grave, au contraire. Le voyage est long, autant en profiter. Ce ne serait pas la première fois que je m'y arrête de toute manière.
Le regard de Lucie s'éclaira de nouveau.
-Donc tu connais les bons plans onsen du coin, je suppose? Demanda-t-elle avec un regard avide.
Rin acquiesça, et Lucie fit une petite danse de la joie sur son siège conducteur. Je jetais un regard gêné à Rin, qui ne sembla pas le remarquer.
-Nous passerons rapidement chez mes parents pour récupérer le matériel et peut être manger, continua-t-elle, puis nous irons vers le lac Shibire. C'est à peu près une heure dans l'autre sens. Ça... vous va, comme programme?
Elle sembla soudain légèrement nerveuse en demandant cela, comme si elle venait de réaliser qu'elle demandait peut être quelque chose de déraisonnable. Hataru s'apprêtait à la rassurer, mais Lucie la précéda.
-C'est parfait! Ça fait un bail que j'ai pas conduit, ça va me faire du bien! Et puis un onsen... ça ne se refuse pas. Je m'imagine déjà dans l'eau brûlante, en train de...
-Oui, on a pas besoin des détails. On sait déjà que tu as hâte de balader tes formes devant tout le monde.
Rin déglutit et sembla rougir légèrement, ce qui ne passa pas inaperçu aux yeux de Lucie, dont le sourire amusé s'agrandit subitement. Hataru, cependant, ne sembla pas voir cela et se contenta de faire le tour de la voiture pour y pénétrer, et fermer la portière.
-Je vous envoie l'adresse du onsen. Déclara Rin en enfilant son casque, non sans détourner le regard du véhicule. On se retrouve là bas, de toute manière.
-Très bien, cheffe. Répondit Lucie en fermant sa fenêtre, et en démarrant son véhicule.
Le silence tomba sur l'habitacle quelques instants, avant que Hataru ne commence à fixer Lucie, comme si elle attendait une réaction particulière de sa part. La concernée, concentrée sur la route, ne le remarqua pas immédiatement, mais finit par hausser un sourcil.
-Qu'est-ce qu'il y a? Demanda-t-elle.
-Rien, je m'étonne juste que tu ne m'ai pas encore fait tes retours sur ta première impression de Rin. Fit remarquer Hataru.
La conductrice sentit un léger sourire lui monter aux lèvres.
-Pas très causante, mais je crois que je l'aime bien. Déclara-t-elle. Pourquoi, si je t'avais dit que je la détestais, tu aurai arrêté de la voir?
-Pff, bien sûr que non. Mais... ton avis compte quand même.
-M'en voilà flattée.
-Tais-toi et conduis. Bougonna Hataru, ce qui fit rire Lucie.
Cette dernière mit en route sa playlist, et bientôt, l'habitacle fut rempli d'ondes sonores sur lesquelles les deux amies chantaient à tue-tête. Le temps de trajet jusqu'à Minobu sembla s'éclipser en un rien de temps.
Une fois arrivées, Lucie se gara adroitement sur le parking du onsen, plutôt peu rempli en ce samedi matin d'automne - ce qui était attendu. Rin n'étant pas encore arrivée, les deux amies entrèrent dans le hall et Hataru envoya un court message à la présidente pour lui annoncer où elles se trouvaient. La concernée pointa le bout de son nez moins de quelques minutes plus tard, ce dernier, ainsi que ses joues, rougies par l'air froid de la route, et les membres visiblement tout autant endoloris par celui-ci.
-Ah, enfin! S'exclama Lucie en se levant bruyamment de la chaise sur laquelle elle était en train de ruminer, nous attirant les regards courroucés des employés. Allez, allons y, je meurs d'envie de glisser mon corps dans l'eau chaude.
-Allez-y sans moi, je n'en ai pas très envie finalement. Déclara Rin avec aplomb. Je vous attend là.
Hataru lança un regard surpris à sa nouvelle amie. N'avait-elle pas dit qu'elle passait souvent par ici? Mais quel était le but de se rendre dans un onsen, si ce n'était pour profiter de ses bains d'eau brûlante chauffée directement dans le cœur volcanique des terres?
-Tu... es sûre? Demanda Hataru, incertaine, et n'osant pas poser de question que puisse sembler indiscrète malgré sa curiosité.
-Oui, ne t'en fais pas. Assura Rin. Allez-y.
Mais Lucie ne l'entendait pas de cette oreille.
-Tetete, tu ne te débineras pas comme ça, ma chère Rin. Déclara-t-elle en passant un bras autour de l'épaule de la présidente. Tu babysittes ma petite Moe pendant une journée complète, alors le moins que je puisse faire c'est de te payer l'entrée. Tu ne refuserai tout de même pas un cadeau?
Rin sembla immédiatement particulièrement mal à l'aise de ce contact soudain et non désiré.
-Lucie, tu vois bien que tu la gêne! S'exclama Hataru, pour venir en aide à sa nouvelle amie qui tentait de se défaire de l'emprise de Lucie.
-Mais Moe, elle ne peut pas ne pas venir dans le onsen avec nous alors qu'elle nous a donné l'adresse! Rétorqua Lucie sur un ton outré, que seule Hataru pouvait déceler comme étant de la pure comédie, dont elle ne comprenait cependant pas la raison.
Peut être Lucie voulait-elle simplement taquiner Rin? C'était probablement la pire chose à faire pour se rapprocher d'elle. Alors qu'Hataru s'apprêtait à lancer une réplique cinglante, son amie d'enfance la coupa cependant.
-En plus, elle est toute gelée! Il faut qu'elle se réchauffe un peu! Regarde...
Joignant le geste à la parole, Lucie saisit la main de Hataru qui se tendait déjà dans sa direction pour la séparer de Rin, et vint la plaquer directement sur la joue de la présidente qui se mit immédiatement à rougir jusqu'aux racines.
-Bon sang, tu es vraiment glacée! Ne put s'empêcher de glapir Hataru, venant placer sa deuxième main sur l'autre joue de Rin comme pour s'assurer de son diagnostic.
Elle semblait avoir instantanément oublié les reproches qu'elle tentait de faire à Lucie, ce que cette dernière avait parfaitement prévu. Elle se délectait désormais de la gêne absolue de Rin, qui, non contente d'avoir désormais la couleur d'une tomate, semblait également avoir du mal à trouver une excuse pour échapper aux bains.
-Non, j'ai juste... enfin, je vais remonter en scooter après de toute manière, et... je ne veux pas embêter, vous n'allez pas payer pour moi, et...
-Oh, si Lucie veut payer pour toi, elle le fera que tu le veuille ou non, crois moi. Grinça Hataru en jetant un regard en biais à Lucie, qui haussa innocemment les épaules. Et puis, replonger dans le froid ne nous empêche pas de bien nous réchauffer auparavant, non? On a tout notre temps, comme tu as dit.
Le regard d'Hataru était pétillant. Elle souhaitait réellement prendre ce bain avec sa nouvelle amie, elle était certaine que c'était le franchissement d'une nouvelle grande étape dans leur amitié et ne comptait en aucun cas la laisser passer. Elle préférait simplement que Rin en fasse le choix elle même, et non forcée par les tactiques tactiles de Lucie qui avaient tendance à si bien marcher sur les généralement distants japonais.
-D'accord, je viens... céda Rin avec un soupire.
-Super! S'exclama Hataru.
-Bien voilà, c'était pas si difficile! Railla Lucie en s'éloignant vers l'accueil pour payer leur entrée.
-Hum... Hataru? Demanda cependant Rin d'une voix incertaine.
-Oui?
-Est-ce que... tu peux...
Hataru réalisa que ces mains étaient toujours fixées aux joues de Rin comme par de la glue, et qu'elle semblait elle même ne pas l'avoir réalisé. Horrifiée et terriblement gênée, persuadée d'avoir largement dépassé les limites de la présidente, elle se confondit en excuses.
-Je suis désolée, bon sang je suis désolée, je n'avais pas... oh que je suis tête en l'air, je ne voulais vraiment pas... je m'excuse.
-Non, ne t'en fais pas, ce n'est rien de grave. Répondit Rin, tentant d'apaiser Hataru, mais le visage encore cramoisi.
Lucie interpella les deux femmes depuis l'autre bout du hall, s'attirant une énième fois les regards de ses occupants pour son vacarme. Hataru se hâta de se déshabiller et de s'asseoir devant une douche pour se laver. Elle n'avait qu'une hâte, plonger dans l'eau brûlante, et se laisser détendre. Lucie, elle aussi, semblait n'avoir que cela en tête et se lava en quatrième vitesse. Rin semblait cependant bien peu pressée de les rejoindre. Elle pliait ses vêtements avec lenteurs, tournant le dos aux deux autres femmes, et prenant son temps comme si elle avait réellement toute la journée.
Lucie s'en rendit compte, et un sourire moqueur naquit sur ses lèvres. Elle se leva de son siège pour se diriger discrètement vers la présidente mais, heureusement pour cette dernière, Hataru avait anticipé son mauvais coup et la retint avant qu'elle ne fasse quoi que ce soit, pour l'entrainer vers le bassin. Rentrer dans l'eau fut un pur bonheur, surtout avec l'air glacial du matin que le soleil désormais bien levé ne parvenait pas totalement à réchauffer.
-Je peux savoir à quoi tu joues avec Rin? Grinça Hataru, enfonçant son doigt dans le sein gauche de Lucie.
-Moi? S'étonna cet dernière. Mais alors rien du tout, je ne vois pas du tout de quoi...
Le regard d'Hataru était équivoque, et Lucie poussa un soupire amusé, rendant les armes.
-Ok, j'avoue, c'est drôle de la taquiner et d'essayer de la faire sortir de sa carapace.
Hataru poussa un long râle.
-Tu ne peux pas cesser pour une journée d'être... toi? Souffla-t-elle. Certaines personnes ne veulent juste pas être sorties de leur carapace, et tu les mets très mal à l'aise.
-Tu veux surtout ne pas laisser une mauvaise impression pour qu'elle accepte de te prendre dans son cercle. Fit remarquer Lucie avec amusement.
-En partie aussi, mais j'aimerai enfin avoir une autre amie que les gens de ton club alors si tu pouvais éviter de tout gâcher par ta simple existence, je te serai éternellement reconnaissante. Enchaina très rapidement Hataru à voix basse, surveillant l'entrée des douches pour s'assurer que Rin n'entendait rien de ses paroles.
-Hum, et tu pourrais reconsidérer cette idée de petit boulot et de répartition des dépenses?
-Un deal est un deal, Lucie. On revient pas dessus.
-J'aurai essayé! Conclut Lucie en haussant les épaules.
La porte des douches claqua, et Rin s'approcha de l'eau à petits pas. Elle avait de nouveau réuni ses cheveux en son éternel chignon, afin de ne pas les mouiller, tandis qu'elle camouflait son corps en retenant une serviette blanche contre sa poitrine. Ce fut uniquement à cet instant que Hataru réalisa la raison de la gêne de la présidente à l'idée de se retrouver totalement nue dans le bain en leur compagnie. Cela ne lui avait même pas traversé l'esprit. Après tout, n'avait-elle pas dit qu'elle passait souvent par ici? Cela signifiait donc qu'elle se baignait régulièrement nue dans des bains similaires, et Hataru en avait donc déduit qu'il n'y avait pas de problème. Mais se baigner avec de parfaits inconnus et avec des camarades de promotion, particulièrement pour une personne aussi distante que Rin, était bien différent. Et si elle venait toujours à ces horaires là, alors elle ne devait de toute manière pas croiser grand monde.
Soudain consciente de sa bêtise, et de la gêne de celle qu'elle désirait comme amie, Hataru détourna son regard d'elle et entraina dans le même mouvement Lucie, la poussant vers le bord du bassin afin d'admirer la vue sur la vallée en contrebas. La jeune femme protesta, mais Hataru ne lui laissa pas le choix, résistant au passage à sa curiosité de jeter un regard en direction de Rin. Peut être était-elle déjà dans l'eau? Comment en être sûre? Dans le doute, Hataru fit en sorte de ne pas laisser s'échapper Lucie un seul instant, et de se détendre là, face à la vue, au bord du bassin brulant.
Les trois jeunes femmes restèrent longtemps à profiter ainsi de la chaleur, le corp intégralement plongé dans l'eau jusqu'au cou afin de fuir le léger mais glacial vent qui soufflait à travers la vallée. Le temps s'écoulait avec lenteur, et elles perdirent quelque peu la notion du temps. Cependant, il était mauvais de rester trop longtemps dans une eau aussi brulante, et Lucie en était particulièrement consciente. Ce fut la raison pour laquelle, lorsqu'elle remarqua le visage particulièrement rouge de Rin, elle n'hésita pas un instant à le faire remarquer.
-Euh, Rin, ça va? Tu devrai peut être bientôt sortir.
-Ça va, ça va. Répondit la concernée. Profitez un peu, je sortirai après vous.
-Eh bien, on allait justement sortir! S'interposa Hataru, comprenant le conflit se jouant dans l'esprit de la jeune femme. Allez, viens Lucie.
-Quoi? Mais moi je veux encore continuer...
-Viens, je te dis. Grinça-t-elle entre tes dents. T'auras qu'à y passer au retour si ça t'a tellement plu.
Sans totalement comprendre pourquoi, Lucie fut trainée hors de l'eau par son amie. Elles grelottèrent jusqu'à se glisser à l'intérieur des vestiaires, où elles se jetèrent sans hésitation sur les serviettes et peignoirs bien chauds préparés par les employés. Mais également là, Hataru pressa Lucie de se rhabiller plutôt que de trainer en salle de repos dans son délicieux peignoir douillet, ce qui eut le don d'agacer la jeune femme. A peine Hataru l'eut-elle trainée hors des vestiaires que Lucie se détacha d'elle et lui demanda:
-Bon, ça va, j'ai le droit de profiter un peu?
-Ouvre un peu les yeux, Lucie, tu vois pas à quel point Rin était mal à l'aise?
-Bien sûr que si. S'offusqua la jeune femme. Je l'ai même deviné quand elle a proposé. Pourquoi j'ai autant insisté pour la faire rentrer avec nous, à ton avis?
Hataru soupira de nouveau.
-Je dois te refaire tout le speech sur les carapaces et sur le fait que ta comportement avec celle des autres te rend particulièrement insupportable?
Ce fut au tour de Lucie de soupirer.
-Ça vaa, ça vaa, ce n'est pas comme si elle n'avait pas l'habitude de voir des filles nues...
-Et qu'est-ce que t'en sais, Lucie? Elle est pas nous, elle a pas forcément grandi dans le même environnement que nous, et elle a probablement ses raisons.
-Quel genre de raison? Interrogea Lucie en levant un sourcil.
-Comment je le saurai? Rétorqua Hataru, avec le même genre de regard.
-Je sais pas, tu m'as l'air bien au courant. Vous êtes plus proches que tu me l'as avoué, ou...
L'estomac de Hataru vint, comme à son habitude, interrompre la discussion. Le jeune femme à qui il appartenait était en effet déjà en train de humer l'air en fermant les yeux, ce qui lui donnait l'air d'être un petit chiot à la recherche d'une piste. Un chiot aux poils teint en rose.
- Ça sent drolement bon, dis donc... murmura-t-elle.
-Bordel quel estomac sur pattes tu es... railla Lucie, avant que son propre ventre ne commence à gémir, déclenchant un rire des deux jeunes femmes.
-Les bains, ça creuse! S'exclama Hataru, en se dirigeant vers la sorte de mini cafétéria qui s'ouvrant dans l'aile nord du hall.
Lorsque Rin sortit enfin des bains, le visage encore rougi par la chaleur et l'esprit un peu brumeux, elle trouva ainsi ses deux compagnes de voyages assises en tailleur sur les coussins entourant une table basse, en train de savourer pour Lucie, et dévorer pour Hataru, de délicieux anpans.
-Je te conseille de te bouger si tu en veux. Ricana Lucie en la voyant. Notre estomac sur patte est prête à tout engloutir.
-Je ne prendrai pas sa part! S'exclama Hataru, la bouche à moitié pleine.
Lucie fixa Rin, dont le visage avait laissé apparaitre un sourire amusé fixant Hataru, et elle ne put s'empêcher de lancer:
-Tu sais donc sourire... impressionnant.
Rin, comme prise sur le fait, supprima immédiatement l'expression de son visage et vint s'accroupir face à ses deux acolytes, avant de se saisir d'un anpan et de mordre dedans à pleine dents. La délicieuse chair de la brioche était encore chaude et fondit doucement dans sa bouche, répandant les aromes sucrés de la pâte de haricot rouge avec eux. C'était un véritable délice. La présidente n'oublia cependant pas les raisons de leur présence.
-Ne mangez pas trop tout de même, nous sommes restées assez longtemps et midi n'est plus très loin.
-Moi, j'ai fini. Se défendit Lucie. Et elle, elle aura de nouveau faim d'ici cinq minutes.
Rin fixa de nouveau Hataru avec un regard quelque peu sceptique, mais le regard de Lucie semblait lui indiquer qu'elle était parfaitement sérieuse. La jeune femme aux cheveux rose termina de dévorer le dernier anpan, avant de se laisser tomber en arrière et de pousser un sourire d'aise, sa tête sur le sol.
-Bon... lança Lucie. On va pouvoir repartir? Tu te sens d'attaque, Rin?
Cette dernière hocha la tête. La chaleur du bain l'avait quelque peu étourdie, mais elle était sortie à temps pour ne pas avoir de nausée, et pour que l'effet se dissipe rapidement. Hataru remonta donc dans la voiture avec Lucie, et Rin enfila de nouveau son casque, pour la deuxième partie du voyage, devant les mener jusqu'à Yamanashi, à environ une heure de là.
Dans l'habitacle de la voiture, l'ambiance fut cette fois-ci moins musicale et plus contemplative que pendant le premier tronçon. La route les avait menées au cœur des montagnes, et Lucie, qui n'avait que rarement eu l'occasion d'en voir, admirait la magnificence et la hauteur des demoiselles de pierre avec attention et respect. Lucie, elle, profitait de sa conduite tout autant que du paysage, n'hésitant pas à faire de petits commentaires de temps à autres sur les lieux ou reliefs dont elle connaissait le nom ou sur lesquels elle avait entendu quelques anecdotes croustillantes et à la véracité parfois plus que discutable. Malgré le plaisir que prenait Lucie à conduire, aucune des deux jeunes femmes n'était partie très loin de Shizuoka et de la côte depuis leur rentrée, et c'était donc la première fois que Hataru découvrait le coeur des montagnes japonaises. Elle les avait simplement entrevues depuis le train qui l'avait menée de Tokyo à Shizuoka, lorsqu'elle était arrivée au Japon, quelques mois plus tôt. C'était un spectacle prenant, mais également inspirant l'humilité. Face à de telles structures, si anciennes, si immuables, qui avaient vécu bien longtemps avant qu'elle ne foule cette terre et continueraient d'exister bien après que tout souvenir d'elle ait disparu, Hataru se sentait minuscule, insignifiante. Mais, dans le même temps, cela la faisait relativiser sur bien des aspects de sa vie, qu'il lui semblait maintenant avoir prit un peu trop à cœur malgré leur importance toute relative sur le cours de son existence. Ses disputes avec Kazuto. Ses partiels qui approchaient à grand pas. Ses besoins pécuniers. Tout semblait soudain plus léger, moins pressant, et Hataru eut le cœur léger pour la première fois depuis bien longtemps, lui sembla-t-elle.
Mais, bien sur, le voyage n'était pas fait pour durer éternellement. Bientôt, la vallée commença à s'évaser, le relief à légèrement s'aplanir, et les bâtiments à se faire plus fréquents. La route traversa plusieurs villes, qui commençaient lentement à s'activer alors que le soleil approchait de son zénith. Lucie suivit consciencieusement les indications qu'avait donné Rin afin de se retrouver chez ses parents, mais, trouvant le quartier très plaisant, elle décida de rouler quelque peu dans les environs avant de se diriger vers leur destination. Le bâtiment était une petite maison typique, avec ses poutres en bois apparentes et sa terrasse donnant sur la rue. Le rez de chaussée était occupé par un petit restaurant traditionnel, dont provenait déjà une délicieuse odeur de viande grillée. Hataru commença déjà à saliver, tout en se demandant si la famille de Rin vivait à l'étage, la petite maison ne semblant pas être suffisamment grande pour accueillir plusieurs appartements. La concernée arriva quelques minutes plus tard, le visage de nouveau rougis par le froid, et Hataru se surprit à trouver son petit nez devenu écarlate particulièrement mignon. Rin gara son scooter le long du mur de la petite maison, retira son casque, et pénétra sans une hésitation dans le restaurant en faisant coulisser sa porte à panneaux. Lucie haussa un sourcil, soudain intéressée, alors que Hataru se hâta de suivre la présidente du club à l'intérieur, plus attirée par l'odeur alléchante que par la promesse d'une salle chauffée. L'intérieur ressemblait au cliché du restaurant familial japonais. Le sol en tatamis demandait à retirer ses chaussures à l'entrée, et les nombreuses petites tables basses étaient entourées de coussins sur lesquelles quelques rares clients du troisième âge étaient déjà installés. Les murs étaient de couleur claire, et ornés d'estampes et de haikus magnifiquement calligraphiés, ainsi que de quelques étagères sur lesquelles reposaient des bibelots semblant provenir d'un autre âge. Au fond, une lucarne dans le mur donnait directement sur la cuisine, vers laquelle se dirigeait Rin, et dans laquelle s'activaient plusieurs personnes. Chaque table était ornée d'une plaque chauffante, et le visage d'Hataru s'éclaira d'autant plus.
-C'est un yakiniku? S'exclama-t-elle avec tant d'excitation que son ventre décida de se joindre à elle en gargouillant joyeusement.
Rin tourna un regard désabusé vers elle, et Lucie, qui venait d'entrer derrière elle, haussa les épaules en disant:
-Je te l'avais dit.
Hataru n'écoutait pas, trop concentrée sur les rares tables occupées dont les occupants faisaient cuir leur viande sur les plaques chauffantes, les assaisonnant à l'aide des différents mélanges d'épice et de sauce fournis par le restaurant. La jeune femme mourait désormais d'envie de manger là. Elle ne remarqua presque pas, occupée comme elle était, un des cuisiniers saisir Rin dans ses bras avec engouement.
-Je suis si heureux que tu passes nous voir! S'exclama l'homme, dont le visage ne laissait que peu de doute sur son lien de parenté avec la présidente du cercle d'activité en plein air. Tu ne me présente pas à tes amies?
Rin se dégagea de l'emprise de son paternel avec une expression ennuyée et un soupire.
-Voici Lucie-senpai et Hataru, deux élèves de l'école. Présenta-t-elle, et Hataru, revenue à elle, se sentit quelque peu blessée par la distance qu'elle avait mise.
Elle n'était donc qu'une autre élève à ses yeux? Hataru se doutait que Rin n'était pas le genre à faire de grandes déclarations d'amitié, mais c'était tout de même particulièrement froid.
-Enchantée, Aoi-san. Se présenta tout de même Hataru en baissant légèrement la tête. Je suis Tsukino Hataru, en première année. Je suis également kouhai de Rin dans le cercle des activités en plein air.
-Oooh, une kouhai, hein? S'exclama l'homme, visiblement ravi. Et tu la présente comme une simple camarade, quelle froideur, Rin... alors que tu es devenue senpai...
La concernée roula des yeux, mais évita consciencieusement le regard de Hataru qui cherchait pourtant le sien.
-Et moi, je suis Lucie Delbos, en troisième année. Se présenta à son tour Lucie. Je ne suis pas membre du cercle, je sers juste de taxi. Enchantée.
-Enchanté également. Répondit le père de Rin. Je suis Aoi Fusao, le père de Rin, et Aoi Fumika, sa mère, se trouve juste là bas, en cuisine.
-C'est votre restaurant? Demanda Lucie.
-Oui, c'est mon père qui l'a ouvert, et moi qui l'ai reprit. Déclara l'homme. C'est parfois beaucoup de travail, mais toujours beaucoup de plaisir et de reconnaissance.
-D'accord, papa... soupira Rin. On connait la chanson. Tu as préparé le matériel?
-Oui, tout est dans l'entrée, vous n'avez qu'à récupérer. Mais restez donc manger avant.
-Non, ça ira. Trancha Rin. On prendra quelque chose en chemin, on ne va pas vous déranger plus longtemps.
Hataru lança un regard déçu à Rin, mais cette dernière, le visage fermé, ne sembla même pas le remarquer.
-Tu ne vas quand même pas aller payer nos concurrents alors que je vous offre le repas! S'exclama Fusao. En plus, Noriko va bientôt commencer son service, tu ne vas quand même pas partir sans lui dire bonjour!
-Nous sommes déjà plus en retard que je l'avais prévu, papa. Rétorqua Rin, soudain un peu plus agitée. Venez, allons porter les affaires dans la voiture.
Rin se dirigea vers la sortie du restaurant. Elle était en train d'enfiler ses chaussures lorsque, face à elle, s'ouvrit soudainement la porte et qu'une magnifique jeune femme aux longs cheveux noirs, au visage jovial et arrondi et aux mèches roses pénétra dans le restaurant.
-Bonjour tout le monde! S'exclama-t-elle, avant que son regard se fige sur Rin et qu'un silence s'installe pendant un court instant, qu'elle brisa d'une voix joyeuse. Rin! Ça fait tellement longtemps! Tu es rentrée pour le week end?
Rin semblait particulièrement blême, mais répondit de son habituelle voix monotone.
-Non, je fais que passer. On part camper plus au sud, je passais juste récupérer un peu de matériel.
-"On"? S'étonna-t-elle en relevant la tête vers Lucie et Hataru. Ooooh, enchantée, je suis Kamihara Noriko, amie d'enfance de Rin.
Lucie et Hataru répétèrent leur présentation, et Noriko, ayant retiré ses chaussures, approcha de la seconde.
-Une sœur de coloration! S'exclama-t-elle avec joie, en passant la main dans les cheveux roses bonbon de la jeune femme. J'ai plus que quelques mèches, mais au lycée, j'avais la même couleur que toi!
-On doit vraiment y aller, Noriko. Coupa Rin, déjà à moitié sortie de la pièce.
-Encore en train de t'enfuir? Soupira Noriko. Restez un peu manger! Je n'ai jamais rencontré tes amis de l'université, et on ne s'est quasi pas revues depuis la fin du lycée. Je vais finir par croire que tu m'évites!
-N-Non, bien sûr que non. Se défendit Rin. C'est juste que... nous sommes déjà un peu en retard, et-
-On est plutôt large au contraire, non? La coupa Lucie. Officiellement, je dois juste être rentrée pour 15h, donc si on ne passe pas deux heures à manger nous sommes dans les temps, il n'est pas encore midi.
-Oui, acquiesça Hataru. Puis c'est l'occasion de revoir ta famille, en plus! On ne va pas te priver de ça juste pour le club de Lucie. En plus... la nourriture a l'air délicieuse.
Rin lança un regard qui semblait presque désespéré à Hataru, mais cette dernière ne sembla pas le réaliser. Lentement, elle re rentra dans le restaurant avec un soupire.
-D'accord, on va manger ici rapidement... concéda-t-elle.
-Parfait! S'exclama Fusao. Noriko, va donc te changer! Rin, passe dire bonjour à ta mère pendant que je place tes amies.
Alors que le père de Rin s'en allait après avoir montré leur table aux deux jeunes femmes, Lucie envoya un coup de coude malicieux à sa meilleure amie.
-Finalement, le "respecter la carapace des gens", c'est un peu quand ça t'arranges, pas vrai?
Hataru fronça les sourcils, ne comprenant pas la raison du sous entendu.
-Ça se voyait comme le nez au milieu de la figure que Rin ne voulait pas rester ici, duh. Affirma Lucie face au regard de Hataru, comme s'il s'était agi d'une évidence.
-On est chez ses parents, j'ai du mal à voir comment on peut ne pas vouloir rester chez ses propres parents.
Lucie ne dit rien. Même si l'explication d'Hataru ne faisait pas sens, la jeune femme en comprenait la raison, et elle savait que c'était un sujet sur lequel il valait mieux ne pas se lancer.
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