Réminiscence
-Moe...
La voix douce et nostalgique tira Hataru de son sommeil, mais seulement partiellement?
-Hmm... Aneko? Murmura la jeune femme. Il est quelle heure?
-Lève toi, tu vas rater le petit déjeuner. La pressa Aki avec la gentillesse qui lui était coutumière.
-Le petit déjeuner? Mais...
-Allez, ne viens pas me dire que tu n'as pas faim. Rit la belle blonde. Je n'y croirait pas un instant.
Hataru entendit ses pas étouffés s'éloigner, et ouvrit finalement les yeux. Elle reconnut le plafond de sa chambre, à Ilica. La petite pièce à l'étage de leur vieille maison biscornue, avec tous ses posters, ses livres, sa console... le soleil filtrait au travers des stores. Une délicieuse odeur flottait dans l'air. La jeune femme s'étira, et se tira hors de son futon. Un simple coup d'oeil circulaire autour d'air la remplit d'un élan de nostalgie. Il y avait tant de souvenirs, dans cette pièce... tant d'heures à jouer avec Lucie, à lire, à jouer, à s'imaginer des histoires... tant de copines invitées, d'après midi passés à ne plus ou moins rien faire... cette chambre, c'était toute sa vie, c'était toute son enfance. Elle soupira, s'imprégnant de toute cette atmosphère qui lui avait tant manqué. Quand elle se retrouvait dans sa chambre, elle avait l'impression de revenir dans le temps, quand tout était plus simple, quand Aki lui faisait encore à manger tous les jours, quand elle n'avait à penser à rien d'autre qu'au lycée, et à s'amuser.
-Dis donc, gamine. Faudrait voir à pas trop tarder, hm?
La voix railleuse qui venait de l'apostropher, elle la connaissait bien aussi. Avec ses cheveux teint en rouge pétant, Nami était l'esprit libre de la famille. Pas toujours la plus facile à vivre, au tempérament chaud, brûlant parfois, mais également toujours prête à faire les quatre cent coups avec ses petites soeurs. C'était elle qui avait teint les cheveux de Hataru en rose, au lycée. Aki avait failli en faire une crise d'apoplexie.
-Ben alors, reste pas plantée là. Ajouta Nami, depuis la porte coulissante de la chambre. S'il ne reste plus rien, Maman t'en refera pas.
Hataru se figea.
-M... Maman?
Nami lui lança un regard étrange.
-Tu joues au perroquet, maintenant? Allez, descend.
La jeune femme s'éloigna, et Hataru entendit les craquements si familier du parquet et de l'escalier alors que Nami descendait au rez de chaussée. Elle resta un instant immobile, avant de finalement se lever, et se hâter à son tour vers les marches. Elle les dévala quatre à quatre, avant de s'arrêter. Le petit salon n'avait pas changé, avec ses bibelots accrochés partout aux murs, son sol en tatamis et son kotatsu bien chaud qui accueillait toute la famille pour le repas. Les voix d'Aki et Jade retentissaient, depuis la cuisine. Nami venait de s'asseoir, et dévorait avec passion un énorme bol de nouille, assise à côté d'une Lucie tout aussi affamée. Satsuki, la troisième soeur, mangeait dans son silence habituel, un livre posé sur ses genoux, plongée dans son monde, sans vraiment porter attention au monde qui l'entourait. Jusqu'à ce que Chantal, la grand mère, ne le lui retire des genoux.
-Tu veux pas un peu regarder ce que t'as autour de toi, un peu? Grommela la vieille femme de son ton bourru typique des campagnes proches d'Ilica.
Satsuki se contenta d'un regard noir, puis commença à manger à toute vitesse pour pouvoir retourner se plonger au plus vite dans son livre. Hataru sourit depuis sa position un peu surélevée, sur la quatrième marche de l'escalier. C'était sa préférée. Quand elle descendait, le matin, elle restait toujours là quelques instants à observer le manège qui se déroulait dans la salle de vie, avant de s'y joindre. Mais... quelque chose clochait. Nami avait l'air plus jeune que la dernière fois que Hataru l'avait vue. A vrai dire, Lucie et Satsuki aussi. Les deux jeunes femmes avaient respectivement 21 et 28 ans, alors pourquoi avaient-elles des allures de collégienne et lycéenne? Et Chantal...
Chantal était décédée, lorsque Hataru avait 16 ans. Elle se souvenait encore de son franc parler, de son visage rond et jovial, et des petites surprises qu'elle lui faisait. Elle avait toujours été la préférée de sa grand mère, elle le savait. Mais Chantal... n'était plus, depuis trois ans. Elle ne pouvait pas être là. C'était impossible. Hataru remarqua alors que la rambarde de l'escalier semblait bien grande. Que les mèches de cheveux qui cascadaient sur son épaule était noire comme la suie. Dans l'entrée, Aki et Jade arrivèrent se joindre à la petite réunion familiale. Ce n'était donc pas elles, dans la cuisine. Hataru descendit les dernières marches, et se dirigea vers la porte donnant directement sur la petite cuisine, non sans une remarque de sa grand mère.
-Eh, la ptiote, on dit pas bonjour?
-Voyons, Chantal, laissez lui dire bonjour à ses parents en premier.
-Arf, vous avez bien raison, Chiyo.
Hataru se figea en entendant ce nom. Elle se retourna avec lenteur. Descendant à sa suite, dans l'escalier, Chiyo et Takumi, ses autres grands parents, venaient se joindre aux festivités. La jeune femme resta sans mot en voyant le vieux couple venir prendre place autour du Kotatsu, qui semblait bien plus grand que dans ses souvenirs. Elle savait que c'était impossible... elle savait que ce qu'elle voyait ne pouvait être réel.
-Moe?
La voix féminine qui venait de l'appeler par son surnom lui fit tourner la tête. Dans la cuisine, une femme était occupée à vérifier la cuisson du riz dans le cuiseur. Elle n'était pas très grande, et avait un air sérieux et strict, avec ses traits typiquement asiatiques, sa haute queue de cheval et son sobre tablier. A côté d'elle, un homme européen, dont les yeux bleus étaient identiques à ceux de chantal. Il était légèrement bedonnant, avait un air doux, et légère barbe et une paire de lunette rectangulaires enfoncées sur le nez.
-C'est bientôt prêt, ma chérie, ne t'en fait pas. Sourit la femme en sortant le riz du cuiseur, avant d'admonester son mari. Aide moi au lieu de simplement regarder.
-Je ne regarde pas, j'admire.
-Pff, c'est ça. Rétorqua la mère de Hataru avec un sourire amoureux.
Un grand sourire flottait sur les lèvres de la jeune fille. Emi, sa mère... et Marc-olivier, son père. Cette vision la remplissait d'une joie comme elle avait la sensation de n'en avoir jamais ressenti auparavant. Mais tout cela... toute cette scène... cette joyeuse réunion de famille... elle n'était pas réelle. Hataru le savait. Elle le savait, et pourtant elle ne pouvait qu'espérer, que tenter de se rattacher à cette image, à cette invention de son esprit, à ce rêve.
-Allez, viens à table ma chérie. Lui intima sa mère.
Mais sa voix était déformée. Robotique. Et son visage, figé. Immobile. Ses lèvres ne bougeaient même pas. Son corps se déformait sous les yeux horrifiés de Hataru, s'aplatissait, se figeait, pour qu'il n'en reste plus qu'une simple image, une photo, voletant telle une feuille vers le sol. La photo de sa mère, qui ornait l'autel familial dans la pièce de vie. Son père subit le même sort, sous ses yeux, et quand elle se tourna vers le salon, c'était également le cas de ses trois grands parents. Car c'est tout ce qu'il restait d'eux, après tout. Des images, des photos figées sur un autel, où Aki faisait brûler consciencieusement, chaque jour, un peu d'encens, pour honorer leur mémoire. Et pourtant, tout le reste de la famille continuait de manger gaiement, comme si rien ne s'était passé, comme si leurs proches ne venaient pas de subitement se transformer en photos souvenirs.
TU NE SAIS RIEN! La voix de Kazuto résonna violemment dans la tête de Hataru, vrillant ses tympans et son esprit. TU NAS JAMAIS CONNU TES PARENTS! TU IMAGINES LE SON DE LEUR VOIX, L'EXPRESSION DE LEUR VISAGE. TU NE FAIS QUE TE MENTIR.
-TAIS TOI! Hurla Hataru, en toute réponse, s'attirant le regard des membres restants de sa famille.
-Moe... tout va bien? Demanda Aki, un air soucieux sur le visage.
CE N'EST PAS PARCE QUE TES PARENTS SONT MORTS QUE TA FAMILLE SERAS PROTÉGÉE!
La voix de Kazuto résonna de nouveau. Sous les yeux horrifiés de Hataru, Nami commença à son tour à s'aplatir, et à se transformer en photo, avant de voleter pour aller rejoindre ses parents et grands parents sur l'autel.
-NON! S'écrit Hataru en accourant. SATSUKI!
-Hm?
C'est avec son habituelle expression blasée que les cheveux d'encre et le visage de poupée de Satsuki s'imprimèrent sur un papier photo, pour rejoindre l'autel.
-Arrête... arrête! Supplia Hataru, les larmes aux yeux. LUCIE... JADE... NON, NE ME QUITTEZ PAS...
Mais les deux soeurs venaient de s'évanouir en papier photographique à leur tour. De la salle si pleine de vie et si joyeuse, il ne restait que Aki, et une Hataru sanglotante...
-Aneko... sanglota Hataru... Aneko... ne me laisse pas.
-Moe... tu sais très bien que je ne pourrais jamais t'abandonner sourit sa grande soeur.
ILS FINIRONT TOUS PAR MOURIR! Rugit la voix de Kazuto. ET TU SERAS SEULE!
-NON! Ak... Aki?
Du sang commençait à s'écouler des yeux, de la bouche et du nez de sa grande soeur. Pourtant, son sourire, lui, ne disparaissait pas.
-Je ne pourrais... jamais t'abandonner. Murmura-t-elle.
-NOUS NE POURRONS JAMAIS T'ABANDONNER. Entonna une chorale dans le dos de la jeune femme.
Toutes les photos de l'autel semblaient la fixer, avec une intensité. Leurs yeux la suivaient du regard. Hataru recula, mais son pied buta sur quelque chose. Elle baissa les yeux, et un cri d'effroi vint lui arracher la gorge. Le salon était couvert de sang, et jonché des corps de tous les membres de sa famille.
-Non...NON... AU SECOURS! Sanglota Hataru. Satsuki... Nami... Lucie... Ane... ANEKO! NE ME LAISSE PAS SEULE! NE ME LAISSEZ PAS-
-HATARU!
La jeune femme prit une immense bouffée d'air, et tenta de calmer les battements frénétiques de son cœur et sa respiration hachée. Ses joues étaient humides, ses yeux la piquaient, mais nulle part, autour d'elle, trace du salon de la rue d'Osaka, ni des cadavres, ni de l'autel mortuaire. Rien que l'obscurité de l'appartement de Rin, et le visage, tout proche, de cette dernière, dont l'expression inquiète transparaissait vivement malgré l'obscurité qui régnait.
-Ça va... la rassura-t-elle en la serrant dans ses bras. Ça va... ce n'était qu'un cauchemar.
Hataru sanglota dans son épaule. Elle était épuisée d'avoir tant pleuré, ce soir là. Elle s'était endormie très rapidement, après que Rin lui ai prêté un pyjama, mais désormais... elle n'était pas sûre de pouvoir se rendormir. Plus exactement, elle avait peur de le faire.
-Chhhh... tout va bien... murmura Rin, en caressant les cheveux redevenus roses de la jeune femme.
Hataru hoqueta légèrement.
-Pardon... je t'ai réveillée. Chuchota-t-elle.
-J-Je n'arrivais... pas à dormir, de toute façon. Admit Rin, avec un sourire gêné.
-Oh... fit simplement Hataru, trop sous le choc pour être consciente de la gêne de la présidente à l'idée de partager un futon avec la femme qu'elle aimait.
-Tu... veux retourner dormir? Demanda Rin.
Cela mit un léger sourire sur le visage de Hataru. Elle aurait pu simplement dire "Retournons dormir", et pourtant... la jeune femme ne pouvait cesser d'apprécier toutes les attentions de Rin. Elle semblait toujours tellement la comprendre. Toujours lui demander avant de décider quoi que ce soit. Toujours s'assurer de son état.
Hataru secoua la tête.
-Non, je... je ne pense pas pouvoir dormir tout de suite. Admit-elle. Mais... tu peux le faire, je... ferais en sorte de ne pas te déranger.
Rin sourit légèrement. Elle vint s'asseoir en tailleur à côté de Rin, tira la couverture, et les enroula toutes les deux ainsi.
-Je t'ai dit que je n'y arrivais pas non plus. La rassura la présidente. On a qu'a... discuter un peu.
-... d'accord. Mais ne me laisse pas m'endormir.
-Promis.
Hataru se blottit contre Rin, qui passa un bras autour de l'épaule de la jeune femme. La seconde finit par prendre la parole.
-Tu... fais souvent des cauchemars?
Hataru déglutit, et Rin se rattrapa immédiatement.
-Pardon, ç-ça ne me regarde pas, je-
-J'en faisais beaucoup, quand j'étais petite. Admit Hataru. Je me réveillais la nuit en hurlant, et Aki devait venir me border... je partageais ma chambre avec ma soeur, avant que je ne commence à faire des cauchemars. Mais quand ça a commencé à devenir courant, elle a demandé à changer de chambre.
-Pas très sympa. Fit remarquer Rin.
-Satsuki a toujours eut besoin de beaucoup de sommeil. Et, surtout... elle n'était pas douée pour me rassurer. Elle avait presque tendance à empirer les choses, à vrai dire. En changeant de chambre, elle laissait le champ libre à Aki pour s'en occuper.
-Tu te souviens sur quoi portaient ces cauchemars?
Hataru frissonna légèrement. Elle hocha la tête.
-C'était toujours... la mort de ma famille. C'était des rêves souvent très morbides, ou gores, alors que j'avais... quoi... 9? 10 ans? Je ne regardais pas vraiment de séries de ce genre, ni n'avais vraiment vu de scènes aussi violentes dans ma vie, et pourtant... pourtant... ils semblaient tellement... réels...
Rin ne dit rien, mais resserra sa prise sur l'épaule de Hataru, tirant la jeune femme plus proche d'elle.
-Le pire, c'est probablement que dans tous ces rêves, je voyais toujours mes parents. Continua Hataru. Ils étaient toujours beaux, souriants, ils m'aimaient. Et ils étaient toujours les premier à mourir.
Hataru eut un petit rire sans joie.
-Pourtant... je n'ai aucun souvenir d'eux.
-Comment ça?
Hataru déglutit. Elle n'aimait pas en parler. Elle avait mis des mois avant de l'évoquer à Kazuto. Et pourtant, il avait fini par le retourner contre elle. Voulait-elle vraiment en parler avec Rin? Pourrait-elle s'en remettre un jour, si l'histoire se répétait?
-Tu n'es pas obligée de m'en parler, tu sais. Précisa tout de même la présidente.
Hataru leva les yeux vers elle, et son regard franc et honnête. Un sourire lui échappa. Peut être était-ce ce qu'elle avait besoin d'entendre. Ou peut être avait-elle besoin de parler, de laisser échapper la fumée qui s'accumulait dans son esprit, de l'aérer...
-Je n'ai jamais vraiment connu mes parents. Avoua Hataru. Ils... sont morts, quand j'avais deux ans, dans un accident de voiture. Mes grands parents s'y trouvaient aussi. Ilica n'a jamais... été une ville très sûre. Il y avait une course poursuite entre la police et quelques mafieux... une des voitures les as percutés de plein fouet. Enfin... c'est ce qu'on m'a raconté. J'avais deux ans, je n'en ai pas le moindre souvenir.
-C'est... pour ça que Aki t'as élevée... murmura Rin.
Hataru acquiesça.
-Elle n'avait que 17 ans... mais elle refusait de nous envoyer en orphelinat. Ceux d'Ilica sont... disons qu'ils sont plus réputés pour les disparitions soudaines d'enfant que pour la qualité de l'éducation qu'ils donnent. Sans compter qu'on aurait dû tout perdre... alors elle a vendu l'appartement où on habitait, nous a fait emménager dans la maison de mes grands parents, a arrêté les cours, et... est allée travailler pour nous élever. Trois gamines élevées par une autre gamine.
-Ça... a du être dur, pour elle. Et pour vous.
Hataru haussa les épaules.
-Je ne me souviens pas vraiment du début. Il y a eut de grosses disputes entre Aki et Nami, du peu dont je me souviens. Chantal a dit que les services sociaux ont tenté de venir nous emmener quelques fois, aussi. Mais Aki a toujours enduré. Je ne l'ai jamais vue se plaindre. Pas une seule fois. Et moi... j'étais celle qui avait le moins souffert, finalement. Celle qui était trop petite pour comprendre à quel point les choses étaient dures. Et le temps que j'ai l'âge de réaliser ce genre de choses, beaucoup de choses s'étaient arrangées. Aki avait rencontré Jade... et moi, Lucie. La mère de Jade et Lucie nous filait un coup de pouce quand les choses allaient moins bien... j'ai grandi aimée, bien entourée, et sans connaître le manque.
-Ça ressemblait à une enfance heureuse.
-Hm. Et je t'ai déjà parlé de plusieurs anecdotes.
-Comme le voisin amoureux.
-Haha, oui... Keichi.
Hataru sourit. Mais ce sourire finit par s'effacer.
-Mais j'ai fini par comprendre que quelque chose était différent, chez nous. Par rapport aux autres enfants, à l'école, ou même par rapport à Lucie ou Jade. Eux, avaient tous des parents. J'avais bien une mamie, qui habitait hors de la ville et venait souvent nous voir, mais... mes parents, c'était juste deux inconnus dont la photo était affichée sur l'autel de famille dans notre salon. Aki les avait connus, Nami les avait connus, Satsuki les avait connus. Il n'y avait que moi qui ne sache rien d'eux. Ni leur voix, ni leurs expressions... je ne me souvenais même pas de l'appartement où j'étais née. Il y avait quelques photos, bien sûr... pas vraiment de vidéos... et on ne m'avait jamais caché qu'ils étaient morts. Après tout, Aki leur offrait un peu d'encens chaque jour. Mais je n'avais jamais vraiment compris ce que ça... signifiait. Et quand j'ai fini par comprendre, les cauchemars ont commencé.
Hataru se serra un peu plus fort contre Rin.
-C'était une période horrible. J'avais peur d'aller dormir. Le reste du temps, j'étais infecte avec tout le monde. J'en voulais à tout le monde. Il n'y avait que Lucie et Jade qui n'en subissaient pas les frais, parce que... eh bien, c'était les seules qui n'avaient jamais connu mes parents non plus, j'imagine. Mais la vérité, c'est que j'avais juste... peur. Peur de perdre quelqu'un d'autre, dans ma famille. Peur de devoir comprendre ce que ça faisait. Peur de devoir traverser ça. Et... j'imagine que j'ai encore peur, aujourd'hui.
Rin hocha la tête en silence.
-Je comprends ce que c'est, en quelque sorte. Admit-elle. Cette... peur constante, qui prend au ventre et dévore de l'intérieur. Ces cauchemars, auxquels on ne peut plus échapper... quand... quand les... hum... quand les choses allaient mal, le sommeil était mon refuge. Mais même dans mes rêves, Hayato finissait par me rattraper. Si même le seul endroit où je me sentais en paix n'était plus sûr, je... j'a... j'avais la sensation que je n'avais... plus... aucune issue.
Hataru tendit une main, et caressa la joue de Rin avec tendresse.
-Mais il ne te poursuit plus dans tes rêves maintenant, hm?
Rin rougit légèrement.
-N-non... jusqu'à récemment, ça arrivait encore. Mais depuis que je lui ai fait face... plus du tout.
-Tant mieux. Murmura Hataru.
-J'aimerai que tu n'ai plus jamais à faire ce genre de cauchemar non plus. Susurra Rin. Que tu n'ai plus à y faire face... et à avoir peur de dormir.
Hataru frissonna légèrement. Elle se souvenait encore des mots de Kazuto, lui promettant de l'aider à "guérir". Elle ne pensait pas avoir besoin d'être guérie. Cette peur faisait partie d'elle même. Ce traumatisme était là, et il ne pouvait pas juste disparaître. Et même s'il la faisait parfois souffrir... il lui rappelait à quel point ses proches étaient importants, et uniques. Et que chaque seconde à leur côté comptait.
Hataru laissa glisser sa tête dans le creux de l'épaule de Rin. Cette proximité lui avait tant manquée. Cette odeur, également. Elle s'en enivrait comme une addict en manque. La jeune femme s'approcha, et glissa un rapide baiser dans le cou de la présidente.
-Hii! Sursauta cette dernière.
Hataru la fixa d'un regard ahuri, avant de pouffer.
-C'était étrangement très féminin comme cri. Fit-elle remarquer.
-C-c'est ça, m-moque toi. Bouda Rin, gênée. C-c'est facile pour toi.
-Facile?
-Je n'ai... j'ai... enfin, tu sais, je... arg...
-Prends ton temps. S'amusa Hataru, non sans se serrer toujours plus contre Rin.
-Je n'ai jamais... eut... la... l'occasion d'être... enfin... tu sais, tout ça...
-Je ne suis pas sûre de capter, je t'avoue. Sourit Hataru.
Rin rougit comme une tomate.
-Ne me force pas à le dire. Murmura-t-elle.
Hataru n'eut pas besoin de plus pour comprendre. Elle se saisit une nouvelle fois du creux du cou de Rin pour y glisser une série de baisers remontant peu à peu jusqu'à son menton, avant de s'emparer de ses lèvres.
-Tu parles de ça? Chuchota Hataru, amusée.
-H-Hm. Approuva Rin, en détournant le regard.
Hataru réalisa alors que le bras de Rin passé autour de son épaule tremblait légèrement. Elle lui prit la main avec douceur.
-Eh... Rin... je sais que c'est un peu impressionnant, la première fois, mais tout va bien se passer. L'assura-t-elle. D'accord?
Rin déglutit, et hocha la tête avant d'ajouter, avec un sourire gêné.
-A la manière dont tu parles, on croirait presque que tu parles d'autre chose.
Hataru fixa Rin du regard. Cette dernière le lui rendit, et un éclair de compréhension la traversa. Ses légers tremblements s'intensifièrent.
-Hataru, je... je...
-Rin. Interrompit la jeune femme en approchant ses lèvres des siennes, tout en venant s'asseoir à califourchon sur ses jambes. Suis juste ce que je fais. Et s'il y a quoi que ce soit que tu ne te sens pas prête à faire, ou qui te fais trop peur, je veux que tu me le dise tout de suite, et on arrête tout. D'accord?
Rin souffla un coup, comme pour se donner du courage.
-D-d'accord.
Avec douceur, Hataru commença à embrasser Rin, tandis que ses mains parcouraient librement ses épaules, son cou, le haut de son dos. La présidente était raide comme un piquet, tendue au possible. Cela fit beaucoup penser Hataru à sa propre première fois, quelques mois plus tôt. Elle était également tellement stressée et tendue, mais Kazuto avait su la rassurer, la mettre en confiance.
La simple pensée du prénom de son petit ami fit s'interrompre Hataru. Que faisait-elle, au juste? Elle ne pouvait pas... mais elle avait déjà... et il avait... elle... elle...
-J'ai... l'impression que ce n'est pas la réalité...
La voix de Rin ramena Hataru à la réalité. Elle était toujours aussi tendue que la corde d'un arc, et haletait légèrement suite à ce baiser prolongé. Mais un sourire béat marquait son visage. Ce sourire, Hataru ne l'avait jamais vu sur le visage de Rin. Elle n'était pas sûre que quiconque en dehors d'elle l'ait un jour vu. Il était d'une beauté si éblouissante que la jeune femme tenta d'en graver le souvenir dans sa mémoire. Ainsi exposée, ainsi désirable, Rin vidait l'esprit de Hataru. Elle ne pensait plus à rien. En tout cas, plus à rien d'autre que la femme qui se tenait face à elle, craintive, mais pleine de désir. Cette simple vision, accompagnée de cette odeur, de la douceur de sa peau, de la caresse de la couverture qui les couvait toutes les deux, balaya les doutes de la jeune femme. Elle plongea de nouveau. Elle s'enivra de cette peau, de ces cheveux, de ce sourire. De ces petits seins qu'elle aimait admirer, de ces cuisses musclées de grande marcheuse, de ces gémissements de plaisir ininterrompus. Jamais Hataru ne se sentit aussi complète qu'en faisant l'amour à Rin. Jamais elle ne ressentit de plaisir aussi intense. Et jamais elle ne se sentit aussi simplement à sa place.
Ce fut les rayons du soleil qui tirèrent Hataru de son sommeil de plomb. Elle mit quelques instants à observer les environs, et à réaliser où elle se trouvait. Lorsqu'elle tourna la tête avec lenteur, le visage endormi de Rin lui fit face, tout proche, éclairé directement par la lumière provenant de la baie vitrée. Ses longs cheveux noirs parsemés de mèches teintes en bleu océan étaient étalés sur l'oreiller, tandis que son épaule nue dépassait de la couette qui recouvrait les deux femmes. Hataru sourit. Ce réveil là avait quelque chose de particulier. D'unique. Elle avait l'impression d'être sur un nuage, volant bien loin au dessus du sol, quand elle avait cru avoir chuté en enfer la veille. Elle ne supportait plus ces grands huit émotionnels. Elle aurait aimé que tout semble aussi simple et évident que ce réveil au côté de cette femme magnifique. Hataru souleva légèrement la couette pour recouvrir l'épaule exposée de Rin. Elle avait envie de se serrer contre elle, mais craignait de la réveiller. La présidente avait eu une journée mouvementée la veille, elle aussi.
Les mouvements de Hataru, bien que lents et précautionneux, tirèrent Rin hors du rêve dans lequel elle était plongée, et ses yeux papillonnèrent un instant, faisant la mise au point sur le visage face à elle.
-Hmm... hamtaro? Murmura-t-elle.
Hataru resta interdite un court instant, avant de pouffer de rire.
-Bon... ça va... grogna Rin en enfonçant son visage rougit par la honte sous la couette. J'étais encore dans mon rêve.
-Un rêve avec hamtaro, donc... susurra Hataru, amusée. Je ne savais pas que tu avais un truc pour les anime pour enfant... ou peut être les hamster?
Rin ne répondit pas, ce qui attisa encore plus la curiosité de Hataru.
-Hm? Alors? Tu es une fan secrète, peut être?
-C'était juste un rêve stupide... marmotta Rin.
-Raconte moi...
Hataru tira légèrement la couette pour que le visage de Rin reparaisse, et laissa glisser une main le long de la hanche de la présidente. Cette dernière frissonna. Les corps nus des deux femmes lui paraissaient encore furieusement impressionnants, comme s'en doutait Hataru. C'était bien la première fois qu'elle se retrouvait ainsi au lit avec quelqu'un, après tout.
-C'était... hum... le hamster, c'était toi, et tu mettais n'arrêtais pas de stocker de la nourriture dans tes bajoues, et Lucie t'appelais Hamtaro... c'était... bizarre... Admit Rin.
Hataru feignit un regard outré.
-Je suis donc un hamster à tes yeux?
Rin détourna légèrement le regard.
-Un hamster c'est mignon, et ça mange beaucoup...
Ce fut au tour d'Hataru de rougir légèrement. Elle s'approcha de Rin, et posa un court baiser sur son front.
-Je te pardonne, parce que tu te rattrapes bien. Susurra-t-elle avec un grand sourire.
Sans attendre, la jeune femme s'enfonça elle aussi légèrement sous la couette pour que son visage soit au même niveau que celui de Rin. Là, elle passa se deux mains dans le creux du dos de la présidente pour la tirer plus proche d'elle.
-La première nuit, c'est aussi le premier réveil... chuchota-t-elle. Alors, que pense-tu de ton premier réveil?
Rin rougit de nouveau.
-Tu es toujours comme ça? Chuchota-t-elle, gênée.
Hataru sourit.
-Pour une fois que c'est moi qui ai l'expérience, laisse moi en profiter un peu. Répondit-elle en retirant une mèche de cheveux du visage de Rin. Mais... tu ne m'as pas répondu.
La présidente hésita un court instant, sembla s'auto motiver, puis embrassa rapidement Hataru avant de répondre.
-Oui... parfait.
Hataru resserra sa prise sur le dos de Rin pour l'embrasser à son tour. Leur échange s'étala ainsi, s'allongea, pendant de longues minutes, à ne rien faire d'autre que s'embrasser tendrement, et de laisser leurs corps aller l'un contre l'autre. Mais Rin finit par être l'adulte du couple et mit fin à la récréation.
-Hataru... chuchota-t-elle, en échappant à la bouge affamée de la jeune femme. Le soleil est bien levé... personne ne sait que tu es ici...
La jeune femme sentit sa gorge se serrer légèrement. Elle craignait de rentrer chez elle. Elle avait peur que Kazuto y soit encore. Ou que Lucie se soit inquiétée, si tant est qu'elle soit rentrée. Hataru était partie sans son téléphone, après tout... elle soupira.
-Hm... tu as raison... mais j'aimerai tellement... rester là... murmura-t-elle, en enfonçant son visage dans le cou de Rin.
Cette dernière sourit légèrement, avant qu'une expression un peu inquiète ne naisse sur son visage. Elle ouvrit la bouche. Puis la referma. Elle répéta l'opération une deuxième fois, avant de finalement renoncer.
-Levons nous. Déclara-t-elle simplement. Je n'ai pas grand chose à te proposer pour manger, malheureusement.
Hataru déglutit, et demanda.
-On... peut aller faire les courses en allant chez moi? Je te ferais un super petit déjeuner.
Rin tourna le visage vers la jeune femme, et acquiesça avec un sourire. Le soupire de soulagement de Hataru ne lui échappa pas.
Quelques minutes plus tard, elles marchaient dans la fraicheur matinale de ce dimanche de décembre, chacune un sac de course à la main, traversant le campus vide vers l'appartement de Lucie et Hataru. Cette dernière faisait un très mauvais travail pour cacher sa nervosité. Elle n'arrêtait pas de remettre ses mèches, ou de ses gratter l'avant bras. Rin cherchait quoi dire, mais en réalité, elle savait que cela ne changerait probablement rien. Même si elle avait compris dans les grandes lignes ce qui avait dû se passer la veille... elle n'en était pas sûre pour autant. Et elle n'était pas non plus sûre de ce qu'elles étaient, elles.
-D-désolée de t'avoir fait payer, en tout cas. Lança Hataru d'une voix trop tendue par rapport à son habituel ton enjoué. J'avais oublié que j'étais sortie sans rien du tout, haha... je te rembourserai.
-Ne t'en fais pas, Hataru. La rassura Rin avec un sourire, et le silence retomba.
Elles marchaient sur l'allée menant tout droit à la rue de Hataru. La pression monta. Hataru déglutit, et sentit son coeur accélérer de manière erratique. Elle ne voulait pas le revoir. Pas tout de suite. Elle ne savait pas si elle pourrait le supporter. Elle avait... elle avait peur. Une sensation chaude et apaisant se répandit cependant au bout de son bras. Rin, le regard toujours dirigé droit devant elle, venait de lui prendre la main, et tentait de se comporter comme si de rien n'était, comme si c'était naturel. Mais son air raide, et la force avec laquelle elle serrait, disaient tout autre chose.
-Tu n'es pas obligée de me broyer la main, tu sais... fit remarquer Hataru.
-Qu... je... ho, désolée. Paniqua Rin en lâchant immédiatement la main de Hataru.
Cette dernière soupira, et reprit la main qui venait de la lacher, avec plus de douceur. Rin était rouge de honte, mais Hataru, elle, se sentait moins stressée. Même l'idée de savoir qu'elle avait finalement franchi le pas, qu'elle avait réellement trompé Kazuto, qu'elle ne pouvait plus revenir en arrière, ne l'effrayait pas tant que ça tant la chaleur de la main de Rin était réconfortante.
-Pardon d'être... aussi... enfin... commença la présidente. Tu as peut être l'habitude, m-mais tout ça, c'est nouveau pour moi, alors...
-Prends ton temps, dans ce cas. La rassura Hataru. Il n'y a pas de honte à un peu trébucher quand on débute... j'ai bien déchiré une de tes tentes.
-J'espère ne pas te déchirer. Grommela Rin. Attends, non... non, ce n'est pas ce que je voulais... non...
Mais Hataru avait déjà éclaté de rire. Rin commença à rougir, avant de finalement soupirer, rassurée. C'était la Hataru qu'elle préférait voire, après tout. Si sa maladresse pouvait lever un peu du stress qu'elle devait ressentir, alors... elle n'allait pas hésiter.
Bientôt, plus rien ne sépara les deux femmes du moment fatidique que la porte de l'appartement. Hataru déglutit. Mais la présence de Rin à ses côtés lui donnait un peu de courage. Elle poussa la porte. Tout était calme, à l'intérieur. C'était comme s'il ne s'était jamais rien passé. Pas de fragments d'assiette au sol... ni de trace de sang... Hataru réalisa qu'elle avait retenu sa respiration, et prit une grande bouffée d'air.
-Vous voilà.
La voix fit sursauter Hataru, et elle fit volte face. Face à elle, se tenait Lucie. Ses longs cheveux châtains. Ses yeux si profonds. Son expression était impénétrable. Hataru ouvrit la bouche, pour tenter de fournir une explication, mais elle n'en eut pas besoin. L'étau des bras de Lucie s'était déjà refermé autour d'elle, l'enserrant de sa douce chaleur.
-Pardon de ne pas avoir été là... murmura-t-elle. Je suis... si rassurée de voir que tu vas bien...
-Comme je l'ai expliqué dans mon message, commença la voix formelle de Rin, elle a des blessures assez importantes aux pieds, surtout au gauche, où la coupure est assez profonde. Elle a aussi une bosse assez impressionnante sur le front, et-
Rin fut interrompue lorsque, à son tour, les bras de Lucie se refermèrent autour de ses épaules, lui faisant lâcher un petit cri de surprise.
-Merci aussi, Rin... du fond du cœur.
-A-arrête un peu, tout le monde en aurait fait autant.
-Hmm... réfléchit Lucie un court instant, avant de sourire.
Elle passa discrètement sa main dans la nuque de Rin, juste sous son oreille, et posa un doigt sur un point tout particulier.
-Non... chuchota-t-elle à voix si basse que Hataru ne l'entendit pas. Pas autant.
Rin rougit violemment, et plaqua sa main contre sa nuque, là où Lucie venait de toucher. Elle ne l'avait pas remarqué le matin même dans la glace, mais elle était quasiment sûre de savoir quel genre de trace elle trouverait à cet endroit.
-Entrez, toutes les deux. Les invita Lucie. Tu en as profité pour faire les courses, vraiment? Tu me fais une fugue, et c'est le seul truc qui te passe par la tête au moment de revenir?
L'estomac de Hataru profita de cet instant pour gargouiller. Lucie ne put que rire.
-Bon aller, préparez vous donc un bon petit truc. Déclara-t-elle en s'éloignant. Je vais me doucher.
Rin crut apercevoir Lucie sécher discrètement une petite larme alors qu'elle entrait dans la salle de bain, mais elle aurait pu se tromper. Hataru, elle, se dirigea vers sa cuisine, mais, face à cet endroit, elle se retrouva comme bloquée. Elle n'arrivait pas à l'effacer de sa mémoire. C'était juste là que tout s'était déroulé. Et les souvenirs affluaient, paralysant la jeune femme. Comment se sentir en sécurité chez soi après y avoir vécu ce genre d'évènements. Ce fut la voix de Rin qui la tira de son immobilité.
-Je mets ça au frigo, d'accord?
-Euh... oui. Répondit machinalement Hataru.
-Ça te gêne, si je t'aide à préparer le petit déjeuner? Je connais déjà un peu ta cuisine, après tout.
Un sentiment de chaleur envahit Hataru. Elle ne savait pas si c'était volontaire de la part de Rin, mais la voir ainsi s'affairer, préparer... c'était comme si elle se réappropriait les souvenirs liés à cet endroit. Comme si elle repeignait les murs tachés de sang d'une couleur vive et chaude, qui lui ressemblait tant qu'il n'était plus possible de se rappeler l'immonde tâche qui avait précédé. Hataru hocha la tête, et les deux femmes préparèrent rapidement le bouillon de leur nouille en discutant à voix basse.
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