Prologue
Le bruit du moteur s'arrêta, et Rin posa pied à terre après avoir tourné le contact. Malgré le grand soleil qui éclaboussait sa peau de ses rayons chaleureux, il faisait froid. La légère brise d'automne venait se glisser dans ses cheveux noirs, dans lesquels quelques mèches teintes en bleu sombre virevoltaient. Un nuage de buée se formait à la commissure de ses fines lèvres, qu'elle hâta de cacher derrière l'épaisse écharpe qui entourait son cou, avant de jeter un regard circonspect aux alentours.
Le parking était quasiment vide. Seules deux voitures y étaient garées, dont une qui devait être celle du gérant. C'était le début de la basse saison, après tout: mais c'était justement pour cela que c'était sa saison préférée. Pas d'insectes, pas de chaleur torride, pas d'embouteillages, pas de foule.
Pas de gens. Juste elle. Elle, sa petite chaise pliante, son réchaud et sa tente. Seule, face à la beauté de la nature, face à la beauté enflammée de l'automne, à ses myriades de couleurs flamboyantes qui ondulaient comme une mer de feu sous la brise automnale. Rin aimait ce spectacle. Et elle aimait pouvoir l'admirer seule et en silence.
La jeune femme se dirigea vers le bâtiment du gérant. Il semblait ancien, avec ses murs de béton décrépi et les vieilles affiches qui en paraient les vitres. Il semblait ne pas avoir changé depuis qu'elle était venue pour la première fois, comme un lieu sacré figé dans le temps par une quelconque malédiction. Rin poussa la porte. Le gérant était un vieil homme, dont la barbe grisonnante dévorait le bas du visage et cachait une partie des rides - une partie, seulement. Il portait encore son vieux bonnet rasta tout rapiécé, ce qui amusait Rin. Et il était toujours en train de lire de vieux magazines douteux, dont elle pensait qu'ils étaient pornographiques mais ne pouvait en avoir la certitude, puisqu'ils étaient toujours soigneusement cachés derrière le comptoir.
-Bonjour, Suzuki-san. Lança Rin.
-Oh, Rin. Répondit le vieil homme avec un enthousiasme qui contrastait avec l'expression de calme serein qu'il portait jusque là. Ah, c'est donc déjà la fin de la saison...
-À dire ça, on dirait presque que vous êtes déçus de me voir. Fit remarquer la jeune femme.
-Tu apparition signifie toujours que mes revenus ne vont faire que diminuer durant les mois à venir. Soupira-t-il. Tu es mon oiseau de malheur.
-Sympa...
Le vieil homme éclata de rire.
-Je plaisante, jeune fille. Ne le prends pas mal. Première sortie de la saison?
-Vous savez bien que je la fais toujours ici.
-Bien sûr. Tu connais le tarif.
-Depuis le temps, vous pourriez me faire une ristourne. Grinça la jeune femme en sortant son porte monnaie et en glissant deux billets sur le comptoir. Et prendre autre chose que du liquide.
-Je ne peux pas me permettre de perdre de l'argent! S'exclama le vieil homme. Et l'argent liquide a cette sensation spéciale...
-Peut être, mais les distributeurs se font rares de nos jours. Fit remarquer la jeune femme. Vous auriez plus de monde en vous mettant à jour.
-Peut être... répondit le vieil homme, évasif. Comment vont les études? Tu es à l'université de Shizuoka, c'est ça?
-Oui. Rétorqua simplement Rin.
-Ça fait une petite trotte en scooter, tout de même.
-Peut être. Mais les habitudes ont la vie dure. Je vais vous prendre un fagot de bois.
Le vieil homme sourit.
-Allez... celui-là, je te l'offre.
-... alors je vais en prendre trois.
-Je ne t'offre que le premier, n'abuse pas non plus de ma générosité, jeune fille.
-Zut... un seul fagot ira, donc.
Rin connaissait le terrain du camping par coeur. Cela faisait pas moins de six ans qu'elle venait là, au début de chaque automne. Elle avait testé presque tous les différents spots qu'il pouvait offrir: la forêt, le petit plateau, l'emplacement à côté de la haie. Mais son coin préféré, c'était le bord du petit lac. Le clapotis de l'eau avait quelque chose de reposant et de quelque peu onirique. C'était presque comme si la nature enveloppait son campement d'une cape de silence, ne laissant plus à entendre que le léger ressac et les clapotis des habitants de ces eaux opaques. Mais surtout, depuis son emplacement sur la rive, Rin avait une vue imprenable sur le maître des lieux. Le mont Fuji, qui s'élevait haut vers les cieux, avec sa cime blanche comme la neige, ses pentes escarpées, son aura mythique... sous le soleil couchant, il se paraît de mille nuances de rouge et d'orange. Il semblait alors réellement faire partie intégrante de cette fresque multicolore que l'automne offrait au regard. Oui... rien ne valait ce spectacle. Et rien n'était mieux que d'en profiter, seule, dans la tranquillité et le silence de la nature.
Rin traversa le camping vide jusqu'à la rive du lac. La météo avait annoncé quelques nuages, mais, visiblement, elle devait s'être trompée, car la vue était dégagé et le soleil descendant de cette fin d'après midi faisait miroiter les eaux sombres du lac, dans lequel l'image de la montagne sacrée se reflétait. Seul le bruit du vent dans les feuilles, et le léger bruissement de l'eau, parvenait aux oreilles de Rin. Elle en profita longuement. Pas de crissement de chaussure sur le sol, pas de bruit de circulation, pas de brouhaha constant. Pas âme qui vive. Rien d'autre qu'elle, face au Mont Fuji. Face à la nature. Il n'y avait rien de meilleur.
Rin s'attela à monter son campement. Sa tente était rapide à assembler, solide, et pratique à transporter sur son scooter. Sa petite chaise pliable était une nouveauté qu'elle s'était offerte récemment, avec l'argent de son petit boulot. On s'y enfonçait profondément, et on pouvait s'y enrouler dans une couverture facilement; c'était un confort pour lequel Rin ne regrettait pas d'avoir dépensé son précieux argent - même si cela signifiait peut être une sortie de moins ce mois-ci. Enfin, Rin sortit son petit réchaud à bois. Il pouvait être désassemblé, et, une fois ainsi rangé, ne prenait pas plus de place qu'un livre. Ce réchaud, il l'avait accompagnée durant bien des années. Il avait vu des pluies soudaines, des vents extrêmes. Il avait vu des nuits solitaires, et de rares journées de groupe. C'était le compagnon de toujours de Rin, qui ne se lassait jamais de le voire engloutir goulument les branches de bois sec qui alimentaient le feu qui brûlait en son sein.
La soirée avança, peu à peu, et le soleil descendit sur l'horizon. Rin lisait posément sur sa petite chaise, enroulée dans une couverture, et jetant régulièrement une petite bûche dans le feu. Tout était calme. Silencieux. La jeune femme eut un soupire d'aise, malgré le froid qui lui picotait le haut du visage et le bas des jambes. Elle posa son livre. Face à elle, le spectacle du Fuji au couchant aurait dû se présenter, mais une épaisse couche de nuage sur l'horizon empêchait les rayons du soleil de passer.
Rin soupira. Elle n'était pas très superstitieuse, mais cela faisait maintenant trois années consécutives que sa première sortie se passait ainsi. Et au vu de ce qu'elle y avait vécu... elle craignait que ce ne soit un énième mauvais signe. Une nuée de souvenirs désagréables vint envahir son esprit, mais Rin les chassa. Peu importait, désormais.
-Bon... il est temps de faire à manger. Marmotta-t-elle pour elle même.
Loin, au dessus d'elle, le Mont Fuji, dans la froide lueur du ciel obscurci, l'observait.
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