Au Lac Motosu
-Ch'est délichieux! S'exclama Hataru, en engouffrant une énième lamelle de viande grillée. J'adore déjà tes parents, Rin!
-Mange lentement, bordel! Grinça Lucie en glissant une tape sur l'arrière du crane de son amie. C'est pas des manières.
Rin, en face d'elles, restait silencieuse, même si elle observait leur manège d'un regard amusé.
-Tout va bien? Demanda Noriko, dans sa tenue de serveuse, venue prendre des nouvelles sur l'avancement du repas.
-C'est délicieux. Approuva Lucie. Je regrette pas un instant d'avoir joué les taxis.
-Grave! Approuva Hataru, en levant son pouce en l'air de manière comique, ce qui fit glousser la jeune serveuse.
-Heureuse que ça vous plaise, dans ce cas. Et que vous nous ayez ramené notre Rin favorite au passage. Ajouta-t-elle en ébouriffant les cheveux de son amie.
Rin tenta de s'en défaire, et rougit violemment, provoquant le rire de la serveuse qui s'éloigna rapidement. Lucie avait observé la scène avec attention, tandis qu'Hataru se servait d'une nouvelle lamelle de bœuf qu'elle mettait à cuir sur la grille chauffante ornant le centre de la table.
-Vous avez l'air très proche. Se contenta de déclarer Lucie à l'attention de Rin.
Cette dernière haussa les épaules, mais, devant le regard insistant de la jeune femme qui semblait demander réponse, elle soupira.
-On se connait depuis longtemps, c'est tout. On était plus proches, avant, mais... les études, tout ça... puis je suis partie à Shizuoka, elle est restée ici...
-Les appels vidéo existent, tu sais. Railla Lucie.
-Je suis pas fan de ces trucs là.
-Tu devrais. S'intégra Hataru. Il y a rien de mieux pour rester en contact avec sa famille malgré la distance.
Rin ne sembla pas vouloir répondre à cela, et changea de sujet.
-La viande vous plait?
-C'est absolument divin. Commenta Hataru. La viande japonaise a tellement de saveur par rapport à celle de la maison, même si elle est plus chère...
-Aaah, c'est sûr que pour avoir de l'accessible, il faut se rabattre sur la viande artificielle! S'exclama la voix de Fusao qui, venant de quitter sa cuisine, s'approchait de la table.
-C'est vrai qu'elle est particulièrement accessible. Fit remarquer Hataru. Elle est même moins chère que les légumes. A la maison, c'est pourtant plus cher que la viande naturelle.
-Le Japon est à la pointe de la technologie en ce qui concerne la viande artificielle. Expliqua simplement Lucie. Puis la question de la place l'a rendue plus nécessaire. Avec tous les lobbys éleveurs et industriels à la maison, autant dire que c'est pas prêt de bien se développer... pas étonnant qu'Ilica soit aussi à la traine en matière d'écologie par rapport au reste du monde.
Fusao leva un sourcil impressionné.
-Vous venez d'Ilica, Lucie-san? Je me disais que vous aviez un accent, mais j'aurais cru que vous veniez d'Europe.
-Elles viennent d'Ilica toutes les deux, papa. Glissa Rin, sans quitter son bout de viande qui commençait à grésiller gaiement sur la plaque.
-Ma famille est originaire de France, mais j'ai toujours vécu à Ilica, oui. Acquiesça Lucie. Eh, Hataru t'en as déjà parlé? Vous êtes plus proches que je l'imaginais, dites donc...
Le ton malicieux de son amie n'échappa pas à Hataru qui préféra immédiatement le désamorcer.
-C'est venu naturellement dans une conversation, c'est un secret pour personne que je n'ai pas grandi au Japon de toute manière. Expliqua-t-elle.
Elle jeta ensuite un regard à Rin, comme pour vérifier si son explication lui semblait plausible. Elle avait peur que la présidente affirme qu'elle n'étaient pas si proches que cela, mais ne voulait pas non plus s'avancer à prétendre le contraire. Rin semblait ne pas relever, et retourna son bout de viande, et Hataru expira, rassurée. Décidément, elle se stressait un peu trop vis à vis de son rapprochement avec la présidente; mais elle avait peur de sauter des étapes et de tout gâcher.
-Vous êtes bien loin de chez vous, en tout cas. Reprit Fusao. Le Japon n'est pas trop dépaysant? Les gens pas trop distants?
-Un peu, surtout avec moi. Répondit Lucie. Mais ça fait plus de deux ans maintenant, je commence à m'habituer. Ou à m'intégrer, pour ce que j'en sais.
-Tant mieux, tant mieux. Bon, je retourne en cuisine, profitez bien. Je vous apporte autre chose?
-Encore du bœuf, s'il vous plait! S'égosilla Hataru
-Ça fait plaisir de voir quelqu'un qui mange aussi bien! S'exclama-t-il avec un rire en retournant vers sa cuisine.
Lucie l'observa un moment, ainsi que Noriko qui venait accueillir et placer de nouveaux clients, avant de se retourner vers Rin.
-Ton père est vraiment cool.
-Hm. C'est vrai. Acquiesça la concernée, sans plus entrer dans les détails.
-J'aimerai bien que le mien soit aussi cool. Soupira-t-elle. Mais il est toujours occupé par son boulot... serait temps qu'il prenne sa retraite, pourtant. Il est plus tout jeune non plus.
-Je pense qu'il est plutôt du genre à continuer jusqu'à ce que cela lui soit physiquement impossible de continuer. Gloussa Hataru, ce qui fit également rire Lucie.
Bientôt, Noriko arriva avec une nouvelle assiette de viande sur laquelle Hataru se jeta avec voracité, tandis que ses deux compagnes de repas choisissaient toutes les deux de s'abstenir, l'estomac déjà bien trop empli pour avaler quoi que ce soit d'autre.
-Je crois que je vais un peu le regretter durant l'entrainement de cet aprem... gémit Lucie. Mais ça en valait la peine.
-Je ne sais pas si je pourrai avaler quoi que ce soit avant demain matin. Enchérit Rin, étonnamment loquace.
-Quoi? S'exclama Hataru. Aaah, non, j'ai préparé mes nikuman hier soir, alors on les mange!
-Je pense que tu n'auras pas besoin d'elle pour tous les finir. Fit remarquer Lucie.
-Mais je veux qu'elle goûte à mes nikuman. Soupira Hataru. J'ai bien gouté à son nabe, moi.
-J'ai déjà pu gouter ta carbonara et tes pâtes samedi dernier. Fit remarquer Rin.
-Oui, mais pas seule! Il y avait le club cuisine pour taper dedans aussi.
-Pourquoi tu ne m'en fais pas, de la carbonara spéciale Tsukino? Gémit Lucie. Elle me manque tellement...
-Suffit de demander. Répondit Hataru en haussant les épaules, et en engouffrant un nouveau morceau de viande sous les regards de Lucie, Rin, ainsi que Noriko, qui était venue ce placer derrière son amie discrètement et fixait Hataru avec des yeux ébahis.
-Comment elle fait pour manger autant? Murmura-t-elle, ce qui fit sursauter violemment Rin qui n'avait jusque là pas remarqué sa présence.
-Ne me demande pas à moi. Grogna Rin, en se tenant la poitrine.
Finalement, la quantité de viande parvint à venir à bout de l'insatiable appétit d'Hataru, et la jeune femme se laissa basculer en arrière, repue et ravie de son repas. A peine eut elle ainsi terminé que Rin se leva.
-Bon, il faut aller mettre le matériel dans la voiture.
-J'arrive. Acquiesça Lucie, qui avait commencé à montrer des signes d'impatience devant le festin de sa meilleure amie qui semblait ne jamais en finir.
-Eh... me laissez pas... gémit Hataru, sans se lever pour autant, alors que ses deux amies enfilaient leurs chaussures à l'entrée et sortait dans le froid. Je rêve...
Noriko ressortit de la cuisine, et posa ses mains sur ses hanches en une expression boudeuse.
-Et la voilà déjà repartie, sans même discuter.
Elle s'approcha de leur table, alors que Hataru se relevait avec difficulté.
-Comment est Rin, à l'université? Demanda la serveuse, l'air de rien.
-Euh... elle est... comme Rin, j'imagine? Ne sut que répondre Hataru. Je veux dire, je la vois surtout au cercle, je ne la croise quasiment jamais sur le campus, autrement.
-Ah... et... personne ne lui cherche des noises? Elle n'a pas... d'ennemis, ou de truc comme ça?
-Pas... à ma connaissance, non. Mais je ne connais pas Rin tant que ça, alors je ne sais pas si je suis la mieux placée pour répondre. S'excusa Hataru.
-La seule qui serait mieux placée est la concernée elle même, mais elle est plus silencieuse qu'une tombe. Grinça Noriko en prenant la dernière assiette. Vous êtes les premières personnes de son uni qu'on rencontre, alors... bon. J'espère qu'elle va aussi bien qu'elle en donne l'impression.
Noriko semblait sincèrement inquiète, malgré le fait qu'elle tentait d'atténuer le sentiment, laissant Hataru particulièrement intriguée. Mais la serveuse ne lui laissa pas plus de temps pour se poser des questions, puisqu'elle disparu avec les assiettes en cuisine. La jeune ilicienne resta quelques instants à sa table, ressassant ce que Noriko venait de lui dire. Des ennemis? Rin? Etait-elle le genre de personne à chercher la bagarre plus jeune? Elle n'en avait en tout cas certainement pas l'air. Et si quelqu'un avait des ennemis, c'était plutôt Hataru, pas Rin. Des ennemies qui semblaient lui en vouloir pour le simple fait de sortir avec Kazuto. La jeune femme soupira en fermant les yeux. Elle était parvenue à ne pas repenser à l'épisode du samedi précédent, du moins à ne pas trop le faire. Pourquoi cela devait-il reparaitre dans son esprit maintenant, alors qu'elle était détendue et profitait du moment? Elle haïssait le fonctionnement de son cerveau, parfois. Lorsqu'elle rouvrit ses paupières, elle trouva Fusao, le père de Rin, en train de se diriger d'un pas peu assuré dans sa direction, jetant sans arrêt des regards vers la porte d'entrée de son restaurant.
-Hum... Hataru-san? Commença-t-il.
La concernée ne savait soudain plus où se placer devant l'ambiance étrange que dégageait ce début de conversation, en totale contradiction avec le ton joyeux que le père de Rin avait employé plus tôt.
-O-oui?
-Est-ce que... enfin, je sais que c'est quelque chose d'étrange à demander de la part du père d'une de tes amies, mais... serait-il possible d'avoir ton numéro de portable. Au cas où... il se passe quelque chose.
-B-bien sûr, répondit Hataru sans trop réfléchir, mais ne pouvez vous pas juste contacter Rin dans ce cas?
-Eh bien... c'est justement au cas où on y arriverait pas que j'aimerait pouvoir contacter au moins une personne qui la connait à Shizuoka...
-T-Très bien, je vous envoie mes données. Répondit Hataru, un peu perturbée.
-Merci mille fois, Hataru-san. Soupira Fusao, visiblement soulagé. Evite... simplement d'en parler à Rin. Elle... disons qu'elle pourrait mal le prendre.
-Ce que je pourrai comprendre. Fis-je remarquer.
-Evidemment, évidemment... répéta l'homme, qui sembla se perdre dans ses pensées quelques instants, avant de soudain reprendre son ton enjoué initial. Bon! Je vais retourner en cuisine. J'espère que le repas t'as plu!
-Oui, beaucoup. Assura la jeune femme. On repasse demain pour vous rendre le matériel.
-Parfait, dans ce cas!
Hataru se hâta de rejoindre les autres dehors, qui avaient déjà mis la tente et le sac de couchage dans le coffre de la voiture de Lucie, et patientaient sur le porche.
-Allons-y. Déclara Rin en voyant Hataru sortir.
-Tu... ne dis pas au revoir à tes parents? S'étonna Hataru.
-Je leur enverrai un message. Répondit Rin. Allons-y, nous sommes déjà en retard.
Hataru tourna la tête vers Lucie, et celle-ci se contenta de hausser les épaules avant de rentrer dans sa voiture. Le trajet se fit dans le sens inverse, en direction du lac Motosu. Le petit lac était situé un peu à l'est de Minobu, au pied du Mont Fuji. Le trajet inverse prit donc environ une bonne heure, et Lucie coupa le contact de sa voiture au parking du camping vers 13h30. Le lieu était magnifique. Les couleurs de l'automne venaient agrémenter le vert des pins, tandis qu'un tapis de feuilles multicolores recouvrait partiellement l'herbe verte et humide. Il faisait frais, malgré l'heure. Mais ce qui marquait le plus Hataru, c'était l'immensité du Mont Fuji qui les surplombait. La cime du volcan avait été visible durant le trajet, et Hataru aimait également l'observer depuis la plage Miho, à Shizuoka. Mais depuis le bord de ce lac, il semblait tellement plus prêt, tellement plus imposant, tellement plus... réel. Il n'était plus une lointaine montagne à l'horizon, mais un véritable colosse de pierre bien présent, la surplombant de toute sa hauteur. C'était impressionant.
-Waouh, la vue est pas mal depuis ici. Déclara Lucie, comme en réponse aux pensées d'Hataru. Faudra que je note l'adresse.
-Pas pour y camper, j'imagine? Railla Hataru.
-Jamais de la vie, en effet. Grimaça Lucie en sortant de sa voiture pour se dégourdir les jambes. Mais ya un grand hôtel pas très loin, d'après ce que j'ai vu. Puis la station de ski, aussi. Faudra qu'on essaie d'y aller, une fois.
Hataru grimaça.
-C'est cher, non? Puis faudrait déjà qu'il y ait de la neige.
-C'est sur que vu le peu qu'il y a eu les deux dernières années je me demande comment ils ne font pas faillite. Ricana Lucie, avant de s'éloigner vers l'herbe.
Le léger bruit du moteur du scooter de Rin ne tarda pas à se faire entendre, et elle le gara au bout du parking, proche d'une petite maison qui semblait être l'accueil et la demeure du gardien. Elle pénétra d'ailleurs immédiatement à l'intérieur, et Hataru accourut pour l'accompagner. Cependant, le temps qu'elle passe la porte, Rin était déjà en train de sortir.
-C'est bon, j'ai payé pour la nuit. Et ne proteste pas, coupa-t-elle Hataru qui s'apprêtait à le faire, tu n'es pas encore membre, donc tu ne paies pas.
-C'est pas logique.
-Au contraire. Bon, allons-y.
Grommelant quelques paroles, Hataru ressortit et alla prendre sa tente et son sac de couchage dans le coffre de Lucie, ainsi que le matelas qu'elle avait récupéré dans la salle du cercle. Rin, de son côté, décrocha son paquetage de son scooter. En voyant à quel point il était compact, Hataru comprit pourquoi elle utilisait celui-ci, et non celui qu'elle lui avait prêté.
-C'est lourd. Gémit-elle. On doit porter ça jusqu'à où?
-Où on veut. Sourit légèrement Rin.
-Alors à un endroit où on peut voir le mont Fuji.
-Ça va de soi. Acquiesça Rin.
-Bon, moi jvais vous laisser mes poulettes. Lança Lucie. Je vous aime bien, mais je serai pas contre un court passage au onsen avant de rentrer.
-Tu vas être en retard à l'entrainement, Lucie. La prévint Hataru.
-Eh bien, qu'il en soit ainsi. Rétorqua Lucie en claqua sa portière.
Hataru tourna son regard vers Rin, qui la fixait.
-La rive du lac, ça te va? Demanda-t-elle.
-Absolument. Répondit la jeune femme, des étoiles dans les yeux.
Elle en eut moins quand il fallut porter son barda jusqu'au bord de l'eau, et encore moins lorsqu'elle dut le tirer sur une centaine de mètres avant que Rin ne trouve un emplacement qui lui sembla aller. Hataru laissa tomber sa tente et son sac de couchage dans l'herbe, avant de se laisser choir à son tour.
-Premier objectif. Déclara-t-elle entre deux souffles. Des affaires plus compactes et moins lourdes.
-C'est pas gratuit, tu sais. Fit remarquer Rin, qui commençait à sortir sa tente du petit sac qui la contenait.
-Je peux t'aider? Demanda Hataru.
Rin la fixa, semblant lui demander si elle savait seulement monter une tente. Hataru finit par détourner les yeux, un peu gênée, et par ajouter.
-Comme ça tu m'aideras pour la mienne après.
Le sourire amusé que lui renvoya Rin était franc, et Hataru se surprit à admirer son visage ainsi éclairé, si différent de son habituelle expression blasée.
-Allez, viens. Je vais te montrer.
Hataru trouva ainsi la force de se relever.
Il était encore tôt, dans l'après midi, et, même après plusieurs montages et démontages de la tente afin qu'Hataru en comprenne parfaitement le fonctionnement, à peine une heure était passée. Le montage de la seconde tente, celle dans laquelle Hataru allait dormir, prit bien moins de temps, et la jeune femme y arriva presque sans aide, la structure plus simple compensant la différence de poids et de prix avec celle de Rin. Lorsqu'enfin, elle put jeter ses affaires à l'intérieur de son petit cocon, Hataru soupira d'aise. Il ne faisait déjà pas chaud, et l'intérieur était loin d'être très confortable, mais au moins, elle était arrivée. Elle avait du mal à contenir son excitation à l'idée de passer la soirée ici, en pleine nature, en compagnie de Rin, et avec le mont Fuji comme gardien.
-Eh, Hataru. L'interpella Rin, depuis l'entrée de sa tente. T'endors pas déjà.
-C'est pas l'envie qui me manque, je t'avoue. Soupira-t-elle.
-Crois moi que tu préfère garder ton sommeil pour quand il gèlera cette nuit.
Il n'en fallut pas plus à Hataru pour qu'elle se relève, droite comme un piquet, et rampe à quatre pattes vers la sortie de sa petite hutte.
-Une petite ballade au bord du lac pour passer le temps, ça te va? Proposa Rin. On a quelques heures à tuer.
-On peut laisser nos affaires dans la tente sans surveillance? Demanda tout de même Hataru, ce qui sembla surprendre Rin.
-Bien sûr. Qui nous volerait quoi que ce soit, de toute manière? Demanda-t-elle, en embrassant les environs du regard.
Hataru observa à son tour. Les eaux bleues du lac étaient couvertes de petites vaguelettes, ce qui n'empêchait pas la canopée multicolore de s'y réfléter. Quelques rares nuages moutonnaient dans le ciel bleu azur, laissant une vue imprenable sur le Mont Fuji. Il n'y avait pas un chat. Pas une autre tente, pas un seul courageux baigneur, pas un nostalgique de l'été pour sortir son canoë. C'était comme si les deux jeunes femmes étaient seules au monde. Rassurée, Hataru se retourna vers Rin.
-Bien. Va pour la ballade, alors.
Ballade n'était peut être pas le mot le plus approprié pour la véritable randonnée à laquelle s'adonnèrent les deux jeunes femmes, ou du moins à laquelle Rin s'adonna en trainant Hataru dans son sillage. Néanmoins, malgré la fatigue, le mal de jambe et des débuts de courbatures, la jeune ilicienne apprécia grandement ces quelques heures passées en compagnie de la présidente. Elles parlèrent de tout, mais surtout de rien, évitant les sujets conflictuels ou trop personnels, le tout interrompus de longs intervalles de silence reposant que Hataru appréciait particulièrement. Il lui semblait que le silence ne gênait finalement aucune d'elles, et c'était une réalisation qui surprit grandement la jeune femme, ayant été habituée à un environnement dans lequel il y avait toujours quelqu'un pour faire la conversation. Soudain, elle comprenait le plaisir de simplement marcher en silence avec quelqu'un sans avoir à chercher de sujet de conversation, mais simplement en profitant du paysage, de l'air frais, et de la présence de l'autre. Ce fut pendant l'un de ces silences, alors que 16h était passé et que Rin avait proposé de faire demi tour pour retourner au campement en récupérant des branches pour le feu au passage, qu'une pensée traversa l'esprit d'Hataru et la fit rire légèrement.
Rin leva un regard interrogatif, mais, comme d'habitude, ne poussa pas la jeune femme à expliquer quoi que ce soit, l'encourageant à le faire elle même si elle le désirait.
-Nos silences m'ont fait penser à ma sœur. Expliqua-t-elle, incapable de se départir de son sourire.
-Celle qui cuisine? Demanda Rin.
-Aki? Non, au contraire, elle est incapable de s'arrêter de parler. Je pensais à Satsuki, c'est la première plus âgée que moi. J'ai toujours pensé qu'elle était un peu bizarre, parce qu'elle est très renfermée, maussade même, et parle très peu, et seulement quand c'est nécessaire.
-Tu me trouves donc bizarre aussi? Demanda Rin, consciente que la description pouvait également la désigner.
-Non, elle est pire. Eclata de rire Hataru. Elle n'aurait pas dit un mot de la randonnée. Elle aurait d'ailleurs probablement choisi de rester dans sa tente pour lire un livre, ou d'aller observer les oiseaux ou les poissons. Mais finalement... je la comprends un peu mieux, j'ai l'impression. Juste marcher en silence n'est pas forcément gênant, ça peut être reposant.
-Oui, je pensais que c'était une évidence. Avoua Rin.
-Oui, bon, peut être pour toi, mais il faut bien en avoir fait l'expérience pour le réaliser.
Rin sourit, tout en se baissant pour ramasser un premier bout de bois.
-Vous êtes combien de soeurs en tout? Demanda-t-elle, continuant sur le sujet, puisqu'il était lancé.
-On est quatre. Je suis la plus jeune, suivie de Satsuki, dont je t'ai parlé. Elle a 9 ans de plus que moi, et... depuis qu'elle a fini ses études, on ne la voit plus beaucoup. Elle est zoologue, elle se trimballe dans tous les endroits les plus reculés... parfois, on a plus de nouvelles pendant des mois. Mais elle est comme ça, on ne la change pas. La suivante, c'est Nami, qui a 13 ans de plus que moi. Elle est... explosive, on va dire. Incapable de tenir en place. C'est elle qui a mis Lucie et moi au basket, il y a quelques années. Et pour finir, la plus âgée, Aki. Comme elle a 15 ans de plus que moi, autant dire que c'est ma mère.
-C'est un joli nom, Aki. L'automne... Fit remarquer Rin.
-Oui. Il lui va très bien, parce qu'elle est vraiment belle. Elle est vraiment... comment dire ça... je ne sais pas ce que je ferais si elle disparaissait.
-Tu as l'air de beaucoup tenir à elle.
-Oui. Souffla Hataru avec un sourire franc. Et pour être honnête, elle me manque beaucoup. J'aimerai tellement qu'elle habite aussi proche que tes parents pour passer la voir plus souvent... Même si elle doit être un peu soulagée de pouvoir enfin être tranquille chez elle sans m'avoir dans ses pattes.
-Hm. J'aurai bien aimé avoir une grande sœur. Avoua Rin. Alors en avoir trois, je n'arrive même pas à imaginer.
-J'imagine. Gloussa Hataru. La maison était toujours bruyante, c'est pour ça que je trouve cet endroit si... reposant.
-Tu voudras qu'on y revienne?
Hataru eu un léger hoquet de surprise à la proposition, et tourna le visage vers Rin. Face au manque de réponse de son interlocutrice, cette dernière jeta un coup d'oeil vers Hataru, un sourcil levé.
-Avec le cercle? Pour camper à nouveau?
-Oh! S'exclama Hataru. Oh, oui, bien sûr! J'adorerai... J'espère que j'aurai mes propres affaires, la prochaines fois.
Et sur ces paroles, elles continuèrent leur trajet vers le campement, tout en ramassant branches et pommes de pin, et en continuant de parler posément. Hataru regretta un peu que Rin n'ai pas plus parlé d'elle, alors qu'elle même avait beaucoup évoqué sa vie de famille. Mais elle avait tout son temps, et ne voulait pas presser la présidente de quelque manière que ce soit. Lorsque le campement reparut devant les deux jeunes femmes, il était 18h30 passé et la luminosité avait déjà grandement chuté. En discutant tranquillement, elles posèrent leur tas de bois proche des tentes, puis Rin s'attela à sortir son réchaud à bois. Elle plaça les brindilles, herbes et branches de manière stratégique, avant d'utiliser une pierre à feu pour l'enflammer. Le foyer prit vite en puissance, et la flamme réchauffa rapidement les mains et visages glacés des deux jeunes femmes.
-Ah... c'est si bien... la chaleur d'un bon petit feu... gémit Hataru.
Rin avait, de son côté, commencer à monter la petite chaise/hamac de camping qu'elle avait emmené avec elle. Hataru reconnut le siège sur lequel elle était assise la première fois qu'elle l'avait rencontrée, ce soir au beau milieu du campus, en train de cuisiner un nabe. C'était à peine plus de deux semaines auparavant, et pourtant Hataru avait l'impression qu'une éternité s'était écoulée.
-Et en plus, avec la vision sur le mont Fuji. Murmura-t-elle en levant les yeux vers la cime si reconnaissable du volcan, qui se découpait sur le ciel noircissant où déjà apparaissaient quelques étoiles. C'est vraiment un lieu féérique.
-Regarde la surface du lac. Lui conseilla alors Rin.
C'était une excellente idée. Les petites vaguelettes qui l'avaient recouverte s'étaient estompée, ne laissant qu'une surface lisse sur laquelle la voute céleste autant que la montagne sacrée se reflétaient de manière magnifique.
-Woah... s'extasia Hataru. C'est... magnifique.
Le regard de la jeune femme brillait face au spectacle qui se présentait à elle. Ses yeux s'étaient agrandis, comme pour en capter le plus possible, tandis qu'il sourire enfantin ornait son visage. A ses côtés, Rin admirait elle aussi la vue, mais, en se retournant, elle resta un long moment à observer les traits de la jeune femme avec qui elle partageait son campement, comme plongée dans une sorte de contemplation. Après un long moment de silence, elle prit la parole.
-C'est mon grand père qui m'a fait découvrir ce lieu. En fait, c'est lui qui m'a tout appris du camping, qui m'a transmis cette passion. Un peu... comme ta sœur pour toi.
-Alors il doit vraiment être important pour toi. Déclara Hataru en jetant un grand sourire à la face de la présidente. Il est comment?
-Il est... un peu renfermé, pas très causant. Il a l'air un peu inapprochable, pour tout avouer, avec sa barbe et ses yeux noirs. En plus, il porte toujours un blouson en cuir, et roule sur sa grosse moto. Il l'adore, sa moto. Il partait sans cesse sur elle, jamais à la maison, ça rendait ma grand mère folle. Parfois, il m'emmenait avec lui. Il m'a montré tous ses coins favoris près de Yamanashi, et m'a parlé de plein d'autres qu'il a visité tout au long de sa vie. Tsuruga... Owase... Minamichita... Aomori... j'aimerai tellement tout aller visiter, une fois que j'aurai fini mes études. Partir dans un long road trip le long de la côte, camper le long du chemin, et me rappeler de toutes les histoires qu'il me racontait quand j'étais petite.
Hataru ne pouvait faire semblant de n'avoir remarqué que, peu à peu, la description qu'elle faisait de cet homme qu'elle admirait tant avait glissé du présent au passé. Elle n'ajouta donc rien, attendant l'inéluctable, mais se demandant tout de même si Rin allait s'arrêter là, ou continuer. Ce fut cette dernière option qui prima.
-Il est mort un peu après que je sois rentrée au collège. Déclara Rin d'une voix blanche. AVC alors qu'il était en train de conduire. On a été appelés avant même d'avoir remarqué sa disparition. Je pensais juste qu'il allait revenir, comme à chaque fois... mais il n'est jamais revenu.
Un long silence s'installa, seulement brisé par les crépitements du feu, dans lequel fixait Rin. Hataru, hésitante, posa une main empathique sur son épaule. La présidente sembla en premier lieu surprise de ce soudain contact, puis tendue. Mais un court échange de regard avec la jeune ilicienne parvint à la détendre quelque peu.
-Il me manque... beaucoup. Finit-elle par dire, sa voix d'ordinaire si contrôlée se brisant légèrement sous le coup de l'émotion. Les choses ne sont plus pareilles, depuis qu'il est parti.
Hataru aurait pu dire de nombreuses choses. "Je comprends". "Il doit être fier de toi, de là où il est". "Je suis sûre que c'était un homme extraordinaire". Autant de paroles creuses, que Rin devait avoir entendu mille et une fois. Hataru le savait. Elle les avait elle même entendues tant de fois, ces enchainements de mots vides de toute émotion. Elle les haïssait. Alors, elle se contenta de laisser sa main sur l'épaule de la présidente, tout en observant le feu à ses côtés. Ensemble, côte à côte, seules face au reste du monde. Tout était si paisible. Et malgré le pincement au cœur qu'elle ressentait après les confessions de Rin, Hataru se sentait vivante, et heureuse. La petite mélancolie qui bourdonnait au fond de son cœur s'était évaporée sous la chaleur du feu, et de la présence de la présidente.
Rin s'éclaircit la voix, signalant son désir de passer à autre chose. Le visage d'Hataru s'éclaira.
-C'est l'heure de gouter mes délicieux nikuman!
La voiture de Lucie se gara bruyamment sur le parking, tandis que Hataru bailla à s'en décrocher la mâchoire. Elle discutait tranquillement avec Rin, en regardant son amie éteindre le contact et sortir. La nuit avait été courte. Elles avaient parlé encore longuement après avoir dégusté les délicieux pains à la viande, cuits au beurre dans un plat sur le feu. Puis, lorsqu'elles étaient allées se coucher, Hataru avait longtemps bataillé à trouver le sommeil plus à cause de son esprit ressassant en boucle les évènements de la journée qu'à cause du froid. Rin l'avait levée tôt, le matin même, pour observer le lever du soleil sur l'horizon, un nouveau spectacle magnifique que Hataru avait gravé dans sa mémoire. Elles avaient ensuite tout rangé, plié leur tente, et continué à discuter, en attendant l'arrivée de Lucie.
-Eh bien, je dirai que la soirée s'est bien passée. Déclara cette dernière, en voyant que les deux jeunes femmes avaient à peine interrompu leur discussion pour la saluer.
-C'était vraiment cool! S'exclama Hataru. On a-
-T'auras tout le temps de me raconter dans la voiture. Rétorqua Lucie. On a du trajet pour ramener ta tente à Yamanashi, alors tardons pas trop.
-Hum... commença Rin. Tu... peux garder la tente, si tu veux. C'était celle de mon grand père, alors on ne s'en sert plus trop. Et puis... comme ça, tu auras déjà de quoi faire pour la prochaine fois.
Le sourire malicieux de Lucie s'aggrandit.
-Ah oui? Mais dis moi, Moe, tu n'as pas encore donné ta réponse, non? A savoir si tu allais continuer le cercle.
Rin se tendit, ce qui amusa beaucoup Lucie.
-Pfeu! T'es bête. Rétorqua simplement une question. Evidemment que je continue. Ce n'était même pas une question.
Hello, petit mot de l'auteure au passage, parce que j'ai réalisé que ce n'était pas forcément clair et que certain découvrent peut être mes récits avec celui-ci. Tout d'abord, le récit ne se passe pas dans le présent mais dans un futur plus ou moins proche que je ne date pas précisément, d'où les innovations qui semblent normales et intégrées dans le quotidien. Ensuite, vis à vis de Ilica dont sont originaires Lucie et Hataru, ils s'agit d'une ville imaginaire dont la position dans le monde reste volontairement floue, et dans laquelle plusieurs de mes récits prennent place - dont 33, Rue d'Osaka, le préquel de Auprès du feu.
Voilà, j'espère que ces précisions ont éclairci toute incompréhension qu'il pourrait y avoir eu! Sur ce, je vous laisse à votre lecture!
Mei
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