Anxiété stérile
-Laisse ce téléphone tranquille! S'énerva Lucie. Je te l'ai déjà dit, tu ne le contactes pas, tu ne fais pas le premier pas, tu attends que ce soit lui qui s'excuse.
-Mais ça fait déjà quatre jours... gémit Hataru, les yeux larmoyants. Et si il décidait d'en finir? Et s'il ne me rappelait jamais? Et si il avait trouvé quelqu'un d'autre?
-Ce stupide serial célibataire n'a pas accepté une seule confession pendant plus de deux ans, crois moi qu'il lui en faudra plus que ça pour passer à autre chose. Grinça Lucile. Il doit juste comprendre qu'il se comporte comme un gamin gâté par la vie.
-Mais je n'ai jamais passé tant de temps sans le voir depuis qu'on est ensemble. Continua Hataru. Je ne peux pas juste laisser les choses comme ça...
-Non seulement tu le peux, mais tu le dois! Et je maintiens mon offre, si tu arrive à tenir jusqu'à ce que ce soit lui qui fasse le premier pas, alors je t'emmènerai au sushi.
-Quand même...
Lucie soupira. Elle savait que l'anxiété reprenait le dessus quand même la promesse de la nourriture ne parvenait pas à détourner Hataru de ses pensées sombres. C'était sérieux. En même temps, comment ne pouvait-ce l'être? Evidemment que sa meilleure amie se sentait coupable, et la façon dont Kazuto la ghostait ne faisait rien pour améliorer la situation. Le soir même, il y avait entrainement de basket... Lucie décida qu'elle irait prendre Kazuto en face à face pour exiger des explications de sa part. C'était peut être aller outre ses prérogatives d'amie, surtout quand elle même avait tenté de séduire le roi des troisième année pendant un moment... mais c'était le moins qu'elle puisse faire pour Hataru. Elle savait à quel point l'anxiété pouvait la dévorer de l'intérieur, même quand personne d'autre qu'elle ne le réalisait.
-Quoi qu'il en soit, aucun message! S'exclama Lucie. Concentre toi sur les cours, et pense à tes activités de demain au cercle! Pas à cet imbécile. C'est compris.
Hataru soupira.
-Je vais essayer. Marmonna-t-elle.
-Parfait! La félicita Lucie. Bon, je te laisse, j'ai cours dans ce bâtiment. Je viendrai vérifier à midi si tu n'as rien envoyé, tout de même...
Et, sur ces mots, la belle jeune femme s'éclipsa vers sa salle de cours, laissant Hataru, seule, au milieu de l'allée sur laquelle virevoltaient les feuilles mortes. Evidemment, ses pensées revinrent immédiatement à sa dispute avec Kazuto. Elle ne pensait pas être dans le tort, vraiment... mais elle était prête à prétendre le contraire si cela signifiait pouvoir régler les choses. Elle n'était pas équipée pour cette guerre d'attrition.
Hataru continua son chemin, seule, vers sa propre salle de cours. Elle n'avait pas beaucoup d'amis dans sa propre promotion, à l'exception des autres membres du club de basket, dont la plupart ne suivaient pas les même cours qu'elle. Pour le reste, en dehors des heures de cours, elle était toujours entourée des membres du club. Ça ne lui avait pas vraiment permis de se rapprocher de qui que ce soit dans sa classe. Peut être était-ce une autre des raisons pour lesquelles elle se sentait aussi vide? Voir ses camarades discuter joyeusement avant, pendant et après les cours, rire durant les amphi ennuyeux, s'entraider pour leurs exercices... Hataru devait admettre qu'elle enviait tout ça. Ce n'était pas tant qu'elle n'était pas capable de sociabiliser, c'était tout le contraire. Elle adorait rencontrer de nouvelles personnes. Elle ne s'était juste jamais ménagée l'espace et le temps pour le faire au sein de sa propre promotion. Elle s'était simplement laissée entrainer par le courant, rejoignant le groupe de Lucie, puis de Kazuto, et, avant qu'elle ne le réalise, l'intégralité de son cercle social était composé du club de basket. Cela la rendait-elle trop inaccessible pour que ses camarades ne viennent lui adresser la parole? Ou bien avait-elle simplement montré trop peu d'attention à leur égard pour qu'ils le la lui rendent?
Au moins, Hataru ne se rongea pas les sangs au sujet de Kazuto, puisqu'elle ne cessa de penser à cela tout au long de la journée. Elle se maudit une nouvelle fois d'avoir ces anxiétés stupides sur lesquelles elle restait bloquée, et qui l'empêchaient de prendre la moindre décision. Il aurait été si simple de simplement essayer de parler à l'un de ses camarades, alors pourquoi craignait-elle autant de le faire? Elle n'en avait pas la moindre idée. Et elle détestait cela. Elle, qui était une extrovertie assumée, se sentait enfermée par cette crainte irrationnelle. Comment s'y était-elle prise, avec Rin? Elle n'avait juste pas réfléchi, contrairement à ce qu'elle faisait depuis des mois vis à vis de cette solitude. Peut être que si elle cessait juste de trop réfléchir... si elle se lançait juste...
-Eh... excuse moi. Lança-t-elle à destination de sa voisine.
Cette dernière lui lança un regard intrigué.
-Est-ce que tu aurais les notes du cours précédent? Commença Hataru. J'étais tellement perdue dans mes pensées que je n'ai pas tout suivi.
-Oh! Euh... oui, pas de problème. Je pourrai te les prêter à la fin du cours, pour que tu les imprime.
-C'est vrai? Super! Tu me sauves la vie.
-Il n'y a que ces notes là que tu as manquées?
Hataru fut prise par surprise par cette répartie. Puis, un peu gênée, elle répondit:
-Pas que, non... comment tu le sais?
-Disons que c'est l'impression que tu donnes.
-Arg... mais suivre les cours pendant autant d'heures est juste trop compliqué... et puis, dès que je commence à penser à un truc, je mouline, je mouline, et je n'arrive plus à me le sortir de la tête.
-Je peux te prêter mes notes régulièrement, si tu veux.
Hataru leva les yeux pour détailler la jeune femme. L'air bien apprêtée, les cheveux coupés assez courts, et un trait de maquillage soulignant ses yeux, elle avait cependant une aura studieuse et sérieuse, avec ses lunettes et son carnet de note. Pourtant, sa tenue était des plus mignonnes, montrant ses épaules et moulant bien ses longues jambes. Hataru l'avait déjà vue, mais, comme la plupart de ses camarades, ne lui avait probablement pas parlé plus d'une fois ou deux. Quant à son nom, elle commença à réfléchir à toute vitesse pour tenter de s'en rappeler.
-Merci mille fois.... em...
-Miwa. Miwa Kawamoto. Répondit simplement la jeune femme avec un sourire amusé.
-Voilà. C'est ça. Miwa. Moi c'est Hataru Tsukino.
-Ça je le savais.
-Hahaaaa c'est gênant... craqua Hataru. Désolée... je suis pas très... enfin... j'ai probablement pas fait les efforts nécessaires pour retenir les noms de notre promotion.
-Difficile de t'en vouloir, vu le nombre qu'on est. Rit légèrement Miwa, et ce rire était doux et féminin. La logique voudrait qu'on retienne les noms des gens à qui on parle.
-Voila! Mais tu connaissais mon nom...
-On avait discuté durant l'intégration?
-Vraiment? Répondit Hataru, horrifiée.
-Juste une fois, je te taquine. Répondit Miwa. Je connais ton nom parce que tout le monde le connait.
-Oui... il parait. Marmotta Hataru, avec une expression indéchiffrable.
-Et sinon... qu'est ce que je gagne en échange de te laisser voir mes notes?
Hataru réfléchit un court instant.
-Je peux cuisiner. Proposa-t-elle.
Miwa pouffa.
-Quoi? Protesta Hataru. Qu'est ce que j'ai dit?
-Rien, rien. Rétorqua la jeune femme en retenant son rire. T'es mignonne, c'est tout.
C'était si simple, tout compte fait. Pourquoi avait-elle tant hésité, des mois durant, à faire ce premier pas, au juste? Pourquoi s'était-elle rendue malade à stresser pour quelque chose de si simple? Au point de décider que le seul moyen d'y parvenir était de rejoindre un nouveau club? De repartir de zéro, comme si, après avoir raté le coche du début d'année, se rapprocher de qui que ce soit était impossible? Hataru se trouva désespérément stupide. Cette part d'elle, encore, toujours, celle qui l'enfermait et l'empêchait d'aller de l'avant. Vaincue, si facilement?
Si tout était si simple, alors rien ne pouvait l'arrêter.
Hataru, dans sa simplicité de pensée, oublia seulement qu'elle n'avait réglé que l'un des soucis qui lui dévoraient le quotidien. Et un autre reparut très vite quand, sa journée terminée, alors qu'elle rentrait en discutant avec Miwa, son regard croisa la silhouette de Kazuto, en train de discuter avec des amis du club. Hataru déglutit.
-Je crois que je vais te laisser. Murmura Miwa. On dirait que ton a très envie de te parler. En tout cas, c'était cool de parler avec toi! A lundi!
-Quoi? Attends, ne m'abandonne pas comme ça, je-
-Hataru. Interpella Kazuto, coupant court aux appels de détresse de la jeune femme.
Cette dernière prit une grande inspiration, tenta de calmer ses tremblements et le battement effrené de son coeur. Elle avait tenu. Ce n'était pas elle qui avait fait le premier pas. Mais elle ne savait pas pour autant si elle était prête pour cette confrontation. Et si les choses se passaient mal? Et si Kazuto voulait rompre? Et s'il refusait qu'elle rejoigne un club auquel il ne pouvait participer? Comment allait-elle pouvoir l'expliquer à Rin? Ou devait-elle lui tenir tête, au risque que leur dispute continue?
-Hey. Commença Kazuto, visiblement un peu gêné.
-Hey. Rétorqua Hataru sur un ton similaire.
Un silence s'installa, durant lequel les deux jeunes gens prirent bien soin d'éviter de croiser le regard de l'autre. Finalement, ce fut Kazuto qui prit la parole en premier.
-Écoute... Je suis désolé de m'être emporté comme ça. J'étais juste frustré que tu ai choisi sans m'en parler au préalable, surtout un club auquel... je pourrai pas participer pleinement. Je pensais qu'on faisait ça tous les deux...
-Je comprends. Répondit Hataru d'une voix peu assurée. Mais... si j'ai quitté le club, c'était avant tout pour étendre mes horizons, rencontrer de nouvelles personnes, trouver un sujet qui me passionne. Je... ne veux pas que ça devienne un poids dans ton emploi du temps, ou que tu te forces à faire quelque chose qui ne t'intéresse pas juste pour moi. Le fait que je ne sois plus au club basket ne signifie pas... que je ne veux plus te voir, ou quoi que ce soit du genre. Je pense que... j'ai pas été assez explicite là dessus, je suis désolée.
Kazuto eut un petit rire gêné.
-Comme quoi il suffisait de discuter depuis le départ. Pourtant, on est de bons moulins à parole.
-Il faut croire que ça aide pas pour venir au cœur du sujet. Répondit Hataru, avec un sourire amusé. Mais on a le bon gout d'au moins essayer de réparer tout ça, et de s'excuser.
-Ouais. Je m'excuse vraiment d'avoir crié en public comme ça. Ça... me ressemble pas.
-Je sais... répondit Hataru, en caressant la joue du jeune homme. Et... j'aurai dû être claire avec toi depuis le début au lieu de craindre ta réaction. C'était stupide et puéril.
-Mais c'est ça qui te rend si mignonne.
-Quoi? Ma stupidité?
-Ta puérilité. Répondit Kazuto en embrassant le front de sa petite amie. Ta naïveté, ta sincérité... ta gourmandise, un peu, aussi.
-Tu te moques de moi. Bouda Hataru.
-Pas du tout. Regarde, tu le fait encore.
Hataru eut un petit rire, que Kazuto partagea. Après un petit silence, il reprit cependant la parole.
-Tu comptes faire quoi, du coup? Vis à vis... du cercle et du club cuisine.
Une pointe d'appréhension perçait dans sa voix, et Hataru en fut bien consciente. Elle soupira.
-Le cercle m'intéresse plus, pour le moment, et j'ai déjà commencé à m'organiser avec la présidente. Avoua-t-elle. Je sais que ce n'est pas le choix qui t'arranges le plus, mais... c'est celui qui me tente vraiment.
-Et le club cuisine? Tenta Kazuto. Tu aimes tellement manger, et puis, Mayuri-senpai est vraiment une super personne.
-Si je veux cuisiner, je n'ai pas vraiment besoin du club pour le faire. Fit remarquer Hataru. Je dirai même que je le fais depuis que je suis en âge de tenir une cuillère, et que je continue de le faire même chez moi. C'est quelque chose qui me plait bien, mais pas autant que manger. Alors que le cercle... je ne sais pas. Il y a quelque chose qui m'intrigue. Qui pique mon intérêt. La simple idée de manger un petit plat cuisiné au beau milieu de nulle part, dans le froid et sous une immense voute étoilée... ça ne te fait pas rêver?
-Pas... plus que ça. Avoua Kazuto. Mais je comprends un peu mieux ton choix, au moins. Même si c'est vrai que ce n'est pas celui qui m'arrange le plus, niveau horaire.
-Ce n'est pas grave. Lui assura Hataru. J'ai prévenu la présidente que tu rejoindrai, et tu pourras au moins nous aider pour la préparation. Et puis, même si ça ne t'intéresse pas, ça nous fera un peu de temps ensemble.
Kazuto soupira.
-Je ne peux vraiment rien te refuser, tu sais... ça te dit, un petit okonomiyaki pour me faire pardonner ce soir, après l'entrainement?
Les yeux d'Hataru scintillèrent à cette proposition.
Bạn đang đọc truyện trên: Truyen247.Pro