[ Dans la peau d'Alphonse ]

Je viens de rentrer chez moi. J'ai pris un taxi, ma voiture est restée au bar hier soir. J'entre dans ma maison et vois Alberta, la plus âgée de nos femmes de ménage.

Elle est plus âgée que mon père d'environ cinq ans, mais cela se voit à peine. Elle connaît ma famille depuis que Marie a un an et demi. Je la considère comme une seconde mère, elle est si douce, adorable et gentille avec tous ceux qu'elle connaît.

Elle s'approche de moi toute inquiète.

__ Monsieur Alphonse, nous nous sommes inquiétés pour vous. Où étiez-vous donc ?

__ Je t'ai déjà dit d'arrêter de me vouvoyer, je te considère comme une seconde mère et ça me fait de la peine que tu me parles ainsi.

__ D'accord, excuse-moi. Mais maintenant dis-moi où tu as passé la nuit, s'il te plaît.

__ Hum... j'étais chez... une amie.

__ Une amie ou une de tes conquêtes ?

__ C'est une amie.

__ Tu me mens, mon garçon.

Je soupire.

__ D'accord, t'as gagné. J'ai dormi chez ma secrétaire, mais il ne s'est rien passé.

Elle doute de ma réponse. Elle sait que je lui mens, mais je ne peux pas lui dire la vérité. 

__ Ne me regarde pas comme ça, je ne te mens pas.

__ Très bien. T'as déjà rendu visite à Marie ?

__ Non, je souhaitais d'abord prendre une douche et me changer avant d'y aller.

__ T'as bien fait. Pendant ce temps, je vais te faire un bon café, pour calmer ta gueule de bois.

Je l'interroge du regard.

__ Ne me regarde pas comme ça. Je sais que lorsque tu es trop triste, tu bois jusqu'à oublier où tu vis.

Je souris suite à sa remarque et m'apprête à m'en aller, lorsque je me souviens qu'il faut que Marchal, mon chauffeur, aille récupérer ma voiture.

__ Ah ! Alberta, s'il te plaît, tu pour...

__ Oui, ne t'inquiète pas, je dirai à  Marchal d'aller récupérer ta voiture, m'interrompt-elle. Au même endroit, je suppose.

__ Non, là tu as faux. J'ai changé cette fois. Ma voiture se trouve sur le parking d'un bar nommé << The shy moon >>.

Je lui lance les clés de mon véhicule et elle les attrape.

__ C'est d'accord, mon garçon.

Je lui souris et monte enfin dans ma chambre. Je me déshabille et passe sous la douche.

Je ressens du regret vis-à-vis de cette nuit. Il est vrai que j'ai pris du bon temps, mais je regrette de l'avoir fait avec ma secrétaire. Je ne peux me permettre de mélanger ma vie professionnelle et ma vie personnelle.

Je me repasse toute ma soirée en boucle, mais tout devient flou après la scène où je bois mon vingt-troisième shot.

J'espère avoir mis un préservatif, j'étais tellement saoul que je ne m'en souviens pas. Habituellement, j'en garde toujours un dans ma poche. Il y'en a aussi dans les tiroirs de mon bureau. On ne sait jamais où l'on peut rencontrer une nouvelle conquête...

Si j'ai couché avec Dayana sans préservatif, je lui ferai avaler toute une plaquette de pilules pour être bien sûr qu'elle ne tombera pas enceinte de moi.

Je me demande quelle mouche m'a piqué pour que je me saoule autant. Néanmoins, je maintiens l'espoir que ma secrétaire oublie cette nuit.

Je sors de la salle de bain et commence à m'habiller.

Je viens de me souvenir que je n'ai toujours pas prévenu mon père. Je le ferai lorsque Marie se sentira mieux, je ne veux pas le stresser, il est maintenant un peu trop vieux et son coeur, beaucoup trop fragile.

J'espère vraiment que la santé de Marie va s'améliorer. Elle est ma confidente et ma meilleure amie en plus d'être ma soeur. Je ne supporterais pas de la perdre elle aussi.

[ Dans la peau de Dayana ]

Je suis en route pour l'hôpital où se trouve Marie, comme Alphonse me l'a demandé.

Je ne fais que penser à cette nuit. Ai-je vraiment couché avec Alphonse Bowns ?

Je sais très bien que cet homme ne m'aime pas et... après avoir vu sa réaction de ce matin, que je ne le veuille ou non, il ne m'aimera jamais. Mais, j'avais tellement envie de le sentir près de moi, juste une fois. J'ai conscience du risque que j'ai pris. C'est mon patron, je pourrais me faire virer.

Il m'a dit tout à l'heure qu'il savait ce que je ressens pour lui. Est-il réellement au courant de tout ?

J'essaie de regretter cette nuit, mais je n'y arrive pas. J'ai aimé qu'il me touche, qu'il m'embrasse, qu'il me caresse, j'ai aimé le sentir en moi.

Et puis, je me mets à penser à Adrien.

Il ne m'a rien fait de mal, au contraire, il ne me fait que du bien. Je me sens aimée avec lui. Il est si doux, si simple : il est parfait. Et moi, j'ai l'impression de le tromper. Je sais qu'il n'y a encore rien de concret entre nous, mais je me sens vraiment mal. Il me plaît vraiment et je sais qu'un jour je pourrai l'aimer.

Je viens d'arriver à l'hôpital. Je monte dans l'ascenseur et mon téléphone se met à sonner dans ma main, je le regarde et vois le nom << Adrien >> écrit dessus. C'est la deuxième fois qu'il m'appelle aujourd'hui, il ne sait pas encore que je suis déjà à l'hôpital. Je décide donc de ne pas décrocher, ça ne servirait à rien.

Je sors de l'ascenseur et me dirige vers la salle d'attente. Je vois Adrien assis sur l'une des chaises, son téléphone à la main, et mon téléphone se remet à sonner. Je sais que c'est encore lui, je raccroche et me rapproche de lui. Il lève la tête et me vois, il se lève donc et s'avance vers moi.

__ Salut, entame Adrien.

__ Salut. Tu as passé la nuit ici ?

__ Oui, avec Daniel.

__ Et où est-il ?

__ Il est allé nous chercher du café.

__ D'accord. Je ne décrochais pas à tes appels parce que j'étais déjà en route.

__ Oui, j'ai compris lorsque je t'ai vue arriver. En fait, je souhaitais juste t'informer du réveil de Marie.

__ Elle s'est réveillée ?

__ Oui, elle vient de se réveiller. Les médecins sont avec elle, ils l'examinent.

__ Je suis tellement contente !

__ Oui, je vois ça. Vous êtes très proches à ce que je vois.

__ Oui. Je l'apprécie beaucoup.

Je le regarde, tandis que lui, fuit mon regard. Pourquoi ?

On ne se dit plus rien et un silence prend place. Ça me perturbe. Nous avons toujours des trucs à nous dire d'habitude.
Pourquoi Adrien est-il aussi distant ?
Il ne m'a même pas fait la bise lorsque je suis arrivée.

Daniel revient enfin vers nous avec deux cafés en mains. 

__ Salut, Dayana, me salue-t-il en me faisant la bise.

Lui au moins, il n'est pas distant avec moi.

__ Salut, Daniel.

__ Je ne savais pas que tu étais déjà là, sinon je t'aurais aussi apporté un café.

__ Tu peux prendre le mien si tu veux, me propose Adrien.

__ Non, ça ira merci.

__ Tu en es sûre ? poursuit Adrien.

__ Oui, complètement.

__ D'accord, c'est comme tu voudras.

__ Rachelle nous a dit que vous aviez retrouvé Alphonse hier soir, reprend Daniel.

__ Euh... oui.

__ Et il a dormi chez toi, pas vrai ?continue Adrien.

J'ai la sensation d'être prise au piège.

Comment Rachelle a pu dire à Adrien qu'Alphonse a dormi chez moi ? À Daniel ce n'est pas grave, il sait déjà que j'aime Alphonse. Mais à Adrien...

Je comprends mieux pourquoi il était aussi distant tout à l'heure. 

Mon Dieu faites en sorte qu'Adrien ne me déteste pas.

__ Euh...

__ Rachelle nous l'a dit, allonge Daniel.

Franchement, je l'avais déjà compris.

__ Hum... oui, il a dormi chez moi.

Adrien abaisse ses yeux, il est déçu.

__ Mais, euh, il ne s'est rien passé, il a dormi dans mon lit et moi sur le canapé du salon.

Je tente bien que mal d'apaiser la tension qui règne entre nous trois, mais je commence à douter de ma capacité à mentir.

__ D'accord, je te crois, dit-il toujours un peu mécontent.

__ Et il est où Alphonse ? me demande Daniel.

__ Il est rentré chez lui pour prendre une douche. Il viendra à l'hôpital juste après.

__ D'accord.

__ Je vais rentrer chez moi maintenant, informe Adrien. On se revoit au bureau ?

__ Oui, bien sûr. J'attends juste la venue d'Alphonse, il m'a dit qu'il aura besoin de moi ici.

__ Très bien. À plus tard.

__ Oui.

Adrien nous fait un sourire crispé et s'en va me laissant seule avec Daniel. Ça tombe bien, il faut qu'on parle.

__ Tu m'expliques pourquoi Rachelle a tout raconté à Adrien ?

__ Elle me parlait à moi. Adrien était juste à côté de moi et j'avais mis le haut parleur.

Dites moi que c'est une blague !

__ Oh mon Dieu ! m'exclamé-je, complètement dégoutée par les dires de Daniel.

__ Je suis vraiment désolé. Mais, il a dit qu'il te croyait.

__ Et j'espère vraiment que c'est le cas.

__ Oui, moi aussi. Écoute, Dayana, je suis vraiment désolé, mais il faut vraiment que je m'en aille.

__ Oui, bien sûr.

__ Au revoir, Dayana.

__ Au revoir, Daniel. Passe une bonne journée.

__ Oui, merci. Toi aussi.

__ Merci.  

Daniel s'en va et me laisse toute seule dans la salle d'attente.

Je repense au comportement qu'a eu Adrien aujourd'hui. Le fait qu'il ait été aussi distant avec moi me blesse énormément, bien plus que ce que j'aurais pu imaginer.

Je ne veux pas qu'il s'éloigne de moi.
Je ne sais pas ce que je ressens pour lui en ce moment, mais ce qui est sûr, c'est que je veux voir ce qui pourrait se passer après notre petit baiser de l'autre soir.

Je me sens mal de l'avoir menti, je n'aurais pas dû. Mais si je l'ai fait, c'est pour ne pas le perdre.
Donc, si on voit bien, ce fut un mensonge nécessaire.