IV - Jeudi 30 novembre
Aubain
Ils repassent Le cinquième élément au cinéma la semaine prochaine !!!!!!
J'ai esquissé un sourire, puis ai rangé mon téléphone dans la poche de mon jean. Il s'est remis à vibrer, et je l'ai à nouveau sorti, en prenant soin de le cacher en-dessous de la table.
Aubain
J'espère que tu ne fais pas partie de ces gens qui disent aimer la SF mais qui n'ont jamais vu le cinquième élément, sinon je te supprime de mes contacts
J'ai pouffé, et mon professeur d'économie m'a surprise, téléphone à la main. Il m'a demandé de sortir du cours, ce que j'ai fait sans broncher - c'était plutôt perçu comme une aubaine de pouvoir sortir de son cours une demie-heure avant la fin de ce dernier.
Je suis allée au coin fumeur, un endroit près du parking des professeurs et du personnel du lycée. Un groupe de garçons était déjà présent, des BTS pour la plupart. J'ai allumé une cigarette et l'ai fumée tranquillement, souhaitant répondre à ton message le plus dignement possible. Ça faisait quelques jours qu'on s'échangeait de brefs textos, tu préférais comme moi le face à face, mais j'avais l'impression que tes messages étaient beaucoup plus recherchés que les miens et ça m'agaçait un peu.
- Excuse-moi ?
J'ai levé les yeux vers un grand brun tout maigre. Une clope pendouillait à ses lèvres et des cernes aussi grosses que mes paumes de mains trainaient sous ses yeux clairs.
- Tu es Margaux, c'est ça ?
J'ai hoché la tête.
- Je suis Arthur, le meilleur pote d'Aubain. Quand il m'a parlé de toi, j'étais sûr que tu étais dans mon lycée.
Ça m'a surprise. Alors comme ça, tu parlais de moi à tes amis ?
- C'est marrant, j'aurais jamais pensé que tu serais le genre d'Aubain.
- Ouais, je suis un peu le genre de personne, ai-je répondu. Enfin tu sais, lui et moi, on n'est pas ensemble, hein.
- Je sais, c'est juste que tu as l'air de vachement lui plaire. Et c'est bizarre, parce que tu es l'opposée de son ex.
- Emma, c'est ça ?
- Il t'en a déjà parlé ? s'est-il étonné.
J'ai haussé les épaules et ai recraché un nuage de fumée.
- Vaguement, la première fois où on s'est rencontré. Il était un peu bourré.
- Ah ouais, c'était sa première soirée étudiante, on l'avait incruste avec Oli.
J'ai hoché la tête bien que je ne voyais pas de qui il voulait parler.
- Pour revenir à Emma, a-t-il continué, elle est genre, grande, blonde, bavarde et extravertie.
- L'inverse de moi, quoi, ai-je résumé.
- Ouais, ce n'est pas pour t'embêter que je dis ça.
- T'inquiète pas, je m'en fiche.
Et c'était la vérité.
- C'est juste que je ne comprends pas pourquoi tu l'intéresses.
- On est juste ami, lui et moi. Et je ne sais pas pour lui, mais perso, je ne veux pas aller plus loin pour l'instant.
- Je pense qu'il ressent la même chose. Tu sais, parfois on dirait qu'il drague en permanence, mais ce n'est pas son genre. Il aime juste faire l'intéressant et être intéressé. Il n'est pas méchant, quoi.
- C'est lui qui t'envoie me dire ça ?
Il a secoué la tête, mais a ajouté en souriant :
- Il en serait capable, pourtant.
• • •
Le soir, quand mon père est rentré, j'étais en train de manger des pâtes devant la télévision. Il est arrivé dans le salon, et n'avait même pas enlevé son manteau qu'il avait pris la télécommande et coupé le son.
- Euh, j'étais en train de regarder, ai-je marmonné, la bouche pleine de pâtes.
- Il faut qu'on parle, tous les deux.
J'ai levé les yeux vers mon père. Il avait l'air fatigué, ses cheveux gris ne faisait qu'empirer les choses et ses joues étaient de plus en plus creusées.
Il n'a rien dit de plus, et s'est rendu dans la cuisine où j'avais laissé le reste de pâtes dans une assiette. Je l'ai entendu mettre en marche le micro-ondes, puis il a posé son manteau sur une chaise dans la salle à manger et m'a rejointe dans le salon.
- Le lycée m'a appelé tout à l'heure. Ton professeur de SES s'est encore plaint de toi.
Je n'ai rien dit. Pour mon père, il ne fallait pas plaisanter avec les études, et pourtant c'était bien l'impression que je lui donnais.
- Il a dit que tu avais perturbé le cours aujourd'hui, encore une fois.
- Eh, je n'ai fait que regarder mon portable, c'est lui qui s'est perturbé tout seul, me suis-je défendue.
- Margaux, a-t-il soupiré et je savais que j'allais passer un mauvais quart d'heure. Depuis quand tu peux utiliser ton téléphone en cours ?
- Je ne faisais que regarder l'heure...
- Il n'y a pas d'horloge au lycée ?
- Pas dans toutes les salles.
- Et tu n'as pas de montre ?
J'ai secoué la tête alors qu'il savait pertinemment que j'en avais une.
- Ecoute Margaux, tu as la chance de pouvoir aller au lycée, tu ne devrais pas agir comme ça. Ce n'est pas la première fois qu'un professeur se plaint de toi, et je trouve que tu leur manques de respect. En plus de ça, tes notes sont en chute libre depuis le début de ta terminale, déjà qu'elles étaient assez moyennes en première, je ne vais pas pouvoir tolérer ça, et ta mère non plus.
- Comme si ça l'intéressait de savoir ce qui se passe dans ma vie, ai-je lâché, plus fort que je ne le voulais.
- Margaux ! Je t'interdis de parler de ta mère comme ça ! s'est énervé mon père.
- Mais quoi, ça fait combien de temps qu'elle ne m'a pas téléphonée ? Qu'elle n'a pas pris de mes nouvelles ? Elle s'en fiche de moi, elle a ses deux nouvelles filles à pourrir-gâter et ça l'arrange bien d'être à des milliers de kilomètres de moi !
- Margaux !
Je me suis levée, et me suis rendue dans l'entrée où étaient les escaliers.
- Margaux, reviens ici tout de suite ! a crié mon père. On n'a pas fini de discuter !
- Il n'y a rien à dire !
Mon père m'a attrapé le bras pour me forcer à ne pas monter à l'étage. Je l'ai assassiné du regard.
- Tu me fais mal !
- Jeune fille, a-t-il sifflé entre ses dents. Tu ne sembles pas comprendre ce que le mot « respect » signifie, que ce soit à l'égard de ta mère, de tes professeurs ou du mien. Alors tu vas me faire le plaisir de me descendre ton emploi du temps, et je m'assurerais que tu rentres bien à la maison dès la fin de tes cours, pour que tu te mettes sérieusement à bosser et à apprendre à agir correctement.
- Tu me prives de sortie comme à une pauvre gamine, c'est ça ?
- Tu as tout compris.
Je me suis dégagée de son emprise et ai commencé à monter les marches deux par deux.
- C'est injuste ! me suis-je écriée en me tournant vers lui. Je ne suis plus une gamine, c'est dingue ça !
- On en reparlera quand tu auras dix-huit ans. En attendant tu montes dans ta chambre et tu travailles, je te rappelle qu'il y a le bac en fin d'année et tu es encore loin de l'avoir !
J'ai fulminé et suis montée dans ma chambre, où j'ai claqué la porte. Génial, j'étais punie comme on punissait une collégienne quand elle n'avait pas fait ses devoirs. Privée de sortie, la meilleure de l'année. Je savais que mon père était à la ramasse, mais pas à ce point.
Je me suis affalée dans mon lit, au milieu de la petite pièce. J'essayais de relativiser, ce n'était pas comme si je sortais tant que ça. Maintenant que je n'étais plus avec Robin, aussi mon connard d'ex-petit ami, je ne sortais plus tellement.
J'ai attrapé mon téléphone, laissé sur mon lit, puis je t'ai envoyé un message pour te prévenir que notre sortie au cinéma tombait à l'eau.
Aubain
Il t'a privé de sortie ??
Moi
Je sais, c'est pathétique
Aubain
Pour combien de temps ?
Moi
Aucune idée, il n'a pas précisé.. tu peux pas savoir à quel point je le déteste
J'ai lâché mon téléphone et j'ai passé mes mains sur mon visage. Je détestais mon père, il n'y avait pas d'autre mot : il n'était jamais là, partait tôt pour rentrer tard, n'arrivait pas à se souvenir de ma date d'anniversaire ni du fait que je ne mangeais pas de viande et ne se souciait jamais de comment j'allais. Le genre de choses qu'un père normal devrait faire.
En plus de ça, il ne s'était jamais vraiment remis de sa séparation avec ma mère. Ils avaient officiellement divorcé quand j'avais neuf ans, mais ils se voyaient encore et pendant quelques années, il avait cru qu'ils allaient peut-être se remarier. Mais juste avant mes quatorze ans, ma mère était tombée amoureuse d'un Réunionnais et l'avait suivi sur son île, et ils avaient aujourd'hui deux filles, mes sœurs donc, que je n'avais jamais vues en chair et en os.
C'était une histoire tellement improbable que ni lui ni moi ne voulions y croire. Et pourtant, c'était bien la réalité. Ma mère était devenue une inconnue qui passait ses journées au bord de la mer et sous le soleil et mon père une loque qui errait entre son lieu de travail, sa maison et celle de ses parents.
La sonnerie de mon téléphone m'a tirée de mes pensées, et j'ai décroché au bout de quelques sonneries, hésitant à répondre parce que c'était toi.
- Allô ?
- Margaux, ça va ? m'as-tu demandé.
- Ouais, je suis en train de penser.
- Tu es en train de penser, as-tu répété en riant. A quoi ?
- A tout et rien.
- Tu ne veux pas en parler ?
- Pas vraiment, non.
J'ai fixé le plafond de ma chambre. Il avait l'air sale, je devrais faire le ménage dans cette pièce.
- Tu veux que je pense avec toi ? m'as-tu proposé.
J'ai froncé les sourcils.
- C'est-à-dire ?
- Eh bien, on reste là, au téléphone, sans rien se dire, et on continue de penser. Tu te sentiras moins seule.
Je n'ai rien répondu sur le moment. Ça paraissait tellement absurde ; pourquoi appeler quelqu'un pour ne rien se dire ? Une excuse pour brûler les dernières heures de ton forfait ? Ou juste entendre le souffle de l'autre à l'autre bout du fil ? C'était irréaliste et pourtant, c'était bien réel : comme l'histoire de ma mère.
- On fait ça alors, ai-je murmuré.
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