Tome IV : Chapitre 20 : Echec au roi
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Je ne ferai pas d'intro pour ce chapitre - qui est long, on arrive au 10 000 mots. Je laisse seulement les mots de Solann dans sa nouvelle chanson "Les ogres" parce que ça m'a percuté en corrigeant le chapitre : ça colle parfaitement. On se retrouve en bas. Bon courage.
Et rien ne va
Depuis que les ogres ont mangé le monde
Moi, je voulais même pas le changer le monde
Mais on me l'arrache d'entre les bras
Si je me noie vous vous noierez aussi
Si je me noie vous vous noierez aussi
Moi dans les flots, vous dans votre appétit
C'est juré, c'est promis, vous vous noierez aussi
- Solann, Les Ogres-
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Chapitre XX : Echec au roi
La perception du temps était une chose étrange. Regulus s'en était aperçu un peu comme tout le monde dès l'enfance quand les leçons de français avec son précepteur semblaient s'étirer à l'infini, mais que les moments de jeux avec Sirius et ses cousines passaient toujours bien trop vite. Ce soir, c'était un peu la sensation qu'il avait l'impression de retrouver. Calfeutré dans sa chambre, il entendit la vieille horloge au rez-de-chaussée marquer une heure de plus et entamer la soirée par la même occasion. Comme si le temps, cette nuit, semblait s'étioler...
Il jeta un œil par la fenêtre. Au-dehors, Londres s'était parée des scintillements de fin d'année et des éclats de lumière apparaissaient au loin, signe que les premiers feux d'artifice commençaient à être tirés en avance. Même les rues grises de la capitale bruissaient d'anticipation, mais ici, Square Grimmaurd demeurait plongé dans une obscurité et une tranquillité imperturbables. Pour une fois, la traditionnelle fête du Nouvel d'An des Black ne serait pas organisée chez eux. Ça aurait été mal venu alors que la maison paraissait encore porter le deuil de celui qui avait été le maître des lieux pendant plus de vingt-cinq ans.
Les tableaux chuchotaient entre eux, l'air grave, dès qu'il passait dans le hall. La silhouette sombre de sa mère errait dans les couloirs, comme si elle y cherchait la présence de son père ; et même Kreattur maintenait la porte du bureau de son père fermée, tel une sorte de mausolée sacré. A vrai dire, il lui en était reconnaissant. Après l'enterrement, il s'était retrouvé figé sur le seuil, tétanisé par le souvenir de son père effondré sur le tapis ouvragé et Kreattur avait fini par le sortir de sa torpeur en refermant le battant avec douceur. A croire que la présence d'Orion Black était aussi écrasante morte que vivante.
En tout cas, malgré cette atmosphère lourde, les apparences demeuraient. Et alors qu'arrivait la nouvelle année, les Black se devaient de montrer leur puissance et leur force. Montrer que le clan ne vacillait pas. Après tout, il y restait des figures fortes, quoique vieillissantes, avec grand-père Arcturus et grand-père Pollux. L'oncle Cygnus et la tante Druella, eux, avaient sauté sur l'occasion pour proposer leur demeure du Norfolk comme lieu de festivité cette année. Pour soulager cette pauvre Walburga qui n'a sûrement pas la tête à organiser pareil évènement, avait dit Druella, l'air compatissante. Regulus avait surtout vu tante Lucinda rouler des yeux dans son dos, mais personne n'avait émis d'objection ni proposer d'alternative et l'affaire s'était réglée.
Après coup, il avait réalisé qu'il aurait pu protester en tant que nouveau chef de famille. Mais personne, lui y compris, ne paraissait prêt à le reconnaître pleinement dans ce rôle et donc tout le monde faisait semblant de l'oublier. Et pour une fois, ça lui allait très bien. Il avait besoin du silence qui l'entourait actuellement pour rassembler ses pensées.
- Kreattur ! héla sa mère depuis le rez-de-chaussée. Va me chercher mes gants et ma cape, il va bientôt être l'heure de partir. Et dépêche-toi, je refuse d'être en retard !
A bien y réfléchir, peut-être que ça avait toujours été sa force. Dès qu'il se sentait submergé, il retombait dans le premier mécanisme qu'on lui avait appris : le silence. C'en était presque ironique qu'une femme telle que Walburga Black, dont la voix résonnait toujours haut et fort comme à l'instant, lui ait enseigné à grand renfort de détermination cette leçon. Une leçon qui lui avait servie. Il avait évolué dans les couloirs de Poudlard en silence, slalomant entre Rosier et ses sbires, et ses camarades avaient pris ce silence pour de la confiance. Il avait évité les disputes à la maison en restant silencieux, là où Sirius n'avait jamais pu s'empêcher de répliquer d'un trait d'esprit. Il avait prouvé sa loyauté au Seigneur des Ténèbres et continuait de jouer double jeu en silence. La seule qui lui avait donné envie de parler était peut-être Marlène... Sans doute parce qu'elle savait écouter, elle.
Il ressentit un coup à la poitrine en songeant à la dernière fois qu'il l'avait vu depuis les tunnels désaffectés du métro, auréolée de lumière et de flocons de neige, penchée au-dessus de la trappe. Une semaine plus tard, il se battait contre l'envie incessante de lui donner un dernier rendez-vous au Chaudron Baveur pour s'expliquer. Pour lui dire la vérité. Mais dès que ses doigts effleuraient le cadran de sa montre pour en régler l'heure, il se retenait. Il n'aurait fait que la mettre davantage en danger et c'était la seule chose qu'il se refusait à faire parmi tous les actes impardonnables qu'il avait commis.
Tu as été mon étoile, Marlène.
Merlin, il espérait qu'elle savait à quel point c'était vrai. A quel point il avait été désespéré de la toucher ce soir-là, comme en écho de la seule fois où il avait parcouru tout son corps à l'abris des regards. Il se demanda si elle avait senti à quel point son cœur s'était brisé quand il s'était éloigné, ou comment il s'était réparé l'espace d'une seconde quand ses lèvres avaient retrouvé les siennes dans l'obscurité des tunnels. C'était impossible qu'elle n'ait pas pu ressentir tout cela. Ça l'avait brûlé de l'intérieur après tout, ce qui n'avait rien d'étonnant quand on se trouvait trop proche d'une étoile.
- Regulus ? Tu es là ?
La voix de sa mère perça sa bulle, beaucoup plus proche cette-fois. Il se détourna la fenêtre pile au moment où la porte de sa chambre s'ouvrit.
Elle apparut dans l'embrasure, droite et élégante, drapée dans une cape noire bordée de fourrure. Depuis quelques jours, elle avait enfin enlevé son voile de deuil et son regard perçant balaya la pièce avant de se poser sur lui. Un pli agacé marquait la ligne de sa bouche.
- Regulus, te voilà, soupira-t-elle en avançant d'un pas dans la chambre. Est-ce que tu es sûr de ne pas vouloir venir ? Tu as déjà manqué Noël, tu sais ce que dira la famille si tu n'es pas là ce soir encore.
Les apparences, toujours les apparences. Il fallait qu'il s'en serve justement ce soir et il veilla à rester immobile de peur de se trahir, la mine affligée. Heureusement, il n'avait pas à feindre sa pâleur ni ses cernes de fatigue. Une part de lui, celle qui avait toujours cherché son approbation, ressentit tout de même une pointe de culpabilité.
- Je suis désolé, Mère, mais je me sens toujours aussi mal. Ce serait peu raisonnable de venir, surtout avec la santé fragile de grand-père Pollux et la condition de Narcissa, répondit-il en feignant un détachement qu'il ne ressentait pas. Mais souhaitez-leur mes vœux pour moi...
Sa politesse parut attendrir sa mère car un mince sourire apparut brièvement sur son visage et elle leva le menton haut, l'air légèrement adouci.
- Toujours mon fils le plus attentionné, commenta-t-elle avec une pointe de fierté. Très bien, repose-toi, alors. Mais il serait bon que tu retrouves un peu de vigueur, Regulus. Bientôt, c'est toi qui seras le pilier de cette famille. C'est ce que ton père aurait voulu.
Sa voix eut un accent brisé sur la dernière phrase et il se retrouva à soutenir son regard, la bouche sèche. Si Père avait voulu faire de moi le pilier de cette famille, il m'aurait fait confiance de son vivant, se retint-il de répliquer, il m'aurait nommé son héritier. Le destin en avait voulu autrement. Apparemment, il était en train de signer le changement d'héritage au moment où son cœur l'avait lâché, comme si son corps lui-même s'était rebellé contre l'idée de renoncer définitivement à Sirius.
Son trouble dû se lire sur son visage car sa mère s'avança d'un pas, les traits affligés. Le noir de sa chevelure, si Black, commençait à être strié de blanc à elle aussi.
- Je me doute ce que tu dois penser, souffla-t-elle, mais je t'assure que c'était sa dernière volonté. Littéralement. Et Arcturus et Cygnus sont en train de finaliser avec notre conseiller, ce n'est plus qu'une question de jours désormais. D'ici la nouvelle année, tu seras le maître de Square Grimmaurd. Tu seras celui qui représentera le nom des Black.
Oh oui, le temps était une chose étrange. Car comment lui expliquer que la décision tant attendue pouvait déjà être trop tard ? Qu'il n'était pas sûr de revenir à l'aube ? Il ne sut pas quoi répondre à nouveau, cherchant dans ses mots une réponse appropriée, quelque chose qui lui permette de se libérer de ce fardeau en silence, de lui dire adieu sans qu'elle comprenne. Il voulait que ses derniers mots avec elle portent la vérité, aussi cryptique soit-elle.
- Vous savez que notre nom a toujours été mon plus grand honneur, Mère, affirma-t-il finalement en inclinant la tête. Et... j'espère que je saurai lui faire honneur en retour. Parce qu'il a été le vôtre avant d'être le mien. Et quoi qu'il arrive, je ferai en sorte que notre famille ne soit jamais oubliée.
- Oh Regulus... Alors c'est ce que tu as compris tout ce que j'ai toujours voulu t'enseigner. Lorsque nous serons tous morts, contrairement à ce que Sirius affirme, personne ne viendra danser sur nos tombes. C'est notre nom qui fera perdurer la Famille. C'est tout ce qui perdure car c'est ce qui m'a lié à toi dès le moment où je t'ai senti en mon sein. Mon dernier né.
Presque avec tendresse, elle leva une main gantée pour écarter sa frange de cheveux sombre de son front, comme lorsqu'il était enfant. Et leurs regards restèrent liés un instant. Brusquement, il sentit un poids familier s'abattre sur lui, celui de la responsabilité et de l'amour inconditionnel. Contre toute raison, il l'aimait encore, sa mère impérieuse, qui l'avait modelé et étouffé à la fois. Ce serait plus difficile de partir qu'il ne l'avait cru.
- Allons, assez parlementer, se reprit sa mère en reculant d'un pas. Je ne veux pas donner le plaisir à Druella d'arriver en retard. Repose-toi, Regulus, et ne t'inquiète pas. Le nom des Black ne faiblira pas ce soir.
- Oui... oui, vous avez raison. Passez une bonne soirée. Et bonne année avec un peu d'avance.
Elle sourit à nouveau.
- Merci. A toi aussi. Si tu as besoin de quoique ce soit, Kreattur reste ici, Cygnus et Druella ont bien assez d'elfes. Ne veille pas trop tard.
- Hum...
Sans attendre de réponse, sa mère tourna les talons, et il la regarda s'éloigner dans le couloir, jusqu'à ce que le bruit de ses talons s'estompe en un écho lointain.
Un poids lourd et glacé s'installa dans sa poitrine. Il avait envie de la poursuivre et de dévaler l'escalier pour la retenir une dernière fois, mais il resta les pieds ancrés dans le sol jusqu'à entendre la porte d'entrée s'ouvrir.
- Maman... appela-t-il malgré lui à la dernière seconde.
Mais sa voix était trop faible pour porter jusqu'au hall et le battant se referma dans un bruit sourd. Il relâcha un souffle tremblant, seul.
Pendant de longues secondes, il resta immobile, incapable de savoir vraiment par où commencer. Puis, il se força à vider son esprit. S'il commençait à réfléchir à nouveau, il resterait paralysé toute la nuit, il en était sûr. En quelques pas, il se dirigea donc vers son bureau et ouvrit le premier tiroir. Ses doigts frôlèrent la chaîne d'argent et le médaillon avant de l'en sortir. Si lourd qu'il en paraissait vrai. Il fit sauter le loquet pour l'ouvrir.
À l'intérieur du médaillon, l'emplacement vide le narguait, en attente d'un objet qui ne viendrait jamais. Regulus inspira profondément et s'empara de la petite feuille de parchemin qu'il avait préparée, ses doigts tremblant légèrement alors qu'il la déroulait. Il attrapa ensuite une plume, une de ses plus belles que Livia Fawley lui avait offert pour son diplôme cet été, et chercha les mots justes. Il en savait si peu, finalement, sur le pouvoir exact de ce médaillon, mais une chose était sûre : Voldemort avait pêché par orgueil. Il s'était cru au-dessus de la mort. Il était peut-être temps de lui rappeler qu'il n'y avait pas plus haut que les Black.
D'une main hésitante, il commença à écrire :
Au Seigneur des ténèbres,
Je sais que je serai mort bien avant que vous ne lisiez ceci, mais je veux que vous sachiez qu'il était un jour où j'ai découvert votre secret. J'ai volé votre véritable Horcruxe et je compte le détruire dès que possible. Je vous attends, avec espoir qu'un jour, quelqu'un puisse vous anéantir à jamais.
R.A.B.
Il relut le message, le cœur battant fort dans sa poitrine. Les mots paraissaient encore dérisoires face au défi immense auquel il s'apprêtait à faire face, mais ils avaient le mérite d'exister, noir sur blanc. Avec soin, il plia le parchemin, le glissa à l'intérieur du médaillon, puis referma ce dernier, ses doigts crispés sur la surface glacée du métal.
Il resta assis quelques secondes à fixer l'objet dans sa main. L'espace d'un instant, il songea aux cris et aux rires partagés avec Sirius, aux innombrables débats et aux non-dits encore plus nombreux. La dernière fois qu'ils s'étaient vus, ils s'étaient même pris dans les bras. Il se demanda ce que son frère aurait eu à dire de ce dernier acte de rébellion, bien plus grave que tout ce qu'il avait lui-même accompli. Il se serait sûrement adossé au mur avec son éternel rictus en coin en lui conseillant de faire attention. Tu risques de finir comme moi, Reg, l'entendait-il le mettre en garde. C'était risible à bien y penser. Des années à vouloir être différent et à clamer qu'il n'était pas son frère, tout ça pour finir comme lui.
Désabusé, il glissa la copie du médaillon dans une petite bourse. Puis, il murmura d'une voix ferme :
- Kreattur.
L'elfe de maison apparut dans un petit pop sonore, une expression inquiète sur son visage ridé. Ses grands yeux, plus tristes qu'il ne les avait jamais vus, se fixèrent immédiatement sur lui.
- Maître Regulus, que puis-je faire pour vous ? demanda-t-il dans un murmure craintif.
Il le regarda, submergé par une vague de gratitude et de tristesse. Kreattur n'avait jamais posé de questions pendant toutes ses recherches, n'avait jamais tenté de le détourner de ses choix. Il était simplement resté à ses côtés, fidèle et silencieux, et ce soir, il serait son seul compagnon.
- Je vais avoir besoin de toi, Kreattur... souffla-t-il. Toi et moi, on va devoir faire quelque chose ce soir, quelque chose d'important. Pour la famille. Tu comprends ?
- Kreattur fera tout ce qui est en son pouvoir pour la noble famille des Black, le jeune maître le sait.
- Parfait. Alors écoute-moi bien attentivement, d'accord ? Je vais te donner trois règles à suivre. Je veux que tu les respectes à la lettre. En tant qu'héritier, je décrète que mes ordres font loi et surpassent ceux que ma mère pourrait te donner. Est-ce que c'est clair ?
Les oreilles de l'elfe battirent une seconde nerveusement. Il jouait à un jeu dangereux, il le savait : techniquement, il était bien l'héritier, mais pas le maître des lieux. Si les choses tournaient mal ce soir, il n'aurait pas le temps de l'être. Mais son père n'était plus et sa mère était une femme. Ce qui signifiait que malheureusement pour elle, il avait plus de pouvoir qu'elle, même mort. Et le seul qui pourrait aller à l'encontre de ses ordres serait le nouvel héritier, à savoir Sirius, puisque personne n'avait jamais osé rompre les liens magiques d'héritage jusqu'au bout, son frère le lui avait dit lui-même dans le bureau de leur père. Et il était peu probable que Sirius reparle un jour à Kreattur, à part pour l'insulter. Autant en tirer avantage aujourd'hui.
- Kreattur écoute, Maître Regulus. Kreattur fera ce qu'on exige de lui.
- Très bien. Alors première règle, commença-t-il à énumérer d'une voix grave, tu vas m'accompagner dans un endroit... particulier. La caverne où le Seigneur des Ténèbres t'a lui-même emmené l'année dernière.
- La caverne ? Oh non, non, jeune maître ! s'affola l'elfe. Kreattur l'a dit, Kreattur l'a senti. Cet endroit est sombre, trop sombre pour maître Regulus...
- Kreattur...
Il peina à trouver quoi dire, trop pris au dépourvu. De mémoire, il n'avait jamais entendu l'elfe lui dire « non » ou refuser quelque chose. Ce dernier sembla réaliser ce qu'il venait de faire car ses yeux s'emplirent d'effroi.
- Kreattur ne voulait pas... Kreattur est là pour servir...
- C'est bon, c'est bon, ce n'est rien. Je... je comprends. Mais c'est comme ça, Kreattur, on doit y aller. Et la première règle, c'est justement que tu devras faire tout ce que je te dis, sans poser de questions, et sans hésiter, quoi qu'il arrive. Compris ?
Avec reluctance, Kreattur hocha la tête vigoureusement, les oreilles frémissantes.
- Bien. Deuxième règle, ajouta-t-il en le fixant avec intensité, tu ne devras jamais parler de cette nuit à quiconque, même à ma mère, même si elle te demande où je suis allé. Ce que nous allons faire doit rester entre nous. Personne ne doit savoir, surtout pas Bellatrix.
L'elfe hocha la tête une nouvelle fois, plus lentement cette fois-ci, et ses grands yeux luirent d'une compréhension inquiète mais résolue.
- Et enfin, dernière règle... Si quelque chose m'arrive là-bas... s'il m'arrive quoi que ce soit, tu devras prendre cet objet... (Il désigna le médaillon glissé dans son pochon et l'agita pour le faire cliqueter à l'intérieur) ...et tu devras le détruire. Trouve un moyen, Kreattur. Fais ce qu'il faudra. Tout ce qui te parait nécessaire. C'est primordial, le plus important.
Kreattur écarquilla les yeux, visiblement horrifié par l'idée de le laisser derrière lui, mais il se força à acquiescer une dernière fois, tremblant légèrement.
- Kreattur ne faillira pas, Maître Regulus, promit-il d'une voix pleine d'émotion. Même si cela coûte la vie à Kreattur... cet objet sera détruit. Kreattur servira les Black.
Regulus eut un mince sourire, mêlé de gratitude et de résignation. D'un geste fluide, souvenir de son temps révolu en tant qu'attrapeur, il fit rebondir deux fois sa bourse dans les airs, puis l'empocha sans se laisser de temps de changer d'avis.
- Alors allons-y. Il est temps de partir.
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*
La nuit était d'un noir d'encre lorsqu'ils apparurent au bord de l'eau.
Il inspira une grande bouffée d'air iodé, bien loin du vent citadin qui avait soufflé sur Londres en partant. Il cligna des yeux un instant, déboussolé, et Kreattur se détacha de lui après s'être assuré que le transplanage ne lui avait pas fait perdre son équilibre. Devant eux, la mer s'étirait en vagues sombres et traîtresses qui se fracassaient contre la falaise. Il s'approcha d'un pas.
- Attention maître Regulus...le bord pourrait être glissant, le mit en garde Kreattur.
Il l'ignora pour observer un peu plus le bas de la falaise. La roche plongeait à pic et il faisait presque trop sombre pour discerner ce qui se trouvait à quelques mètres. Il leva sa baguette.
- Lumos.
Même la lueur de sort eut du mal à percer l'obscurité. Pourtant, il la repéra. L'ouverture en contre-bas, à même la roche, battue par les embruns glacés.
- C'est ici, dit-il à voix basse, plus pour lui-même que pour Kreattur. Mais comment on fait pour rejoindre l'entrée ? Il faut nager ?
- C'est possible, oui... Mais la mer est très agitée ce soir.
- J'avais remarqué, merci.
Il se retourna à demi pour faire face à Kreattur. Ce dernier frissonnait, battu par les bourrasques, et ne releva pas le sarcasme. Même s'il ne neigeait pas ici, le vent restait glacial. Pourtant, Kreattur endurait sans broncher, l'air peu pressé de lui donner la solution pour rejoindre la caverne.
- Et donc ? le pressa-t-il. Est-ce qu'il y a un autre moyen d'y aller ?
Kreattur grimaça.
- Kreattur suppose que si le jeune maître le désire, Kreattur peut le faire transplaner, admit-il avec réluctance. Mais Kreattur trouve cela bien dangereux, le maître serait mieux à la maison, dans la grande demeure des Black...
- Peu importe, fais-le. Emmène nous là-bas.
Il avait conscience que sa voix était un peu sèche. Seulement, s'il laissait la tentation de rentrer à la maison danser devant ses yeux, il n'était pas sûr d'y résister. Pire, à choisir il aurait préféré carrément se retrouver dans sa chambre du Chaudron Baveur, Marlène à ses côté, le drap rabattu au-dessus de leur tête. Coupés du monde.
Une boule se glissa dans sa gorge. C'était pour cette raison précise qu'il ne voulait pas y penser : tout son corps le tiraillait maintenant et il se força à tendre son bras à Kreattur, résolu. Une seconde plus tard, il se retrouvait devant l'entrée de la caverne, en contre-bas de la falaise.
Ici, l'odeur de la mer était encore plus forte, mais le vent moins violent. Il ne se laissa pas le temps d'hésiter. Kreattur sur les talons, il franchit le seuil, pénétrant dans un tunnel de pierre qui s'enfonçait au cœur de la falaise. Au bout de quelques pas, il sentit la magie lourde et malsaine qui imprégnait les lieux. Pas de doute, ils étaient au bon endroit.
- C'est ici, croassa Kreattur quand ils arrivèrent au bout du tunnel. Le Seigneur des Ténèbres a ouvert un passage dans le mur... Kreattur doit donner son sang...
- Pourquoi ? Ça doit nécessairement être le sang d'un elfe ?
- Et bien... Non, Kreattur suppose que non. Mais...
- Alors je vais m'en occuper.
Kreattur sembla horrifié rien qu'à la perspective.
- Non ! Non, non, maître Regulus ne peut pas faire cela ! protesta l'elfe, sa voix dérapant dans un petit cri d'indignation. Kreattur donnerait tout son sang s'il le fallait, mais pas le sang du jeune maître, surtout pas pour un endroit aussi... aussi lugubre !
- Écoute, Kreattur. Ta... dévotion est très appréciée, mais Voldemort a jeté des enchantements très puissants ici, expliqua-t-il, sa main déjà sur sa baguette. Et je préfère que ce soit mon sang qui soit versé.
Espèce de martyr, fit la voix de Sirius dans son esprit, alors comme ça on est prêt à gâcher son sang si noble et si précieux ? Il entendait à nouveau presque le ton goguenard de son frère comme s'il était là. Quoique, s'il l'avait été, il aurait proposé de décapiter Kreattur sur place pour faire d'une formule deux sortilèges en ouvrant le passage et en le rendant déjà prêt pour trôner sur l'escalier à Square Grimmaurd.
A côté de lui, Kreattur le regardait toujours avec horreur, puis tenta à nouveau avec ferveur :
- Mais... mais Kreattur donnerait volontiers deux bras, deux jambes, et même une oreille pour le jeune maître, si cela peut épargner son précieux sang ! Le maître n'a pas besoin de saigner pour une pierre humide, Kreattur pourrait...
- Kreattur, vraiment, c'est ce qu'il faut, soupira-t-il, attendri malgré lui par la loyauté de l'elfe. Un petit peu de sang, juste pour ouvrir cette porte, et ensuite... ensuite, je te promets, je ferai attention.
Kreattur sembla réfléchir, ses grandes oreilles frémissant comme s'il cherchait un moyen de le détourner de ce plan. Il finit toutefois par laisser échapper un soupir résigné et posa sa main ridée sur son cœur dans un geste de désespoir.
- Si... si c'est ce que le jeune maître souhaite, alors Kreattur n'aura d'autre choix que d'accepter, grommela-t-il. Mais Kreattur exige qu'au retour, maître Regulus le laisse s'occuper de soigner toute blessure, même minuscule ! C'est la moindre des choses.
Il retint un éclat de rire.
- Marché conclu, accepta-t-il avec un sourire en coin sans laisser filtrer sa propre angoisse. Si tout se passe bien, tu auras le plaisir de me soigner toutes les petites égratignures.
Et sur ces mots, il s'approcha du mur, sa baguette à la main ; puis, d'un geste déterminé, il s'entailla légèrement la paume. Une perle de sang rougeâtre coula le long de sa main, et il la pressa contre la pierre qui semblait pulser sous son contact. À l'instant où son sang toucha le mur, la roche se mit à vibrer, une lueur verte émergeant des fissures qui dessinèrent une arche à travers la paroi.
Kreattur observa le passage ouvert et secoua la tête avec un mélange de fierté et d'angoisse. Il murmura, à peine audible :
- Maître Regulus est courageux... mais Kreattur s'inquiète pour lui. Kreattur n'aime pas cet endroit... Mauvaise magie, très mauvaise magie...
- Tu es là, Kreattur. Je ne pouvais pas demander meilleur allié.
Il réalisa avec un certain étonnement qu'il était sincère. Bien sûr, il aurait aimé au fond de lui ne pas être seul en venant ici. Avoir Marlène, voire peut-être Sirius, à ses côtés... Mais si une troisième personne devait être sur cette liste, Kreattur l'avait bien mérité.
Alors qu'ils franchissaient le passage ouvert, la caverne se dévoila sous leurs yeux, sombre et haute de plafond. En avançant, la pénombre fut finalement percée par une lueur verdâtre provenant d'un lac souterrain qui occupait tout l'espace devant eux. Il sentit un frisson lui parcourir l'échine. La surface était lisse, si calme que ça en paraissait artificiel, et il manqua de sursauter lorsque les pierres de grès crissèrent sous leurs pieds.
Derrière lui, le souffle de Kreattur se fit saccadé.
- Mauvaise magie... mauvaise magie... répétait-il dans sa barbe.
- On va faire vite, ne t'en fais pas. Ça va bien se passer.
Il ne savait pas lequel d'eux deux il tentait de convaincre. Avec prudence, il s'approcha de la berge, puis lança sur le ton de la conversation :
- Tu te souviens, Kreattur, de la fois où tu as failli te faire renvoyer pour m'avoir « involontairement » laissé grimper sur le dos du grand hippogriffe de l'oncle Alphard ?
Face à l'anecdote, l'elfe redressa la tête, distrait comme prévu. Il n'y avait rien que Kreattur aimait plus que l'histoire des Black.
- Oui, jeune maître... Kreattur se souvient bien. Maître Regulus ne voulait pas rester au sol, oh non ! Il voulait voler comme un grand sorcier, même si le jeune maître n'avait que sept ans. Kreattur se souvient aussi que maître Orion n'était pas... content.
Il sourit malgré la gravité de leur situation en se remémorant la scène. Son père était rentré, furieux, pour découvrir son plus jeune fils accroché maladroitement au cou de l'hippogriffe, criant à Kreattur de lui faire faire le tour de la maison.
- Ce qui est drôle, c'est que Sirius était le premier à m'encourager, avec ses « Allez, Reg, plus haut ! » et « si tu casses la jambe, je récupère tes jouets », mais il n'a jamais voulu approcher de l'hippogriffe.
- Maître Sirius toujours su si bien envenimer les choses... commenta Kreattur avec dédain.
- Ah ça, sa spécialité. Enfin peu importe, mes parents s'en étaient pris à toi, je m'en souviens. Mais moi, j'avais adoré... T'avais eu le courage de me faire plaisir tout en faisant attention à ce que je ne me casse rien justement.
- Et le jeune maître avait demandé à maître Orion et à maîtresse Walburga de ne pas le punir. Oui, Kreattur s'en souvient.
Le souvenir paraissait l'avoir revigoré. Le torse bombé, l'elfe à côté de lui et semblait prêt à affronter un troupeau d'hippogriffe pour lui s'il le fallait. Regulus cacha son demi sourire, satisfait, et s'arrêta devant le lac, le cœur battant.
- Il faut sortir le bateau, lui indiqua Kreattur.
Il s'en souvenait d'après son récit, oui. A tâtons, il tendit donc la main, cherchant la pulsation familière de la magie. Au début, il ne rencontra que du vide puis, soudain, ses doigts entrèrent en contact avec un objet métallique froid et visqueux. D'un coup, il tira. Une grosse chaîne en bronze, verdie par l'eau, sortit du lac. Elle ressemblait presque à un serpent dans le noir.
- Merlin...
A deux avec Kreattur, ils tirèrent la chaîne de toutes leurs forces jusqu'à faire émerger un bateau dont la coque en bois vint heurter le rivage doucement. Il avait une allure fantomatique, comme la barque de Charon menant aux Enfers. Regulus songea que c'était un peu le cas ici.
- Bien. Kreattur, monte dans le bateau, ordonna-t-il doucement.
- Kreattur aimerait que le jeune maître lui permette d'aller seul, protesta l'elfe, visiblement pas encore prêt à se résoudre à abandonner.
- Non. Je ne peux pas te laisser faire ça seul. Je... je veux être sûr que l'échange se passe comme prévu.
Cette fois, Kreattur ne cherche pas à protester. Il paraissait avoir compris que ça ne servait pas à grand-chose et ce fut donc ensemble qu'ils montèrent dans la barque. Elle se mit à dériver toute seule. Son mouvement semblait à peine troubler l'eau calme qui s'étendait, noire et glacée, jusqu'à l'autre rive perdue dans l'obscurité. Sous le faible éclairage des lueurs verdâtres, la surface du lac paraissait vivante, presque hypnotique, miroitant comme si elle abritait des secrets bien plus anciens que l'ombre de Voldemort lui-même.
Et pourtant, son secret le mieux gardé se trouvait sur l'îlot à quelques mètres...
Regulus secoua la tête, désabusé. Maintenant que le voile de la jeunesse s'était levé sur son regard, il voyait la réalité pour ce qu'elle était : seul un homme avait le pouvoir dans cette guerre. Enfin un homme... s'il pouvait toujours considéré le Seigneur des Ténèbres comme tel. Qu'est-ce qui faisait un homme de toute façon ? Certains auraient dit une âme, mais si elle n'était plus entière ? Si elle était brisée ? Un poids dans la poitrine, il se demanda ce qu'il en était de la sienne... Avec horreur, il eut la sensation de sentir le souffle glacé de Gemma Ackerley, ironique, sur sa nuque.
Le poing serré autour de la réplique du médaillon, il se reconcentra sur Kreattur pour éviter à son esprit de s'emballer. Ce dernier fixait la rive qui s'éloignait avec un mélange de résignation et de terreur.
- Eh Kreattur... si... si jamais je ne reviens pas de cette mission, j'ai un dernier service à te demander.
- Le maître reviendra, affirma l'elfe aussitôt. Le maître doit laisser Kreattur le soigner.
- Je... oui, je sais. Mais hypothétiquement, si les choses se passent mal. J'aimerais que tu fasses quelque chose pour moi.
Kreattur vrilla un œil dévoué vers lui.
- Tout ce que le jeune maître voudra.
- Dans mes affaires, il y a une lettre pour une... une amie. Elle s'appelle Marlène. Tu devras la lui apporter si jamais... si jamais je ne peux pas le faire. Tu veux bien ?
Merlin, sa gorge lui semblait plus oppressée que jamais. Mal à l'aise, il tenta de détourner la tête, mais il y avait peu de place sur la barque et il sentit Kreattur l'observer avec attention. Lentement, il hocha la tête.
- Kreattur le fera, maître Regulus, il le promet. Mais... Kreattur espère de tout son cœur que le maître la lui remettra lui-même. Que maître Regulus reviendra pour voir cette demoiselle Marlène.
Il l'espérait aussi. Par Salazar, il l'espérait tellement. Cette lettre, il ne l'avait écrit que dans un élan de désespoir la nuit dernière, se refusant à ce que ses derniers mots envers elle soient ceux des tunnels. Une étoile méritait toujours un dernier vœux après tout...
Tandis que la barque continuait sa lente traversée, un étrange apaisement s'installa en lui. Ce lieu, cette mission, cette barque entre deux mondes... il lui semblait que tout, même les éléments autour de lui, s'étaient alignés pour créer ce moment, ce dernier acte où il n'était pas seul. Car pour la première fois depuis la fugue de Sirius, il en fut intimement persuadé : il n'était pas seul.
Enfin, la barque finit par heurter doucement l'îlot et il jeta un coup d'œil rapide aux alentours avant de prendre une inspiration profonde pour s'ancrer, puis de poser pied à terre.
L'îlot n'était qu'une mince bande de roc au milieu du lac noir, surmontée d'un bassin de pierre circulaire. Une étrange lueur émanait du liquide vert qui y reposait, l'illuminant d'une lueur sinistre.
- Il est... il est dedans alors ? L'Horcruxe ? demanda-t-il, la voix cassée.
Kreattur se pressa contre sa jambe, de plus en plus agité.
- C'est là que le Seigneur des Ténèbres a déposé le médaillon quand il a emmené Kreattur, oui, maître...
- Alors c'est là qu'il est toujours. Il va falloir boire la potion pour y mettre la copie...
La cage thoracique comprimée, il se tint devant le bassin, observant la surface verte et miroitante de la potion avec un mélange de dégoût et de résolution. Kreattur, de son côté, se mit soudain à trembler, ses yeux rivés sur le liquide qui dissimulait le médaillon de Voldemort.
- Maître Regulus... peut-être... peut-être que Kreattur pourrait le faire ? proposa l'elfe d'une voix vibrante de courage alors que ses grandes oreilles se redressaient légèrement. Kreattur peut boire cette potion à la place du maître, oui ! Kreattur est fort !
- Bien tenté, mais toujours non. C'est moi qui doit le faire. Voldemort doit croire que son piège fonctionne, qu'un sorcier a échoué ici, à cet endroit... Toi, tu as assez donné la dernière fois.
Lui n'avait fait que prendre... Le soutien de Marlène, la vie de Gemma, les espoirs de Sirius et de ses parents. Il était temps qu'il donne à son tour.
Malheureusement, c'était visiblement trop demandé à Kreattur car il fut alors parcouru d'un frisson de la tête au pied. Son petit corps fit une embardée comme s'il était prêt à se jeter dans le bassin pour boire la potion de son propre chef et il leva le menton, sa voix montant dans un murmure dramatique :
- Mais Kreattur est loyal ! Kreattur veut servir, il veut être le plus utile des elfes ! Laissez-le être courageux pour une fois, laissez Kreattur aider maître Regulus !
- Kreattur...
- Kreattur l'a promis à la naissance du jeune maître à maîtresse Walburga. Oh oui, Kreattur s'en souvient malgré les années ! Kreattur a juré sur ses ancêtres de toujours protéger le jeune maître !
Il déglutit, les yeux soudain brûlants. A bien des égards, Kreattur était son plus vieil ami, celui qui s'était tenu derrière lui pour le rattraper lors de ses premiers pas, celui qui l'avait veillé quand il était malade, celui qui était resté près de lui toute la première nuit où Sirius était parti à Poudlard et qu'il avait pleuré en cachette...
- Tu es déjà le plus loyal et le plus courageux des elfes, Kreattur, murmura-t-il, la gorge nouée. Plus que beaucoup de sorciers, même. Mais cette fois, je te demande de rester là, de me surveiller. Si jamais... si jamais je ne peux plus continuer, tu devras m'aider à aller jusqu'au bout.
Il ne savait pas vraiment ce que « jusqu'au bout » signifiait, mais il était prêt à le découvrir. Kreattur, lui, resta figé un instant, ses grands yeux emplis d'une intensité déchirante. Puis, après quelques secondes d'un silence lourd, il acquiesça finalement, le visage empli de détermination.
- Si maître Regulus insiste... Kreattur obéira. Mais Kreattur promet : il ne laissera pas le jeune maître abandonner, même si... même si cela brise le cœur de Kreattur.
- Merci... merci Kreattur, vraiment. Tu fais honneur aux Black.
Il sut immédiatement qu'il ne pouvait pas faire de plus grand compliment à l'elfe car celui-ci émit un bruit de gorge étranglé sous le coup de l'émotion. Il se détourna vers le bassin. D'une main tremblante, il tenta d'effleurer l'eau, mais une barrière magique, bien solide, l'en empêcha. Les mailles de l'enchantement vibrèrent presque contre sa peau. Mais il était préparé. Ça faisait des mois qu'il avait anticipé chaque étape de cette mission, faisant réciter à Kreattur sa venue la première fois jusqu'à épuisement. Il plongea donc sa main dans sa poche pour en sortir une petite coupe en argent frappée aux armoiries des Black.
- Qu'est-ce que Sirius avait dit déjà en partant ? demanda-t-il à voix haute. Qu'il boirait à notre mort, non ?
- Les mots du traitre ne méritent pas qu'on se souviennent d'eux...
- Sans doute. Mais pour une fois, je trouve qu'ils sont assez appropriés.
Puis, en une imitation parfaite du geste de son frère des années auparavant, il leva la coupe d'un salut ironique et insolent pour se donner du courage avant de la porter à ses lèvres. Le liquide se répandit sur sa langue, glacé mais sans aucun goût.
L'impression ne dura qu'une seconde. Dès que la potion descendit dans sa gorge, elle devint une coulée de feu, brûlante et poisseuse. Presque immédiatement, il ressentit une douleur fulgurante, comme si des milliers d'aiguilles lui déchiraient les entrailles.
- Maître Regulus ! s'affola Kreattur alors qu'il se pliait presque en deux sous le coup de la douleur. Non, le maître ne doit plus boire, le maître...
- Non... non, je dois continuer, Kreattur... laisse-moi...
Il ignora les suppliques de l'elfe et plongea à nouveau la coupe dans l'eau verdâtre. La seconde gorgée fut encore pire. Dans ses veines, il avait l'impression de sentir le sang circuler et ralentir, affolant son cœur qui battait maintenant à un rythme frénétique. Toute la magie dans son corps protestait. Les doigts crispés autour du bassin, il avala une troisième gorgée, puis une quatrième et une cinquième sans réfléchir. Il voulait en finir le plus vite possible.
Puis soudain les voix et les images commencèrent...
Il vit des visages apparaître dans le voile noir qui envahissait son esprit. D'abord, ce fut Gemma Ackerley, son regard fixe, glacial, transperçant le vide qui l'entourait comme une accusation muette. Elle semblait lui murmurer des reproches dans un écho d'outre-tombe.
- Alors ? A ton tour de mourir ? lui souffla-t-elle. J'espère que tu es prêt... Jouer au héros ne te sauvera. Toi et moi, nous savons que tu n'es pas un héros.
- Je n'avais pas le choix...
- Arrête de te mentir à toi-même. Avant d'arriver devant moi, tu avais eu le choix. Mais il fallait être le fils prodige, n'est-ce pas ? Que dirait ta famille en te voyant aujourd'hui ?
Il voulut lui répondre, lui expliquer, mais les mots se coinçaient dans sa gorge, pris dans l'étau brûlant de la potion.
Les souvenirs s'en mêlèrent...
Lorsqu'il pointa sa baguette sur elle, Gemma se redressa une ultime fois en puisant dans ses dernières forces.
- Tu diras à mon petit frère, dit-elle d'une rauque, que je me suis battue autant que j'ai pu... et tu le regarderas droit dans les yeux en sachant que tu m'as tué. Quand il pleurera ma mort, ne détourne pas la tête. Tu seras responsable.
Les mots se gravèrent en lettres de feu dans la mémoire de Regulus et il sut qu'il ne pourrait jamais les oublier, qu'ils viendraient le hanter dans son sommeil.
Il pensa à sa mère, si fière de son précieux fils. Il pensa à Sirius, au château, qui avait fui et n'était plus là. Il pensa à Marlène et Livia. Il pensa au futur enfant d'Elizabeth qui ne méritait pas de naître avec une mère à l'âme déchirée.
Puis il arrêta de penser.
- Avada Kedavra, souffla-t-il.
Le corps sans vie de Gemma Ackerley heurta le sol dans un bruit sourd.
Près de lui, Kreattur émit un espèce de sanglot et il reprit une gorgée. La caverne commençait dangereusement à tanguer désormais. Alors qu'il s'affaissait contre le bassin de pierre, le visage de Gemma se fondit pour laisser place à Marlène. Elle n'était pas comme dans ses souvenirs ; son visage était triste, presque effacé derrière ses cheveux blonds, comme si elle se tenait sur le point de disparaître à tout moment.
- Regulus... je t'aurais pardonné, murmura-t-elle.
Son expression empreinte de douceur le poignarda bien plus profondément que le venin de la potion. Les souvenirs continuèrent d'affluer par vague :
Un couleur. A Poudlard.
-Tu ne trouves pas que c'est une grande coïncidence quand même ? demanda-t-il soudain.
- De quoi ?
- Qu'on se rencontre deux fois dans les couloirs par hasard.
- Appelle ça le destin, suggéra Marlène en haussant les épaules.
- Je ne crois pas au destin.
- En quoi crois-tu alors Regulus Black ?
Une salle de classe vide. Un canapé vert.
Marlène sourit et fouilla dans son sac avant de lui tendre une énorme tablette de chocolat. Les sourcils de Regulus menacèrent de disparaître sous ses cheveux.
- Tu m'offres du chocolat ?
- Ouais ! J'ai été le chercher en cuisine. C'est pour fêter les vacances. Donc, bonnes vacances !
Mordant dans son carré de chocolat, il sourit également.
- Bonnes vacances, répéta-t-il.
Toujours la même salle. Un tableau recouvert de dessins à la craie.
- Tu es une fille étonnante, McKinnon.
- Je sais, répondit-elle doucement en riant.
Sans un mot, Regulus referma les deux battants du tableau. Ainsi personne ne verrait les dessins si quelqu'un entrait dans la salle par erreur. Ça serait leur secret.
Les premières tentatives pour la maintenir à distance. Même s'il était attiré vers elle aussi sûrement que par la gravité.
Marlène se contenta de rester devant le tableau, les bras ballants. Il se plaça juste derrière elle.
- Reg'...
- Regarde, dit-il. C'est notre amitié.
- Je ne comprends pas...
- Qui aurait parié sur nous deux ? Hein ?
- Personne, répondit-elle honnêtement.
- Exact, personne. On était différent, Serpentard et Gryffondor. Je ne t'aurais jamais parlé si tu ne m'avais pas forcé.
Des cris. Sa marque de mangemort découverte face à elle et des reproches qui n'en finissaient plus...
- Ne m'abandonne pas... supplia-t-il. Marlène...
Marlène déglutit, puis, après de longues secondes, elle posa son front contre le sien. Il sentit son souffle contre sa peau. Lui contre elle. Elle contre lui.
- Je ne te laisserai pas, Regulus Black. Jusqu'au bout. J'ai encore espoir...
Et surtout une chambre d'hôtel à l'abris des regards. Leurs corps qui se mêlaient.
- Mais Merlin, tu t'entends ? rugit-elle d'un coup. Tu crois que je suis arrivée jusque-là avec toi pour tout abandonner maintenant ? Pour t'abandonner maintenant ?
- Mais je n'ai rien à t'offrir, Marlène ! Tu comprends, ça ?
- Et toi, tu comprends que cette vie-là dont tu parles je n'en veux pas si ce n'est pas avec toi ?!
Merlin, c'était trop...
- Assez, stop ! supplia-t-il, la gorge en feu.
Il tourna la tête, tentant de fuir sans bien savoir quoi, mais à peine s'était-il détourné que le visage de Sirius surgit devant lui cette fois, figé dans une expression de mépris et de colère. Le monde se brouilla.
Pour la première fois de sa vie, Sirius ne parla pas. Il ne fit que lui faire subir son regard, ce qui était sans doute bien pire. Après tout, Sirius était passé maître dans l'art des regards noirs pour faire comprendre sa déception, même si ça ne l'avait jamais empêché de le blesser avec ses mots.
- James est mon frère, plus que tu ne le seras jamais !
- En ce qui me concerne, je n'ai plus de frère.
- Si tu meurs dans cette guerre, je viendrais te tuer moi-même.
Ses genoux lâchèrent. Le corps lourd, il s'écorcha contre le sol en pierre brute et Kreattur se précipita vers lui. Une nouvelle vague de douleur lui déchira le ventre.
- Oh maître Regulus... maître Regulus...
- Jusqu'au bout, Kreattur, rappelle-toi... il faut... que je termine la... la potion, haleta-t-il.
Dans sa main gauche, le poids du faux médaillon l'aidait à s'ancrer un peu dans la réalité. Il tordait la chaîne entre ses doigts quand Kreattur revint vers lui, le corps secoué de spasme et de sanglots mal réprimés. Pourtant, ses mains demeurèrent stables lorsqu'il lui porta la coupe devant lui car aucune goutte ne vint l'éclabousser et il se força à entrouvrir les lèvres pour avaler une énième gorgée.
Il repoussa la coupe aussitôt en sentant la brûlure irradier dans sa poitrine et remonter dans sa gorge.
- Non, non. Maître Regulus... maître Regulus doit boire, dit Kreattur d'une voix suppliante. Encore un peu...
- Je n'en peux plus...
- Il ne reste pas grand-chose, le maître en est capable, Kreattur le sait. Kreattur sait que le maître est très courageux.
S'il n'avait pas eu aussi mal, il en aurait sûrement ri de dérision. Le courage n'avait jamais fait partie de ses qualités... La preuve, il tenta à nouveau de se dérober alors que Kreattur lui apportait une nouvelle fois la coupe pleine. Malheureusement, son corps était trop faible et il ne parvint pas à le repousser pour l'empêcher de verser la potion dans sa bouche. Aussitôt, une autre vague de douleur déferla, plus violente encore, et il eut l'impression que chaque nerf de son corps s'embrasait, le déchirant de l'intérieur. De loin, il s'entendit hurler.
- Kreattur fait du mal au jeune maître... sanglota Kreattur. Kreattur est désolé, Kreattur est un mauvais elfe. Mais Kreattur a promis...
Sans fléchir, l'elfe lui fit donc avaler une autre gorgée. C'est alors que les voix de ses parents résonnèrent, comme un écho dans les profondeurs de son esprit. Il entendit en premier son père, autoritaire et sans pitié :
- Un Black ne connaît pas la faiblesse, Regulus. Tu as un devoir, un héritage à respecter.
Puis la voix glaciale de sa mère, tranchante comme un couteau :
- Relève-toi, Regulus. Nous avons fait de toi ce que tu es. Tu n'as pas le droit d'échouer, rappelle-toi : le nom des Black ne faiblira pas ce soir.
Il n'eut pas la force de leur répondre. La brûlure de la potion était devenue une pulsation sourde à ce stade, constante et forte. Mais ses parents avaient raison : il avait passé sa vie à prétendre et à maintenir les apparences, il n'était plus à ça près. Il continua donc, résolu. Jusqu'à ce qu'enfin, Kreattur murmure :
- C'est terminé, maître... c'était la dernière. Le bassin est vide !
Avec difficulté, il rouvrit les yeux. Pendant une seconde, une lueur verdâtre dansa derrière ses paupières, ponctuée de tâches noires et il fut persuadé que le Seigneur des Ténèbres l'avait retrouvé pour lui jeter un sortilège de mort. Mais le monde autour de lui finit par se stabiliser et alors il retrouva la réalité. Près du bassin, il n'y avait que Kreattur qui se balançait d'avant en arrière en geignant des mots intelligibles et la surface immobile du lac, pareil à un miroir lisse. Il relâcha un souffle douloureux, vidé de ses forces.
Dans un effort surhumain, il s'agrippa toutefois au bord du bassin et se redressa, chancelant. Ses jambes tremblaient, sa gorge en feu réclamait de l'eau, son corps meurtri protestait, mais la mission n'était pas encore achevée. Sa main gauche, celle qui tenait toujours le faux médaillon, s'ouvrit lentement. Il fixa l'objet, prenant une profonde inspiration pour se donner le courage d'accomplir la dernière étape. Kreattur se glissa à ses côtés.
Quand il baissa les yeux, il le vit alors. L'Horcruxe.
Le mot semblait l'avoir hanté depuis tellement longtemps qu'il crut un instant à une nouvelle hallucination, mais non... il était bien là. Lové au fond du bassin, le médaillon absorbait les ombres autour de lui et il tendit la main vers lui, sur ses gardes. Aucune barrière ne l'arrêta cette fois-ci. La magie sombre qui émanait de l'objet sembla même vibrer dans sa paume, glacée et oppressante, et il compara les deux médaillons un instant, l'un marqué par la sinistre magie de Voldemort, l'autre frappé des mots d'adieu d'un traître - lui-même.
- Par Salazar, elle avait raison...
Esmeralda la voyante n'avait pas menti. On aurait vraiment pu s'y tromper, les détails étaient saisissants. La tête lui tourna soudain alors qu'une douleur sèche lui déchirait la gorge et il faillit en tomber à terre, assoiffé.
- Le maître est faible, s'inquiéta Kreattur en le soutenant. Kreattur peut l'assister...
- Oui... oui. Hum... les médaillons, il faut... les échanger.
- Kreattur s'en occupe. Kreattur fait ce que maître Regulus désire.
Doucement, Kreattur lui prit le faux médaillon des doigts, puis avec révérence, il déposa alors la copie dans le bassin vide, à l'endroit exact où l'original reposait. Regulus resta interdit. Un curieux mélange de paix et de malaise s'entrechoqua dans sa poitrine. C'était comme laisser une part de lui-même derrière.
Bon sang, ce n'était pas le moment de faire du sentimentalisme. Blême, il se tourna vers Kreattur, qui l'observait avec des yeux désespérés, l'air de chercher son approbation, et d'un geste hésitant, il lui tendit donc l'Horcruxe, le visage résolu. Autant que l'elfe se charge de l'échange jusqu'au bout.
- Tiens, prends-le... ordonna-t-il. J'ai peur de le faire tomber et il faut qu'on rentre au plus vite. Si le poison continue à faire effet...
A vrai dire, il ne savait pas bien comment finir sa phrase, tout simplement car il ne savait pas comment le poison allait continuer à agir. L'organisme d'un sorcier et celui d'un elfe étaient trop différents pour le prévoir, mais il sentait encore son effet au creux de son ventre. La brulure s'était au moins un peu apaisée, mais sa gorge lui semblait avoir été frottée avec du papier de verre et il mourrait toujours de soif.
- Kreattur va en prendre soin avant de le détruire, fit Kreattur en récupérant l'Horcruxe. Kreattur en fait la promesse. Mais avant cela, Kreattur va ramener le maître à la maison et soigner ses blessures.
- L'important, c'est de ramener l'Horcruxe surtout, n'oublies. Mais oui, une tasse de thé sera déjà un bon début...
- Tout ce que maître Regulus veut !
Kreattur hocha vigoureusement la tête, le médaillon pressé contre sa poitrine maigre.
- Oui, oui ! Kreattur fera tout pour maître Regulus ! s'exclama l'elfe avec ferveur. D'abord, il donnera une tisane apaisante au maître, puis il lui préparera un bain chaud pour effacer les douleurs... et il changera tous les draps de son lit pour que le maître se repose dans un confort absolu...
Regulus, à moitié amusé malgré l'épuisement, esquissa un sourire fatigué. Sa gorge pulsait toujours d'une soif intense.
- Eh bien, on dirait que tu as déjà tout un programme, murmura-t-il d'une voix rauque.
Mais Kreattur ne se laissa pas distraire, continuant de babiller avec un enthousiasme touchant :
- Oh, et Kreattur peut même lui préparer son plat favori, même si maîtresse Walburga demande autre chose pour le dîner ! Et le maître aura aussi de la soupe ! Une grande soupe à la citrouille avec du pain tout chaud...
La vision avait quelque chose d'idyllique en contraste avec l'atmosphère lourde de la caverne. La seule mention de la fameuse soupe à la citrouille lui rappela l'irritation de sa gorge et il déglutit, mais la sensation de sécheresse était toujours aussi prégnante. Merlin, il avait besoin d'eau. Tout de suite.
- Ca me parait être de très bonnes idées. Laisse-moi juste... il faut que je boive avant de repartir...
- Bien sûr, maître.
Avec empressement, Kreattur vint le soutenir et l'aida à se traîner sur la berge, juste à côté de leur barque. Il n'eut même pas à se laisser tomber à genoux : ses jambes le lâchèrent et il se rattrapa sur la paume de ses mains, les égratignant au passage. Il se sentit à peine face à sa gorge en feu.
Il se pencha au-dessus du lac, dont la surface immobile reflétait son visage blême. Le poison avait marqué ses traits, il le voyait même à travers son reflet déformé. Ça n'en serait que plus crédible face à sa mère demain matin quand elle reviendrait de sa soirée de Nouvel An et ne manquerait pas de lui raconter les nouvelles sur chacun des membres de la famille.
Raide, il plongea la main dans l'eau. Sa fraîcheur lui éclaircit les idées. Il s'apprêtait à les mettre en coupe pour les porter à ses lèvres lorsque, au loin, il remarqua un mouvement...
- Maître ? fit Kreattur au même moment.
- Je sais, j'ai vu... Toi aussi, tu... ?
Mais la surface du lac se brouilla soudain et des ombres mouvantes commencèrent à se former, comme si le lac prenait vie. Il se figea, ses yeux agrandis par l'horreur. Une pâle silhouette émergea alors sous la surface... Un bras osseux et décharné. Bientôt, plusieurs autres suivirent.
- Oh Merlin...
Avec un haut le cœur, il vit soudain d'autres bras blanchâtre émerger. Il se souvint brusquement de ce qu'il avait dit à Voldemort le jour de son initiation.
- Une appétence pour la grande magie... Je ne peux que comprendre. Tu as donc été sensible à mes exploits ?
- Bien sûr... Les Inferi dans Hyde Park. Personne n'avait osé en plus de deux cents ans en faire apparaître.
Une main blafarde surgit brusquement et lui agrippa le bras. Pétrifié, Regulus n'arriva pas à crier. Sa gorge semblait l'avoir abandonné mais la sensation glaciale et visqueuse contre sa peau n'avait rien d'imaginaire. Il se dégagea d'un geste brusque et eut à peine le temps de reculer que d'autres mains surgissaient déjà de l'eau noire. La panique monta en lui comme un cri étouffé, tandis qu'il gardait ses yeux rivés sur les Inferi qui commençaient à grimper sur les rives.
- Maître Regulus ! recula Kreattur, terrifié. Des créatures ! Elles... elles viennent !
Oh oui, elles venaient. De partout. Le lac n'était plus un miroir immobile, c'était un cimetière. Une tombe aquatique de laquelle les morts surgissaient. Des hommes, des femmes, des enfants dont les yeux voilés ne voyaient plus.
Il tenta de se redresser, mais ses jambes l'abandonnaient toujours, encore affaiblies par le poison. Il tourna un regard désespéré vers Kreattur.
- Écoute-moi... pars... emmène l'Horcruxe... loin d'ici, Kreattur ! Souviens-toi !
- Maître Regulus... non, Kreattur ne veut pas... Kreattur ne peut pas laisser le maître ici !
Avec désespoir, Kreattur lui agrippa l'épaule, les traits crispés par la concentration. Mais le monde resta stable et le sol dur sous son corps. Ce qu'il savait déjà se confirma.
- Ça ne sert à rien, tu ne peux pas faire transplaner un sorcier d'ici... Mais tout seul ? Est-ce que tu peux... ?
C'était leur dernier espoir. Les grands yeux de Kreattur se brouillèrent de larmes.
- Les elfes ont une magie à part... murmura-t-il.
- Je sais. Kreattur, je sais ! Est-ce que tu peux transplaner ?
Les Inferi étaient déjà sur eux. Les bras décharnés, froids et gluants, agrippaient désormais ses chevilles avec une force terrifiante, le tirant lentement vers l'eau noire. D'instinct, il lutta pour se libérer et tenta de donner un coup de pied à la créature blême derrière lui, mais ses gestes étaient désordonnés, ses forces lui échappant comme du sable entre les doigts. Il jeta un regard à Kreattur, désespéré mais ferme.
Celui-ci hocha alors lentement la tête, solennel.
- Kreattur... Va-t'en, c'est un ordre !
- Maître...
- Sauve le médaillon !
Son cri résonna dans la caverne comme un écho et Kreattur tressaillit. Cloué sur place, il se pressait toujours le médaillon contre lui, les lèvres tremblotant d'indécision et de douleur.
- Kreattur... fera ce que maître Regulus demande, hoqueta-t-il, la voix brisée. Mais Kreattur se souviendra... oui... il se souviendra...
D'une dernière et déchirante révérence, les yeux noyés de larmes, l'elfe disparut dans un éclat sonore, transplanant hors de la caverne. Et il se retrouva seul.
Les Inferi s'agitaient autour de lui comme des prédateurs silencieux, leurs visages éteints tournés vers lui. Il voulut crier, jeter un sort, mais aucun son ne sortit de sa gorge. Dans un élan morbide, il ne put s'empêcher de scruter les visages pour voir s'il reconnaissait les traits de Gemma Ackerley, mais les chairs et les tissus avaient été rendus méconnaissables par le temps sous l'eau.
- Stupefix !
Le sort ne fit que rebondir. Mais qui pouvait arrêter les morts ?
Une des créatures, silencieuse, s'était glissée jusqu'à lui et attrapa soudain son poignet. Il ravala un cri. La prise se resserra sur sa peau, les ongles noirs de l'Inferi s'enfonçant dans son poignet et traçant un sillage écarlate qui se mêla à l'encre ébène de la Marque. Puis la créature tira, inexorable.
Il sentit la panique monter, brutale et incontrôlable, tandis que les mains glacées des Inferi l'entouraient, l'empoignant, le tirant toujours plus près de l'eau noire. Son souffle se bloqua, sa gorge se noua, et ses instincts de survie hurlèrent. Il se mit à se débattre.
Mais il le sentait... son corps, épuisé et paralysé par le poison, refusait de bouger avec assez de force. Et alors qu'il tentait de se remettre debout, il chancela se retrouva à genoux, ses mains s'égratignant encore davantage sur la pierre dure de la berge.
Il tenta un dernier sort. La baguette tremblante dans sa main tant il arrivait à peine à la tenir désormais, il cria d'une voix enrouée :
- Lumos Maxima !
La lumière jaillit, éblouissante. Sans lueur verdâtre, ni noirceur et ombres prêtes à l'avaler. Les prises autour de son corps se firent plus relâchées et, pendant un instant, il crut avoir écarté les créatures. Mais la clarté vacilla, s'éteignit, et les Inferi revenaient déjà, indifférents. Une nouvelle vague de terreur pure l'envahit alors, comme une gifle glaciale. Il ne pourrait pas les arrêter.
Cette fois, il ne songea même pas à lever sa baguette. Il se débattit simplement alors qu'un cri de rage et de peur mêlé déchirait sa gorge.
Glacé, il tenta de repousser un des bras décomposés qui enlaçait sa taille, mais la peau lisse et froide de l'Inferi glissa sous ses doigts tremblants, et il sentit la panique devenir une nausée profonde. La créature le fixait, des yeux ternes et vides le transperçant. C'était un regard mort, sans pitié, sans jugement. Une marionnette sans volonté dont le Seigneur des Ténèbres tirait les fils. Avait-il un jour été comme eux ?
Ce furent sur cette pensée que plusieurs mains le saisirent et le firent basculer.
L'eau se referma sur lui. Sous le poids des Inferi, il se sentit sombrer, puis s'enfoncer dans les profondeurs obscures du lac. Et il comprit. Parce que Sirius avait toujours dit qu'il était trop malin pour son propre bien, que les Serpentard avaient beaucoup de défauts, mais qu'ils n'ignoraient jamais la réalité.
Il allait mourir.
Comme bien des Black avant lui, il allait mourir... Et il se demanda si son père avait ressenti cette terreur profonde, si instinctive, au fond de ses entrailles quand il avait senti son cœur s'arrêter et son corps s'effondrer sur le sol de son bureau ? Est-ce que la sensation avait été la même que la chute au fond du lac, cette force inexorable qui l'entraînait vers le fond ? Est-ce que, comme son père, sa famille porterait le deuil mais passerait ensuite à autre chose car c'était ainsi que la lignée survivait ? Il fallait toujours un héritier.
Car après tout, il est troublant de se dire qu'une étoile, aussi brillante et fascinante soit-elle, peut s'éteindre dans l'indifférence générale. Que sa lumière ne manquera pas, tant elle n'était pas unique. Ça avait été sa première leçon face à la tapisserie pourtant : une étoile seule n'était rien, il fallait des constellations pour faire briller un ciel étoilé. Mais peut-être que quand une étoile meurt, c'est toute la constellation qui s'efface...
Au crépuscule de sa vie, Regulus se fit tout de même une promesse. S'il se noyait, le Seigneur des Ténèbres se noierait aussi.
Et alors que mourrait l'année pour en faire naître une nouvelle, la première victime de la résistance sombrait sans que l'Ordre le sache. La maison Black, réunie autour d'un faste qui n'avait de lustre que l'éclat d'antan, ignorait qu'elle perdait elle aussi son héritier... ou du moins celui qu'elle n'avait jamais voulu consacrer. Sans laurier ni couronne, le petit roi était attiré vers le fond. Ses poumons implosaient. Il avait rempli sa mission. Le Seigneur des Ténèbres pouvait croire qu'il avait trompé la mort, mais lui aussi venait de vaciller sans le savoir.
Regulus Black ferma les yeux.
Echec au roi.
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Allez, tout le monde reprend son souffle. Est-ce que vous voyez encore l'écran à travers vos larmes ? Parce que moi, même deux mois après, c'est super dur à relire... Votre verdict ?
Ce chapitre, je l'ai redouté autant qu'attendu paradoxalement. Dès que j'ai pris la décision de continuer après le tome 2 et d'écrire les années de l'Ordre et de la guerre, j'avais ce moment à l'esprit. Celui où Regulus allait mourir. Aller au bout de son destin. C'est le seul que je ne pouvais pas éviter car comme je l'ai répété assez souvent, je n'irai qu'à la naissance de Harry et non jusqu'à la mort de Lily et James. Mais il y avait quand même une mort inévitable sur le chemin...
Regulus a été une révélation à écrire. Le personnage qui a donné du corps et de la complexité à ATDM il y a maintenant presque dix ans. A l'époque, il était très peu exploité dans les fanfictions. Le ship du Jegulus n'existait pas (rah et ça aurait mieux fait de continuer), Regulus était très peu mentionné... Mais j'ai toujours voulu l'exploiter. Pour sa relation avec Sirius au départ, si fascinante. Ce lien impossible à briser, celui de deux frères opposés mais qui avaient grandi ensemble...
Et puis, doucement, une autre relation a émergé. Marlène et Reg. Ils se sont construits grâce à mes lecteurs sur Booknode qui les ont aimé dès les premières lignes, même s'il y a eu longtemps une team Livia importante. Bien sûr, vu comment la pauvre Livia a été mise de côté assez vite, mon camp a été assez vite évident. Marlène et Reg, j'ai voulu les construire comme une histoire d'amour tragique... Celle qui ne pourrait jamais aboutir. Qui était vouée à voir Regulus mourir emporté par son destin. Encore aujourd'hui, je n'ai pas encore écrit la réaction de Marlène en apprenant sa mort... Je le redoute. Ouh, ça va être dur.
Mais au-delà de ses relations aux autres, je tenais à dire que Regulus a été un personnage incroyable à écrire en lui-même. Sa psychologie s'est dessinée un peu toute seule, celle d'un garçon forcé de grandir trop vite, qui ne s'est jamais senti à la hauteur face à un frère qui avait toujours plus brillé que lui aux yeux de leurs parents à l'image de l'étoile dont il portait le nom. Un garçon solitaire et intelligent qui aura compris avant Dumbledore lui-même les Horcruxes.
Etrangement, je n'avais pas les détails du chapitre avant de l'écrire. La conversation avec sa mère, notamment... Mais vu comment j'avais construit Walburga, ça me semblait important de la voir une dernière fois avec Reg. Mais la fin, elle, je l'avais bien en tête. Notamment la dernière phrase. C'est ce que j'ai eu en premier et ça a donné le titre du chapitre. Le petit roi sans couronne dans sa partie d'échecs secrète contre Voldemort, bien avant que Harry ne rentre en jeu.
J'aimerais terminé avec un énorme merci à Perri pour son soutien et ses conseils sur ce chapitre. Désolée aussi pour les larmes... Merci à vous tous.tes également d'avoir aimé ce personnage autant que moi !
Et Regulus Arcturus Black, merci d'avoir été mon personnage pour dix ans. L'honneur est mien.
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On se retrouve dans deux semaines. Teaser du prochain chapitre :
L'air froid s'était déjà dissipé de son manteau lorsqu'un craquement discret lui fit tourner la tête. Peter se tenait là, à moitié dissimulé par le chambranle de la cuisine, une tasse de thé fumante dans une main et sa baguette dans l'autre.
- Qu'est-ce que voulais faire avec ça ? lui lança-t-elle avec un sourire. T'as pas réussi à te décider entre jeter un sort ou de l'eau bouillante sur le potentiel intru ?
- Alex ?
- Salut, Pete. Bonne année.
Le visage de Peter s'éclaira.
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