Chapitre 8
Nous arrivâmes donc bientôt devant la maison des faux jumeaux. Lisette essaya bien de me dissuader d'aller toquer à la porte, mais j'étais décidé. Même si les parents d'Eugène et Eugénie n'étaient pas réputés pour leur sympathie...Je tapai donc trois petits coups contre le bois de la porte et attendis. On m'ouvrit finalement. C'était le père.
« Qu'est-ce-que tu veux ?grogna aussitôt le bonhomme d'un air mauvais.
-Bonjour monsieur, le saluais-je poliment, je voulais savoir si Eugène et Eugénie... »
Je n'eus pas le temps de terminer ma phrase qu'un cri retentit dans toute la maison. Derrière le père, je vis passer la mère tenant Eugène par la peau du cou. Lorsque mon ami tourna la tête vers moi, je vis dans ses yeux une terreur que je ne lui connaissais pas du tout. Ne comprenant pas sa peur, je fis un pas en avant sans m'en rendre compte, mais le père me repoussa aussitôt en arrière.
« Les jumeaux sont pas disponibles pour l'instant, déclara l'homme assez abruptement et d'une voix rocailleuse, au revoir Émile.
-Mais... »
Je n'eus rien le temps de dire qu'il me fermait déjà la porte au nez. Je restai quelques secondes interdit devant la porte close. Enfant, je ne saisis pas à cet instant la gravité de la situation et pensai simplement que les parents des faux jumeaux étaient excessivement sévères avec leurs enfants. Je me détournai donc pour retournai auprès de Lisette en lui racontant tout au mot près.
Nous partîmes ensuite dans les prés pour trouver un coin où déguster nos bonbons en paix. J'avisai un arbre tordu qui pourrait faire office de siège et proposai à mon amie d'aller nous y installer. Une fois assis, nous ouvrîmes le sachet avec délicatesse et je pris une sucette à la fraise. Lisette osa prendre une spirale de réglisse. Je détestais ce truc. Je fis donc une grimace excessivement dégoûtée et Lisette rit aux éclats. Je lui souris joyeusement et continuai de m'empiffrer de sucreries.
La fin d'après-midi se déroula sans accrocs. Je raccompagnai ensuite Lisette chez sa grand-mère. Celle-ci me proposa aussitôt un verre de lait que je n'osai pas refuser. Je restai donc quelques minutes à répondre aux questions de la mamie de mon amie. Cette dernière restait silencieuse et écoutait sa grand-mère avec attention. La vielle dame avait un sourire radieux en m'écoutant parler de mes découvertes sur les animaux de la forêt et sur les environs.
Je rentrai tard à la ferme, mais maman ne me fit aucune remarque. Je trouvai ça étrange sur le moment, mais passai bien vite à autre chose. Ce soir, il y avait de la viande au dîner ! Bien que n'ayant pas très faim, je dévorai ma part avec appétit. Ma mère eut beau me fusiller du regard, je mangeai avec une retenue toute relative. Mes deux grands-parents ne mangèrent pas beaucoup. Surtout mamie. Celle-ci avait les yeux humides et le chignon un peu de travers.
Papi, quant à lui, avait la tête basse. Il mangea cependant à peine plus que mamie. Une fois le repas terminé, ils repartirent s'installer sur leurs fauteuils respectifs. J'aidai maman à faire la vaisselle comme je pus. Elle semblait préoccupée et avait la tête ailleurs.
« Qu'est-ce qui se passe, maman ?l'interrogeais-je innocemment. »
Elle ne répondit pas. Elle n'avait pas l'air de m'avoir entendu.
« Maman ?l'appelais-je en lui tirant la manche.
-Émile, m'appela ma grand-mère en me faisant signe, viens donc par ici mon chéri. »
Je m'approchai donc d'elle et m'assis sur ses genoux. Elle passa ses bras autour de moi et eut un léger sourire.
« Tu sais Émile, commença-t-elle d'une voix un peu enrouée, la vie n'est pas toujours facile pour ta maman.
-Mais moi je peux l'aider !m'écriais-je aussitôt avec énergie, pas vrai mamie ?
-Je sais mon chéri, acquiesça ma grand-mère en passant doucement sa paume sur ma joue, mais il y a des choses que tu ne peux pas faire. Tu comprends ? »
Je détournai les yeux et les posai sur ma maman qui faisait toujours mécaniquement la vaisselle. De dos, elle ne décrochait pas un mot. J'étais pourtant intimement convaincu qu'elle entendait parfaitement tout ce que mamie me racontait. Je comprenais ce que celle-ci me disait. Je savais pertinemment que maman avait parfois des soucis. Mais à cet âge, je ne saisissais pas toute l'ampleur de la chose...
« Mamie ?l'appelais-je en gardant encore quelques instants mon regard fixé sur le dos de ma mère.
-Oui mon chéri ?m'interrogea-t-elle en me serrant contre elle gentiment.
-Raconte moi une histoire, demandais-je en tournant finalement les yeux vers elle, s'il te plaît.
-C'est des sornettes tout ça, grommela papi à côté de nous, ils feraient mieux de venir travailler aux champs tous ces gens qui se pavanent...
-Léon, garde tes remarques pour toi s'il te plaît, le rabroua mamie sans ménagement, n'inquiète pas le petit avec toutes ces affaires de politique.
-Suzanne, tu ne vas pas me dire qu'il ne faut pas qu'il s'y intéresse, si ?gronda vaguement papi en relevant les yeux de son journal pour les poser sur sa femme. »
Un regard noir de mamie suffit à le faire soupirer et grommeler tandis qu'il replongeait dans la lecture de sa gazette. Je tournai des yeux interrogatifs vers mamie, mais celle-ci me sourit largement d'un air rassurant. Elle se releva un peu dans son fauteuil et resserra son étreinte autour de moi.
« Alors une histoire..., se mit-elle à réfléchir, avec des animaux ?
-Oh oui !m'exclamais-je joyeusement en la regardant d'un air émerveillé.
-Alors alors...Il était une fois une famille de renards. Il y avait là le papa, la maman et le renardeau. Ils se baladaient souvent en forêt avec leurs amis les écureuils. Un jour, le papa renard partit à la chasse, mais ne revint pas... »
Sentant le sommeil commencer à peser sur mes paupières, je m'affaissai contre mamie et posai ma tête contre son épaule. Son tablier sentait bon le potimarron et la citronnelle. J'avais oublié qu'elle avait un jardin...Je fermai les yeux et me pris à imaginer l'histoire qu'elle me racontait. Je vis alors un renardeau se mettre à batifoler en tout sens et sauter après un papillon. Celui-ci ne cessait de s'élever toujours plus haut, mais le renardeau continuait à sautiller pour tenter de l'attraper. La renarde attendait le retour du papa renard depuis des jours. Mais le renardeau lui donnait la force de continuer à sourire.
Cette histoire en était-elle vraiment une ? Cette question ne m'effleura même pas l'esprit tandis que je glissais dans le sommeil...Je n'étais qu'un enfant après tout. Un petit enfant de sept ans.
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