Chapitre 6
Le temps passa. Les jours devinrent des mois. Nous étions mardi aujourd'hui. Après l'école, autrement dit après midi, j'irais chercher le pain. Mais d'abord, il allait falloir que j'arrive à l'heure en cours...Mes souliers en cuir nettoyés par maman m'allaient maintenant parfaitement. Je mis rapidement ma blouse d'écolier et sortis de la ferme en courant. Ma mère avait à peine eu le temps de me faire avaler mon petit déjeuner. Aujourd'hui, c'était le jour des exposés ! Et j'avais un sujet à la mesure de mes connaissances. Je ne voulais rater ça pour rien au monde.
J'arrivai donc pile à l'heure dans la cour de l'école. Je retrouvai ainsi Eugénie suivie de son frère et Lisette qui discutait avec les deux jumeaux. La sonnerie de la cloche retentit bientôt et nous nous rangeâmes devant l'escalier en pierre de l'entrée. L'instituteur en blouse grise nous fit rentrer en classe deux par deux. Nous devions chacun dire bonjour en passant devant lui. De son regard sévère mais juste, il nous saluait chacun succinctement.
Une fois entrés en classe, nous nous postâmes chacun à côté de notre place en attendant que le maître d'école nous dise de nous asseoir. Une heure passa pendant laquelle nous fîmes une dictée, un peu de calcul mental et diverses choses qui ne m'intéressaient pas beaucoup. Et puis vint le moment des exposés que tout le monde était censé avoir préparé. Pour ce faire, nous devions être allé au moins une fois à la bibliothèque pour étudier les livres dont nous avions besoin.
Moi qui étais pourtant un vrai timide en temps normal, j'attendais avec impatience que l'instituteur m'interroge. Le sujet que j'avais choisi avait semblé l'intriguer et presque le surprendre. Et pourtant, pour surprendre le maître, il fallait déjà y aller fort...Mais c'est le sujet que j'avais choisi et je ne changerais pour rien au monde. Les autres avaient préparé des exposés sur les races de vaches que nous trouvions en France, d'autres sur les architectures du 19ème siècle. Je trouvais tout ça un peu banale, mais c'était très intéressant quand même.
« Émile, c'est à toi, déclara mon professeur à la suite de la prestation d'un élève. »
Eugène semblait avoir du mal à tenir sur sa chaise tant il était excité. J'avais réussi à cacher à tout le monde le sujet de mon exposé. Même à mes trois amis. Eugénie souriait joyeusement. Elle avait tout autant hâte de savoir que son frère. Lisette, elle, restait en retrait et me fit un simple sourire discret lorsque je me levai de ma chaise en bois pour aller vers le tableau. L'angoisse me tordait un peu le ventre, mais j'étais très content de ce que j'avais fait. Je n'avais pas de raisons d'avoir peur.
« Mon papi me raconte tous les soirs les nouvelles du monde, commençais-je en préambule, et je me suis rendu compte qu'on se préoccupait beaucoup des grosses choses qui prennent beaucoup de place. Alors qu'il y a des choses tellement plus petites qui sont tout aussi importantes. »
Tout le monde sembla interloqué par mon entrée en matière. Même monsieur Thomas, notre instituteur, ne semblait pas comprendre là où je voulais en venir. Pas démonté pour deux sous, je repris mon exposé.
« Nous allons donc parler aujourd'hui des insectes divers et variés qui peuplent nos forêts et nos champs. »
Tout le monde sourit largement et des rires fusèrent aussitôt. La pression redescendait enfin. Je vis même notre maître d'école sourire de manière quasi imperceptible à la mention du sujet de mon exposé. Seul mes trois amis connaissaient mon engouement pour les petites bêtes comme les grillons et les criquets. Le reste de la classe n'allait pas être déçu...
Je parlai de mon sujet durant plus d'une demi-heure. Cela ne sembla pas déranger notre instituteur. N'ayant pas donné de temps limite, j'avais le champ libre pour parler de ce qui me passionnait durant des heures si cela me tentait. Tous m'écoutaient maintenant avec des étoiles dans les yeux. Personne ne dormait sur sa table et certains avaient même des étoiles dans les yeux. Monsieur Thomas, bras croisés, écoutait avec attention tout ce que je disais. Je ne l'avais jamais vu aussi intéressé par quelque chose.
Lisette me fixait avec un sourire inégalable sur les lèvres. Elle ne perdait pas une miette de ce que je racontais. En fait, toute la classe semblait suspendue à mes lèvres. Ma confiance en moi que je pensais réservée à mes loisirs réapparaissait à mesure que je parlais. A l'école, je n'avais jamais vraiment cru que j'étais capable d'être performant dans une quelconque matière. Aucune ne m'intéressait réellement. Je n'étais pas mauvais et encore moins un cancre, mais aucun sujet que nous traitions en français ou en maths ne m'intéressait autant que les sciences naturelles. Une matière que monsieur Thomas n'enseignait pas assez à mon goût...
Lorsque je finis mon exposé, il y eut un grand silence. Tout le monde semblait revenir de loin. Ils semblaient revenir à la réalité petit à petit. Puis, Eugène commença à applaudir et le reste de mes camarades suivirent bientôt son exemple. Monsieur Thomas les laissa faire en souriant maintenant vraiment. Il applaudit même lui aussi avant de calmer finalement ses élèves. Il se leva de sa chaise et me regarda droit dans les yeux.
« Parfait, Émile, tu peux aller te rasseoir à ta place. »
Je rassemblai donc mes feuilles sans rien dire et descendis de l'estrade pour retourner à ma table. Eugène était rayonnant de joie et Eugénie n'était pas en reste. Toujours aussi réservée, Lisette osa tout de même me souffler un "bravo Émile" lorsque je passai à côté de sa table. Je la remerciai du regard et allai m'asseoir sur ma chaise. La suite de la matinée se poursuivit dans une bien meilleure ambiance qu'elle n'avait commencée.
La matinée de classe était terminée et j'étais le dernier à ne pas être encore sorti de la salle. J'allais partir lorsque monsieur Thomas me rappela.
« Émile, pourrais-tu venir à mon bureau, s'il te plaît ?
-Oui, monsieur, répondis-je d'une voix un peu apeurée. »
Prenant mon sac sur ma table, je m'approchai à pas incertains du bureau de mon instituteur. Posant finalement les feuillets qu'il tenait, il leva les yeux vers moi et me sourit.
« Alors comme ça, tu aimes bien les petites bêtes ? »
Un peu désarçonné par sa question et surtout son sourire, je bafouillai.
« Heu oui monsieur, bégayais-je, j'aime beaucoup...m'occuper des sauterelles et voir des vols de lucioles le soir avec ma maman.
-Je vois, sourit encore monsieur Thomas en ne me lâchant pas des yeux, et...que dirais-tu d'une sortie en montagne un de ces jours ? Avec toute la classe ? »
Complètement stupéfait par ce qu'il venait de dire, je le regardai avec des yeux ronds et sûrement assez amusants à voir puisque son sourire s'élargit encore. Je ne pensais pas que c'était possible d'ailleurs...
« Je prends ça pour un oui alors, déclara mon maître d'école en baissant les yeux vers ses feuilles.
-Oh merci monsieur, fis-je d'une voix tout excitée.
-Allez file, sourit l'instituteur sans me regarder, bonne journée Émile.
-Bonne journée monsieur !m'écriais-je en trottinant pour sortir de la classe. »
Une fois sorti de l'école, je rejoignis Eugène, Lisette et Eugénie. Ils trépignaient tous sur place. Je me pris un sacré savon pour les avoir fait patienter autant. Mais je ne leur révélai jamais la façon dont monsieur Thomas m'avait souri ce jour là. Ce serait mon secret.
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