Chapitre 5
Je me réveillai au milieu de la nuit à cause d'un cauchemar effrayant et ne réussis pas à me rendormir. Serrant ma couverture entre mes doigts comme un doudou, il me sembla entendre des voix venir d'en bas. Curieux comme je l'étais, je ne tardai pas à m'extirper de mon lit. La fraîcheur de la nuit me transperça aussitôt. Il est vrai que la ferme n'était pas très bien isolée à cette époque...Mais je pris mon courage à deux mains et me décidai à m'approcher des escaliers. Une peur viscérale me tenaillait maintenant. Les voix chuchotaient et je n'arrivais pas à saisir ce qu'elle disait.
Je descendis donc lentement les marches en m'asseyant prudemment sur chacune avant d'aborder la suivante. Caché par le couloir, dans le noir, personne ne pouvait me voir. Je me sentais à la fois excité par le fait d'être éveillé sans que personne ne le sache et inquiet vis à vis de la pénombre qui m'entourait. J'avais bel et bien peur du noir. Contrairement à ce que je disais à maman tous les soirs.
Après avoir descendu les escaliers, je m'approchai de la porte du salon qui était entre-ouverte. Un léger filet de lumière en sortait et c'était de là que les voix venaient. Tâtonnant pour suivre le mur des mains et manquant de trébucher tant mes pas étaient incertains, je m'arrêtai pour me coller contre le mur. Je n'osai pas entrer et m'appuyai sur ce dernier pour écouter. Je reconnus bientôt les voix de certaines personnes du village. Que faisaient-ils ici à cette heure si tardive ?
« Ils sont sur le front Est, déclarait une voix féminine et inquiète, comment allons-nous faire s'ils viennent jusqu'ici ?
-Bérangère, je suis certaine qu'ils s'arrêteront avant d'arriver jusqu'à nous, la rassura aussitôt la voix de ma mère, nous sommes bien trop excentrés pour qu'ils aient l'idée de passer par ici pour arriver à Paris.
-S'ils avancent vite, reprit une voix masculine cette fois, ils peuvent être là dans deux semaines tout au plus. »
De qui parlaient-ils tous ? Qui étaient ces "ils" dont je les entendais discuter ? Maman ne m'avait pas prévenu que des gens du village venaient ce soir...Tout ceci me paraissait étrange, mais pas inquiétant. Bien que les voix que j'entendais étaient toutes inquiètes et que même le vieil Herbert semblait soucieux, je ne comprenais pas un traître mot de ce qu'ils racontaient. J'ignorais alors totalement ce qu'il se passait à ce moment là. Ma vie se résumait à emmener les vaches dans les pâturages des montagnes en semaine et à me balader en forêt avec mes amis le samedi ou le dimanche.
La froideur du couloir m'avait semble-t-il engourdi les muscles et je trébuchai en avant. Ma tête poussa ainsi la porte et je pénétrai malgré moi dans le salon. Je vis alors toutes les têtes se tourner vers moi. Il y avait là Bérangère, la boulangère, le vieil Herbert qui avait vu plus de choses que tout le village réuni et même Callum, un monsieur anglais qui avait une moustache remarquablement bien entretenue. Tous me regardaient comme si j'avais découvert un secret inimaginable.
Prenant un air penaud, je baissai les yeux face à ma mère qui me regardait d'un air surpris.
« Maman, j'arrive pas à me rendormir, gémis-je d'un air plaintif sentant en effet la peur me tenir à nouveau la gorge.
-J'arrive mon chéri, sourit aussitôt ma mère en prenant un air bienveillant, excusez moi. »
Tous la regardèrent passer en souriant d'un air soudain bien moins embarrassé. Ils avaient tous semblé presque effrayés de me voir débarquer dans le salon à l'improviste. Comme si j'avais vu quelque chose que je ne devais absolument pas voir. Ma mère me poussa doucement dans le couloir et referma la porte derrière elle en lançant un regard apaisant à tous les habitants du village qui nous regardaient.
Je remontai ensuite les escaliers menant à ma chambre sous les combles, ma mère me suivant de près. Une multitude de questions firent bientôt surface dans ma tête d'enfant de sept ans. Je me glissai avec délice sous les couvertures encore un peu chaudes de mon lit et regardai ma mère ajuster les draps en souriant d'un air parfaitement innocent. Tout aussi naïf et sincère que j'étais, je posai donc la question de front. Sans penser à mal un seul instant.
« Pourquoi il y avait tout le village dans notre salon maman ?demandais-je donc d'un air tout à fait incrédule.
-Ils sont venus prendre des nouvelles, répondit-elle d'une voix calme et douce.
-Mais il fait encore nuit !contrais-je innocemment sans comprendre, ils pouvaient attendre le jour, hein maman ? »
Dans un sourire rayonnant, elle m'embrassa délicatement le front, passa une main dans mes cheveux et attendit que je pose la tête sur l'oreiller pour éteindre ma lumière. J'entendis à nouveau ses pas s'éloigner en direction de l'escalier.
« Maman ?l'appelais-je encore d'une voix instable.
-Oui mon chéri ?répondit-elle dans un bruissement de jupes me signifiant qu'elle s'était tournée vers moi par réflexe.
-Tu resteras toujours avec moi hein ? »
Un silence. J'aurais pu sentir son sourire.
« Toujours. »
Rassuré, je fermai les yeux. Je m'accrochai à cette image de ma mère souriant et m'ouvrant ses bras.
« Bonne nuit maman...
-Bonne nuit Émile. »
Je m'endormis peu après avec un léger sourire aux lèvres. Cette nuit-là, je rêvai de cette journée où les jumeaux avaient cassé cette balançoire que mon père avait installée dans la matinée. Je rêvai que je me tenais à côté de lui tandis qu'il clouait des planches ensemble pour faire un siège plus solide. Lorsque je m'approchai de lui, il releva les yeux. Mais à la place de son visage, il n'y avait que du flou. Je savais pourtant, je ne sais comment d'ailleurs, qu'il souriait et que je lui souriais tout autant.
Ma mère arriva bientôt. Je l'entendais nous appeler de loin. Tournant la tête pour la voir, je ne vis pas mon père me prendre dans ses bras. Passant les miens autour de son cou tout à fait naturellement, je ris aux éclats lorsqu'il ébouriffa affectueusement mes cheveux.
« Allons voir ta mère, dit-il dans un souffle, elle nous attend pour manger. »
Cette nuit-là...j'avais mes deux parents rien que pour moi.
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